COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 63A
3e chambre
ARRET N°
REPUTE
CONTRADICTOIRE
DU 28 MARS 2024
N° RG 21/05544
N° Portalis DBV3-V-B7F-UXES
AFFAIRE :
[D] [L]
...
C/
S.A. UCB PHARMA
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Juillet 2021 par le TJ de NANTERRE
N° chambre : 2
N° RG : 19/06558
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Philippe CHATEAUNEUF
Me Mélina PEDROLETTI
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [D] [L]
née le [Date naissance 6] 1973 à[Localité 16])
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 9]
Monsieur [N] [W]
né le [Date naissance 5] 1967 à [Localité 15]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 9]
Monsieur [J] [L]
né le [Date naissance 1] 1932 à [Localité 13]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 7]
Madame [I] [L]
née le [Date naissance 2] 1932 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643
Représentant : Me Martine VERDIER, Plaidant, avocat au barreau d'ORLEANS
APPELANTS
****************
S.A. UCB PHARMA
N° SIRET : B 562 079 046
[Adresse 12]
[Localité 11]
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626
Représentant : Me Carole SPORTES LEIBOVICI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0443
INTIMEE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES
[Adresse 10]
[Localité 8]
INTIMEE DEFAILLANTE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 novembre 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence PERRET, Président et Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller chargé du rapport .
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence PERRET, Président,
Madame Gwenael COUGARD, Conseiller,
Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme FOULON,
************
FAITS ET PROCEDURE :
Mme [I] [L] s'est vue prescrire du Distilbène alors qu'elle était enceinte de sa fille, Mme [D] [L], née le [Date naissance 6] 1973.
Par actes des 25 janvier et 2 mars 2018, Mme [D] [L], a assigné la société Ucb Pharma et la caisse primaire d'assurances maladie des Yvelines (ci-après, la CPAM) devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin que la première soit reconnue entièrement responsable de ses malformations utérines et fausses couches précoces, ainsi que de sa grossesse pathologique et de la naissance prématurée de sa fille, [C], préjudices qu'elle impute à son exposition in utero au Distilbène, et d'obtenir, avant-dire droit, la tenue d'une expertise judiciaire pour évaluer lesdits préjudices ainsi que l'octroi, dans cette attente, de provisions.
Par ordonnance du 26 juin 2018, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise, confiée au docteur [A] [U], a débouté Mme [L] de sa demande de provision sur préjudice et lui a alloué la somme de 4 000 euros à titre de provision pour les frais du procès, outre celle de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
L'expert a déposé son rapport définitif le 16 septembre 2019.
Par ordonnance du 14 janvier 2020, le juge de la mise en état a rejeté les nouvelles demandes de provision formées par Mme [D] [L].
Par jugement du 1er juillet 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- reçu l'intervention volontaire de sa mère, Mme [I] [L], son père, M. [J] [L] et de son compagnon, M. [N] [W],
- rejeté les demandes d'expertises,
- déclaré la société Ucb Pharma entièrement et uniquement responsable des dommages résultant des malformations utérines de Mme [D] [L],
- condamné la société Ucb Pharma à payer à Mme [D] [L] les sommes suivantes, en réparation du préjudice causé par son exposition in utero au DES, avec intérêts au taux légal à compter du jugement :
o au titre des frais divers.....................................................................................3 280 euros,
o au titre des souffrances endurées....................................................................2 000 euros,
o au titre du préjudice sexuel..............................................................................3 000 euros,
- débouté Mme [D] [L] du surplus de ses demandes indemnitaires,
- déclaré irrecevable car prescrite la demande de Mme [D] [L] au titre du préjudice d'anxiété,
- déclaré irrecevable car prescrite la demande de Mme [I] [L] au titre du préjudice d'anxiété,
- débouté Mme [I] [L] et M. [J] [L] de leurs demandes en indemnisation de leur préjudice moral,
- condamné la société Ucb Pharma à payer à M. [N] [W] la somme totale de 3 000 euros en indemnisation de ses préjudices,
- déclaré le jugement commun à la CPAM,
- condamné la société Ucb Pharma à payer à Mme [D] [L], Mme [I] [L], M. [J] [L] et M. [N] [W], ensemble, la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il conviendra de déduire la somme de 4 000 euros versée par la défenderesse à titre de provision ad litem,
- condamné la société Ucb Pharma aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise, avec recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté pour le surplus.
Par acte du 2 septembre 2021, Mme [D] [L], Mme [I] [L], M. [J] [L] et M. [N] [W] (ci-après, les consorts [L]-[W]) ont interjeté appel et prient la cour, par dernières écritures du 9 novembre 2023, de :
- les recevoir en leurs appels et les déclarer bien fondés,
- confirmer la décision dont appel en ce que la société Ucb Pharma a été déclarée entièrement responsable des anomalies morphologiques de Mme [L],
- infirmer la décision en ce qu'elle a :
o rejeté les demandes d'expertises,
o déclaré la société Ucb Pharma entièrement et uniquement responsable des dommages résultant des malformations utérines de Mme [D] [L],
o condamné la société Ucb Pharma à payer à Mme [D] [L] les sommes suivantes, en réparation du préjudice causé par son exposition in utero au DES, avec intérêts au taux légal à compter du jugement :
- au titre des frais divers.....................................................................................3 280 euros,
- au titre des souffrances endurées....................................................................2 000 euros,
- au titre du préjudice sexuel..............................................................................3 000 euros
o débouté Mme [D] [L] du surplus de ses demandes indemnitaires,
o déclaré irrecevable car prescrite la demande de Mme [D] [L] au titre du préjudice d'anxiété,
o déclaré irrecevable car prescrite la demande de Mme [I] [L] au titre du préjudice d'anxiété,
o débouté Mme [I] [L] et M. [J] [L] de leurs demandes en indemnisation de leur préjudice moral,
o condamné la société Ucb Pharma à payer à M. [N] [W] la somme totale de 3 000 euros en indemnisation de ses préjudices,
o condamné la société Ucb Pharma à payer aux consorts [L]-[W], ensemble, la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 code de procédure civile dont il conviendra de déduire la somme de 4 000 euros versée par la défenderesse à titre de provision ad litem,
o rejeté pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
- déclarer la société Ucb Pharma entièrement responsable des fausses couches répétées et de la grossesse pathologique,
- constater que l'expert n'a pas fixé de date de consolidation,
- ordonner une nouvelle expertise aux frais avancés de la société Ucb Pharma, confiée à un expert en gynécologie obstétrique qu'il plaira à la cour de désigner avec mission de répondre à la question du lien de causalité entre l'accouchement prématuré imposé par le RCIU [retard de croissance in utero] et l'exposition au DES, et de se prononcer sur les préjudices subis, la date de consolidation et l'évaluation des préjudices corporels :
o donner son avis sur le lien de causalité entre l'accouchement prématuré imposé par le RCIU et l'exposition au DES selon l'échelle imposée par l'ANSM (allant de paraissant exclu, douteux, plausible, vraisemblable, très vraisemblable), voire certaine,
o se faire remettre tous documents et notamment postérieurs au rapport d'expertise,
o décrire dans une discussion précise et synthétique l'ensemble des lésions et séquelles constatées au jour de l'examen en rapport avec la pathologie invoquée par la demanderesse du fait du DES,
o fournir à la cour tous renseignements utiles sur l'évolution de la maladie, la consolidation définitive,
o dire si des soins postérieurs à la consolidation sont nécessaires, en indiquer la nature, la quantité, la nécessité de leur renouvellement et sa périodicité,
o chiffrer le déficit fonctionnel temporaire total ou/et partiel,
o chiffrer, par référence au barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun le taux du déficit fonctionnel permanent,
o décrire la répercussion dans l'exercice des activités professionnelles, recueillir les doléances, les analyser, les confronter avec les séquelles retenues, sans prendre position sur la réalité du préjudice professionnel invoqué,
o décrire les souffrances physiques, sexuelles, psychiques ou morales endurées du fait de la pathologie subie en y incluant les éventuels troubles ou douleurs postérieurs à la consolidation, dans la mesure où ils n'entraînent pas le déficit fonctionnel proprement dit, les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés,
o donner son avis sur l'existence, la nature et l'importance des préjudices esthétiques, les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit,
o décrire l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques de loisirs, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif, sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation,
o fournir tous les éléments permettant de chiffrer le préjudice d'anxiété lié au suivi gynécologique imposé par les risques de cancer ou d'autres pathologies,
- condamner la société Ucb Pharma au paiement d'une provision à valoir sur les dommages de " Mme [L] " d'un montant de 50 000 euros,
A titre infiniment subsidiaire, si la cour homologue les conclusions du rapport d'expertise,
- condamner la société Ucb Pharma à réparer le dommage de Mme [L] :
* frais divers...........................................................................................................3 280 euros,
* incidence professionnelle...................................................................................10 000 euros,
* déficit fonctionnel temporaire..........................................................................1 537,50 euros,
* souffrances endurées.........................................................................................10 000 euros,
* préjudice esthétique................................................................................................500 euros,
* préjudice sexuel...................................................................................................8 000 euros,
* préjudice d'établissement...................................................................................10 000 euros,
* préjudice d'anxiété.............................................................................................70 000 euros,
- condamner la société Ucb Pharma à régler à " Mme [L] " une provision sur dommage moral et d'anxiété de 20 000 euros,
- condamner la société Ucb Pharma à régler à M. [L] une provision sur dommage moral de 2 000 euros,
- condamner la société Ucb Pharma à régler à M. [W] une provision sur son dommage moral de 10 000 euros,
- débouter la société Ucb Pharma de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires et notamment de toute fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action,
- condamner le laboratoire Ucb Pharma au paiement de la somme de 20 000 euros au titre des frais engagés en première instance et appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Ucb Pharma aux entiers dépens qui comprendront les frais de l'expertise avec droit de recouvrement sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 29 novembre 2023, la société Ucb Pharma prie la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
o déclaré irrecevable comme prescrite la demande de Mme [D] [L] au titre d'un préjudice d'anxiété ou subsidiairement débouter Mme [D] [L] de toute demande à ce titre, en ce compris à titre de provision,
o déclaré irrecevable comme prescrite la demande de Mme [I] [L] au titre d'un préjudice d'anxiété ou subsidiairement débouter Mme [I] [L] de toute demande à ce titre, en ce compris à titre de provision,
o débouté Mme [D] [L] du surplus de ses demandes indemnitaires et notamment de ses demandes, en ce compris à titre de provision, au titre d'un déficit fonctionnel temporaire, d'une incidence professionnelle, d'un déficit fonctionnel permanent, d'un préjudice esthétique, d'un préjudice moral et d'un préjudice d'établissement,
o débouté Mme [I] [L] de sa demande en indemnisation de son préjudice moral, en ce compris à titre de provision,
o débouté M. [J] [L] de sa demande en indemnisation de son préjudice moral, en ce compris à titre de provision,
o déclaré le jugement commun à la CPAM des Yvelines,
o rejeté les demandes de nouvelle expertise ou subsidiairement, ordonner une nouvelle expertise complète, en ce compris sur la causalité, aux frais avancés des consorts [L],
- infirmer le jugement entrepris pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
- mettre hors de cause la société Ucb Pharma, les conditions d'une responsabilité de celle-ci n'étant pas réunies,
- débouter Mme [D] [L] de ses demandes au titre des frais divers, des souffrances endurées, d'un préjudice sexuel et de l'intégralité de ses autres demandes, en ce compris à titre de provision,
- débouter M. [N] [W] de l'intégralité de ses autres demandes, en ce compris à titre de provision,
- débouter Mme [I] [L] de l'intégralité de ses autres demandes, en ce compris à titre de provision,
- débouter M. [J] [L] de l'intégralité de ses autres demandes, en ce compris à titre de provision,
- débouter Mme [D] [L], M. [N] [W], Mme [I] [L] et M. [J] [L] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
- condamner Mme [D] [L] à restituer la somme de 4 000 euros perçue à titre de provision ad litem en application de l'ordonnance du 26 juin 2018 ou subsidiairement déduire cette somme de toute indemnité allouée à Mme [D] [L], en ce compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner tout succombant à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- débouter la CPAM de toute éventuelle demande à l'encontre de la société Ucb Pharma.
Les appelants ont fait signifier la déclaration d'appel et leurs conclusions à la CPAM, par acte du 4 novembre 2021 remis à personne habilitée. Néanmoins, cette intimée n'a pas constitué avocat.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
I. Sur la demande de nouvelle expertise
Les consorts [L]-[W] souhaitent voir ordonnée une nouvelle expertise relative au lien causal entre l'accouchement prématuré, le retard de croissance in utero (RCIU) et l'exposition au DES ainsi que sur l'évaluation des dommages et la date de consolidation de l'état de santé de Mme [D] [L].
Ils font valoir que le rapport d'expertise n'est pas complet sur la question du lien causal entre le RCIU et le DES et que ses conclusions ne reflètent ni la situation particulière de Mme [L], ni l'état de la littérature sur le DES que l'expert n'a ni citée, ni analysée.
Ils expliquent que l'expert n'a pas répondu au dire de Mme [L] qui s'appuyait sur l'avis du professeur [X] du 20 juin 2019 puisqu'il n'a pas relevé de facteurs de risque permettant d'expliquer le RCIU autrement que par l'exposition au DES et qu'il n'a pas répondu à l'avis technique du professeur [X] concernant spécialement le RCIU de type vasculaire.
Ils ajoutent que l'avis du professeur [Z], médecin conseil d'UCB Pharma, qui opère une distinction entre " prématurité spontanée involontaire " et " prématurité induite de sauvetage f'tal ", justifie de plus fort l'organisation d'une nouvelle expertise.
Enfin, ils estiment que le déficit fonctionnel permanent constitué par les difficultés à procréer doit être apprécié par un expert, ce qui suppose de fixer une date de consolidation, alors que l'expert [U] s'est abstenu de le faire.
La société UCB Pharma considère que la demande de nouvelle expertise n'est pas justifiée.
Elle fait valoir que l'expert a bien annexé à son rapport l'avis du professeur [X] du 20 juin 2019 auquel elle n'a donc pas omis de répondre, que cet avis n'était simplement pas de nature à modifier sa position et n'appelait pas d'observations complémentaires, et qu'aucun élément versé aux débats ne justifie d'ordonner une nouvelle expertise sur la cause du retard de croissance in utero et l'accouchement prématuré.
Elle considère, de même, qu'il n'existe aucun élément nouveau de nature à faire évoluer l'appréciation de l'expert sur la question de la consolidation, puisque celui-ci a retenu, non pas un état non encore stabilisé mais l'absence de toute " pathologie à consolider ", l'état de Mme [L] ne relevant pas d'une incapacité permanente.
Sur ce,
Aux termes de l'article 146 du code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.
En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
L'article 263 du même code précise que l'expertise n'a lieu d'être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge.
En l'espèce, si le dire de Mme [L] du 21 juin 2019 et l'avis du professeur [X] du 20 juin 2019 sont annexés au rapport d'expertise, force est de constater que le Dr. [U] a répondu au dire de Mme [L] sans évoquer la question du RCIU développée par le professeur [X] dans son avis.
Toutefois, outre que le conseil de Mme [L] avait renvoyé à l'avis du professeur [X] sans formuler lui-même d'observation sur ce point, il apparait que l'expert a exposé ses conclusions concernant le RCIU après avoir étudié les échographies de Mme [L] et la cause du RCIU rencontré par celle-ci, et pris en considération la littérature médicale relative au DES, en particulier l'étude de Hoover.
De plus, l'avis technique du professeur [X] est dans les débats, au même titre que la réponse critique que lui a apporté le professeur [Z], médecin conseil d'UCB Pharma.
Dans ces conditions, il n'apparait pas nécessaire d'ordonner une nouvelle expertise portant spécialement sur le rapport de causalité entre la survenance d'un RCIU et l'exposition au DES, la cour étant suffisamment éclairée sur ce point.
Il n'y a pas non plus lieu d'ordonner une nouvelle expertise aux fins de détermination d'une date de consolidation liée à l'état de santé de Mme [L], alors que la date de consolidation, qui est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, suppose une pathologie susceptible d'évolution dont Mme [L] ne justifie pas.
Pour ces motifs, ajoutés à ceux du tribunal et que la cour adopte pour le surplus, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [L]-[W] de leurs demandes de nouvelle expertise et de provisions dans l'attente des résultats d'une nouvelle expertise.
II. Sur la responsabilité liée aux dommages corporels allégués
L'exposition in utero au Distilbène de [D] [L] n'étant pas contestée par la société UCB Pharma, la cour n'est appelée à se prononcer que sur la faute du laboratoire (1), le lien de causalité entre les dommages allégués et l'exposition au DES (2) et le droit à indemnisation de la victime directe comme des victimes indirectes (3).
1. Sur la faute de la société UCB Pharma
Les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance.
En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties.
Le tribunal a ainsi retenu à juste titre que le laboratoire avait commis une faute par imprudence du fait d'un défaut de vigilance en maintenant sur le marché, sans précaution ni mise en garde, un produit dont il savait ou avait les moyens de savoir que non seulement l'efficacité mais également l'innocuité étaient, depuis longtemps et de manière documentée, remises en cause.
2. Sur le lien de causalité entre la faute et les dommages avérés
Il résulte des articles 1382 et 1353 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que l'action en responsabilité suppose la démonstration d'un lien de causalité direct et certain entre le fait générateur et le dommage, et que, s'agissant de faits juridiques, la preuve du dommage comme du lien de causalité peut être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes.
En présence d'une pluralité de causes possibles parmi lesquelles l'exposition au DES, le lien de causalité est exclu lorsqu'une autre cause se présente, dans l'espèce considérée, comme la seule cause explicative du dommage. A l'inverse, le lien de causalité est établi, au regard des circonstances de la cause, soit par la preuve que l'exposition au DES constitue la seule cause explicative du dommage, soit par la preuve qu'elle constitue l'une des causes ayant contribué à la réalisation du dommage.
A cet égard, il est de jurisprudence constante, d'une part, qu'il suffit de présomptions graves, précises et concordantes pour établir, au plan juridique, un lien de causalité certain entre l'exposition au DES et la survenance du dommage, même en présence d'une pluralité de causes possibles, et, d'autre part, qu'il ne peut être exigé de la victime qu'elle démontre que son exposition au DES était, parmi les causes possibles, la cause exclusive du dommage (cf. 1re Civ., 11 janv. 2017, n° 15-16.282 ; 1re Civ., 19 juin 2019, n° 18-10.380 ; 1re Civ., 18 oct. 2023, n° 22-11.492).
Toutefois, lorsqu'il est établi que les troubles présentés ne sont que pour partie imputables au DES, en raison de l'existence d'une causalité adjointe, il est admis, par dérogation aux règles classiques du droit de la responsabilité, de limiter le droit à indemnisation à une certaine proportion (cf. Civ. 1ère, 14 nov. 2019, n° 18-10.794) afin de tenir compte des incertitudes médicales induites de l'étiologie de la pathologie en l'espèce.
a) Sur les anomalies morphologiques
- Sur l'hypoplasie du col :
Le Dr. [U] relève au titre des " anomalies cervico-vaginales " qu'" on retrouve chez Mme [L] un col hypoplasique présent en cas d'exposition in utero au DES " et conclut que " le col hypoplasique présenté par Mme [L] est lié de façon certaine et initiale à l'exposition au DES ".
De fait, l'expert a constaté lors de son examen clinique un " col de petite taille ".
Toutefois, l'hypoplasie n'a pas été objectivée antérieurement, lors de l'échographie pratiquée le 7 janvier 2015 (" col : absence d'anomalie ") ou l'hystéroscopie du 12 janvier 2015 (" canal cervical : RAS "), de sorte que l'insuffisance du développement qu'elle implique n'est pas étayée.
De plus, alors que l'expert indique dans la discussion que " l'hypoplasie cervicale avec un petit col conique " est une atteinte cervicale pouvant être rencontrée par les femmes exposées, c'est un col avec un " orifice externe normal " qui est décrit par l'expert lors de l'examen clinique de Mme [L].
Dans ces circonstances, l'expert ne peut être suivi dans ses conclusions ; la preuve d'une hypoplasie du col prise comme lésion certaine liée à l'exposition au DES n'est pas rapportée.
- Sur les anomalies utérines :
Au titre des " anomalies du corps utérin " le Dr. [U] note : " Mme [L] présente un utérus de taille normale sur les différentes échographies pelviennes. Aucune hystérographie n'a été effectuée pour apprécier la forme de la cavité utérine, néanmoins l'échographie pro domo réalisée lors de l'accedit ne retrouve pas en imagerie 2D et 3D d'aspect typique en T ni de cavité hypoplasique. Le seul élément pouvant être imputable au DES serait la cloison fundique sectionnée en 2014. "
Plus loin dans son rapport il conclut : " la cloison fundique est liée de façon certaine au DES ".
En réponse au dire de la société UCB Pharma, qui conteste l'imputabilité au DES d'un utérus cloisonné, l'expert explique s'appuyer sur " la classification de l'ESHRE/ESGE " qui date de 2013 et explique : " on retrouve dans la littérature la notion de cloisonnement dans 13 % des cas (bicorne, pseudo-bicorne ou présentant des images évoquant un cloisonnement) ".
Cette explication n'est toutefois pas de nature à justifier le lien de causalité retenu entre cette anomalie utérine et l'exposition au DES, alors que la classification évoquée par l'expert distingue nettement, parmi les malformations, l'utérus cloisonné et l'utérus en forme de T typique d'une exposition au DES. De plus, l'utérus cloisonné est la malformation utérine la plus fréquente dans la population générale et n'est pas visée par l'expert dans son rapport comme une anomalie du corps utérin rencontrée en cas d'exposition au DES.
Les éléments versés aux débats ne permettent donc pas d'établir avec certitude un lien de causalité même partiel entre l'exposition au DES de Mme [L] et l'utérus cloisonné observé puis opéré.
En vue de rapporter la preuve de malformations utérines, Mme [L] produit (pièce I-25) des documents qui lui ont été communiqués après les opérations d'expertise, à savoir le compte rendu opératoire d'hystéroscopie du 20 février 2015 du Dr. [O] [E] qui relève une " cavité utérine de petite taille (utérus DES) " et celui du Dr. [F], établi le 1er juin 2015, qui conclut à l'existence d'un " utérus DES typique de capacité modeste ".
Or, les descriptions dont il est fait état viennent directement contredire les conclusions de l'expert ainsi que les résultats d'hystéroscopies précédentes qui décrivent un utérus de " volume normal " et " une cavité de taille normale à bords réguliers " (hystéroscopie des 17 juin 2014, 15 juillet 2014 et 12 janvier 2015 - pièce I-7 et I-11 du dossier [L]).
Compte tenu de ces discordances d'interprétation, et en l'absence d'indices graves, précis et concordants, il ne peut être établi avec suffisamment de certitude un lien de causalité entre l'exposition in utero au DES de Mme [L] et les anomalies utérines qu'elle invoque.
b) Sur les fausses couches précoces à répétition (FCPR)
Il ressort du rapport d'expertise qu'avant de donner naissance à sa fille, [C], le 8 mars 2016, Mme [L] a subi plusieurs fausses couches :
- au mois de mars 1998 : une fausse couche spontanée à 12 semaines d'aménorrhée traitée par curetage;
- les 11 avril et 22 octobre 2014, deux grossesses traitées respectivement à 5 semaines et demi et presque 7 semaines d'aménorrhée par curetage après échec du traitement médical.
L'expert relève que " l'exposition un utéro au DES est une étiologie reconnue des fausses couches précoces " et retient dans le cas de Mme [L] que si son exposition au DES se présente comme l'une des étiologies possibles, il ne peut s'agir d'une cause exclusive. De ce point de vue, il constate que la dernière fausse couche en octobre 2014 a eu lieu après résection de la cloison fundique en juillet 2014, qu'aucun bilan en dehors de caryotypes parentaux n'a été effectué dans le bilan de ces fausses couches précoces répétées du premier semestre (absence de bilan de thrombophilie maternelle, de bilan d'auto-immunité et de bilan endocrinien) et, de plus, que Mme [L] était âgée de 41 ans en 2014.
Il en conclut néanmoins que les fausses couches à répétition de Mme [L] " sont liées de façon certaine à l'exposition in utero au DES ".
Au regard des facteurs de risque mis en avant à juste titre par l'expert, l'avis du professeur [R] que Mme [L] verse à son dossier, selon lequel, au cas d'espèce, le DES serait " le seul élément étiologique ", ne peut être suivi.
S'il ne peut être exigé de Mme [L] qu'elle démontre que son exposition au DES était, parmi les causes possibles, la cause exclusive des fausses couches qu'elle a subies, il doit néanmoins être établi par des éléments suffisamment probants que l'exposition au DES a joué un rôle, ne serait-ce que partiel, dans la survenance des fausses couches.
A cet égard, des anomalies morphologiques imputables au DES se présentent comme des indices graves en mesure de corroborer l'existence d'un lien de causalité. L'expert relève d'ailleurs que l'anomalie consistant en un col hypoplasique " a été génératrice d'une aggravation de risque de fausse couche justifiant un cerclage préventif " et que la cloison fundique " a pu entraîner une aggravation du risque de fausses couches du premier semestre ".
Or, il résulte des développements qui précèdent que les anomalies alléguées ne peuvent pas être reliées par un lien de causalité certain à l'exposition au DES, ce qui ne permet donc pas de les analyser comme des indices venant corroborer l'existence d'un lien de causalité entre l'exposition au DES et les fausses couches.
Dans ces conditions et pour ces motifs, il y a lieu de considérer comme le tribunal que la preuve d'un lien de causalité certain entre l'exposition de Mme [L] au DES et les fausses couches qu'elle a subies n'est pas établi.
c) Sur l'accouchement prématuré
Mme [D] [L] a donné naissance à sa fille, [C], née par césarienne réalisée en urgence le 8 mars 2016 au terme de 33 semaines et 6 jours d'aménorrhée et présentant un poids de 1 560 grammes.
Le Dr. [U] retient que la prématurité est liée à la mauvaise tolérance f'tale d'un retard de croissance intra-utérin (RCIU). Il énumère les multiples facteurs de risque reconnus de RCIU, tel l'âge maternel de plus de 35 ans qui augmente le risque d'un facteur 3 par rapport aux femmes de 20 à 30 ans, et note que l'étude de Hoover retrouve une augmentation du risque de pré-éclampsie chez 26,4 % des femmes exposées au DES contre 13,7 % des femmes non exposées.
Pour écarter tout lien de causalité entre l'exposition au DES de Mme [L] et l'accouchement prématuré, il observe que le RCIU est apparu au troisième trimestre chez une patiente primipare de 42 ans, sans autre facteur de risque (HTA, pré-éclampsie, diabète, '). Il considère, en conséquence, que " l'exposition in utero au DES ne peut être retenue comme étiologie au RCIU dans ce dossier ", de même qu' " il ne peut être évoqué une menace d'accouchement prématuré ou une prématurité liée à l'exposition in utero au DES ".
Dans son avis du 20 juin 2019, le professeur [X] se borne à indiquer, sur la base de l'étude de Hoover, que la prématurité est " fréquente chez les gestantes in utero au DES " et relève, dans le cas de Mme [L], que la réalisation d'un cerclage à la 12ème semaine a été indiquée du fait de l'association d'antécédents gynécologiques et obstétricaux potentiellement responsables d'un accouchement prématuré (exposition in utero au DES - petit col utérin - 3 FCPR - 3 curetages - 1 rétention trophoblastique - 2 hystéroscopies opératoires) et d'un raccourcissement de la longueur du col utérin au 5ème percentile pour le terme.
Si le compte rendu d'hospitalisation, lié à ce cerclage, mentionne parmi les antécédents médicaux " malformation utérine sur un utérus distilbène " (pièce I-13 du dossier [L]), il est surtout fait état d'une prématurité " induite pour RCIU ", le lien de causalité entre l'exposition au DES et ce dernier restant à établir.
Sur ce point, le professeur [X] note que le RCIU " est lié à de nombreux facteurs de risque (42 ans + 11 mois, une HTA [hypertension artérielle] traitée initialement par Loxen) " mais que " l'exposition in utero au DES ne peut être exclue et ce d'autant plus qu'il s'agissait d'un RCIU vasculaire ". Il n'explique toutefois pas en quoi le fait que le RCIU soit d'origine vasculaire serait révélateur d'une imputabilité au DES, et, s'il vise des études tendant à démontrer une prématurité plus fréquente pour les enfants de 3ème génération, celles-ci n'apparaissent pas pertinentes pour établir, dans le cas précis de Mme [L], un lien de causalité entre son exposition au DES et le RCIU.
A cet égard, dans ses " recommandations pour la pratique clinique " de 2013, relatives au retard de croissance intra-utérin, le collège national des gynécologues et obstétriciens français mentionnent de très nombreux facteurs de risque de PAG (petit poids pour l'âge gestationnel) parmi lesquels ne figurent pas l'exposition in utero au DES (pièce II-4 d'UCB Pharma).
Par ailleurs, si l'avis du professeur [R] (pièce I-31 [L]) permet d'étayer l'origine vasculaire du RCIU rencontré par Mme [L], et d'expliciter l'incidence de la réduction de l'apport sanguin à l'utérus sur la croissance du f'tus, il ressort des explications données que le lien avec l'exposition au DES ne peut être établie dans cette hypothèse qu'en cas d'insuffisance du développement utérin, malformation qui n'a pas été objectivée dans le cas de Mme [L].
Compte tenu des facteurs de risque mis en avant dans le dossier de Mme [L] (âge, primiparité et hypertension artérielle) et l'impossibilité de mettre en perspective les probabilités statistiques liées aux effets délétères du DES avec le RCIU rencontré par Mme [L], il y a lieu de considérer que la preuve du rôle ne serait-ce que partiel du DES dans la survenance de l'accouchement prématuré subi par celle-ci, n'est pas rapportée, en l'absence d'indices suffisamment probants.
3. Sur l'indemnisation des préjudices
a) Sur les préjudices de Mme [D] [L]
En l'absence de lien de causalité établi entre l'exposition au DES de Mme [L] et les anomalies morphologiques et accidents gravidiques allégués, c'est par des motifs exacts et pertinents auxquels il est renvoyé, que le premier juge a débouté Mme [D] [L] de ses demandes formées au titre du déficit fonctionnel temporaire comme permanent, de l'incidence professionnelle, du préjudice esthétique et du préjudice d'établissement.
Toutefois, si Mme [L] ne rapporte pas la preuve de dommages corporels imputables au DES, l'exposition in utero au DES constitue en elle-même un dommage appelant réparation, au regard de ses suites médicales.
Pour ces motifs, il convient de faire droit à la demande présentée au titre des frais divers, correspondant au remboursement des factures d'honoraires des médecins conseil, à hauteur de 3 280 euros.
De même, il y a lieu de tenir compte, au titre des souffrances endurées, des traitements, interventions et hospitalisations subis, liées à l'exposition au DES. A cet égard, si aucun lien n'a pu être établi entre la grossesse pathologique de Mme [L] et son exposition in utero au DES, il ressort des recommandations de l'ANSM que " toute grossesse chez une femme exposée in utero au DES doit être considérée comme une grossesse à risque même si dans un grand nombre de cas, elle se déroule de façon tout à fait normale " (pièce 243 dossier [L]). En l'occurrence, le dossier médical de Mme [L] justifie d'un suivi particulier, lié à la seule exposition au DES, et ce, dès le début de sa grossesse en 2015 (p. 72 et s. de son dossier médical - pièce I-13 [L]).
Le jugement sera réformé, pour accueillir la demande de Mme [L] à hauteur de 3 000 euros.
Enfin, un préjudice sexuel est allégué, tenant à une libido très limitée avec des rapports sexuels rares. Le rapport d'expertise en fait état en ces termes, à propos de Mme [L] et de son compagnon : " les rapports sexuels sont rares car psychologiquement l'ensemble des évènements vécus a altéré, endommagé leur intimité ". Toutefois, l'attestation du médecin sexologique consulté (pièce I-21), comme celle du compagnon de Mme [L] (pièce I-19), dénotent que la perte du désir sexuelle est étroitement liée aux accidents gravidiques et complications lors de la grossesse. Il n'est ainsi aucunement établie l'existence d'un préjudice sexuel découlant de la seule exposition au DES, ce qui justifie d'infirmer le jugement sur ce point.
b) Sur les préjudices des victimes indirectes
Le préjudice d'affection désigne le préjudice moral subi par certains proches à la vue de la douleur, de la déchéance et de la souffrance de la victime directe.
Il n'est pas justifié du préjudice allégué à ce titre par les parents de Mme [L] et par son compagnon, étant observé qu'il ne peut tenir qu'aux répercussions des souffrances endurées par Mme [L] résultant de son exposition au DES et non de son parcours obstétrical, nonobstant les épisodes douloureux qu'il présente.
Toutefois, il convient d'indemniser Mme [I] [L] du préjudice moral tenant à sa culpabilité d'avoir, au cours de sa grossesse ayant donné lieu à la naissance de sa fille, pris un médicament à l'origine de dommages pour cette dernière, aucune fin de non-recevoir tirée de la prescription n'étant opposée à ce titre.
Elle sera justement indemnisée de son préjudice moral à hauteur de 2 000 euros.
III. Sur la responsabilité liée aux préjudices d'anxiété allégués
a) Sur la prescription
Pour déclarer irrecevables car prescrites les demandes de Mme [D] [L] et de Mme [I] [L], le tribunal a retenu comme point de départ de la prescription l'information fournie à l'une comme à l'autre, dans les années 1994-1995.
Les consorts [L]-[W] font valoir que le préjudice d'anxiété est un préjudice corporel et qu'en conséquence seules les dispositions de l'article 2226 du code civil sont applicables. Ils soutiennent que le délai de prescription commence à courir, non à la date de la connaissance du dommage ou de sa cause mais à la date à laquelle le dommage se révèle dans toute son ampleur, soit à la date de consolidation de l'état de la victime. Ils ajoutent que la prescription ne peut être acquise contre celle qui a été dans l'impossibilité d'agir, pour avoir de manière légitime et raisonnable, ignoré la naissance de son droit.
Ils expliquent que les inquiétudes de Mme [D] [L] ont évolué avec le temps en fonction de son suivi médical en lien avec les pathologies subies successivement et des données évolutives de la science au cours des années 2010 jusqu'à ce jour, de sorte que l'action engagée par Mme [D] [L], contemporaine de la publication de l'étude financée par l'ANSM dans la revue Thérapie, des études Troisi et Verloop en 2017 est donc parfaitement recevable.
Ils estiment que Mme [I] [L] est recevable à agir au titre de l'angoisse née du risque pour elle-même de développer une pathologie cancéreuse. Ils évoquent, à propos du risque de développer un cancer du sein, le classement du DES comme agent cancérogène selon l'OMS et une étude épidémiologique publiée dans la revue Thérapie en 2015.
La société UCB Pharma répond que le préjudice d'anxiété s'analyse en un préjudice moral et n'est pas constitutif d'un dommage corporel, ce qui exclut l'application de la prescription spéciale de 10 ans prévue à l'article 2226 du code civil.
Elle estime que Mme [D] [L] a connaissance de son exposition au DES et de ses conséquences éventuelles depuis l'âge de 21-22 ans, soit depuis 1993-1994, date à laquelle était déjà publiée la première brochure de l'Afssaps datant de 1989 rediffusée en 1992.
Elle ajoute, en s'appuyant sur la jurisprudence, que Mme [I] [L] étaient en mesure dès cette date de se poser la question d'éventuels effets du produit sur elle, ce qui justifie de déclarer sa propre demande irrecevable car prescrite.
Sur ce,
Le préjudice d'anxiété ne constitue pas un préjudice résultant d'un dommage corporel, mais un préjudice moral pouvant exister et être indemnisé en l'absence de tout dommage corporel, résultant de la situation d'inquiétude permanente d'une personne confrontée au risque de développer une pathologie après avoir été exposée à une substance nocive (cf. 1re Civ., 29 juin 2019, n° 18-10.612).
La demande tendant à l'indemnisation d'un tel préjudice se prescrit en conséquence dans les conditions du droit commun.
Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Dans son rapport d'expertise, le Dr. [U] se faisant le relais des déclarations de Mme [S] [L] indique que le suivi gynécologique de cette dernière, née le [Date naissance 6] 1973, débute à l'âge de 17 ans avec une première consultation auprès du Dr. [M] *, et que vers l'âge de 21-22 ans ce médecin a évoqué en présence de sa mère les conséquences éventuelles de l'exposition in utero au DES : risques de complications en cours de grossesse, cancer de l'utérus et possibilité d'hystérectomie. Mme [L] décrit cette information comme " un élément qui hypothétique l'avenir, une épée de Damoclès et une source de culpabilité pour sa mère ".
Ces éléments permettent d'établir que Mme [S] [L] connaissaient les faits lui permettant d'exercer son action, au titre du préjudice d'anxiété, dans les années 1994-1995, et de fixer le point de départ de son action à cette date, comme l'a justement retenu le tribunal.
Dès lors, même en tenant compte du délai de dix ans applicable antérieurement à la réforme du 17 juin 2008, en vertu de l'ancien article 2270-1 du code civil, il y a lieu de considérer qu'à la date de l'assignation, le 25 janvier 2018, l'action de Mme [G] [B] était nécessairement éteinte, étant observé, d'une part, que celle-ci n'était pas empêchée d'agir en temps utile, d'autre part, que les examens successivement pratiqués par cette dernière ou les nouvelles études publiées sur les effets du DES n'ont pas généré une anxiété d'une autre nature donnant naissance à un préjudice distinct de celui qui s'est fait jour dans les années 1994-1995.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable car prescrite la demande de Mme [D] [L] au titre du préjudice d'anxiété.
C'est à tort, cependant, que le tribunal a retenu le même point de départ de la prescription au titre de la demande formulée au nom de Mme [I] [L], alors qu'il n'est pas établi que le préjudice d'anxiété dont celle-ci se prévaut est apparu dès 1994, à l'occasion du suivi gynécologique de sa fille, puisque ce préjudice résulte d'une anxiété distincte, liée à la connaissance d'effets délétères du DES sur les mères qui, comme elle, se sont vu prescrire le médicament durant leur grossesse.
Etant rappelé que pèse sur l'intimée la charge de la preuve du point de départ du délai de prescription qu'elle invoque (cf. 2e Civ., 19 janv. 2023, n° 20-16.490), force est de constater que la preuve requise n'est pas rapportée.
Le jugement déféré sera infirmé en conséquence, en ce qu'il a déclaré irrecevable car prescrite la demande de Mme [I] [L] au titre du préjudice d'anxiété.
b) Sur le bien-fondé de la demande de Mme [I] [L]
Les appelants font valoir que Mme [I] [L] redoute une pathologie cancéreuse car la prise de ce médicament l'a exposée à des conséquences néfastes. Ils exposent que cette angoisse est née des données scientifiques faisant état d'un risque augmenté de développer un cancer du sein et un cancer de l'endomètre concernant les " mères-DES ".
L'intimée rappelle que seul est indemnisable un préjudice certain et non simplement hypothétique et que s'agissant du préjudice d'anxiété cette exigence de certitude se dédouble puisqu'elle suppose d'établir l'exposition à un risque réel et avéré et, d'autre part, la réalité de l'anxiété invoquée du fait de cette exposition. Or, à cet égard, elle fait valoir que les risques cancérigènes allégués ne sont pas démontrés et que Mme [I] [L] ne rapporte la preuve d'aucun " dommage propre ".
Sur ce,
Le préjudice indemnisable est personnel, direct et certain, non simplement éventuel ou hypothétique.
Plus spécifiquement, le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie (cf. Soc., 13 oct. 2021, n° 20-16.584).
Aussi incombe-t-il à la personne qui se prévaut d'un préjudice d'anxiété de rapporter la preuve de son exposition à une substance nocive, entendue comme présentant un risque élevé de développer une pathologie grave, et du fait qu'il a personnellement subi ce préjudice au point de présenter des troubles anxieux.
Or, en l'espèce, il n'est versé au débat aucune pièce en mesure d'établir que Mme [I] [L] a effectivement éprouvé une angoisse liée à sa connaissance des effets potentiellement néfastes du DES sur son organisme.
Sans qu'il y ait lieu, par conséquent, de trancher la discussion de nature médicale et scientifique tenant aux dangers réels ou supposés des effets du DES pour les " mères-DES ", la demande indemnitaire sera rejetée en l'absence de preuve d'un préjudice personnellement subi.
IV. Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société UCB Pharma succombant, il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile, y compris en ce qu'il a dit qu'il convenait de déduire la somme de 4 000 euros versée à titre de provision ad litem.
La société UCB supportera les dépens d'appel, et indemnisera les appelants des frais irrépétibles qu'ils ont exposés, dans la limite de 4 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :
- déclaré la société UCB Pharma entièrement et uniquement responsable des dommages résultant des malformations utérines de Mme [D] [L],
- condamné la société UCB Pharma à payer à Mme [D] [L] les sommes suivantes en réparation du préjudice causé par son exposition in utero au DES :
*2 000 euros au titre des souffrances endurées,
*3 000 euros au titre du préjudice sexuel,
- condamné la société UCB Pharma à payer à M. [N] [W] la somme totale de 3 000 euros en indemnisation de ses préjudices,
- débouté Mme [I] [L] de ses demandes en indemnisation de son préjudice moral,
- déclaré irrecevable car prescrite la demande de Mme [I] [L] au titre du préjudice d'anxiété,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déclare la société UCB Pharma entièrement et uniquement responsable des dommages résultant de l'exposition in utero de Mme [D] [L] au diéthylstilbestrol, à l'exclusion des malformations utérines alléguées,
Condamne la société UCB Pharma à payer à Mme [D] [L] la somme de 3 000 euros au titre des souffrances endurées,
Condamne la société UCB Pharma à payer à Mme [I] [L] la somme de 2 000 euros en indemnisation d'un préjudice moral distinct de son préjudice d'anxiété,
Déclare recevable l'action de Mme [I] [L] au titre du préjudice d'anxiété,
Déboute Mme [I] [L] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'anxiété,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Y ajoutant,
Condamne la société UCB Pharma aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Chateauneuf conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société UCB Pharma à régler à Mme [S] [L], Mme [I] [L], M. [J] [L] et M. [N] [W] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame F. PERRET, Président et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,