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28/03/2024 | FRANCE | N°21/03314

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-2, 28 mars 2024, 21/03314


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-2

(Anciennement 6e chambre)



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 28 MARS 2024



N° RG 21/03314 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U2MN



AFFAIRE :



[R] [F]



C/



Société RUBIX FRANCE anciennement dénommée société OREXAD BRAMMER



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CH

ARTRES

N° Section : E

N° RG : F 20/00074



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU



Me Stéphane BEURTHERET



le :



Copie numérique délivrée à :



France travail


...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-2

(Anciennement 6e chambre)

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 28 MARS 2024

N° RG 21/03314 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U2MN

AFFAIRE :

[R] [F]

C/

Société RUBIX FRANCE anciennement dénommée société OREXAD BRAMMER

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES

N° Section : E

N° RG : F 20/00074

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU

Me Stéphane BEURTHERET

le :

Copie numérique délivrée à :

France travail

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 14 mars 2024 et prorogé au 28 mars 2024, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [R] [F]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU de l'AARPI BEZARD GALY COUZINET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000002

APPELANT

****************

Société RUBIX FRANCE anciennement dénommée société OREXAD BRAMMER

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Stéphane BEURTHERET de la SCP LCB & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0088

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 décembre 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Stéphanie HEMERY,

Greffier lors de la mise à disposition : Domitille GOSSELIN

Rappel des faits constants

La SAS Orexad Brammer, nouvellement dénommée Rubix France depuis le 1er janvier 2023, dont le siège social est situé à [Localité 3] dans le [Localité 4], a pour activité le commerce de gros de fournitures et d'équipements industriels. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale de commerce de gros du 23'juin 1970.

M. [R] [F], né le 23'avril 1972, a initialement été engagé par la société Fimatec, selon contrat de travail à durée indéterminée du 29'septembre 2006 à effet au 2'octobre 2006, en qualité d'attaché technico-commercial, statut VRP, moyennant une rémunération mensuelle fixe de 1'500 euros.

Le contrat de travail de M. [F] a été transféré à la société Orexad Brammer le 1er mai 2015.

M. [F] a reçu un avertissement le 6 mai 2019.

Après un entretien préalable qui s'est tenu le 22'octobre 2019, M. [F] s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 25'octobre 2019, dans les termes suivants':

«'Faisant suite à notre entretien du'mardi 22 octobre 2019, auquel vous vous êtes présenté assisté'de Mme [T] [E], en sa qualité de responsable des ventes interne, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. La date de première présentation de cette lettre fixera le point de départ du préavis de trois mois au terme duquel votre contrat de travail sera définitivement rompu. Nous vous précisons cependant que nous vous dispensons de l'exécution de ce préavis, étant entendu que vous recevrez votre rémunération aux échéances habituelles de paie pendant toute la durée de celui-ci. Nous vous rappelons les motifs nous ayant contraints à vous licencier et qui vous ont été présentés lors de notre entretien. Le 2'octobre 2019'vous avez été reçu par le directeur régional, M. [H] [O], afin de faire un point sur votre portefeuille, votre situation commerciale et vos plans d'actions pour ce dernier trimestre. Lors de cet échange, M. [O] vous a de nouveau expliqué la nécessité de visiter, non seulement les clients déjà visités, mais également les clients encore non-visités, ainsi que l'importance de définir un plan d'actions pour pouvoir développer le secteur. Pour rappel, en début d'année, il vous a été affecté, d'un commun accord, une liste de 30 clients à visiter. Vous avez notamment, à ce sujet, déjà fait l'objet d'un avertissement en date du 6'mai 2019'vous reprochant une première fois de n'avoir effectué que très peu de visite. Au 1er'octobre 2019, soit près de cinq mois plus tard, sur les 30 clients nouvellement affectés, force est de constater que vous restez en deçà de nos attentes, et que vous persistez à ne pas exécuter les directives qui vous sont données. Seulement 16 clients ont été visités dont 8 d'entre eux ne l'ont été qu'une seule fois'; alors même que vous auriez dû tous les visiter et ce au moins à deux reprises afin de réaliser un suivi commercial correct. En outre, nous avons constaté un net ralentissement de commandes de vos clients dits «'pépites'» depuis le début de l'année. Vous n'avez pu nous fournir aucune explication valable à ce déclin et vous n'avez pas non plus chercher'[sic]'à les redynamiser, les laissant ainsi diminuer sans aucune réaction ni alerte. Ce constat peut notamment être illustré chez plusieurs de vos clients «'pépites'» tels que Cros Frais, Denis SA, Guerlain, Braun Medical. Pour finir, vous n'avez présenté ni votre feuille de route (chiffre d'affaires prévisionnel), ni votre cible clients, ni vos produits phares pour l'action commerciale de grande ampleur (Gigaphone), alors même que vous saviez devoir le faire avant son lancement le mardi 8 octobre, pour une durée de trois jours. Nous vous rappelons que cette action commerciale n'est pas nouvelle et que nos attendus n'ont aucunement changé et ce depuis plusieurs années. Nous aurions pu être à même de comprendre cette situation si vos objectifs avaient été atteints sur les trois premiers trimestres et qu'ils ne s'étaient pas dégradés. Au regard des données en date du 30'septembre 2019, la situation la plus inquiétante réside dans vos résultats commerciaux concernant l'objectif O1, c'est-à-dire «'la famille 6 de la liste clients'» soit l'ensemble des clients qui vous ont été rattachés pour la vente de services dans l'EPI [équipement de protection individuel]. En effet, le suivi trimestriel nous permet de mettre en exergue une dégradation continue de vos résultats sur l'année. Aussi, à fin'mars 2019, vous étiez à ' 18,75 % de chiffre d'affaires, pour passer à ' 29,27 % à fin juin pour rester à ' 19,36 % à fin septembre, ce qui n'est pas acceptable. Les objectifs fixés sont très loin de vos résultats.

CA manquant en % sur O1

1er'trimestre':18,75 %

2ème'trimestre': 29,27 %

3ème'trimestre': 19,36 %

Cette tendance se ressent également sur les objectifs O3 relatif aux ventes «'GISS'», pour lesquels vous finissez en deçà de l'objectif défini sur les trois premiers trimestres':

CA manquant en % sur O3

1er'trimestre': 20,73 %

2ème'trimestre': 46,39 %

3ème'trimestre': 37,55 %

Nous ne pouvons accepter plus longtemps ces baisses qui sont le résultat de votre manque d'investissement et de votre refus de suivre le plan d'actions et plus généralement les directives commerciales de votre manager. Ceci est d'autant plus incompréhensible que vous disposez de l'ensemble des outils et compétences nécessaires pour mettre en 'uvre ces dernières. En conséquence, nous ne pouvons assimiler votre comportement autrement qu'à un manque d'implication et un refus caractérisé d'exécuter vos tâches. Vous comprendrez que dans ces conditions, nous ne puissions envisager de poursuivre notre collaboration et que nous prononcions votre licenciement. Nous vous informons que nous vous libérons de votre obligation contractuelle de non-concurrence, à la date de fin effective de votre contrat de travail, de sorte que nous ne vous serons pas redevable, à ce titre, d'une quelconque contrepartie financière. Vous bénéficierez, par ailleurs du maintien des garanties «'santé'» et «'prévoyance'» applicables aux salariés de l'entreprise, sous réserve d'être pris en charge par le régime d'assurance chômage, dans les conditions légales prévues à l'article L. 911-8 du code de la sécurité sociale. A l'issue de votre préavis, que nous vous dispensons d'effectuer, nous vous ferons parvenir à votre domicile, par voie postale, votre certificat de travail, votre solde de tout compte comportant l'intégralité des sommes vous restant dues et tout document nécessaire à votre inscription auprès de pôle emploi. Enfin, vous devrez restituer à la société toute documentation ou matériel lui appartenant et ayant été mis à votre disposition pour l'exécution de votre contrat de travail'».

M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Chartres en contestation de son licenciement par requête reçue au greffe le'16 mars 2020.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 22 octobre 2021, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Chartres a':

en la forme,

- reçu M. [F] en ses demandes,

- reçu la société Orexad en sa demande au titre des frais irrépétibles de procédure,

au fond,

- confirmé le licenciement pour cause réelle et sérieuse de M. [F] intervenu le 25'octobre 2019,

- débouté en conséquence M. [F] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné M. [F] à verser à la société Orexad la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [F] aux entiers dépens qui comprendront les frais d'exécution éventuels.

M. [F] avait présenté les demandes suivantes':

- le déclarer recevable et bien fondé en l'intégralité de ses demandes,

y faisant droit,

- déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Orexad à lui verser les sommes suivantes':

. à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre principal': 37'195 euros,

à titre subsidiaire en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail': 23'762,80 euros,

. outre 15'000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice découlant de la situation vis-à-vis de l'emploi après licenciement,

. 3'800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel eu égard au caractère parfaitement incontestable des demandes qu'il a formulées,

- condamner la société Orexad aux entiers dépens.

La société Orexad avait quant à elle conclu au débouté du salarié et avait sollicité la condamnation de celui-ci à lui payer une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure d'appel

M. [F] a interjeté appel du jugement par déclaration du 9 novembre 2021 enregistrée sous le numéro de procédure 21/03314.

Par ordonnance rendue le 6 décembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries le 21 décembre 2023.

Les conseils des parties ont procédé au dépôt de leurs dossiers de plaidoiries, après y avoir été autorisés par la cour.

Prétentions de M. [F], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 17 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [F] demande à la cour d'appel de':

- le déclarer recevable et bien-fondé en son appel,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée'[sic]'à verser à la société Orexad une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens,

statuant à nouveau,

- déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner en conséquence la société Rubix à lui verser les sommes de':

. 37'195 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 4'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Rubix de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Rubix aux entiers dépens.

Prétentions de la société Rubix France, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 9 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Rubix France demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement attaqué'en toutes ses dispositions,

- condamner M. [F] à lui payer la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le licenciement pour faute simple

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties.

En application de l'article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, éventuellement précisée, fixe les limites du litige.

Aux termes de cette lettre, M. [F] se voit reprocher un manque d'implication et un refus caractérisé d'exécuter ses tâches conduisant à une dégradation de ses résultats.

M. [F] indique contester totalement la réalité des faits, tels qu'ils sont relatés dans la lettre de licenciement.

Il souligne qu'alors que le contrat de travail s'est déroulé sans difficultés pendant une dizaine d'années, la situation s'est dégradée peu à peu à compter du transfert de son contrat de travail de la société Fimatec à la société Orexad, qu'ainsi, son nouvel employeur lui a proposé de façon insistante une rupture conventionnelle sous la menace d'une mutation ou d'une rétrogradation, qu'il s'est vu retirer la moitié du secteur du département de l'Eure-et-Loir au profit de M. [D], présent au sein des effectifs Orexad avant la reprise, qu'il s'est également vu retirer le client Fragrance au profit du même salarié, qu'il s'est vu attribuer un véhicule de société de type Clio de deux places alors que dans le même temps, M. [D] bénéficiait d'une Mégane de tourisme de cinq places, qu'il s'est vu retirer le très important client Novo Nordisk toujours au profit de M. [D].

Il considère qu'en réalité, à compter du transfert de son contrat de travail au sien de la société Orexad, il s'est trouvé en situation de doublon avec M. [D], les deux salariés se voyant dispenser un traitement totalement différent de la part de l'employeur.

De son côté, la société Rubix France fait valoir que M. [F] s'est vu retirer le client Novo Nordisk parce que celui-ci s'est plaint auprès de sa hiérarchie d'un suivi commercial insuffisant et insatisfaisant, que l'accompagnement dont le salarié a bénéficié n'a pas porté ses fruits, que celui-ci a reçu un avertissement pour un démarchage insuffisant et la non-atteinte de ses trois objectifs et un rappel à l'ordre pour ne pas avoir respecté le process imposé par l'outil informatique de gestion commerciale (GESFI) de l'entreprise afin de gonfler artificiellement son chiffre d'affaires pour être éligible à une rémunération variable.

Elle conteste avoir mis à mal le portefeuille de clientèle de M. [F] et rappelle que le transfert du client Novo Nordisk s'est accompagné du transfert de 31 nouveaux clients, ce que le salarié n'a pas contesté.

Elle indique que M. [F] n'a pas assuré les visites qu'il aurait dû faire et qu'il n'a pas préparé l'événement commercial majeur pour l'entreprise appelé Gigaphone en 2019.

S'agissant du portefeuille de clientèle confié à M. [F], les parties s'accordent sur le fait que le client Novo Nordisk a été retiré du portefeuille de M.'[F].

La société Rubix France prétend qu'elle l'a fait à la demande du client lui-même qui se serait dit insatisfait du travail de M. [F]. A l'appui de son allégation, elle ne produit toutefois aucune pièce utile, le courriel du 1er mars 2019 visé dans ses écritures ne contenant que la nouvelle répartition sans aucune explication (pièce 6 de l'employeur).

La société Rubix France invoque l'attribution en contrepartie, de 31 nouveaux clients, ce que M. [F] reconnaît mais elle ne répond pas à l'argumentation du salarié qui prétend qu'il s'agit de «'petits prospects et non pas de clients, tous éparpillés sur le secteur avec très peu de potentiel'». Elle produit certes un tableau sur 13 pages (sa pièce 20) dont elle indique qu'il contient le chiffre d'affaires généré pour l'entreprise par ces 31 clients de janvier 2016 à mars 2019, et qui, selon elle, démontre qu'il ne s'agit pas de petits clients. Or, ce document, non accompagné d'une quelconque explication et d'éléments de comparaison, est inexploitable et ne permet pas de retenir que ces nouveaux clients compensent la perte du client Novo Nordisk.

La société Rubix France ne peut valablement soutenir que M. [F] n'a pas protesté à réception de cette nouvelle liste de clientèle puisque celui-ci justifie avoir écrit à son employeur le 15 avril 2019 en ces termes': «'Vous m'annonciez vendredi 1er février 2019 que vous me retiriez un de mes plus gros clients soit Novo Nordisk Chartres avec qui je faisais un chiffre d'affaires de près de 80 000 euros en EPI pour le donner à mon collègue, M. [C] [D] et ce malgré mon désaccord justifié. En guise de compensation, vous m'avez confié une liste de 29 prospects et non pas clients, tous éparpillés sur le secteur, avec très peu de potentiel et pour la plupart, déjà engagés avec d'autres concurrents (appels d'offre, etc.) et non visités pour la plupart. Le compte n'y est pas, c'est pour cela que je vous demande de bien vouloir revoir votre position en diminuant les objectifs 2019 de 80 000 euros, sachant que vous m'avez augmenté de 150 000 euros de chiffre d'affaires en plus et donc appliqué une hausse d'environ 21 % par rapport à 2018 (sachant que j'allais perdre Novo Nordisk).'» (pièce 18 du salarié).

Il est ainsi démontré que le portefeuille confié à M. [F] a été dégradé.

La société Rubix France ne justifie pas avoir adapté les objectifs du salarié en fonction des caractéristiques de son nouveau portefeuille, malgré les demandes de celui-ci.

Ainsi, le manque de résultats relevé n'apparaît être que la conséquence de cette inadéquation, sans que ne puisse être sérieusement reproché à M. [F], ni son manque d'implication, ni son refus d'exécuter des tâches.

La société Rubix France soutient avoir tout mis en 'uvre pour aider et accompagner le salarié afin de lui permettre de retrouver un niveau d'atteinte normal de ses objectifs. Elle produit pour en justifier les évaluations professionnelles de M. [F] établies en 2017, 2018 et 2019 pour l'année antérieure, l'avertissement qui lui a été délivré le 6 mai 2019 et la lettre de rappel du 1er juillet 2019.

L'évaluation professionnelle établie en 2017 pour l'activité de l'année 2016 fait état en conclusion du fait que M. [F] a fait une année 2016 en demi-teinte (2 bimestres réussis sur 6), qu'il lui faut arriver à prendre des marchés d'EPI chez de gros clients de façon plus régulière, ce à quoi le salarié a acquiescé, rappelant que cela conditionnait sa rémunération variable. Le N+1 mentionne que le chiffre d'affaires a été atteint pour le 1er bimestre en grande partie grâce au client Novo Nordisk, que les points forts du collaborateur sont le service clients, le relationnel et la connaissance du métier et des fournisseurs tandis que les points à améliorer sont la tournée avec de nouveaux fournisseurs, la prise de marché chez de gros clients et la préparation du Gigaphone (pièce 2 de l'employeur).

L'évaluation professionnelle établie en 2018 pour l'activité de l'année 2017 fait état en conclusion du fait que M. [F] a fait une année 2017 en dessous des objectifs fixés. Il faut qu'il mette en marche les actions de redressement demandées, le salarié n'ayant fait aucune observation. Le N+1 mentionne que ses points forts sont ses connaissances techniques, son relationnel et son sens du service client tandis que ses points faibles tiennent à la nécessité de varier les tournées fournisseurs et de prise de rendez-vous, ses performances du Gigaphone (pièce 4 de l'employeur).

L'évaluation professionnelle établie en 2019 pour l'activité de l'année 2018 fait état en conclusion du fait que M. [F] est une personne motivée et agréable, qu'il faut juste qu'il apprenne à prendre du recul, qu'il aille chercher du business en s'appuyant sur les fournisseurs, les collègues et le RE (sans indication de la signification de cet acronyme). Le N+1 mentionne que ses points forts sont sa ténacité, son dynamisme et son écoute du client ainsi que sa disponibilité tandis que ses points faibles tiennent à la nécessité de prendre du recul, de passer à autre chose, développer les échanges, plus de communication et d'ouverture d'esprit (pièce 7 de l'employeur).

Ces évaluations, appréciées dans leur ensemble, ne reflètent pas la mauvaise qualité de travail alléguée par l'employeur, même si des points sont à améliorer. En revanche, elles excluent le manque d'investissement reproché au salarié et elles ne permettent pas de retenir que l'employeur a mis en place un accompagnement spécifique du salarié.

La lettre de rappel à l'ordre du 4 septembre 2017 mentionne':

«'Nous tenons par la présente à vous alerter concernant vos résultats en très nette baisse en comparatif de l'année dernière et sur la construction budgétaire de 2017.

En effet, à la fin juin 2017, votre chiffre d'affaires cumulé réalisé n'est que de 357 221 euros sur le semestre, alors même que votre objectif est fixé à 433 287 euros et sur cette même période, en 2016, vous aviez déjà réalisé un chiffre d'affaires de 425 084 euros.

Plus inquiétant, le travail accompli sur une liste de clients cibles (Guerlain SA, Puig France ex Paco Rabanne Parfums), Beaufour Ipsen Industrie, Lumileds France SAS) ne produit aucun effet, bien au contraire le chiffre s'effondre avec ' 55 % sur la cible budgétaire à fin juin 2017.

Il vous reste encore quelques mois pour réagir et réaliser votre objectif annuel. Compte tenu de votre expérience et de votre séniorité, nous espérons une prise en compte immédiate de ces remarques, et vous prions de croire, Monsieur, à l'expression de nos sincères salutations.

Signée par [H] [O], directeur régional.

avec la mention': lettre reçue en mains propres le 22 septembre 2017 mais pas d'accord avec ces propos.'» (pièce 3 de l'employeur).

M. [F] justifie avoir apporté une réponse par courrier du 2 octobre 2017 (pièce 14 du salarié), aux termes duquel il souligne que la hausse de ses objectifs était bien plus importante au vu du secteur qui lui était désormais assigné et observe qu'il n'a pas obtenu l'autorisation d'assister à plusieurs salons dans l'année contrairement à son collègue M. [D].

L'employeur ne justifie pas avoir répondu à ce courrier et il ne démontre pas, en réponse aux objections légitimes du salarié, que les objectifs assignés à ce dernier étaient en adéquation avec son nouveau portefeuille de clients.

L'avertissement délivré à M. [F] le 6 mai 2019 a trait pour l'essentiel au manque de résultats du salarié. Il y est mentionné en conclusion':

«'Nous tenons à vous rappeler que vous occupez le poste d'agent technico-commercial, et qu'il est donc de votre responsabilité de suivre vos clients au mieux et de façon rigoureuse en utilisant les outils et moyens mis à votre disposition par votre employeur. Vous vous devez également de visiter vos clients conformément aux objectifs fixés. Nous tenons à ajouter que vous disposez de toutes les compétences nécessaires pour réaliser ce travail. En conséquence, nous vous demandons d'appliquer les directives données par votre hiérarchie.

Au regard de votre manque d'implication et de votre insubordination caractérisée, nous nous voyons contraints de vous appliquer une sanction disciplinaire sous la forme d'un avertissement. Nous vous mettons en demeure, pour l'avenir, de travailler ce nouveau portefeuille clients afin de redresser vos résultats commerciaux, mais aussi de vous mobiliser en termes de déploiement de votre démarche commerciale.

Si de tels faits se renouvelaient, nous pourrions être amenés à prendre une sanction plus lourde à votre égard, conformément aux dispositions applicables. C'est pourquoi, nous souhaitons vivement que vous fassiez le nécessaire pour un redressement rapide et durable de votre comportement.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.

Signée par Mme [V] [Y], responsable ressources humaines.

Mention': remise en mains propres le 6 mai 2019 signé [R] [F]'» (pièce 3 du salarié).

Cet avertissement s'inscrit manifestement dans la même stratégie de l'employeur, consistant à reprocher au salarié un manque de résultats qui ne lui est pas imputable.

La lettre de rappel du 1er juillet 2019 concerne la procédure d'enregistrement des commandes sur le logiciel GESFI et plus particulièrement une commande du 16 mai 2019 pour le compte de la mairie de [Localité 5] qui aurait été mal référencée (pièce 6 du salarié).

M. [F] a contesté ce fait et a adressé un courrier en ce sens à son employeur le 4'septembre 2019 (sa pièce 7). Il ajoute': «'Croyez bien que je m'efforce de respecter les consignes et je regrette juste l'annulation qu'a pu engendrer cette commande margée à 34,57'%'»

Cet incident apparaît quoi qu'il en soit, isolé et ne peut être considéré comme significatif d'autant que M. [F] avance, sans être démenti, qu'il était le seul à visiter le client concerné et que c'est lui qui a établi le devis et qui a obtenu une commande.

Ainsi, au vu des éléments présentés tant par l'employeur que par le salarié, le licenciement apparaît dépourvu de cause réelle et sérieuse, le manque d'implication de M. [F] ainsi que son refus d'exécution de tâches n'étant pas matériellement établis.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnisation du salarié

M. [F] sollicite l'allocation d'une somme de 37 195 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour cela, invoque le principe de réparation intégrale du préjudice et l'inapplicabilité du plafond de l'article L. 1235-3 du code du travail.

Il est toutefois constant que les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail et qu'il convient en conséquence d'allouer au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.

Ce texte prévoit au profit du salarié bénéficiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise de plus de dix salariés, dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, «'une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés'» en fonction de l'ancienneté dans l'entreprise.

Pour un salarié ayant treize ans d'ancienneté, comme M. [F], cette indemnité se situe, selon le barème légal, entre trois mois et onze mois et demi de salaire.

M. [F] justifie qu'il a retrouvé un emploi dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée le 1er septembre 2020, soit un peu moins d'un an après son licenciement intervenu le 25 octobre 2019.

Au vu des douze derniers bulletins de salaire et de l'attestation destinée à Pôle emploi, il sera retenu que M. [F] percevait un salaire mensuel moyen de 1 901,40 euros.

Au regard de ces éléments, compte tenu de l'ancienneté du salarié à la date de la rupture du contrat de travail (13 ans) et de son âge à la date de la rupture (47 ans), le préjudice subi par M. [F] du fait la rupture injustifiée de son contrat de travail sera réparé par l'allocation d'une somme de 15 000 euros à titre indemnitaire.

Sur les indemnités de chômage versées au salarié

L'article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version résultant de la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018, énonce : «'Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. Pour le remboursement prévu au premier alinéa, le directeur général de Pôle emploi ou la personne qu'il désigne au sein de Pôle emploi peut, pour le compte de Pôle emploi, de l'organisme chargé de la gestion du régime d'assurance chômage mentionné à l'article L. 5427-1, de l'État ou des employeurs mentionnés à l'article L. 5424-1, dans des délais et selon des conditions fixés par décret en Conseil d'État, et après mise en demeure, délivrer une contrainte qui, à défaut d'opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d'un jugement et confère le bénéfice de l'hypothèque judiciaire.'»

En application de ces dispositions, il y a lieu d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes concernés du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [F] aux dépens et à verser à la société Rubix France une somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure.

La société Rubix France, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

La société Rubix France sera en outre condamnée à payer à M. [F] une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 3 000'euros et sera déboutée de sa propre demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Chartres le 22 octobre 2021,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT le licenciement prononcé par la SASU Rubix France, anciennement dénommée Orexad Brammer, à l'encontre de M. [R] [F] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la SASU Rubix France, anciennement dénommée Orexad Brammer, à payer à M. [R] [F] la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

ORDONNE le remboursement par la SASU Rubix France, anciennement dénommée Orexad Brammer, aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [R] [F] dans la limite de six mois d'indemnités,

DIT qu'une copie numérique du présent arrêt sera adressée par le greffe à la direction générale de France Travail, anciennement Pôle emploi, conformément aux dispositions de l'article R.'1235-2 du code du travail,

CONDAMNE la SASU Rubix France, anciennement dénommée Orexad Brammer, au paiement des entiers dépens,

CONDAMNE la SASU Rubix France, anciennement dénommée Orexad Brammer, à payer à M. [R] [F] une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SASU Rubix France, anciennement dénommée Orexad Brammer, de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Domitille Gosselin, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-2
Numéro d'arrêt : 21/03314
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;21.03314 ?
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