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28/03/2024 | FRANCE | N°21/03560

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-2, 28 mars 2024, 21/03560


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-2



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 28 MARS 2024



N° RG 21/03560 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U37E



AFFAIRE :



[O] [D]



C/



S.A. SOLOCAL ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE PAGES JAUNES



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : E

N° R

G : F 19/00842









Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Olivier BONGRAND



Me Caroline QUENET



le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 28 MARS 2024

N° RG 21/03560 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U37E

AFFAIRE :

[O] [D]

C/

S.A. SOLOCAL ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE PAGES JAUNES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : F 19/00842

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Olivier BONGRAND

Me Caroline QUENET

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 07 mars 2024 et prorogé au 28 mars 2024 dans l'affaire entre :

Madame [O] [D]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0136

APPELANTE

****************

S.A. SOLOCAL ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE PAGES JAUNES SA

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Caroline QUENET de l'AARPI C3C, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P138

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Décembre 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

Rappel des faits constants

La SA Solocal, dont le siège social est situé à [Localité 3] dans les Hauts-de-Seine, a pour activité l'édition de répertoire et de fichiers d'adresses (Pages blanches - Pages jaunes - Renseignements téléphoniques pages jaunes - 118 008). Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective nationale de travail des cadres, techniciens et employés de la publicité française du 22 avril 1955.

Mme [O] [D], née le 25 mai 1980, a été engagée par la société Les pages jaunes, aux droits de laquelle vient la société Solocal, selon contrat de travail à durée indéterminée du 30 mai 2016, en qualité de responsable études, statut cadre, moyennant une rémunération mensuelle initiale de 3'770'euros.

Mme [D] a intégré le département « Data programmatique » où elle exerçait les fonctions de Trafic manager. Sa mission consistait à mettre en place et publier des campagnes publicitaires au bénéfice de clients de la société, sur les différents supports du groupe et à suivre les résultats des campagnes. Elle faisait partie d'une équipe composée d'une responsable, Mme [S], d'une autre trafic manager, Mme [T], d'un média trader, M. [C], et d'une Account manager, Mme [J].

Mme [D] a été absente pour maladie puis en congé maternité du 22 février 2017 au 22 janvier 2018, soit pendant 11 mois.

A partir de février 2018, la société Solocal a mis en 'uvre un plan de réorganisation accompagné d'un plan de sauvegarde de l'emploi pour faire face aux difficultés économiques qu'elle rencontrait en raison de la mutation technologique liée au déclin des supports papiers,

Après un entretien préalable qui s'est tenu le 12 novembre 2018, Mme [D] s'est vu notifier son licenciement pour faute, par lettre datée du 5 décembre 2018, dans les termes suivants :

« En application des dispositions des articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail, nous vous avons convoquée par courrier recommandé avec AR en date du 26 octobre 2018 à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, prévu le lundi 12 novembre 2018 à 16h45 avec Mme [F] [V], responsable ressources humaines.

Vous étiez assistée de M. [E] [R], délégué du personnel.

Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les faits qui vous sont reprochés et nous avons pris bonne note de vos observations.

Nous vous rappelons les motifs qui nous ont conduits à engager cette procédure :

Le contrat de travail qui nous lie sous-entend le respect de vos obligations contractuelles et des règles et règlements en vigueur dans l'entreprise et en particulier l'accord portant sur le télétravail. Le télétravail suppose et nécessite l'accord des parties et ne peut être mis en place qu'après validation managériale, constitution d'un dossier comprenant l'attestation d'assurance, de connexion internet et de conformité électrique du logement et signature de l'avenant contractuel organisant le télétravail. Tout autre cadre défini unilatéralement ne saurait être cautionné par l'entreprise et est strictement interdit.

Or, il s'avère que vous n'avez pas respecté ces dispositions ce qui constitue une violation de vos obligations contractuelles.

En effet, depuis le 8 août dernier, ni votre manager ni vos collègues de travail ne vous ont vue être présente dans l'openspace dédié à votre équipe à City 2 (bâtiment principal) - 12e étage, pétale pourpre.

Lors de notre entretien, vous avez d'abord argué travailler en 12e rouge.

Il se trouve que c'est justement l'emplacement où travaille [N] [X], directeur marketing produit, votre nouveau n+2 suite à la réorganisation et à votre permutation dans le cadre du projet de transformation de l'entreprise.

Lorsqu'il nous a fait remarquer, que c'était justement l'emplacement où il travaillait lui-même et qu'il ne vous y avait jamais croisée, vous avez tout d'un coup changé de discours et avez certifié que vous vous installiez trois jours par semaine, au bâtiment city 3, où est installée la télévente, les partenaires sociaux et la médecine du travail, et que les 2 autres jours de la semaine, vous étiez généralement en télétravail.

En ce qui nous concerne, votre réelle présence en city 3, nous pouvons fortement en douter puisque malgré nos demandes, votre engagement à nous fournir des témoignages et le temps que nous vous avons laissé, pour pouvoir nous en apporter la preuve, vous n'avez pas été en mesure d'apporter le moindre témoignage de votre présence là-bas. Or les portiques à l'entrée des différents bâtiments city 2 et city 3, nous montrent que le seul jour où vous avez pointé à l'entrée de ces bâtiments est le lundi 12 novembre, jour de EPSL, où vous avez badgé à 16h30, pour un entretien prévu à 16h45, puis à 17h39 en city 3, ce qui correspond à l'horaire de fin d'entretien où vous nous avez annoncé votre intention de vous rendre à la médecine du travail.

Quant à votre décision unilatérale de « travailler 2 jours par semaine à distance », sans n'avoir jamais prévenu votre manager depuis le 8/8, nous vous avons rappelé que vous n'aviez jamais eu d'accord de cette dernière, Mme [A] [S], directrice marketing, et donc de l'entreprise pour bénéficier du télétravail. Nous vous rappelons que même en cas d'accord, un processus administratif décrit ci-dessus doit être respecté et un avenant contractuel signé préalablement à tout travail depuis le domicile du collaborateur. A aucun moment, le fait de vous mettre unilatéralement en télétravail, sans respecter les règles et sans même prévenir votre manager ne vous a interpellé pendant l'entretien, vous vous êtes contentée de nous affirmer que vous « ne la supportiez plus ». Un tel comportement ne peut être toléré dans l'entreprise.

Nous avons par ailleurs noté une activité plus que réduite depuis le 8/8. Vous nous avez argué qu'étant « en dispense d'activité, vous laissiez gentiment à [Y] [T], trafic manager, votre collègue, le travail ».

Or, à aucun moment vous n'avez été informée ni oralement ni par écrit par l'entreprise d'une mise en dispense d'activité. En effet, comme tous les collaborateurs, dont le poste était supprimé dans le cadre du projet de réorganisation et dont la catégorie professionnelle était fermée suite à des départs volontaires ou naturels, vous étiez dans une situation de permutation vers un poste non-supprimé, dans l'équipe de M. [B] [Z], directeur marketing.

Ce n'est qu'après l'envoi du courrier d'AI par nos services le 12 octobre 2018 pour votre nouvelle absence non justifiée depuis le 20 septembre après une semaine posée de RTT, que vous avez redonné de vos nouvelles via un mail pour le peu surprenant, en date du 16 octobre 2018, à M. [L] [M], responsable C&B, où vous affirmez « Je n'ai aucun justificatif à envoyer étant donné que je suis à mon poste tous les jours toute la journée. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi cette date du 20 septembre' Mon supérieur hiérarchique a sûrement oublié que je ne fais plus partie du service et que je suis en phase de reclassement.

Je suis connectée tous les jours et joignable à mon poste même pendant cette phase où je suis en dispense d'activité et elle peut très bien le voir et me contacter si elle le souhaite vraiment.'»

Vos absences sur le lieu de travail, vos décisions unilatérales de vous accorder plusieurs jours de télétravail par semaine, lesquelles sont, de surcroît, contredites par vos propres affirmations selon lesquelles vous seriez en dispense d'activité tout en travaillant tous les jours contreviennent à notre règle, règlement et accord en vigueur.

Vous avez volontairement laissé votre manager et l'entreprise dans le flou concernant votre situation et vous vous êtes octroyé des droits et des adaptations de votre contrat de travail unilatéralement que vous n'aviez pas acquis.

Lors de l'entretien préalable, non seulement vous n'avez pas été claire dans vos explications mais vous avez oscillé entre nier les faits, les reconnaître, les adapter au fur et à mesure des éléments que nous vous apportions et considérer que vous étiez excusable puisque vous détestiez votre manager.

Votre comportement de mystification, contraire à vos obligations contractuelles, ne peut être toléré dans l'entreprise. Il est inadmissible et incompatible avec une bonne organisation du service et la bonne collaboration et marche de l'entreprise.

Aussi, nous avons pris la décision de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

La date de première présentation de la présente par les services postaux marquera le point de départ de votre préavis de trois mois que nous vous dispensons d'effectuer mais qui vous sera rémunéré.

Nous vous informons que nous avons décidé de vous libérer de la clause de non-concurrence qui était prévue à votre contrat de travail. En conséquence, nous n'aurons pas à vous verser la contrepartie pécuniaire également prévue par ce contrat.

La direction des ressources humaines (administration du personnel) vous fera parvenir ultérieurement votre solde de tout compte, votre certificat de travail, et votre attestation Pôle emploi. »

Mme [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en contestation de son licenciement, par requête reçue au greffe le 25 juin 2019.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 30 septembre 2021, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a':

- débouté Mme [D] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Solocal de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [D] aux éventuels dépens.

Mme [D] avait présenté les demandes suivantes :

à titre principal,

- annuler le licenciement,

- ordonner sa réintégration au poste de responsable études au sein de la société Solocal,

- condamner en conséquence la société Solocal à lui verser la somme de 126 604 euros au titre de la réintégration pour nullité du licenciement, nette de cotisations sociales, arrêtée provisoirement à la date du 5 juillet 2021,

à titre subsidiaire à défaut de réintégration,

- condamner la société Solocal à lui verser une indemnité de 126 604 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

très subsidiairement,

- juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner en conséquence la société Solocal à lui verser la somme de 89 848 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

- condamner la société Solocal à lui verser les sommes suivantes :

. 10 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

. 36 756 euros de dommages-intérêts au titre de la perte du congé de reclassement,

. 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la remise d'une attestation Pôle emploi conforme,

- ordonner l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

- assortir la condamnation des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil s'agissant des créances salariales et de l'indemnité légale de licenciement,

- condamner l'employeur aux dépens.

La société Solocal avait quant à elle conclu au débouté de la salariée et avait sollicité la condamnation de celle-ci à lui verser une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure d'appel

Mme [D] a interjeté appel du jugement par déclaration du 7 décembre 2021 enregistrée sous le numéro de procédure 21/03560.

Par ordonnance rendue le 29 novembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries le 14 décembre 2023.

Prétentions de Mme [D], appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 14 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [D] demande à la cour d'appel de':

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il :

. l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

. l'a condamnée aux éventuels dépens,

statuant à nouveau,

à titre principal,

- annuler le licenciement,

- ordonner sa réintégration au poste de responsable études au sein de la société Solocal,

- condamner en conséquence la société Solocal à lui verser une indemnité de 245 040 euros au titre de la réintégration pour nullité du licenciement, correspondant aux salaires dus depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration effective, arrêtée provisoirement à la date du 5'décembre 2023,

à défaut de réintégration, à titre subsidiaire,

- condamner la société Solocal à lui verser une indemnité de 196 032 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

très subsidiairement,

- juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner en conséquence la société Solocal à lui verser la somme de 89 848 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

- condamner la société Solocal à lui verser les sommes suivantes :

. 10 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

. 36 756 euros de dommages-intérêts au titre de la perte du congé de reclassement,

. 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la remise d'une attestation Pôle emploi conforme,

- assortir la condamnation des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil s'agissant des créances salariales et de l'indemnité légale de licenciement,

- condamner la société Solocal aux dépens,

- débouter la société Solocal de l'ensemble de ses fins, demandes et prétentions.

Prétentions de la société Solocal, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 14 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Solocal demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- dire et juger en conséquence que, sauf à dénaturer les termes de la lettre de licenciement en date du 5 décembre 2018, les motifs de la rupture ne sont pas fondés sur les propos tenus par Mme [D] pendant l'entretien préalable,

subsidiairement et si par extraordinaire la cour estimait pouvoir retenir l'interprétation que Mme [D] fait des termes de la lettre de licenciement,

- dire et juger que :

. les explications fournies par la salariée lors de l'entretien préalable s'analysent en une série de mensonges, destinés à dissimuler un défaut d'activité et une absence à son poste, pendant plusieurs semaines,

. par leur nature et leurs conséquences, elles portent une atteinte irrémédiable au lien contractuel, notamment aux obligations de bonne foi et de loyauté, qui les exclut du champ de la liberté d'expression, cette restriction étant justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché,

. elles constituent un excès et un abus, lesquels permettent de retenir ce motif comme cause du licenciement,

. et dans tous les cas, ne peuvent ouvrir droit à la nullité du licenciement,

en tout état de cause,

- dire et juger que la demande de nullité du licenciement et les prétentions subséquentes formées par Mme [D] se heurtent au principe « fraus omnia corrumpit »,

- dire et juger que Mme [D] n'a été victime d'aucun harcèlement moral et qu'aucune violation de la protection tirée de l'article L. 1225-4 du code du travail ne peut trouver application en l'espèce,

- dire et juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

- en conséquence et en tout état de cause, débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner au paiement de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le licenciement

Mme [D] demande à titre principal que son licenciement soit dit nul, d'abord en raison d'une violation de la liberté d'expression, ensuite au titre du harcèlement moral et enfin au titre d'une discrimination en raison de sa grossesse et de son genre. Très subsidiairement, elle demande que son licenciement soit dit dépourvu de cause réelle et sérieuse, en raison de manquements de l'employeur à son l'obligation de sécurité et faute de preuve des griefs avancés.

Sur la violation de la liberté d'expression

Mme [D] fait valoir que la lettre de licenciement lui oppose un premier reproche basé sur le fait de s'être exprimée en donnant ses explications concernant les motifs qui lui étaient reprochés dans le cadre de l'entretien préalable ainsi qu'un second reproche tenant à son attitude passive et la teneur de sa défense. Elle soutient que ces griefs emportent à eux seuls la nullité du licenciement puisqu'ils sanctionnent l'exercice de sa liberté d'expression sans que ne soit caractérisé un quelconque abus dans l'usage de cette liberté fondamentale.

La société Solocal rétorque que l'employeur est parfaitement en droit de se référer aux propos tenus lors de l'entretien de licenciement. Elle soutient que la liberté d'expression a vocation à permettre au salarié de s'exprimer sur ses conditions de travail sans être sanctionné de ce chef, mais qu'elle n'a pas en revanche vocation à protéger un salarié qui ment sur le fait même d'exécuter ses obligations contractuelles pour échapper à un licenciement.

La liberté d'expression est une liberté fondamentale consacrée au niveau international par la Déclaration Universelle des Nations Unies sur les Droits de l'Homme de 1948 et le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques de 1966. Elle est également garantie par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950 en son article 10 et par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 disposent respectivement que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » et que « la libre communication des pensées et des opinions est un droit les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement (...) ».

L'article L. 1121-1 du code du travail affirme que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées ou but recherché ».

S'agissant de la liberté d'expression du salarié dans le cadre de l'entretien préalable, l'article L. 1232-3 du code du travail dispose que, lors de l'entretien préalable, l'employeur est tenu d'indiquer les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié. L'entretien, qui est organisé comme un débat contradictoire entre l'employeur et le salarié, doit permettre au salarié de s'expliquer sur les motifs du licenciement invoqués par l'employeur au cours de l'entretien.

En l'espèce, l'employeur a énoncé'dans la lettre de licenciement ce qui suit':

«'Lors de l'entretien préalable, non seulement vous n'avez pas été claire dans vos explications mais vous avez oscillé entre nier les faits, les reconnaître, les adapter au fur et à mesure des éléments que nous vous apportions et considérer que vous étiez excusable puisque vous détestiez votre manager.

Votre comportement de mystification, contraire à vos obligations contractuelles, ne peut être toléré dans l'entreprise. Il est inadmissible et incompatible avec une bonne organisation du service et la bonne collaboration et marche de l'entreprise'».

L'analyse de l'articulation et des termes utilisés dans la lettre de licenciement démentent l'interprétation selon laquelle les mots «'Votre comportement de mystification » se rapporteraient aux propos tenus par la salariée lors de l'entretien préalable. Ils doivent au contraire être rattachés aux griefs reprochés à la salariée en première partie de la lettre portant sur le comportement général qu'elle a adopté à compter d'août 2018.

En effet, la lettre de licenciement énonce à titre principal les faits constituant des griefs, rappelle ensuite les explications données par la salariée pendant l'entretien préalable, pour conclure, de façon générale, à une attitude de mystification qui doit s'entendre comme portant sur le comportement professionnel de la salariée commandant son licenciement.

L'employeur a par ailleurs reproché à la salariée aux termes de la lettre de licenciement ce qui suit': « À aucun moment, le fait de vous mettre unilatéralement en télétravail, sans respecter les règles et sans même prévenir votre manager ne vous a interpellée pendant l'entretien, vous vous êtes contentée de nous affirmer que vous ne la supportiez plus. Un tel comportement ne peut être toléré dans l'entreprise ».

Mme [D] reproche à son employeur d'avoir, ce faisant, énoncé des griefs tenant à son droit de contester les faits qui lui étaient reprochés et d'adopter une attitude passive au cours de l'entretien préalable.

L'objet de l'entretien préalable est de permettre au salarié de présenter sa défense.

Cependant, au vu des termes utilisés, il sera retenu qu'il s'est agi pour l'employeur de simplement relater les explications données par la salariée sans lui reprocher son attitude et ses propos, même si l'employeur exprime ce faisant son désaccord avec la position de celle-ci.

Quant à l'attitude passive de la salariée, l'employeur la constate et la relate, sans en tirer de conséquence autre que le fait qu'elle ne lui est pas apparu convaincante et ne lui a donc pas permis de modifier son point de vue.

Ces considérations conduisent à retenir que le licenciement de Mme [D] à l'initiative de la société Solocal n'encourt pas la nullité en raison de la violation de sa liberté d'expression, sans qu'il n'y ait lieu d'examiner les moyens surabondants de la société Solocal.

Sur le harcèlement moral

Mme [D] sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

En application des dispositions de l'article L.'1152-1 du code du travail, «'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'»

Aux termes de l'article L. 1154-1 du même code, «'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 [...], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'»

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il y a lieu d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.'1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [D] invoque en premier lieu n'avoir bénéficié d'aucune considération de la part de sa hiérarchie lors de son retour de congé maternité.

Pour justifier de cette allégation, elle se limite cependant à produire un échange de courriels qu'elle a eu avec les représentants du personnel du 27 mars 2018 (sa pièce 2), un échange de courriels qu'elle a eu avec les membres du CHSCT des 10 et 12 juillet 2018 (sa pièce 5) et le courrier de contestation de son licenciement du 20 janvier 2019 (sa pièce 16).

Or, ces éléments, en ce qu'ils n'établissent pas le fait allégué, à savoir un manque de considération de sa hiérarchie lors de son retour de congé maternité et qu'ils émanent tous de la salariée elle-même, n'ont pas de valeur probante.

Ce fait n'est donc pas matériellement établi.

Mme [D] invoque en deuxième lieu avoir été mise à l'écart. Elle explicite qu'elle n'a pas été tenue informée sur le plan de licenciement en cours et a été laissée dans l'incertitude et sans aucune visibilité sur sa situation, ce qui reprend dans les faits son dernier élément.

Mme [D] invoque en effet en dernier lieu ne pas avoir été tenue informée de son avenir professionnel au sein de la société.

Elle justifie avoir alerté les délégués du personnel, les membres du CHSCT, le service des ressources humaines, la direction de l'entreprise, l'assistante sociale et le médecin du travail.

Elle ne remet pas en cause le fait qu'elle a été tenue informée des conséquences du plan à son égard même si elle considère qu'elle a été contrainte de relancer ses différents interlocuteurs pour obtenir des informations. Elle n'établit toutefois pas avoir été informée avec retard. Elle admet par ailleurs avoir bénéficié de l'information collective délivrée par la société.

Ce fait n'est pas matériellement établi.

Mme [D] fait enfin état d'une dégradation très importante de son état de santé pendant cette période mais elle ne produit aucun document médical venant attester de l'altération de sa santé physique ou psychique, en lien avec ses conditions de travail.

Il s'ensuit qu'en l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de faits précis et concordants laissant présumer, appréciés dans leur ensemble, l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée.

Mme [D] sera déboutée de sa demande spécifique présentée sur ce fondement, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la discrimination en raison de sa grossesse et de son genre

L'article L. 1132-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, le licenciement prononcé à l'égard d'une salariée en raison de son état de grossesse caractérisant une atteinte au principe d'égalité de droits entre l'homme et la femme encourant la nullité en application des dispositions de l'article L. 1132-4 du même code.

Le régime probatoire est le même que celui rappelé précédemment pour le harcèlement moral.

Mme [D] fait valoir qu'elle a été licenciée après son retour de son congé maternité pour un motif manifestement infondé, qu'elle a fait l'objet d'un harcèlement de la part de son employeur depuis son retour de congé maternité, ce dernier n'ayant pas apprécié l'annonce de sa grossesse, et plus particulièrement le fait qu'elle ait été contrainte de s'arrêter plus tôt pour une grossesse pathologique, qu'elle a également fait l'objet d'actes de discrimination caractérisés par un harcèlement moral dont l'origine n'est autre que sa situation de grossesse et son congé maternité, sans rapporter la preuve de ses allégations.

Elle ajoute qu'eu égard au fait que les congés maternité ne concernent que les femmes, la décision de l'employeur de ne lui confier, au retour de son congé maternité, que des tâches sans rapport avec ses fonctions antérieures et de la mettre à l'écart caractérise l'existence d'une discrimination indirecte en raison du sexe, sans davantage rapporter la preuve de ses allégations.

Ainsi, les faits allégués, pris dans leur ensemble, ne laissent pas présumer une discrimination, ce qui conduit à débouter la salariée de cette demande.

Par ailleurs, Mme [D] évoque dans ses conclusions la protection des salariées en état de grossesse prévue à l'article L.'1225-4 du code du travail qui prévoit l'interdiction pour l'employeur de rompre le contrat de travail de la salariée en état de grossesse, pendant la suspension du contrat de travail au titre du congé maternité et pendant les 10 semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Mais dès lors qu'elle a été licenciée 11 mois après la reprise de son travail et qu'à cette date, la période de protection prévue à l'article L. 1225-4 était expirée depuis plus de 7 mois, ce moyen est inopérant.

En définitive, aucun des moyens de nullité n'étant caractérisé, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [D] de cette demande.

Sur l'obligation de sécurité

Mme [D] soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où il résulte de manquements préalables de son employeur à son obligation de sécurité.

Il est rappelé que l'article L.'4121-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°'2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, dispose':

«'L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs'».

L'employeur ne peut s'exonérer de sa responsabilité que s'il démontre qu'il a bien pris toutes les mesures des articles L.'4121-1 et L.'4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Mme [D] justifie avoir alerté à de nombreuses reprises son employeur sur la dégradation de ses conditions de travail et particulièrement sur l'absence de lisibilité de son avenir professionnel dans le contexte d'un plan social.

La société Solocal justifie de son côté avoir apporté toutes les réponses nécessaires à la salariée quant à l'évolution de la situation.

Ainsi, la société Solocal justifie à la fois d'une information collective mais surtout d'un accompagnement individuel de la salariée.

Elle souligne qu'à aucun moment, Mme [D] n'a été désignée publiquement comme devant faire l'objet d'une suppression de poste, qu'en réalité, elle a pu le comprendre en constatant que le poste de responsable d'études devait être supprimé, ce qu'aucun autre ne pouvait identifier puisque ses collègues ignoraient naturellement l'intitulé de son poste et ne connaissaient que sa fonction de Traffic manager, que pour le reste, elle raisonne comme si sa situation devait être fixée définitivement et expliquée dès le 7 mars 2018 alors que le sort de son emploi dépendait des négociations en cours avec les institutions représentatives du personnel, des départs naturels qui pouvaient survenir dans les mois à venir, de ceux initiés dans le cadre du plan de départs volontaires alors en cours de discussion et enfin, si par extraordinaire son départ était finalement envisagé dans le cas du plan de sauvegarde de l'emploi, des mesures de reclassement mises en 'uvre au préalable.

La société Solocal rappelle que l'ensemble de ces explications a été fourni à Mme [D] à de nombreuses reprises :

- des courriels ont été très régulièrement adressés à l'ensemble du personnel,

- un site dédié au projet était tenu à disposition,

- une ligne d'information était ouverte sans discontinuer et les salariés étaient incités à l'utiliser pour obtenir toutes les informations utiles,

- des rendez-vous ont été organisés avec le responsable des ressources humaines chargé de son dossier, les 29 mai et 11 juillet 2018,

- Il a été répondu à toutes les questions qu'elle a posées,

- son directeur s'est également tenu à sa disposition pour en parler avec elle,

- dès sa mise en place le 23 juin 2018, Mme [D] a eu accès aux experts de l'Espace Conseil Mobilité chargés de détailler l'ensemble des mesures contenues dans les accords conclus la veille, de construire avec le salarié un projet professionnel et de les aider à candidater éventuellement pour un congé mobilité.

Elle démontre ainsi que la salariée disposait donc de tous les moyens pour s'informer en détail, comprendre que sa situation n'était pas figée et serait déterminée une fois les négociations avec les IRP achevées et le plan de départs volontaires mis en 'uvre.

Dans de telles conditions, Mme [D] ne peut sérieusement prétendre avoir été placée dans une situation d'ignorance.

Mme [D] soutient ensuite que la société Solocal lui aurait caché le fait qu'elle n'était « plus concernée par un licenciement car une personne de sa catégorie avait démissionné », qu'elle l'aurait découvert inopinément lors de sa consultation auprès de l'Espace Conseil Mobilité le 5 juillet 2018.

La société Solocal conteste toutefois à juste titre l'interprétation faite par la salariée de la situation. Elle rappelle que le licenciement de celle-ci n'était nullement acquis ni en mars, ni en juillet 2018, que pour le reste, l'accord GPEC conclu le 22 juin 2018 a ouvert le congé mobilité aux salariés dont la situation répondait à deux conditions : appartenir à une catégorie professionnelle impactée et occuper un poste supprimé ou appartenir à une catégorie professionnelle impactée et avoir 5 ans d'ancienneté.

Elle explique qu'une semaine plus tôt, le 15 juin 2016, le contrat de travail de Mme [G] [P] avait été rompu alors qu'elle appartenait à la même catégorie professionnelle que Mme [D], que dès lors qu'un seul départ était prévu dans cette catégorie, elle n'était plus impactée et les salariés qui y appartenaient n'étaient plus éligibles au congé mobilité, sauf à proposer de substituer un salarié dont le poste était supprimé.

Elle précise que c'est ce que la consultante de l'Espace Conseil Mobilité a expliqué à Mme [D], le 5 juillet 2018, conformément à sa mission et soutient qu'en tout état de cause, elle ne voit pas comment cette information pouvait être divulguée plus tôt alors que l'accord a été signé le 22 juin et que la salariée concernée a quitté son poste le 15 juin 2018.

Mme [D] se plaint également de ne pas avoir été fixée sur le sort de son poste de travail dès le 5 juillet 2018 alors que les départs volontaires étaient en plein déploiement pour être organisés jusqu'au 30 septembre 2018, que dans le même temps, la réorganisation des services était mise en 'uvre, de sorte qu'il était alors impossible de faire un point précis sur les salariés qui, dans sa catégorie professionnelle, mais aussi dans son service, allaient poursuivre la relation avec la société, que, comme pour tous les autres salariés, placés dans la même situation, elle devait attendre la fin du mois de septembre voire d'octobre 2018 pour être fixée sur l'évolution éventuelle de ses missions.

Il est établi que cette situation a été expliquée à la salariée à plusieurs reprises.

Mme [D] prétend que personne ne se serait soucié de son sort, tout en reconnaissant que son « N + 3», référent dans le service pour fournir toute information, est venu vers elle et s'est tenu à sa disposition.

Mme [S] atteste qu'elle a fait de même et a tenté de lui apporter son soutien.

Mme [D] a été reçue à deux reprises par le Responsable des Ressources Humaines et a été prise en charge par le psychologue de l'entreprise.

L'employeur rappelle qu'en outre, la salariée pouvait bénéficier d'un dispositif complet d'accompagnement mis en place au sein de Solocal pour aider les salariés concernés et impliquant notamment une cellule d'écoute psychologique externe accessible à tous sept jours sur sept 24 heures, la possibilité d'un accompagnement psychologique externe individuel en cas de difficulté ou la possibilité de faire intervenir l'assistante sociale, le médecin du travail, ou le psychologue de l'entreprise.

Au regard de l'ensemble des mesures mises en 'uvre, la société Solocal justifie qu'elle a bien pris toutes les mesures des articles L.'4121-1 et L.'4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de la salariée, de sorte que sa responsabilité n'est pas engagée.

Dans ces conditions, Mme [D] sera déboutée de cette demande.

Sur le bien-fondé des griefs

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La lettre de licenciement, éventuellement précisée par l'employeur, fixe les limites du litige.

Mme [D] considère qu'il lui est reproché deux griefs, à savoir d'une part la décision unilatérale de télétravail et d'autre part, son absence sur le lieu de travail tandis que l'employeur retient pour sa part également deux griefs tenant à l'absence de la salariée à son poste mais également aux justifications mensongères données par la salariée caractérisant un manquement à l'obligation de bonne foi et de loyauté.

S'agissant de l'absence de la salariée à son poste

Mme [D] fait valoir qu'en août, elle s'est portée volontaire pour faire la permanence et remplacer sa collègue pendant son congé, qu'elle a alors traité en totalité toutes les demandes faites à sa collègue jusqu'en septembre.

Elle produit pour en justifier les captures d'écran de sa boîte de réception et de sa boîte d'envoi de son adresse életronique ainsi que l'historique de ses conversations Skype (ses pièces 16 et 17).

Elle fait valoir que la période pendant laquelle les absences lui ont été reprochées correspond au moment où elle n'avait plus de poste bien qu'elle se tenait à la disposition de son employeur et assurait des remplacements et tâches sans rapport avec ses responsabilités, qu'en ce qui concerne son lieu de travail, elle a effectivement fini par s'installer dans des lieux isolés afin de ne pas croiser de « personnes toxiques » et être confrontée une fois de plus au harcèlement.

Elle se prévaut des recommandations en ce sens du psychologue du travail mais n'en justifie pas puisqu'elle ne produit que les échanges en vue de fixer les rendez-vous (sa pièce 9).

Elle précise qu'en août, elle a travaillé au 12ème étage, côté imprimés, puis qu'à partir de septembre, elle s'est installée sur les fauteuils rouges ou à la tour 3 vers la salle de réunion 0HV01 ou à côté de la machine à café du premier étage.

La société Solocal oppose qu'elle a vérifié les informations fournies par la salariée mais n'a trouvé aucune trace de son passage dans un autre bâtiment. Elle précise que, pour des raisons de sécurité, l'entrée des deux bâtiments réservés à la société est restreinte aux visiteurs accrédités dont l'identité est vérifiée et aux porteurs de badge. Elle produit les relevés des utilisateurs CityLight 2 et 3 montrant qu'aucun passage n'a été enregistré à son nom entre le 1er juillet et le 16 novembre 2018, sauf le 12 novembre, date de son entretien préalable au licenciement (pièce 20 de l'employeur). Elle précise qu'il n'a pas été question d'enregistrer le temps de travail de la salariée mais seulement d'accéder aux espaces réservés à la société au sein de l'ensemble CityLights, de sorte que Mme [D] ne peut utilement opposer qu'elle n'avait pas l'obligation de badger puisqu'elle était soumise à une convention de forfait-jours.

Par ailleurs, Mme [D] ne peut se prévaloir d'une dispense d'activité dont elle ne justifie pas.

S'agissant du télétravail, Mme [D] considère qu'elle pouvait décider d'y recourir sans autorisation spéciale de son employeur, cette possibilité découlant de son statut de cadre.

Elle revendique, quoi qu'il en soit, un accord officiel de sa manager qui lui aurait été donné lors d'un entretien du 18 septembre 2018. Elle ne justifie par aucune pièce utile de cet accord, même si elle s'appuie sur une demande qu'elle a formulée en ce sens par courriel du 13 septembre 2018 mais ne produit pas la réponse qui lui a été faite (pièce 22 de l'employeur)

L'employeur établit quoi qu'il en soit que le télétravail n'était pas laissé à la libre appréciation de chaque salarié et ne dépendait pas du statut de cadre.

S'agissant du travail fourni, la société Solocal fait valoir que la salariée a complètement cessé de travailler à compter du 5 octobre 2018, ainsi que cela résulte de la liste des logs à la plateforme permettant de mettre en ligne les campagnes publicitaires dont elle était chargée (pièce 24 de l'employeur).

La société Solocal explique qu'il est vain de prétendre qu'elle n'aurait été chargée d'aucune campagne à réaliser et plus généralement, n'avait plus ni poste ni tâches à accomplir, comme il est faux d'affirmer de manière contradictoire qu'elle effectuait des tâches de remplacement de sa collègue sur un poste qui ne correspondait pas au sien, puisque l'organisation au sein de son service était simple : les demandes de traitement des campagnes publicitaires parvenaient soit à son adresse e-mail, soit à celle de sa collègue Mme [T], soit sur une adresse commune « [Courriel 5]», qu'à partir de là, les deux se partageaient le travail en toute autonomie, ainsi que cela résulte de l'attestation de la manager, Mme [S] (pièce 27 de l'employeur).

La société Solocal soutient donc de façon pertinente qu'il appartenait à Mme [D] de prendre l'initiative de réaliser des campagnes, même si elles étaient dirigées vers la boîte mail de sa collègue, les demandes d'intervention s'affichant d'ailleurs systématiquement dans la boîte de l'adresse commune et produit de très nombreux échanges de courriels pour en justifier (pièce 26 de l'employeur).

De surcroît, les pièces produites par la salariée, à les supposer fiables, révèlent une très faible activité sur la période et plus aucune à compter du 5 octobre 2018, date à laquelle elle a reçu de nombreux courriels sans en adresser aucun en réponse.

Au vu des éléments donnés par l'une et l'autre partie, il convient de retenir que Mme [D] n'a plus exécuté sa prestation de travail à compter du 5 octobre 2018.

Ce seul fait, portant sur l'exécution de l'obligation essentielle pesant sur la salariée au titre du contrat de travail, légitime la rupture de celui-ci, sans qu'il n'y ait lieu d'examiner le second grief tenant au manquement de la salariée à l'obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail.

Il sera en conséquence retenu que le licenciement de Mme [D] par la société Solocal est fondé sur une cause réelle et sérieuse. Mme [D] sera déboutée de toutes ses demandes contraires, par confirmation du jugement entrepris.

Sur le congé de reclassement

Mme [D] sollicite l'allocation d'une somme de 36 756 euros, soit 9 mois de salaires, au motif qu'elle n'a pas pu bénéficier d'un congé de reclassement tandis que la société Solocal s'oppose à la demande.

L'article L. 1233-71 du code du travail prévoit l'obligation pour certaines entreprises de proposer un congé de reclassement à chaque salarié dont elle envisage de prononcer le licenciement pour motif économique. Le non-respect des mesures prévues dans le plan de sauvegarde de l'emploi pour favoriser le reclassement des salariés exposés à la perte de leur emploi autorise le salarié à solliciter des dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice qui en résulte.

En l'espèce, dès lors qu'aucun licenciement pour motif économique n'a été envisagé à l'égard de Mme [D], celle-ci ne peut utilement réclamer des dommages-intérêts pour absence de congé de reclassement.

Au demeurant, l'employeur explique que, si la salariée appartenait à une catégorie concernée par le licenciement économique collectif, un départ ayant eu lieu dans sa catégorie d'emploi, elle n'était plus visée et devait être affectée à un autre poste qui n'impliquait aucune modification de son contrat de travail, une fois les départs volontaires tous mis en 'uvre et la réorganisation effective. Il souligne que le congé de reclassement n'était ouvert qu'aux salariés licenciés ou ayant choisi les départs volontaires.

Mme [D] sera déboutée de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme [D] au paiement des dépens et en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles de procédure.

Mme [D], qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Mme [D] sera en outre condamnée à payer à la société Solocal une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 000'euros et sera déboutée de sa propre demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 30 septembre 2021,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [O] [D] au paiement des dépens d'appel,

CONDAMNE Mme [O] [D] à payer à la SA Solocal une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE Mme [O] [D] de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-2
Numéro d'arrêt : 21/03560
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;21.03560 ?
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