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04/04/2024 | FRANCE | N°22/06196

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-6, 04 avril 2024, 22/06196


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 30B



Chambre civile 1-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 AVRIL 2024



N° RG 22/06196 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VOUA



AFFAIRE :



S.A.S. RETAIL PARTNERS



C/



SCI DU MURGE



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Septembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Nanterre

N° RG : 19/09577



Expéditions exécutoires

Expéditions



Copies

délivrées le : 04.04.2024

à :



Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30B

Chambre civile 1-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 AVRIL 2024

N° RG 22/06196 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VOUA

AFFAIRE :

S.A.S. RETAIL PARTNERS

C/

SCI DU MURGE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Septembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Nanterre

N° RG : 19/09577

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.04.2024

à :

Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. RETAIL PARTNERS

N° Siret : 752 101 436 (RCS Paris)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 - Représentant : Me Élodie DENIS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

SCI DU MURGE

N° Siret : 331 261 453 (RCS Paris)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2221926 - Représentant : Me Reynald BRONZONI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Cyrielle PRAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2024, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon contrat du 07 juillet 2015, la SCI du Murgé a donné à bail commercial à la société Retail Partners, à effet au 1er août 2015 expirant le 31 juillet 2024 et pour un loyer annuel de 39.150 euros la première année de 40.500 euros les années suivantes, des locaux à usage exclusif de bureaux (article 30 du bail) situés [Adresse 3]) composés d'une partie en leur rez-de-chaussée et une autre au premier étage en fond de cour d'une surface totale d'environ 135 m².

Exposant qu'elle a le statut d'établissement recevant du public et qu'elle a fait appel à une société Acoes pour établir un diagnostic destiné à contrôler la nature des locaux et leur adéquation à la réglementation en vigueur, que le rapport établi par celle-ci le 28 mai 2019 fit apparaître une situation non conforme, en particulier des risques sur les biens et les personnes permettant notamment aux salariés d'exercer leur droit de retrait, qu'elle a vainement informé puis mis en demeure sa bailleresse, en juin 2019, de prendre des mesures pour y remédier, qu'elle a dû se résoudre à quitter les lieux et à conclure un nouveau contrat de sous-location et qu'a échoué une tentative de rapprochement avec la bailleresse qui permettait la reprise par un tiers des lieux abandonnés mais sans que ne soient envisagés les travaux de mise en conformité, la société Retail Partners a assigné la SCI du Murgé en résiliation du bail commercial aux torts de la bailleresse et en paiement de diverses sommes (remboursement de loyers, frais de déménagement, dommages-intérêts) suivant acte du 25 septembre 2019.

Cette dernière a reconventionnellement sollicité la résiliation de ce bail aux torts de la preneuse en poursuivant le paiement d'un arriéré de loyers au 30 juin 2021 s'établissant à la somme de 94.658,65 euros TTC.

Par jugement contradictoire rendu le 12 septembre 2022 le tribunal judiciaire de Versailles a, en assortissant sa décision de l'exécution provisoire :

débouté la société Retail Partners de l'ensemble de ses demandes,

prononcé la résiliation judiciaire du bail du 07 juillet 2015 liant la société Retail Partners à la SCI du Murgé à effet du 03 juin 2018 aux torts exclusifs du preneur,

condamné la société Retail Partners à payer à la SCI du Murgé la somme de 94.658,65 euros au titre des loyers et charges exigibles depuis le 1er juillet 2019 jusqu'au 30 juin 2021,

débouté la SCI du Murgé du surplus de ses demandes,

condamné la société Retail Partners à payer à la SCI du Murgé la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile (ainsi qu') aux dépens de première instance qui pourront être recouvrés par maître Reynald Bronzoni, de l'Aarpi Antes avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

rejeté les demandes plus amples ou contraires.

Par dernières conclusions notifiées le 30 juin 2023, la société par actions simplifiée Retail Partners, appelante de ce jugement selon déclaration reçue au greffe le 11 octobre 2022, demande à la cour, au visa des articles R 145-35 du code de commerce, 606, 1217 et 1719 du code civil :

d'infirmer le jugement en ce qu'il a : prononcé la résiliation judiciaire du bail du 07 juillet 2015 à effet au 03 juin 2019 (sic) aux torts du preneur // condamné la société Retail Partners à payer à la SCI du Murgé la somme de 94.658,65 euros au titre des loyers et charges exigibles depuis le 1er juillet 2019 jusqu'au 30 juin 2021 // condamné la société Retail Partners à payer à la SCI du Murgé la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens // rejeté les demandes plus amples ou contraires // ordonné l'exécution provisoire (sic),

Et statuant à nouveau

de prononcer la résiliation du bail commercial du 07 juillet 2015 à effet du 03 juin 2019 aux torts de la bailleresse,

de condamner la SCI du Murgé à (lui) payer les sommes suivantes :

* 129.029,57 euros (3.995,92 euros + 30.375 euros + 94.658,65 euros) au titre du remboursement des loyers et charges,

* 3.241,20 euros au titre des frais de déménagement,

* 10.000 euros en réparation de son préjudice de désorganisation et de perte d'exploitation commerciale,

de débouter la SCI du Murgé de l'ensemble de ses demandes et notamment de son appel incident,

de condamner la SCI du Murgé à (lui) payer une somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du 'CPC' et aux entiers dépens.

Par dernières 'conclusions d'intimée, d'appel incident et de demande de rectification d'erreur matérielle' notifiées le 04 avril 2023, la société civile immobilière du Murgé prie la cour au visa des articles 462 et 9 du code de procédure civile, 1134 et 1184 (anciens), 1719 et 1760 du code civil :

de rectifier l'erreur matérielle figurant au dispositif du jugement du 12 septembre 2022 en remplaçant la date du 03 juin 2018 par celle du 03 juin 2019 : 'prononce la résiliation judiciaire du bail du 07 juillet 2015 liant la société Retail Partners à la SCI du Murgé à effet du 03 juin 2019 aux torts exclusifs du preneur' ,

de confirmer le jugement du 12 septembre 2022 en ce qu'il a :débouté la société Retail Partners de l'ensemble de ses demandes // prononcé la résiliation judiciaire du bail du 07 juillet 2015 liant la société Retail Partners à la SCI du Murgé à effet du 03 juin 2019 aux torts exclusifs du preneur // condamné la société Retail Partners à payer à la SCI du Murgé la somme de 94.658,65 euros au titre des loyers et charges exigibles depuis le 1er juillet 2019 jusqu'au 30 juin 2021 // condamné la société Retail Partners à payer à la SCI du Murgé la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile (ainsi qu') aux dépens de première instance qui pourront être recouvrés par maître Reynald Bronzoni, de l'Aarpi Antes avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile // ordonné l'exécution provisoire,

à titre d'appel incident

d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a : débouté la SCI du Murgé du surplus de ses demandes // rejeté les demandes plus amples ou contraires,

statuant à nouveau

de condamner la société Retail Partners à verser à la SCI du Murgé la somme de 76.071,59 euros TTC au titre des loyers et charges exigibles pour la période du 1er juillet 2021 au 28 octobre 2022,

de débouter la société Retail Partners de l'ensemble de ses demandes,

de condamner la société Retail Partners à verser à la SCI du Murgé la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile (ainsi qu') aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Claire Ricard, avocat au barreau de Versailles, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.

MOTIF DE LA DÉCISION

Sur la demande de rectification d'erreur matérielle

Dès lors que le jugement argué d'erreur matérielle est déféré devant la présente cour, la SCI du Murgé est recevable à en solliciter la rectification, conformément à l'article 462 du code de procédure civile.

Sur l'appréciation de cette erreur, il ressort des éléments de la procédure que c'est à la faveur d'une erreur de plume que le tribunal a mentionné la date du 03 juin 2018 au lieu du 03 juin 2019, date du départ des lieux de la preneuse, dans le dispositif de son jugement, les parties s'accordant au demeurant sur ce point.

Il convient par conséquent d'accueillir cette demande comme explicité au dispositif du présent arrêt.

Sur la demande de résiliation du bail

Pour prononcer la résiliation du bail aux torts de la preneuse, demanderesse à l'action, le tribunal s'est fondé sur les articles 9 du code civil (sur la charge de la preuve), 1134 ancien (sur la force obligatoire du contrat), 1719 (sur l'obligation de délivrance du bailleur) et 1184 ancien (sur la résolution du contrat) et repris dans le détail les événements intervenus entre le 26 mars 2019 et le 08 juillet 2019 au vu des éléments produits pour conclure que leur chronologie démontre que le déménagement de la preneuse a été motivé par sa volonté de rejoindre les locaux occupés par une autre société du groupe (la société Isospace) et non par la non-conformité des locaux.

Il a, en outre, retenu divers comportements fautifs de la société Retail Partners à l'égard de sa bailleresse à l'occasion de son initiative de quitter les lieux tels, et à supposer même qu'il soit pertinent, l'envoi du rapport de non-conformité de la société Acoes (faisant partie du même groupe que la demanderesse)postérieurement à son départ des lieux, le fait qu'elle s'est fait justice à elle-même ou encore les circonstances ayant entouré l'arrêt du paiement des loyers le 1er juillet 2019.

L'appelante qui poursuit la résiliation du bail aux torts de la bailleresse se fonde sur l'article R 145-35 du code de commerce applicable à un bail souscrit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2014 dite loi Pinel (sur l'imputation des réparations) et reprend les termes du rapport de la société Acoes pour dire que son adversaire se contente de lui opposer le caractère partial de ce rapport, ce qui n'est que prétendu, de même qu'est mal fondé le moyen tiré de la critique des compétences de cette société, reprenant point par point les non-conformités relevées, réelles selon elle et justifiant la résiliation du bail faute par la bailleresse d'avoir engagé quelques travaux que ce soit.

Ce faisant, elle critique le rapport Qualiconsult établi en cours de procédure, le 16 octobre 2020, à la requête de son adversaire en ce qu'il s'est appuyé sur une circulaire du 15 novembre 1990 sans valeur juridique pour exclure les locaux de la catégorie des établissements recevant du public et, reprenant divers éléments du rapport Acoes, estime que la bailleresse a manqué à son obligation de délivrance et d'exécution du contrat.

Elle porte enfin sa critique sur la motivation du tribunal en se prévalant de sa liberté de quitter les lieux, ce qui n'est pas fautif en soi, et de l'impossibilité de poursuivre le bail, nonobstant son départ du fait de l'immobilisme observé par la bailleresse confrontée à ces non-conformités pour en déduire que l'occupation des lieux était impossible, le droit de jouissance du local étant, en soi, affecté par l'absence de délivrance conforme.

Elle ajoute que la bailleresse a persisté en cette attitude, éludant la question des travaux lorsqu'elle-même a trouvé un repreneur au cours de l'été 2019 comme le 24 septembre 2019 lorsqu'elle l'a assignée et que ce n'est qu'en octobre 2020 qu'elle a fait appel à un contrôleur technique ; elle estime donc que la bailleresse a disposé du temps nécessaire pour prendre connaissance du rapport et prendre les mesures adéquates et qu'il ne peut lui être reproché de s'être fait justice à elle-même.

L'intimée poursuit, quant à elle, la confirmation du jugement et reprend la chronologie des faits comme suit :

'26.03.19 : annonce de la volonté de Retail Partners de déménager chez Isospace

27.03.19 : lancement de la commercialisation des locaux pour recherche d'un successeur

28.05.19 : rapport de diagnostic

03.06.19 : signature du contrat de sous-location et déménagement chez Isospace

04.06.19 : notification du rapport de diagnostic à la SCI du Murgé et demande de mesures

06.06.19 : accusé de réception du rapport par la SCI du Murgé

14.06.19 : mise en demeure d'avoir à reloger et remédier aux non-conformités(10 jours après le déménagement du 03/06 ')

25.09.19 : assignation'.

Approuvant la motivation du jugement et sa solution, elle ajoute, en réplique au nouvel argument de la preneuse devant la cour selon lequel son déménagement n'était pas fautif en soi, qu'eu égard à l'annonce de son départ dans un objectif de regroupement, plusieurs mois avant celui-ci, à une installation dans de nouveaux locaux de manière non point provisoire mais définitive et à la cessation du paiement des loyers après juillet 2019, toute cette précipitation cache en réalité le stratagème de son adversaire qui a cru pouvoir s'exonérer de la recherche d'un successeur et déménager sans frais et sans délai dans les locaux de son choix en cherchant à obtenir, grâce à un rapport unilatéral et de complaisance, la résiliation judiciaire du bail aux torts de la bailleresse.

Ceci étant exposé, c'est par motifs pertinents que la cour fait siens qu'en contemplation de cette chronologie et du contenu précis des documents se rapportant à ces événements le tribunal a retenu que le départ du local commercial en cause de la société Retail Partners avait pour motivation son souhait de se réinstaller auprès d'une société de son groupe.

Cela étant, l'existence de ce projet n'exclut pas que la preneuse ait pu considérer, à cette date, que la gravité du comportement de la bailleresse dans l'exécution de ses obligations et plus précisément l'obligation de délivrance telle qu'explicitée à l'article 1719 du code civil, justifiait qu'elle y mette fin de façon unilatérale, encore que la société Retail Partners ne fournit pas d'explications sur la quasi-concomitance de ce projet de réinstallation (fin mars 2019) et du rapport technique auquel elle a fait procéder (fin mai 2019) alors, de plus, qu'elle occupait les lieux depuis près de quatre ans sans avoir formulé de griefs à sa bailleresse sur les quatre points de non-conformité relevés par la société Acoes, à savoir : un compartimentage insuffisant en matière de coupe-feu vis-à-vis des tiers, une ventilation mécanique contrôlée (ou VMC) d'extraction d'air au débit insuffisant et un défaut d'unité d'amenée de l'air, des garde-corps sur fenêtres aux lisses ne respectant pas les normes réglementaires et enfin la défaillance de l'installation électrique dans les combles techniques.

A s'en tenir à la seule conclusion de ce document technique qui était, certes, porteuse d'inquiétude quant à la sécurité des préposés de la preneuse et au risque encouru d'engagement de sa responsabilité, indiquant :

'Au titre des réglementations applicables, le diagnostic révèle, sur les différents points cités, des situations non conformes, laissant apparaître des risques sur les biens et les personnes pouvant donner lieu de la part des salariés à la mise en oeuvre de leur droit de retrait. Sur la base de la loi Pinel applicable depuis le 05 novembre 2014, le bailleur étant tenu à une obligation générale de sécurité, les travaux de mise en conformité sont exclus du champ d'application de la responsabilité du locataire au regard des articles 1719 et 1720 du code civil, ainsi qu'aux articles 606 et 605. Le locataire ayant connaissance des situations à risques, en cas de sinistre avéré, le principe de la faute inexcusable de l'employeur serait engagé et de facto la recherche de la responsabilité du locataire serait effectuée'.

Toutefois, force est de considérer que la société Retail Partners s'est fautivement déliée des obligations qui pèsent sur le preneur prévues à l'article 1728 du code civil, que ce soit son obligation de se maintenir dans les lieux et son obligation de payer le loyer.

S'agissant, en effet, du brutal départ des locaux donnés à bail à usage exclusif de bureaux que la société Retail Partners explique par la nécessité de réaliser des travaux à la charge de la bailleresse, force est de constater qu'il a eu lieu le 03 juin 2019 avant même que la preneuse ait donné connaissance à la bailleresse (selon courrier expédié le 04 juin suivant) de ce document technique, ceci sans l'aviser de son départ, et avant de la mettre en demeure (le 17 juin suivant) de les réaliser ; qu'elle ne démontre pas, eu égard à la configuration des lieux, que leur réalisation était incompatible avec la poursuite de son activité - exposant notamment qu'y travaillaient huit salariés alors que le rapport Qualiconsult produit par l'intimée retient une capacité d'accueil de 14 personnes - ou qu'elle ait informé la bailleresse de son intention de les réintégrer une fois les travaux exécutés, étant, de plus, observé qu'elle était restée en possession des clefs des locaux.

L'article 1184 du code civil exigeant que pour imputer à faute une inexécution il appartient à celui qui se prévaut de la résiliation d'un contrat aux torts de son cocontractant de démontrer qu'elle est suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle, la société Retail Partners ne pouvait raisonnablement se prévaloir de ce simple rapport technique dont l'appréciation juridique excède ce qui est attendu d'un technicien, d'autant qu'il était non contradictoire, effectué à sa demande et à ses frais par une société Acoes dont l'activité ne porte pas sur le diagnostic de sécurité mais sur l'assistance au maître d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre de conception/réalisation et en conduite globale d'opération de projets immobiliers et qui appartenait, comme la société Isospace, au même groupe qu'elle-même, ainsi que le fait valoir la SCI du Murgé qui qualifie ce document technique de partial en soutenant qu'il a été réalisé pour les besoins de la cause.

Elle pouvait d'autant moins se prévaloir de la suffisance de ce document en assignant, en septembre 2019, sa bailleresse en résiliation du bail à ses torts exclusifs, avec les conseils et l'assistance d'un avocat professionnel du droit, qu'il ressort de la doctrine de la Cour de cassation, selon divers arrêts tous publiés au bulletin, que le juge ne peut, sans méconnaître le principe de l'égalité des armes ressortant de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme, se fonder exclusivement sur une expertise non contradictoire établie à la demande d'une des parties (Cass civ 3ème, 02 février 2010, pourvoi n° 09-10631), que s'il doit examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties (Cass ch mixte, 28 septembre 2012, pourvoi n° 11-18710) et que si le rapport d'expertise est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties, le juge doit rechercher, dans un second temps, s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve (Cass civ 2ème, 07 septembre 2017, pourvoi n° 16-15531).

Et il n'est produit, en l'espèce, aucun élément de preuve venant corroborer le document technique établi par la société Acoes.

Tout au contraire, le rapport technique établi contradictoirement, selon l'affirmation de la bailleresse sans démenti de son adversaire, en cours d'instance par la société Qualiconsult (dont l'activité porte notamment sur le contrôle et les analyses techniques), à l'instigation de la SCI, ne fait état que de moindres désordres dans ces locaux de 135 m²; il en ressort que la sécurité incendie est en conformité avec les normes qui la régissent, quand bien ils recevraient du public, sauf l'absence de plans et consignes affichés pour les secours et le défaut de désenfumage de l'escalier, qu'il est nécessaire d'ajouter quelques lisses horizontales à celles existantes sur les garde-corps et que si le technicien mandaté n'a pu se prononcer sur le traitement d'air neuf hygiénique faute d'alimentation électrique coupée à son départ par la preneuse, il ne formule pas de préconisations sur l'installation électrique litigieuse en combles, précisant d'ailleurs qu'il appartient au locataire de les faire vérifier annuellement.

Et est inopérante la critique de la société Retail Partners revendiquant la qualité d'établissement recevant du public (ou ERP) et l'application de sa réglementation dès lors que quand bien même la location de ces locaux de 135 m²à usage exclusif de bureaux n'est pas incompatible avec la réception de clients, elle ne démontre pas que son activité d'ordre intellectuel la conduisait à faire usage de ces bureaux pour la réception de la clientèle.

Il s'en induit que la société Retail Partners ne peut se prévaloir d'une inexécution suffisamment grave de la SCI bailleresse pour rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle et qu'en revanche elle a manqué à l'une de ses obligations essentielles en décidant, dans les circonstances décrites et pour le motif invoqué, de quitter les locaux donnés à bail.

S'agissant du défaut de paiement du loyer à compter du mois de juillet 2019, il est vrai que si le locataire est tenu de payer le loyer aux termes convenus, il peut opposer à son bailleur une exception d'inexécution (consacrée à l'article 1219 nouveau du code civil) en se prévalant, notamment, de l'inexécution de travaux ressortant de son obligation d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

Si n'est plus exigée la démonstration de manquements entraînant l'impossibilité absolue pour le locataire d'exercer son activité dans les lieux loués, il lui appartient néanmoins d'établir que ces manquements sont suffisamment graves pour rendre les locaux loués impropres à l'usage auquel ils étaient destinés.

Il résulte de ce qui précède et, plus précisément, des éléments factuels retenus qui ne présentaient pas une gravité suffisante pour faire obstacle à la jouissance des locaux selon leur destination, que la société Retail Partners ne pouvait, comme elle l'a fait, suspendre unilatéralement le paiement des loyers en amont de la procédure de résiliation du bail qu'elle a introduite en septembre 2019, puis persister en cette inexécution, de sorte qu'elle a manqué à cette autre obligation essentielle du locataire.

Il suit de tout ce qui précède que le jugement doit être confirmé en ce qu'il prononce la résiliation du bail aux torts exclusifs du preneur.

Sur les créances réciproquement revendiquées par les parties

Il y a lieu de rappeler que le tribunal, prononçant la résiliation du bail aux torts exclusifs du preneur à effet au 03 juin 2019 sans consacrer de développements particuliers sur le choix de cette date que les parties soumettaient à son appréciation, a d'abord rejeté la demande, formée par la société Retail Partners, de remboursement des loyers acquittés après son départ outre celui des frais de déménagement ainsi que sa demande d'indemnisation du préjudice né de sa désorganisation et de sa perte d'exploitation commerciale aux motifs qu'il ne faisait pas droit à sa demande de résiliation aux torts de la bailleresse, ce qui avait pour conséquence que le bail s'est poursuivi et que les loyers sont dus, que le déménagement est de son fait, ajoutant que n'est pas démontré le préjudice commercial invoqué.

Il a, ensuite, accueilli la demande en paiement des loyers dus jusqu'au 21 juin 2021 formée par la bailleresse sur le fondement de l'article 1760 du code civil et correspondant au préjudice financier subi du fait de sa locataire, rejetant, toutefois, la réclamation de condamnation 'jusqu'à la relocation effective des locaux', non chiffrée et non étayée par la preuve de démarches aux fins de relocation.

L'appelante sollicite d'abord l'infirmation du jugement en sa condamnation au paiement des loyers et des charges jusqu'au 30 juin 2021 (soit la somme de 94.658,65 euros) en faisant valoir que, du fait de la résiliation du contrat de bail à la date du 03 juin 2019, le tribunal ne pouvait la condamner au paiement de loyers postérieurement à cette date et que, surtout, cette condamnation impliquait l'effectivité d'une jouissance paisible des lieux en contrepartie ; pour dire que tel n'est pas le cas en l'espèce elle invoque le rapport de la société Qualiconsult relevant une non- conformité relative aux garde-corps.

Elle soutient également que l'intimée ne peut, non plus, poursuivre sur appel incident sa condamnation au paiement de loyers postérieurs, jusqu'au 28 octobre 2022, chiffrée à la somme de 76.071,59 euros TTC, d'autant qu'elle n'a émis aucun appel ni ne justifie de démarches pour procéder à la relocation des lieux inoccupés depuis juin 2019.

Exposant que les loyers échus entre le 03 juin et le 30 septembre 2019 s'élevaient à la somme de 13.319,74 euros, qu'elle a payé le loyer de juillet 2019 et exécuté le jugement (à hauteur de 3.995,92 + 94.658,65 euros), que la bailleresse a actionné sa garantie bancaire (pour 30.375 euros) qu'elle a dû, en outre, exposer des frais de déménagement et subir un préjudice commercial, elle poursuit, pour ce qui la concerne, le paiement d'une somme totale de 142.270,77 euros (129.029,57 + 3.241,20 + 10.000 euros) correspondant à son préjudice.

Elle fait valoir que bien que la bailleresse ait indiqué, le 06 juin 2019, qu'elle allait procéder à l'analyse du document technique, elle a 'esquivé' la question des travaux nécessaires à la sécurité des occupants en laissant notamment sans réponse un courriel de juillet 2019 et persisté dans un déni de réalité ; qu'en outre, si des repreneurs ont été pressentis et qu'elle-même acceptait une sous-location d'un mois avec franchise de loyer, la bailleresse n'a pas permis cette résolution amiable.

L'intimée rétorque que les loyers postérieurs à la résiliation judiciaire du bail sont dus, par application de l'article 1760 du code civil selon lequel 'En cas de résiliation par la faute du locataire, celui-ci est tenu de payer le prix du bail pendant le temps nécessaire à la relocation, sans préjudice des dommages et intérêts qui ont pu résulter de l'abus'.

Elle précise que ce 'prix du bail' indemnise son préjudice puisqu'elle s'est retrouvée quasiment du jour au lendemain avec des locaux vacants qu'elle a dû entretenir à ses frais sans contrepartie, tout en étant dans l'impossibilité de commercialiser à nouveau lesdits locaux avant le terme de la procédure et le prononcé de la résiliation du bail à la date incertaine.

Sur la base d'un loyer trimestriel de 14.341,39 euros, elle sollicite reconventionnellement la somme complémentaire de 76.071,59 euros TTC pour la période du 1er juillet 2021 au 28 octobre 2022, date de restitution des clefs par la société Retail Partners, faisant valoir que ce défaut de restitution entravait toute visite aux fins de relocation.

Ceci étant rappelé et s'agissant de la date la résiliation judiciaire du bail, prononcée en l'espèce par jugement du 12 septembre 2022, elle a pour effet de mettre fin au contrat.

Il a cependant été jugé que celle des contrats à exécution successive ne prend pas nécessairement effet à la date de la décision qui la prononce.

Toutefois, au cas particulier et par delà la question d'une situation d'insécurité insuffisamment démontrée et dont la gravité n'est que prétendue, la preneuse a entretenu une situation à tout le moins ambiguë quant à sa décision de rompre la relation contractuelle et quant à l'exercice de son droit de se maintenir en jouissance dans les locaux en cause qui résultait du contrat de bail, mettant en demeure la SCI, le 17 juin 2019, de la 'reloger dans des locaux de nature équivalente, dans un périmètre équivalent, de faire réaliser les travaux de mise en conformité, de prendre en charge le coût associé à son déménagement', s'acquittant du loyer du mois de juillet 2019 ou encore évoquant une sous-location et un abandon de loyer dans la perspective de trouver un repreneur.

Et la restitution des clefs, à la charge de la preneuse et impliquant une reprise de possession juridique des lieux par la bailleresse, n'a été effective que le 28 octobre 2022, en suite du prononcé du jugement.

Par conséquent, en contrepartie du maintien de la mise à disposition des lieux, le bail s'est poursuivi jusqu'au prononcé judiciaire de la résiliation, le 12 septembre 2022 ; cette résiliation a privé le bail de ses effets de sorte que, jusqu'à cette date, la société Retail Partners restait tenue au paiement des loyers. Et en réplique à son adversaire, la SCI produit aux débats (en pièces n° 5, 6 et 8) les avis d'échéances afférents.

Il convient donc d'ajouter à la créance de la SCI du Murgé (retenue par le tribunal à hauteur de la somme de 94.658,65 euros) correspondant à des loyers comptabilisés jusqu'au 30 juin 2021, le montant des loyers ayant couru postérieurement jusqu'au 12 septembre 2022 sur la base de loyers trimestriels de 14.341,39 euros.

Les clefs des locaux n'ayant été restituées à la bailleresse que le 28 octobre 2022, elle est fondée à solliciter, sur le fondement de l'article 1760 du code civil, l'indemnisation du préjudice consécutif à cette remise tardive, fautive en ce qu'elle ne lui permettait pas, faute d'accès, de conclure un nouveau bail commercial avec un nouveau preneur, et à solliciter la condamnation de l'appelante à l'indemniser de cet autre dommage, ceci au prix du bail.

Le décompte de la SCI du Murgé étant explicité en page 16/20 de ses conclusions sans susciter de critique de son adversaire quant aux sommes comptabilisées, il convient, en conséquence, de faire droit à sa demande en paiement de la somme complémentaire de 76.071,59 euros.

Il se déduit, par ailleurs, de ce qui précède que les demandes en paiement de la société Retail Partners ne peuvent être accueillies, à quelque titre que ce soit.

Sur les frais non compris dans les dépens et les dépens

L'équité commande de condamner la société Retail Partners à verser à la SCI du Murgé la somme complémentaire de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboutée de ce chef, la société Retail Partners qui succombe supportera les dépens d'appel

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

Rectifie l'erreur matérielle affectant le dispositif du jugement rendu le 12 septembre 2022 en ce sens qu'il dispose : 'prononce la résiliation judiciaire du bail du 07 juillet 2015 liant la société Retail Partners à la SCI du Murgé à effet du 03 juin 2019 aux torts exclusifs du preneur' et non' (...) à effet au 03 juin 2018 aux torts exclusifs du preneur' ;

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a fixé au 03 juin 2019 la date de résiliation du bail commercial et, statuant à nouveau en y ajoutant ;

Prononce la résiliation judiciaire du bail commercial conclu le 07 juillet 2015 entre la société civile immobilière du Murgé et la société par actions simplifiée Retail Partners, aux torts exclusifs de la société Retail Partners, preneuse, prenant effet à la date de son prononcé par le tribunal judiciaire, le 12 septembre 2022 ;

Condamne la société Retail Partners SAS à verser à la SCI du Murgé la somme complémentaire de 76.071,59 euros au titre des sommes dues du 1er juillet 2021 au 28 octobre 2022;

Déboute la société Retail Partners SAS de ses entières demandes ;

Condamne la société Retail Partners SAS à verser à la SCI du Murgé la somme complémentaire de 3.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-6
Numéro d'arrêt : 22/06196
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;22.06196 ?
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