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04/04/2024 | FRANCE | N°22/04160

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-6, 04 avril 2024, 22/04160


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 53F



Chambre civile 1-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 AVRIL 2024



N° RG 22/04160 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VIYR



AFFAIRE :



[W] [P]



C/



[X] [M]



S.A. CREDIT MUTUEL REAL ESTATE LEASE



S.C.I. DU MOULIN



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° RG : 18/08068r>


Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.04.2024

à :



Me Sandra SERY, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE



Me Arnaud DUQUESNOY de la SCP MILLENIUM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS



Me Antoni MAZENQ avo...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 53F

Chambre civile 1-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 AVRIL 2024

N° RG 22/04160 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VIYR

AFFAIRE :

[W] [P]

C/

[X] [M]

S.A. CREDIT MUTUEL REAL ESTATE LEASE

S.C.I. DU MOULIN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° RG : 18/08068

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.04.2024

à :

Me Sandra SERY, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

Me Arnaud DUQUESNOY de la SCP MILLENIUM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Me Antoni MAZENQ avocat au barreau de PARIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [W] [P]

née le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 9]

Représentant : Me Sandra SERY, Postulant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1733 - Représentant : Me Nicolas PORTE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J108

APPELANTE

****************

Monsieur [X] [M]

né le [Date naissance 4] 1979 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 8]

S.C.I. DU MOULIN

N° Siret : 505 364 018 (RCS Versailles)

[Adresse 14]

[Localité 9]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Arnaud DUQUESNOY de la SCP MILLENIUM AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J143

S.A. CREDIT MUTUEL REAL ESTATE LEASE

Anciennement dénommée CMCIC LEASE

N° Siret : 332 778 224 (RCS Paris)

[Adresse 6]

[Localité 7]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Antoni MAZENQ, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0296

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2024, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte authentique reçu le 07 novembre 2013, la société CMCIC Lease a consenti à la SCI du Moulin (ayant pour associés à parts égales madame [W] [P] et monsieur [X] [M] et ci-après désignée : la SCI) un crédit-bail immobilier destiné à financer l'acquisition et des travaux de réaménagement d'un bâtiment situé à [Localité 12] [Adresse 13] et [Adresse 1] pour un montant maximal d'investissement de 1.200.000 euros selon deux tranches : soit une première tranche à hauteur de 671.200 euros (pour l'acquisition du terrain et les frais) remboursable trimestriellement sur 15 ans et une seconde tranche (pour les travaux) à hauteur de 528.000 euros à compter de la date d'achèvement des travaux et jusqu'à la date d'expiration de la première ayant pour terme le 06 novembre 2028.

Il était convenu de diverses garanties, à savoir : le nantissement du contrat, la promesse de cession de loyers, la désignation en qualité de bénéficiaire des assurances décès-invalidité souscrits par les deux associés, le nantissement des parts de la SCI et l'engagement de ceux-ci de ne pas céder leurs parts et de modifier la forme sociale de la SCI.

La SCI crédit-preneuse ayant cessé de s'acquitter des loyers à compter de janvier 2016, la crédit-bailleresse, à la suite de trois vaines mises en demeure, lui a tout aussi vainement fait délivrer, le 24 novembre 2016, un commandement visant la clause résolutoire pour avoir paiement de la somme de 149.677,38 euros avant de l'assigner devant la juridiction des référés.

En suite du prononcé d'une ordonnance de référé le 09 juin 2017 (devenue définitive) qui ordonnait, notamment l'expulsion de la SCI, fixant le montant de l'indemnité d'occupation à la somme mensuelle de 18.000 euros HT à compter du 27 décembre 2016, celle-ci a quitté les lieux le 05 septembre 2017.

La vente du bien grevé, sur lequel la crédit-bailleresse avait inscrit une hypothèque provisoire convertie en hypothèque définitive, n'a pas permis de la désintéresser et la saisie-attribution qu'elle a fait pratiquer le 07 juin 2018 sur le compte bancaire de la SCI pour avoir paiement de la somme de 924.820,93 euros s'est révélée totalement infructueuse en raison d'un solde négatif.

C'est dans ces conditions que par acte des 16 juillet et 1er août 2018 la société Crédit Mutuel Real Estate Lease (anciennement CMCIC Lease), se prévalant de préalables et vaines poursuites à l'encontre de la SCI du Moulin, a assigné les deux associés et cette SCI aux fins de voir condamner monsieur [M] et madame [P] à payer, chacun, la somme de 462.410,46 euros.

Par jugement réputé contradictoire (madame [P] n'ayant pas constitué avocat) rendu le

11 mars 2022 le tribunal judiciaire de Nanterre a, en assortissant sa décision de l'exécution provisoire :

condamné monsieur [X] [M] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease la somme de 445.028,40 euros,

condamné madame [W] [P] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease la somme de 445.028,40 euros,

dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du jugement,

ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter du jugement,

débouté monsieur [X] [M] et la SCI du Moulin de l'intégralité de leurs demandes,

condamné in solidum monsieur [X] [M] et madame [W] [P] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (ainsi) qu'aux dépens dont distraction au profit de maître Antoni Mazenq, avocat au barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

débouté la société Crédit Mutuel Real Estate Lease du surplus de ses demandes, rappelé qu'en application des dispositions de l'article 478 du code de procédure civile, le

présent jugement deviendra non avenu s'il n'est pas notifié dans le délai de 6 mois de sa date.

Par dernières conclusions notifiées le 14 septembre 2022, madame [W] [P], appelante de ce jugement selon déclaration reçue au greffe le 24 juin 2022, demande à la cour :

de réformer le jugement (entrepris)

à titre principal

d'annuler le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre de l'absence (sic) d'assignation de madame [P] ainsi que de la signification du jugement,

à titre subsidiaire

de dire et juger le quantum de la créance non prouvé,

de débouter en conséquence la CMCIC Lease dans l'ensemble (sic) de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la SCI et de monsieur [M],

à titre infiniment subsidiaire

de dire et juger que la société CMCIC Lease ne peut pas bénéficier d'une indemnisation de résiliation anticipée pour la période couverte par l'indemnité d'occupation en l'absence alors de préjudice indemnisable,

de dire et juger la clause d'indemnité de résiliation constitutive d'une clause pénale excessive,

de fixer à la seule somme de 188.695,06 euros la créance de la CMCIC Lease à l'encontre de madame [P],

de débouter la CMCIC Lease dans l'ensemble (sic) de ses demandes, fins, conclusions contraires et supplémentaires,

de condamner la société CMCIC Lease aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de la Scp Millenium avocats, avocat aux offre de droit qui déclare en avoir fait l'avance en ce qui la concerne, par application de l'article 699 'CPC'.

Par dernières conclusions d'intimée et d'appelante à titre incident (n° 2) notifiées le 30 novembre 2022, la société anonyme Crédit Mutuel Real Estate Lease prie la cour, au visa des articles 1134, 1152, 1226 et 1315 (anciens applicables), 1857 et 1858 du code civil et de l'acte authentique du 07 novembre 2013 (précité) :

de débouter monsieur [X] [M], madame [W] [P] et la SCI du Moulin de l'ensemble de leurs demandes, à toutes fins qu'elles comportent, en conséquence :

de confirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a : condamné monsieur [X] [M] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease la somme de 445.028,40 euros avec anatocisme // condamné madame [W] [P] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease la somme de 445.028,40 euros avec anatocisme,

statuant à nouveau et y ajoutant

de condamner madame [W] [P] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease anciennement dénommée CMCIC Lease la somme complémentaire de 17.082,06 euros sauf mémoire et à parfaire, en sa qualité d'associée, à hauteur de 50% du capital social de la SCI du Moulin, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2022, avec anatocisme,

de condamner monsieur [X] [M] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease anciennement dénommée CMCIC Lease la somme complémentaire de 17.082,06 euros sauf mémoire et à parfaire, en sa qualité d'associé, à hauteur de 50% du capital social de la SCI du Moulin, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2022, avec anatocisme,

de condamner in solidum monsieur [X] [M], madame [W] [P] et la SCI du Moulin à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease anciennement dénommée CMCIC Lease la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

de rendre commun et opposable à la SCI du Moulin l'arrêt à intervenir,

d'admettre maître Antoni Mazenq, avocat, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 29 novembre 2022, monsieur [M] et la SCI du Moulin demandent à la cour, visant les articles 1315, 1149, 1152 et 1231-5 du code civil, 9, 15, 16, 799 et 803 du 'CPC' :

d'infirmer le jugement (entrepris),

et, statuant de nouveau :

de juger le quantum de la créance de la SA CMCIC non prouvé,

de juger que la SA CMCIC Lease ne peut pas bénéficier d'une indemnisation de résiliation anticipée pour la période couverte par l'indemnité d'occupation en l'absence alors de préjudice indemnisable,

de juger la clause d'indemnité de résiliation constitutive d'une clause pénale excessive,

de fixer à la somme de 100.000 euros l'indemnité de résiliation,

en conséquence :

de fixer à la seule somme de 188.695,06 euros la créance de la SA CMCIC Lease à l'encontre de monsieur [M],

de débouter la SA CMCIC Lease dans l'ensemble (sic) de ses demandes, fins, conclusions contraires et supplémentaires,

de condamner la SA CMCIC Lease aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de

la SCP Millenium avocats, avocat aux offres de droit qui déclare en avoir fait l'avance en ce qui la concerne, par application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 décembre 2023.

MOTIF DE LA DÉCISION

Sur la demande de 'nullité' du jugement

Se fondant sur les articles 54 du code de procédure civile (relatif à la demande initiale) et 478 du même code selon lequel 'le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu'il est susceptible d'appel est non avenu s'il n'a pas été notifié dans le délai de six mois de sa date. La procédure peut être reprise après réitération de la citation primitive.', madame [P] fait valoir qu'elle n'a jamais été destinataire de l'assignation, raison pour laquelle elle n'a pas constitué avocat, et que, de plus, le jugement ne lui a pas été signifié dans ce délai de six mois.

Mais s'agissant du défaut d'assignation devant le tribunal judiciaire dont le jugement expose bien (en page 2/9) qu'une assignation a été délivrée le 16 juillet 2018, force est de considérer que l'appelante laisse sans réponse le moyen de la crédit-bailleresse qui produit en pièce n° 16 ladite assignation délivrée à cette date à domicile, l'huissier mentionnant que le nom de madame [P] figure sur sa boîte aux lettres et sur l'interphone, que le domicile a été certifié par un voisin et qu'il n'a pu remettre l'acte à personne du fait de son absence ; la crédit-bailleresse précise en outre qu'elle n'a pas été retirer l'acte en étude en dépit des indications pour ce faire de l'huissier.

Ce moyen de nullité ne peut donc prospérer.

S'agissant de l'invocation des dispositions de l'article 478 précité dont la sanction n'est pas la nullité mais la caducité du jugement, c'est à tort que la société Crédit Mutuel Real Estate Lease soutient que ce texte n'avait pas vocation à trouver application en faisant valoir que le jugement réputé contradictoire a été ainsi qualifié non point uniquement parce qu'il était susceptible d'appel mais du fait que madame [P] a été assignée sans constituer avocat.

Les dispositions de l'article 474 du même code précisent en effet que le jugement est réputé contradictoire à l'égard de tous, en cas de pluralité de défendeurs, si celui qui n'a pas comparu a été cité à personne et tel n'est pas le cas de madame [P].

En revanche cette intimée, se réclamant de la doctrine de la Cour de cassation, est fondée à lui opposer, subsidiairement, le fait qu'elle ne peut se prévaloir de la caducité de ce jugement rendu le 11 mars 2022 et qualifié de réputé contradictoire du seul fait qu'il était susceptible d'appel dès lors qu'elle en a interjeté appel le 24 juin 2022 et que l'appel de la partie défaillante en première instance emporte renonciation à se prévaloir des dispositions de l'article 478 invoqué.

Par suite, la sanction recherchée, voire la caducité du jugement, ne sauraient être prononcées.

Sur la contestation de la créance de la crédit-bailleresse

Si l'obligation à la dette sociale de la SCI à laquelle sont tenus ses deux associés, telle que retenue par le tribunal en regard des dispositions des articles 1857 et 1858 du code civil, ne fait pas l'objet de contestation, tel n'est pas le cas du quantum de la créance dont la crédit-bailleresse poursuit le paiement.

Appelé à se prononcer sur une créance totale de 924.820,93 euros selon un décompte établi le 24 janvier 2019 qui faisait apparaître, déduction faite de quatre virements, les facturations correspondant à la période du 04 janvier 2016 au 04 septembre 2017 sur le compte de la SCI du Moulin, le tribunal en a limité le montant total à la somme de 890.056,81 euros (soit : 445.028,40 euros à la charge de chacun des deux associés) ainsi décomposée :

loyers impayés du 1er janvier au 26 décembre 2016 : 132.136 euros

indemnité d'occupation du 27 décembre 2016 au 04 septembre 2017 : 148.800 euros

assurance TRS, taxe foncière, taxe sur les bureaux et intérêts de retard :26.645,05 euros

indemnité de résiliation : 653.755,76 euros

dont à déduire : cession de loyer sous-location :- 71.280 euros

Total : 890.056,81 euros

Pour ce faire, il a exclu les factures de TVA afférentes aux indemnités d'occupation mensuelles de 18.000 euros, comme l'imputation d'honoraires d'avocats et d'huissiers, et, rejetant le moyen des défendeurs excipant d'une double indemnisation, il a analysé l'indemnité de résiliation contractuelle comme une clause pénale en jugeant qu'il n'y avait pas lieu à exercice de son pouvoir de modération pour en fixer le montant à la somme réclamée.

En cause d'appel, outre une demande de débouté de la crédit-bailleresse en sa demande - à son égard (§ 2.1.1 des écritures de madame [P]) ou 'à l'encontre de la SCI du Moulin et de monsieur [M] (dans le dispositif des conclusions de madame [P]) - prétention de l'appelante à laquelle la SCI et monsieur [M] s'associent, divers postes font l'objet de contestation tant par l'appelante que par l'ensemble des intimés.

Sur la contestation tenant au caractère 'non prouvé' de la créance

Pour conclure au débouté pur et simple de la crédit-bailleresse en sa demande en paiement, madame [P] tire argument des termes de l'ordonnance de référé (précitée) du 09 juin 2017 qui fixait une indemnité mensuelle à la somme de 18.000 euros HT à compter du 27 décembre 2016, de la signification de cette décision le 26 juin 2017 et du fait que son adversaire affirme sans aucune justification qu'elle a quitté les lieux le 04 septembre 2017 alors qu' 'il a été démontré que le local a été quitté le 26 juin 2017", de sorte que ne peut être décomptée que partie des indemnités d'occupation, de même qu'elle intègre des loyers pour janvier 2017 alors que la SCI n'était tenue qu'à une indemnité d'occupation ou encore des frais d'honoraires et d'avocats, non justifiés, ressortant des dépens et sur lesquels le tribunal ne s'est pas prononcé.

Et la SCI et monsieur [M] reprennent pour l'essentiel ce même moyen à même fin.

Ceci étant exposé, il y a lieu de considérer que l'argumentation ainsi développée ne permet pas de débouter purement et simplement la société intimée de ses demandes, tout au plus pourrait-elle permettre d'influer sur l'évaluation du montant de la créance.

Sur la date de libération des lieux, c'est à juste titre que la crédit-bailleresse oppose à ses adversaires un renversement de la charge de la preuve dès lors que, par application de l'article 1353 alinéa 2 (anciennement 1315) du code civil, il est constant que c'est au défendeur d'apporter la preuve des faits qu'il invoque à titre d'exception.

Si madame [P] prétend qu' 'il a été démontré que le local a été quitté le 26 juin 2017", la cour ne trouve nulle trace d'une telle démonstration, étant observé qu'elle ne communique que deux pièces (les statuts de la SCI et le jugement dont appel) au soutien de son recours.

La libération des lieux avec remise des clefs sera donc fixée, comme en première instance, au 04 septembre 2017.

Sur l'imputation de loyers plutôt que d'indemnités d'occupation, la crédit-bailleresse qui expose que son précédent décompte faisait apparaître des factures de loyers mais également des avoirs, clarifie ce point par la production d'un nouveau décompte (en pièce n° 13) comptabilisant en janvier 2017 une indemnité d'occupation précaire, conformément au dispositif de l'ordonnance de référé précitée qui la rendait exigible à compter du 27 décembre 2016.

Enfin, sur les honoraires d'avocats et d'huissiers, contrairement à ce qu'affirme madame [P], le tribunal s'est prononcé sur leur imputation pour les rejeter.

Ils seront examinés dans le cadre de l'appréciation de chacun des postes de la créance dès lors que la crédit-bailleresse conteste ce rejet.

Sur la contestation des différents postes de la créance

1 - au titre des loyers

Il n'est pas contesté que la créance à ce titre correspond à la totalité de l'exercice 2016.

Si madame [P] qui ne conteste pas cet impayé et la crédit-bailleresse poursuivent la confirmation du jugement en ce qu'il en a évalué le montant à la somme de 132.136 euros, de manière surprenante monsieur [M] et la SCI affirment qu'elle s'établit à une somme de 133.390,12 euros TTC qui excède, par conséquent, la demande.

C'est cependant plus exactement et pour tenir compte de la date de résiliation du bail au 26 décembre 2017 que le tribunal, approuvé par la crédit-bailleresse, ne s'en est pas tenu à la simple multiplication de chaque trimestrialité de 2016 par quatre et a pris en considération ladite date.

La somme de 132.136 euros est donc due à ce titre.

2 - au titre de l'indemnité d'occupation

Afin de solliciter, sur appel incident, l'évaluation de sa créance à ce titre au montant de 178.560 euros et non point, comme retenu par le tribunal, à la somme de 148.800 euros, la crédit-bailleresse qui additionne huit mensualités de janvier à août 2017 en y ajoutant, prorata temporis, les quelques jours d'occupation de décembre 2016 et de septembre 2017 sus-évoqués, lui reproche d'avoir exclu la taxe à la valeur ajoutée (TVA) décomptée en dépit de l'article VI 4.4 du contrat et de la formulation de l'ordonnance de référé précitée qui fixe cette indemnité à la somme hors taxes de 18.000 euros.

Les intimés reconnaissent, quant à eux, une créance s'établissant à 144.000 euros en limitant l'occupation à huit mois (soit : 18.000 euros x 8) sans tenir compte des 9 jours d'occupation de décembre 2016 et septembre 2017.

Bien que le tribunal ait énoncé que 'l'indemnité d'occupation accordée par une décision juridictionnelle qui a pour seul objet de réparer le préjudice subi par le créancier du fait du débiteur n'est pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée', madame [P] soutient (selon trois phrases identiques successives) que 'ce point n'a d'ailleurs pas été évoqué par le tribunal'.

En toute hypothèse et à l'instar de la SCI et de monsieur [M], elle fait valoir qu'il n'est pas justifié de l'assujettissement de cette indemnité à la TVA, sans plus de développements.

Ceci étant relaté et sur la période à considérer, la crédit bailleresse est fondée à ajouter aux huit mois d'occupation sans droit ni titre les neuf jours sus-mentionnés (sur la base de 18.000 euros/30 jours, soit 600 euros par jour d'occupation), ceci en contrepartie de la jouissance des locaux non fondée sur une règle des baux commerciaux.

S'agissant de la soumission à la TVA de l'indemnité d'occupation qui n'est due par l'occupant que pour réparer le préjudice commercial subi du fait son occupation, il y a lieu de considérer que la mise à disposition de locaux par le crédit-bailleur contre son gré ne peut être considérée comme une 'prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel', au sens de l'article 256 du code général des impôts qui suppose un rapport juridique entre les parties, ainsi que cela résulte d'ailleurs de la doctrine du Conseil d'Etat (CE, 9e et 10e ch réunies, 30 mai 2018, n° 402447, recueil Lebon).

Le contrat ayant cessé de produire ses effets, ces indemnités n'étaient pas passibles de la TVA et la crédit-bailleresse ne peut y prétendre, de sorte que ce poste de créance sera évalué à la somme de 149.400 euros [(18.000 x 8) + (600 x 9)].

3 - au titre de l'indemnité de résiliation contractuelle

Il convient de rappeler que pour évaluer à la somme de 653.755,76 euros cet élément de la créance, le tribunal a successivement repris les stipulations du contrat de crédit-bail, plus précisément ses articles VI-3, VI-4 et VI-4.4 (intitulés, respectivement : résiliation, conséquence de la résiliation anticipée et visant l'hypothèse d'une occupation du crédit-preneur postérieurement à la date de résiliation du crédit-bail), puis analysé cette clause comme une clause pénale, jugé qu'il n'y avait pas lieu de modérer cette indemnité ni de retenir le moyen tiré de la prohibition d'une double indemnisation présenté par les défendeurs en raison du double accueil de l'indemnité d'occupation et de l'indemnité de résiliation.

Par application de l'article 1231-5 (nouveau) du code civil, madame [P] comme la SCI et monsieur [M] demandent à la cour de modérer cette indemnité (stipulée à hauteur de 50% des loyers HT restant dus jusqu'au terme de l'opération), qu'ils analysent en une clause pénale, et d'en fixer le montant à la somme de 100.000 euros.

Pour ce faire, madame [P] fait valoir que cette indemnité ne peut courir durant la période couverte par l'indemnité d'occupation car cela reviendrait à une double indemnisation et, par ailleurs, que cette clause pénale, réductible, présente un caractère manifestement excessif, surtout pour deux personnes physiques, dès lors que la société crédit-bailleresse bénéficie, en sus, de la valeur en pleine propriété du bien et de la plus-value en cas de vente.

La SCI du Moulin et monsieur [M] ajoutent à cette argumentation relative à l'excès en invoquant les avantages comptables et fiscaux que tire la crédit-bailleresse de la situation (évoquant le provisionnement des créances douteuses, le passage des frais de gestion en charges et l'amortissement de ses biens en portefeuille) outre le fait qu'avant défaillance, la SCI a payé une somme de 140.000 euros, que les droits et biens immobiliers ont été revendus pour un montant de 600.000 euros, alors que le montant du crédit-bail comprenant les travaux s'établissait à la somme de 1.200.000 euros.

De son côté, la société intimée, qui explicite le calcul de sa créance, réfute l'argumentation adverse tenant à une double indemnisation en distinguant les objectifs poursuivis par l'indemnisation de l'occupation et par celle de la résiliation.

Elle fait valoir que la clause 'résiliation' du contrat énumère les différentes charges qu'elle aura à supporter du fait de celle-ci, qu'elle n'a pas vocation à conserver à long terme les immeubles qu'elle a eu à financer, qu'elle a elle-même eu recours au crédit pour assurer le financement de l'opération, ceci pour dénier le caractère manifestement excessif de l'indemnité de résiliation qui n'est à son sens que prétendu.

Elle poursuit donc la confirmation du jugement de ce chef.

Cela étant exposé, il convient d'observer qu'alors que la société crédit-bailleresse analysait la clause de résiliation comme une clause de dédit (qui aménage les circonstances de la rupture lorsque l'une des parties use du droit de rompre contractuellement reconnu), visant dans ses conclusions d'intimée l'article 1152 (ancien) du code civil ou débattant de l'excès manifeste, elle ne conteste pas la qualification de clause pénale justement retenue par le tribunal qui a repris in extenso les stipulations s'y rapportant (soit les articles VI-3 à VI-4.4 du contrat) et a déduit, au terme de son analyse, que la clause en question présentait les caractéristiques de la clause pénale.

Cette indemnité figurant à l'article VI-4 du contrat se présente, en effet, comme une évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par la crédit-bailleresse du fait de l'accroissement de ses charges et frais (dont l'article VI-3 du contrat précise le détail) consécutif à l'inexécution par le crédit-preneur de son obligation ; évaluée 'à 75 % du montant des loyers dus jusqu'au terme de l'opération sans que celle-ci puisse être inférieure à l'avance consentie éventuellement par le crédit-preneur au crédit-bailleur' (article VI-4), ceci quel que soit le moment de la résiliation, elle a pour objet, du fait de son montant particulièrement dissuasif, de contraindre le crédit-preneur à exécuter son obligation et présente, partant, un caractère comminatoire.

Contrairement à ce que prétendent madame [P], la SCI et monsieur [M], la crédit-bailleresse est fondée à évaluer le montant de cette indemnité, selon les paramètres convenus (pièce n° 15)à compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire sans qu'il puisse lui être reproché de poursuivre la double indemnisation d'un même préjudice dès lors que l'indemnité d'occupation, sanctionnant la faute délictuelle de celui qui se maintient sans droit dans les lieux, est destinée à réparer le préjudice qui résulte pour le propriétaire de la privation de son bien alors que la clause de résiliation, telle que qualifiée, tend à sanctionner l'inexécution de son obligation par le crédit-preneur.

S'agissant de l'exercice du pouvoir de modération de la cour qui n'est qu'une faculté, madame [P] ne peut se prévaloir de sa qualité de personne physique en laissant entendre qu'il doit être tenu compte de sa capacité de remboursement dès lors qu'il n'est demandé au juge que d'exercer un contrôle de proportionnalité et qu'il s'agit, par conséquent, d'un critère indifférent pour l'application de l'article 1152 devenu 1231-5 du code civil.

De même, l'argument de monsieur [M] fondé sur une exécution partielle du contrat ne peut en l'espèce prospérer dans la mesure où le contrat conclu en novembre 2013 qui avait pour terme le 06 novembre 2028, ceci pour un financement de 1.200.000 euros, n'a été exécuté que jusqu'à la fin de l'année 2015 et pour un montant de 140.000 euros, soit de manière singulièrement minime en regard de la somme de 1.307.509,52 euros (au titre des seuls loyers, selon le calcul non contesté de la crédit-bailleresse) et qu'il convient de s'attacher à la disproportion manifeste entre l'importance du préjudice effectivement subi et le montant conventionnellement fixé.

Monsieur [M] ne peut davantage tirer argument de la revente du bien financé dès lors qu'outre le fait que le contrat de crédit-bail immobilier se caractérise par la simple location de ce bien avec promesse unilatérale de vente à l'issue du bail, la crédit-bailleresse est fondée à lui opposer 'surabondamment',en justifiant, la circonstance qu'elle a acquis le bien en novembre 2013 au prix de 671.200 euros (frais, droits et honoraires inclus) et l'a revendu le 1er juillet 2021 au prix de 630.000 euros.

Par suite, il convient de considérer que la clause pénale en cause, dont le caractère 'manifestement excessif' n'est pas autrement démontré, constitue pour la crédit-bailleresse, dans le cadre d'une opération dont la rentabilité est liée à la bonne exécution de la convention plus qu'aux avantages financiers et comptables invoqués, une indemnisation lui permettant de compenser les sommes dont elle a fait l'avance pour financer l'acquisition du bien et des travaux en se finançant elle-même sur le marché, outre le manque à gagner financier subi du fait de la résiliation anticipée du contrat ainsi que les divers frais induits.

Il y a donc lieu de faire application pure et simple de la convention et de considérer que la crédit-bailleresse est fondée à poursuivre la condamnation des associés à hauteur d'une somme globale de 653.755,76 euros, comme retenu par les premiers juges.

4- au titre des honoraires d'avocat et d'huissier ainsi que des frais de gestion

Déboutée par le tribunal de ce chef de demande aux motifs qu'elle ne justifiait pas des créances invoquées à ces divers titres, que celles-ci relevaient des articles 695 et 700 du code de procédure civile, que par ordonnance rendue le 09 juin 2017 le juge des référés a condamné la SCI au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et qu'il lui appartient de ne se prononcer que sur ceux afférents à l'instance dont il est saisi, la crédit-bailleresse reprend cette demande évaluée à la somme de 4.272,12 euros (soit le cumul de celle de 3.784,70 euros et de celle de 488,32 euros, mentionnés respectivement dans son décompte comme représentant des 'frais avocats/huissiers' facturés le 05 mai 2017 et des 'frais d'avocat' facturés le 02 décembre 2016).

Estimant madame [P] irrecevable à former la moindre demande à ce titre pour défaut d'intérêt à agir, elle qualifie d'erronée l'analyse des premiers juges en invoquant l'article II-2.4 (intitulé 'charges' de l'acte authentique outre son article 4.3 alinéa 3 selon lequel 'tous les frais de résiliation tout comme ceux afférents à la restitution et à la mise en bon état des lieux seront à la charge du crédit-preneur' et fait valoir qu'ils ont méconnu la loi des parties.

Mais la seule invocation de la défaillance de madame [P] en première instance ou de son inexacte affirmation selon laquelle le tribunal ne se serait pas prononcé sur ce point ne permettent à la crédit-bailleresse de lui opposer un défaut d'intérêt à agir.

Sur le fond, il y a lieu de considérer que la cause des frais d'avocats qui ont été facturés dès avant l'acquisition de la clause résolutoire méritait d'être explicitée, qu'il ne suffit pas d'invoquer diverses stipulations, comme le fait la crédit-bailleresse, pour prétendre que les sommes réclamées entrent dans leur champ d'application, que cette dernière ne s'explique pas sur les frais non répétibles auxquels la SCI a été condamnée et que, pas plus qu'en première instance, il n'est justifié de l'acquittement de ces sommes.

Si bien que le jugement mérite confirmation sur ce point.

Il se déduit de tout ce qui précède que la créance de la société Crédit Mutuel Real Estate Lease s'établit à la somme de 890.656,81 euros [soit : 132.136 euros (au titre des loyers impayés du 1er janvier au 26 décembre 2016) + 149.400 euros (au titre de l'indemnité d'occupation du 27 décembre 2016 au 04 septembre 2017) + 26.645,05 euros ( au titre de l'assurance TRS, la taxe foncière, la taxe sur les bureaux et les intérêts de retard) + 653.755,76 euros (au titre de l'indemnité de résiliation) dont à déduire la somme de 71.280 euros (au titre de la cession de loyer/ sous-location)].

Et chacun des deux associés sera condamné à répondre de cette dette sociale à proportion de sa part dans le capital social, soit à hauteur de moitié.

Sur les frais non compris dans les dépens

L'équité commande de condamner madame [P], d'une part, et monsieur [M], d'autre part, à verser la société intimée, chacun, la somme complémentaire de 2.000 euros.

Déboutés de ce dernier chef de demande, ils supporteront par parts égales les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

Rejette la demande de 'nullité' du jugement présentée par madame [W] [P] ;

CONFIRME le jugement entrepris sauf en son évaluation du quantum de la créance de la société Crédit Mutuel Real Estate Lease (anciennement dénommée CMCIC Lease) et statuant à nouveau dans cette limite ;

Condamne monsieur [X] [M] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease SA la somme de 445.328,40 euros ;

Condamne madame [W] [P] à payer à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease SA la somme de 445.328,40 euros ;

Condamne monsieur [X] [M] et madame [W] [P] à payer, chacun, à la société Crédit Mutuel Real Estate Lease SA, la somme complémentaire de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter, chacun à part égale, les dépens d'appel avec faculté de recouvrement, conformément à l'article 699 du même code.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-6
Numéro d'arrêt : 22/04160
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;22.04160 ?
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