COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 61B
3e chambre
ARRET N°
REPUTE
CONTRADICTOIRE
DU 28 MARS 2024
N° RG 21/00846
N° Portalis DBV3-V-B7F-UJYW
AFFAIRE :
[I] [V]
C/
S.A.S
GLAXOSMITHKLINE SANTE GRAND PUBLIC
....
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Janvier 2021 par le TJ de NANTERRE
N° chambre : 2
N° RG : 19/03545
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Monique TARDY de l'ASSOCIATION AVOCALYS
Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES
Me Mélina PEDROLETTI
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [I] [V]
née le [Date naissance 2] 1970
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentant : Me Monique TARDY de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620
Représentant : Me Martine VERDIER, avocat au barreau d'ORLEANS, Plaidant
APPELANTE
****************
S.A.S. GLAXOSMITHKLINE SANTE GRAND PUBLIC
nouvellement dénommée sous le nom commercial 'HALEON FRANCE'
RCS 672 012 580
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625
Représentant : Me Marguerite AYNES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0112
INTIMEE
S.A. UCB PHARMA
N° SIRET : B 562 079 046
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626
Représentant : Me Carole SPORTES LEIBOVICI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0443
INTIMEE
CPAM DE [Localité 6]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
INTIMEE DEFAILLANTE
***************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 décembre 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence PERRET, Président, chargé du rapport et Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence PERRET, Président,
Madame Gwenael COUGARD, Conseiller,
Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme FOULON,
*********
FAITS ET PROCEDURE :
Mme [I] [V], née le [Date naissance 2] 1970, soutient avoir été exposée au diéthylstilbestrol (ci-après, le DES) durant la grossesse de sa mère.
Elle impute à cette exposition une dysplasie cervicale ayant nécessité une vaporisation, un utérus de petite taille et en T ayant justifié l'indication d'une hystéroplastie d'agrandissement, la survenance de trois fausses couches précoces en juin 2006, février 2007 et janvier 2009, d'une autre grossesse extra-utérine en juin 2007 puis d'une insuffisance ovarienne précoce, ainsi que la crainte de développer une pathologie cancéreuse.
Par actes du 27 mars 2017, Mme [V] a fait assigner la société Ucb Pharma et la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin que le laboratoire soit reconnu entièrement responsable des préjudices qu'elle impute à son exposition in utero au DES.
Par acte du 15 mai 2017, la société Ucb Pharma a appelé en garantie la société Glaxosmithkline Santé Grand Public (ci-après, la société GSGP), venant aux droits de la société Novartis Santé familiale.
Les deux affaires ont été jointes par ordonnance du 3 octobre 2017.
Par ordonnance du juge de la mise en état du 19 décembre 2017, une expertise a été ordonnée et confiée au docteur [E] pour déterminer si les troubles présentés par Mme [V] pouvaient être en rapport avec son éventuelle exposition in utero au DES.
Le docteur [E] ayant refusé la mission, le juge du contrôle des expertises a désigné le docteur [N] [A], gynécologue-obstétricien, qui s'est adjoint le professeur [P] [EH], pharmacologue. Les experts ont déposé leur rapport le 29 mai 2019.
Le 14 juin 2019, Mme [V] a demandé la réinscription de l'affaire au rôle.
Par ordonnance du 23 juillet 2019, retenant qu'il n'apparaissait pas sérieusement contestable au vu du rapport d'expertise que les laboratoires ayant produit la molécule litigieuse avaient concouru, au moins pour partie, aux préjudices de Mme [V], le juge de la mise en état lui a accordé une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices de 10 000 euros. La cour d'appel de Versailles a confirmé cette décision par arrêt du 14 mai 2019.
Par jugement du 7 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- dit que la preuve de l'exposition in utero de Mme [V] n'est pas rapportée,
- débouté Mme [V] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné Mme [V] à restituer aux sociétés Ucb Pharma et GSGP les sommes reçues à titre de provision sur l'indemnisation de son préjudice en application de l'ordonnance du juge de la mise en état du 23 juillet 2019,
- déclaré le jugement opposable à la CPAM,
- condamné Mme [V] aux dépens de l'instance avec recouvrement direct, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à appliquer les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que le jugement ne sera pas assorti de l'exécution provisoire,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
Par acte du 9 février 2021, Mme [V] a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 14 novembre 2023, de :
- la recevoir en son appel et la déclarer bien fondé,
- infirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- déclarer la société Ucb Pharma responsable de l'entier dommage de Mme [V],
Dans l'hypothèse où la cour ne retiendrait pas la preuve de l'exposition au distilbène,
- déclarer la société Ucb Pharma solidairement avec la société GSGP responsable de l'entier dommage de Mme [V],
A titre subsidiaire,
- ordonner un complément d'expertise sur le syndrome SAPL et demander aux experts de répondre au dire de Mme [V] et aux avis des professeurs [S] et [O] aux frais avancés des laboratoires,
- condamner la société Ucb Pharma ou la société Ucb Pharma solidairement avec la société GSGP au paiement des sommes ci-après détaillées :
au titre des frais divers...........................................................................2 580 euros,
au titre des dépenses de santé futures...............................................22 286,40 euros,
au titre de l'incidence professionnelle..................................................20 000 euros,
au titre du déficit fonctionnel temporaire..............................................11 160 euros,
au titre des souffrances endurées..........................................................20 000 euros,
au titre du déficit fonctionnel permanent...............................................71 625 euros,
au titre du préjudice sexuel....................................................................12 000 euros,
au titre du préjudice d'établissement....................................................15 000 euros,
au titre du préjudice d'anxiété...............................................................70 000 euros,
A titre subsidiaire, si le préjudice d'anxiété est inclus dans le déficit fonctionnel permanent,
au titre du déficit fonctionnel permanent aggravé...............................141 625 euros,
A titre infiniment subsidiaire,
Avant dire droit sur l'indemnisation du poste de l'incidence professionnelle,
- ordonner une expertise comptable pour évaluer la perte de gains et l'incidence professionnelle confiée à tel expert-comptable qu'il plaira à la Cour de désigner avec mission de
se faire remettre par Mme [V] ou par tout tiers les documents comptables relatifs à l'activité professionnelle de Mme [V] ainsi que tout document permettant d'évaluer les répercussions économiques de son parcours de grossesses et de procréation médicale assistée,
fournir tous les renseignements sur les conditions de l'activité professionnelle de Mme [V], son statut et son niveau de rémunération,
décrire et chiffrer les pertes de revenus subis par Mme [V] et dire en quoi ces pertes sont en lien avec son parcours de procréation médicale assistée et les choix qu'il impose ; rechercher si les pertes de revenus peuvent avoir d'autres explications.
chiffrer l'incidence des pertes de revenus sur les droits à la retraite de Mme [V],
- dire que les frais de consignation d'expertise seront avancés par la société Ucb Pharma solidairement avec la société GSGP,
- ordonner un sursis à statuer sur le préjudice économique,
- débouter les sociétés Ucb Pharma et GSGP de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires et notamment de leur fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de réparation du préjudice d'anxiété,
- condamner le laboratoire Ucb Pharma solidairement avec la société GSGP au paiement de la somme de 25 000 euros au titre des frais engagés en première instance et en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Ucb Pharma solidairement avec la société GSGP aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de l'expertise avec droit de recouvrement sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 28 novembre 2023, la société GSGP prie la cour de :
1/ À titre principal
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
- confirmer subsidiairement, au besoin, par substitution de motifs, le jugement déféré,
- débouter en conséquence Mme [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- prononcer la mise hors de cause de la société GSGP,
- ordonner la restitution des sommes perçues par Mme [V] à titre de provisions sur dommages,
2/ A titre subsidiaire,
- débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en l'absence de preuve d'un lien de causalité entre l'exposition et les pathologies qu'elle présente,
- débouter subsidiairement Mme [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en l'absence de démonstration de l'existence de préjudices liés de façon directe et certaine au DES,
3/ Très subsidiairement, sur les demandes financières,
- déclarer irrecevables comme prescrites les demandes d'indemnisation de Mme [V] au titre d'un préjudice d'anxiété, et l'en débouter,
- rejeter pour infondées les demandes d'indemnisation de Mme [V] au titre des frais divers, des dépenses de santé futures, de l'incidence professionnelle, du déficit fonctionnel temporaire partiel et du préjudice d'anxiété,
- ordonner subsidiairement une expertise confiée à un expert épidémiologiste chargé de faire l'analyse de la littérature et d'exposer l'état des connaissances scientifiques sur le lien entre exposition in utero au DES et risque de développper une pathologie cancéreuse ou cardiovasculaire,
- limiter toute condamnation prononcée à l'encontre de la société GSGP au prorata du rôle du DES dans les préjudices invoqués, soit au maximum 20% de leur évaluation à intervenir,
- limiter en conséquence à la somme de 12 385 euros l'indemnisation de Mme [V], en conséquence, la débouter pour le surplus,
- débouter Mme [V] et/ou la CPAM de [Localité 6] de toutes autres demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société GSGP,
- déduire de toute condamnation éventuellement prononcée à l'encontre de la société GSGP sur le fondement des articles 1382 et suivants, anciens, du code civil, la somme de 5 000 euros versée à Mme [V] par la société GSGP à titre de provision à valoir sur ses préjudices, en exécution de l'ordonnance du 14 mai 2020,
- déduire de toute condamnation éventuellement prononcée à l'encontre de la société GSGP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 500 euros versée à Mme [V] par la société GSGP à titre de provision ad litem, en exécution de l'ordonnance du 19 décembre 2017,
En tout état de cause,
- déclarer l'arrêt commun et opposable à la CPAM de [Localité 6],
- statuer ce que de droit sur les dépens, avec recouvrement direct, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 29 novembre 2023, la société Ucb Pharma prie la cour de dire que :
A titre principal, les conditions d'une responsabilité d'Ucb Pharma ne sont pas réunies,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ou subsidiairement confirmer par substitution de motifs le jugement dans la mesure où :
sur l'absence de preuve de l'exposition:
* Mme [V] ne rapporte pas la preuve d'une exposition au Distilbène,
* Mme [V] ne peut se prévaloir d'une présomption d'exposition au DES à défaut de démontrer qu'elle présente une pathologie ayant pour seule cause possible une exposition in utero à la molécule DES,
* Mme [V] ne rapporte par la preuve d'une exposition in utero à la molécule DES, en ce compris par voie de présomptions graves, précises et concordantes,
sur l'absence de preuve d'une faute :
* la société Ucb Pharma n'a pas commis de faute ' et notamment aucune faute de vigilance ' en ayant maintenu la commercialisation du Distilbène compte tenu de l'état des connaissances scientifiques de l'époque,
sur l'absence de preuve d'un lien de causalité :
* aucune présomption de causalité ne saurait s'appliquer,
* il n'existe aucune présomption grave, précise et concordante d'un lien de causalité compte tenu de l'existence de causes autonomes précisément identifiées,
* Mme [V] est défaillante dans la démonstration qui lui incombe d'un lien de causalité certain entre les pathologies qu'elle invoque et son exposition in utero au DES,
En conséquence,
- mettre la société Ucb Pharma hors de cause dès lors que les conditions de sa responsabilité ne sont pas réunies,
- débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- débouter la CPAM de [Localité 6] de toutes éventuelles demandes, fins et conclusions et lui déclarer commun et opposable l'arrêt à intervenir,
- condamner Mme [V] aux entiers dépens et au paiement de la somme de 1 500 euros à la société Ucb Pharma au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [V] à rembourser la provision ad litem de 3 000 euros versée à Mme [V] en application des ordonnances des 19 décembre 2017 et 4 mai 2018 ainsi que la provision à valoir sur le préjudice corporel de 10 000 euros versée en exécution de l'ordonnance du 23 juillet 2019, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 14 mai 2020,
2/ A titre subsidiaire, ordonner avant dire droit et tous droits et moyens des parties réservés une nouvelle expertise complète avec les chefs de mission suivants :
En ce qui concerne la causalité et l'étude de la littérature médicale :
1°) Faire le point sur la littérature médicale parue tant en France qu'à l'étranger, et pour chacune des pathologies invoquées par la demanderesse, préciser les rapprochements signalés dans la littérature médicale entre cette pathologie et l'exposition in utero au DES de la demanderesse ;
2°) Préciser également les publications éventuelles portant la contradiction ou soulevant une incertitude de la littérature médicale sur le rapprochement entre cette pathologie et l'exposition in utero au DES ;
3°) Mentionner pour chacune des études les références exactes de la publication et la qualification méthodologique de l'étude, élément essentiel à l'analyse de la littérature, en renvoyant au besoin à la classification proposée par la HAS/ANSM ;
En ce qui concerne les antécédents familiaux :
4°) Entendre tous sachants, notamment les médecins qui ont suivi la grossesse de la mère ayant donné lieu à la naissance de Mme [I] [V] le 26 novembre 1970 ;
5°) Examiner les entiers dossiers médicaux de la mère de Mme [I] [V] ;
6°) Donner toutes précisions relatives à la prescription de Distilbène® et de tout autre médicament qui auraient été prescrits par le médecin traitant avec la durée exacte du traitement, la posologie journalière et les motifs thérapeutiques de cette prescription ;
7°) Décrire les antécédents de santé de la mère de Mme [I] [V], et les traitements médicaux suivis ;
8°) Dire si la mère de Mme [I] [V], avait, antérieurement à la naissance de son enfant connu des grossesses difficiles et subi des fausses couches ;
9°) Dire si Mme [V] présente une malformation de l'utérus ou tout autre anomalie gynécologique ;
En ce qui concerne les anomalies :
10°) Se faire communiquer les entiers dossiers médicaux de Mme [I] [V] et procéder à l'examen de celle-ci ;
11°) Préciser la nature, la date d'apparition, le pronostic et l'évolution de chacune des anomalies constatées chez Mme [I] [V], ainsi que tous les traitements qui ont été prescrits et suivis, ceux qui auraient dû l'être, ainsi que ceux qui devront l'être ;
12°) Dire si le suivi gynécologique et génital de Mme [I] [V] a été conforme aux données acquises de la science médicale ;
13°) Dire, pour chacune des anomalies génitales et/ou pathologies qui seraient constatées chez Mme [I] [V] s'il est scientifiquement établi qu'elles ont pour seule cause possible l'absorption de diéthylstilbestrol par sa mère durant sa grossesse ;
14°) Préciser, pour chacune de ces anomalies et/ou pathologies, s'il existait des facteurs de risque ayant pu favoriser ou causer ces anomalies et/ou pathologies ;
15°) Préciser quelles sont les séquelles que Mme [I] [V] conserve ou conservera de chacune de ces anomalies et/ou pathologies ainsi que de l'éventuel traitement que la demanderesse aurait subi ;
Plus généralement :
16°) Fournir tous les éléments relatifs au préjudice invoqué par Mme [I] [V] et préciser, au regard des créances invoquées par la CPAM de [Localité 6], quelles pathologies peuvent être en lien avec ces dernières ;
17°) Dire que les experts pourront s'adjoindre tout sapiteur pour l'accomplissement de leur mission ;
18°) Adresser aux parties un projet de rapport auquel elles pourront répondre par de derniers dires dans le délai de six semaines et traiter spécifiquement les réponses à ces dires dans le rapport final devant être déposé.
3/ A titre infiniment subsidiaire, sur les préjudices allégués :
- rejeter toute application d'une présomption de causalité entre l'exposition in utero au DES et les affections présentées par Mme [V],
- juger que toute condamnation d'Ucb Pharma interviendrait nécessairement in solidum avec GSGP,
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action de Mme [V] tendant à l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, ou subsidiairement débouter Mme [V] de cette demande,
- débouter Mme [V] des demandes formées au titre de l'indemnisation des frais divers, des pertes de gains professionnels, de l'incidence professionnelle, des dépenses de santé futures, du déficit fonctionnel temporaire, du préjudice d'établissement,
- évaluer les préjudices à la somme globale de 10 500 euros comme suit :
limiter toute indemnisation des souffrances endurées éventuellement imputables à l'exposition in utero au DES à la somme de 3 000 euros,
limiter toute indemnisation du déficit fonctionnel permanent éventuellement imputable à l'exposition in utero au DES à la somme de 5 000 euros,
limiter toute indemnisation du préjudice sexuel éventuellement imputable à l'exposition in utero au DES à la somme de 2 500 euros,
débouter Mme [V] des demandes formées au titre de l'indemnisation des frais divers, des pertes de gains professionnels, de l'incidence professionnelle, des dépenses de santé futures, du déficit fonctionnel temporaire, du préjudice d'établissement,
déclarer irrecevable comme prescrite l'action de Mme [V] tendant à l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, subsidiairement, dire et juger qu'elle est mal fondée et en conséquence, débouter Mme [V] de cette demande,
- débouter Mme [V] de toute autre demande,
En toute hypothèse,
- déduire du montant des condamnations ordonnées à l'encontre de la société Ucb Pharma le montant de la provision ad litem et de la provision à valoir sur le préjudice corporel versées à Mme [V] en application des ordonnances des 19 décembre 2017, 4 mai 2018 et des 23 juillet 2019 confirmée par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 14 mai 2020,
- débouter la CPAM de [Localité 6] de toute éventuelle demande et lui déclarer commun et opposable l'arrêt à intervenir,
- ramener l'indemnité sollicitée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions.
Mme [V] a fait signifier la déclaration d'appel et ses conclusions à la CPAM, par actes des 9 avril et du 20 mai remis à personne habilitée. Néanmoins, cette intimée n'a pas constitué avocat. Celle-ci a fait connaître à la cour le montant de ses débours par lettre du 28 septembre 2022 , pour un montant total de 9 335,67 euros.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
La société Glaxosmithkline Santé Grand Public a justifié de ce qu'elle était devenue la société Haléon France.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 novembre 2023.
SUR QUOI :
Sur l'exposition de Mme [V] au DES :
La preuve de l'exposition in utero à la molécule DES (diéthylstilbestrol) peut être administrée par la plaignante de façon alternative :
- directement par la production de documents justifiant de la prescription de la molécule durant la grossesse de la mère de la plaignante ;
- par la preuve d'une pathologie dont l'exposition au DES est la seule cause possible, qui constitue alors une présomption suffisante de l'exposition ;
- par des présomptions graves, précises et concordantes au sens de l'ancien article 1353 du code civil si jamais la pathologie invoquée peut avoir potentiellement une autre cause que l'exposition au DES.
Pour dire que Mme [V] n'apportait pas la preuve de ce qu'elle avait été exposée au DES, les premiers juges ont essentiellement :
- constaté l'absence de toute pièce médicale contemporaine de la grossesse de la mère de Mme [V],
- admis comme établie l'existence chez Mme [I] [V] d'un utérus en T mais estimé que cette malformation pouvait avoir une autre cause qu'une exposition au DES,
- considéré les attestations des tantes de cette dernière comme ne prouvant pas de façon certaine l'exposition au DES,
- relevé des contradictions dans les constatations médicales des experts judiciaires quant à l'origine ou l'imputabilité à l'exposition au DES de certains dommages invoqués par Mme [I] [V].
Ils n'ont en effet que partiellement souscrit à l'avis des experts judiciaires qui ont conclu page 14 de leur rapport :
" En conclusion, il n'y a pas de preuve indiscutable de la prescription de distilbène à la mère et donc de l'exposition in utero au distilbène. Cependant l'histoire de Mme [V], les attestations, l'examen clinique et les hystérosalpingographies sont des faisceaux d'arguments qui permettent d'affirmer de façon certaine de son exposition in utero au distilbène " '
" Dans le cas de Mme [V], l'exposition in utero au distilbène est certaine. " (rapport page 16)
Mme [V], en référence aux trois moyens précités d'établir son exposition au DES, soutient à titre principal qu'il appartient au laboratoire Ucb Pharma de prouver que le produit qu'il a commercialisé à l'époque de sa conception n'est pas à l'origine de l'anomalie morphologique typique du DES qu'elle présente sous forme d'un utérus en T. Elle affirme que les diagnostics de plusieurs médecins gynécologues et deux hystérographies et une histérocopie ont prouvé qu'elle était directement liée.
Elle invoque divers témoignages en faveur de séances de piqûres de Distilbène subies par sa mère pendant les premiers mois de la grossesse qui, pour émaner de membres de sa famille, n'en sont pas moins probants.
L'appelante soutient qu'elle présente aussi, outre un utérus en T une dysplasie cervicale, et non une adénose comme retenue à tort dans le rapport provisoire des experts judiciaires.
Enfin, les différents accidents gravidiques subis, composés de trois fausses couches et d'une grossesse extra- utérine viendraient encore confirmer l'imputabilité certaine au DES, ce qu'aucune infection à type de syndrome des anticorps antiphospholipides (dite SAPL) ne pourrait expliquer, ce d'autant qu'elle dénie formellement l'avoir subie comme de nombreux médecins l'ont eux-mêmes exclu.
Si jamais la seule existence de l'utérus en T, 'signature du DES' ne suffisait pas à démontrer de façon certaine son exposition au DES, c'est l'accumulation de tous ces événements formant ensemble un tableau typique DES qui fonde chez Mme [V] la certitude de son exposition à la molécule.
La société Ucb Pharma expose tout d'abord qu'aucune présomption de responsabilité n'est possible alors qu'elle même dépend entièrement des documents médicaux que la plaignante veut bien -ou non- produire dans le cadre de la procédure.
Elle assure qu'en 1969-1970, plusieurs molécules étant couramment prescrites en prévention des avortements spontanés et notamment de l'hexestrol, de l'éthinylestradiol ou pour le diéthylstilbestrol, du Stilboestrol Borne® et du Distilbène® (pièces UCB II-9 à II-13) et qu'il est impossible de savoir celui qu'aurait éventuellement reçu Mme [V] au cours des séances de piqûres invoquées.
Elle dénie à la malformation utérine une origine exclusivement liée au DES tout comme pour les autres signes invoqués par la demanderesse en exposant les causes exogènes possibles non analysées par les experts judiciaires pour conclure que l'exposition n'est pas prouvée .
Subsidiairement elle expose pourquoi aucune faute en 1969-1970 n'est possible eu égard à la chronologie de la découverte de l'effet nocif de la molécule en 1977, plusieurs années après la prétendue contamination.
La société GSGP aux droits de laquelle vient la société Haléon France conclut à l'absence de preuve tant directe qu'indirecte de l'exposition de Mme [V] au Stilboestrol Borne (ci-après SBB) que le laboratoire aux droits duquel elle venait avant cette transformation en Haléon France commercialisait à l'époque des faits . C'est d'autant plus indiscutable selon elle que cette molécule n'était pas vendue en 1970 sous la forme injectable décrite par les témoins contrairement au Distilbène d'Ucb Pharma.
Elle souligne que toutes les pathologies invoquées par l'appelante peuvent avoir différentes causes et que le fait qu'une pathologie apparaisse sur le plan statistique plus fréquemment dans la population DES que dans la population générale ne permet pas de déduire de leur survenance une exposition au DES certaine.
Elle relève des éléments médicaux incompatibles avec la thèse de l'appelante telle que la transformation morphologique de son utérus au fil du temps ou l'absence d'anomalies des trompes de Fallope et forme l'hypothèse de séquelles de curetage, de facteurs héréditaires (l'infertilité) ou acquis (le tabagisme, l'âge) non envisagés par les experts malgré les dires en ce sens des intimées.
Compte tenu de ces facteurs autonomes, la responsabilité de la société GSGP devrait se limiter à 20 % soit 12 385 euros au regard des préjudices invoqués par Mme [V] sans inclure une indemnisation au titre du préjudice d'anxiété dont la demande est prescrite et en tout état de cause inondée puisque reposant sur un préjudice purement hypothétique.
La société Ucb Pharma se joint à cette dernière demande.
Sur ce,
Sur le premier critère :
Il n'est pas discuté que Mme [V] ne produit pas de document médical établissant avec certitude la prise de DES par sa mère au temps de sa conception. Comme les premiers juges l'ont souligné, ne sont même pas produites de preuves de ce que Mme [V] a même tenté de s'en procurer auprès de la CPAM, de l'ancien médecin de sa mère, de l'Ordre des médecins ou de la pharmacie habituelle de sa mère.
L'exposition au DES n'est donc pas prouvée de cette façon directe.
Sur le deuxième critère : la pathologie dont la seule cause possible est l'exposition au DES :
Seul un lien direct, certain et exclusif d'une pathologie spécifique dite pathognonomique (en l'espèce, invoquée comme étant un utérus en T dont l'existence n'est pas contestée) avec une telle exposition à la molécule permettrait de considérer que la preuve de cette exposition est définitivement établie (Cass. civ. 1re, 24 septembre 2009, Aff. [C], n°08-16.305, pièce UCB II54).
C'est le caractère exclusif de l'anomalie invoquée par la plaignante qui est contesté par les intimées alors que celle-ci expose que son utérus en T ne peut avoir une cause indépendante.
Néanmoins, elle ne nie pas que cette anomalie se retrouve aussi dans la population générale non exposée. Elle était d'ailleurs décrite dans la littérature médicale avant même toute commercialisation du DES.
Il n'est pas contesté non plus que depuis l'arrêt de la commercialisation du DES en 1977 en France, des femmes présentent encore ce problème congénital.
En effet, si l'utérus en T est une des malformations pouvant avoir comme cause une exposition au DES, d'autres causes exogènes peuvent exister qui représentent également un pourcentage significatif des cas. Les taux respectifs sont discutés entre les parties mais les différentes études invoquées permettent de situer à au moins 37 % la présence de cette anomalie dans la population non exposée.
Certes, 31 à 63 % des femmes exposées présentent cette malformation mais cette prépondérance statistique ne permet pas de déduire de façon suffisamment certaine un lien exclusif de causalité à une exposition au DES.
C'est d'autant moins le cas que chez Mme [I] [V] cette anomalie ne s'accompagne pas d'autres phénomènes organiques ou fonctionnelles souvent associés et qu'il a été constaté que " la cavité est par ailleurs normale de même que le canal cervical et les trompes "(pièce UCB II-53).
Le Professeur [T] relevait ainsi qu' "il n'y a aucune preuve scientifique que l'utérus en T présenté par Mme [V] sans hypoplasie ni anomalie cervicale tubaire soit en rapport avec une supposée exposition au DES ."
Il est vrai que d'autres médecins voient dans cet utérus en T de Mme [I] [V] la marque certaine de l'exposition dont l'expert judiciaire, qui ne s'est pas expliqué sur la contradiction du taux non négligeable d'une telle malformation congénitale dans la population non exposée et sur les raisons particulières faisant penser que cela ne pouvait pas être le cas chez Mme [I] [V].
Nombre de ces médecins ont repris les affirmations de la plaignante sans apporter d'autres explications que celle que souvent, l'exposition à la molécule produit cette anomalie ce qui ne saurait suffire en termes de preuve.
Force est de constater que dans une proportion d'au moins un tiers des cas de femmes présentant une telle anomalie, des causes extérieures et autonomes ont pu intervenir, comme des séquelles de curetages que Mme [I] [V] a subis par deux fois à la suite de ses fausses couches ou bien une IVG dont l'existence n'est pas contestée. Il est regrettable que l'expert judiciaire n'ait pas abordé ces hypothèses non plus, soulevées par la société GSGP , même pour les écarter. C'était d'autant plus important que dans le cas de Mme [V], un doute naît de ce que des examens successifs opérés en 2002 et en 2007 ont montré une évolution inhabituelle de cet organe alors que la malformation liée à l'exposition au DES est congénitale et non évolutive.
Cette discordance a été relevée par le conseil de GSGP, le Professeur [G], (pièce UCB II-1) avec une aggravation de l'anomalie morphologique observée entre ces deux examens ce qui suggère, selon lui, 'la possibilité de séquelles occasionnées par le curetage pour la fausse couche de 2007 et par l'interruption volontaire de grossesse pratiquée à une date non précisée. "
Le Pr [F] qui a suivi Mme [I] [V] au CHU de [Localité 7] à compter de 2009 l'a notée également en se disant très intrigué et dubitatif du fait de cette différence très nette dans la morphologie utérine entre les hystérographies de 2002 et de 2007. (Pièce I-9 de Mme [I] [V]).
L'expert judiciaire ne s'explique pas non plus à ce sujet.
Le docteur [IE] a noté le 16 avril 2007 dans le dossier de Mme [V] : 'utérus évocateur d'une malformation issue de DES syndrome sur les clichés d'hystérographie mais modéré et en rien responsable des deux fausses couches spontanées précédentes [juin 2006 et février 2007].'(pièce I-9 Mme [I] [V]). Il n'a pas affirmé la certitude d'un lien exclusif entre utérus en T et exposition au DES comme soutenu par l'appelante.
Mme [I] [V] oppose pour la première fois à la contestation des intimées l'avis du Pr [Y] mais celui-ci ne s'explique nullement sur les arguments précités.
D'une façon générale, les études citées sur ce point par Mme [I] [V], partent de l'étude de femmes exposées de façon certaine au DES pour étudier les malformations qui découlent de cette exposition en évoquant comme anomalie fréquente l'utérus en T mais la question est ici de savoir, en partant de l'étude de toutes les femmes présentant un utérus en T, quelles en sont les causes respectives parmi toutes celles possibles et comment elles se répartissent en termes de probabilités.
La cour comme les premiers juges considère que Mme [V] ne présente pas de pathologie ayant pour seule cause possible une exposition in utero à la molécule DES.
Dans cette mesure, la charge de la preuve de l'exposition au DES pèse sur la plaignante selon les termes de la 3e hypothèse présentée en début de propos.
Sur le 3e critère, soit la preuve par la plaignante de l'exposition au DES par des présomptions graves, précises et concordantes au sens de l'ancien article 1353 du code civil :
La preuve étant libre, il peut s'agir de témoignages.
Il peut s'agir aussi de phénomènes dont le lien de causalité avec une exposition au DES est suffisamment important et significatif pour pouvoir considérer comme établie cette exposition . S'il convient de les examiner les uns après les autres, c'est un tableau d'ensemble qui peut emporter la conviction s'il est suffisamment typique et ne laisse que très peu de doutes sur leur lien de causalité.
- Mme [V] invoque une dysplasie cervicale :
Elle a renoncé à soutenir l'existence d'une adénose, affirmée en première instance.
L'existence d'une infection HPV est âprement disputée entre les parties.
En mai 1997, a été pratiquée une biopsie cervicale qui a conclu à des " lésions de CIN 1 " et relevait dans le même temps " la présence de signes cytologiques orientant vers une cervicite virale à HPV associée " (pièce Mme [V] I-1). Ce diagnostic a été confirmé dans une lettre du docteur [Z] du 15 octobre 2001 qui indiquait s'agissant des examens pratiqués en 1997 et de leur analyse que :" le premier frottis que j'ai pratiqué en 97 retrouvait un remaniement légèrement atypique, parakératosique ; la colposcopie montrait des lésions et des biopsies ont été effectuées qui retrouvaient des lésions de CIN & avec des signes orientant vers un HPV " (pièce Mme [V] I-9, p.21).
Le traitement préconisé a été une vaporisation laser pratiquée le 30 juin 1997 (pièce Mme [V] I-2). Le compte rendu opératoire mentionne expressément " une dysplasie de bas grade associée à de l'HPV " puis après avoir rappelé que " les frottis montrent des lésions de dysplasie de bas grade et une vraisemblable présence d'HPV " concluait de la manière suivante: "on décide de pratiquer une vaporisation au laser sous coloscopie " (pièce Mme [V] I-2).
La société Ucb Pharma n'est pas contredite quand elle expose qu'un suivi avec frottis annuels entre 1998 et 2001 a suivi, puis, en 2010, un examen réalisé en janvier 2010 pour lequel le docteur [F] a noté la présence de virus HPV 70 et 53 et a préconisé la réalisation d'une colposcopie et une surveillance par frottis annuels (dont il n'est pas prouvé par Mme [I] [V] qu'elle l'a observé.)
La société invoque nombre d'études médicales excluant tout lien entre dysplasie et exposition au DES (études Franco 2006, Trois 2016,Verloop 2017, avis du docteur [T]) alors que l'opinion du docteur [O] opposée par Mme [I] [V] considère que l'exposition au DES - qui n'est pas certaine en l'espèce - 'doit être considérée comme un cofacteur d'aggravation de l'infection à HPV cette dernière étant bien entendu reconnue comme la cause princeps d'une dysplasie cervicale.' C'est donc inverser les choses que d'étudier ce qui majore le risque de HPV.
En outre, son avis repose sur des études anciennes à base d'expérimentations sur l'animal, pas forcément transposables à l'homme. Enfin, il reconnaît un rôle prépondérant à l'infection HPV dans la dysplasie cervicale.
L'ANSM elle-même n'envisage pas dans sa brochure relative au DES la dysplasie cervicale comme un éventuel risque à étudier.
Dès lors, il ne sera pas retenu par la cour que c'est une pathologie significative d'un lien avec une exposition in utero au DES.
- La survenance de fausse couches précoces est multi-factorielle et ne saurait pas plus induire une exposition certaine au DES. De nombreux facteurs de risques autonomes sont connus pour expliquer l'augmentation du risque de tels phénomènes, même répétés (tabagisme, fausses couches antérieures, antécédent d'IVG ou de curetages ayant entraîné des adhérences de la paroi, infertilité, âge, antécédents infectieux).
En outre, un syndrome des SAPL est fortement suspecté chez Mme [V] et ce syndrome est connu dans la littérature médicale pour être responsable de façon autonome de fausses couches précoces à répétition.
Le rapport expertal indique " la présence d'auto-anticorps anti-Beta2glycoproteine1 de type IgM à 3 reprises espacées de 12 semaines permet d'affirmer selon la conférence de consensus de SAPPORO, modifié en 2006 à Sydney, que Mme [V] est atteinte d'une thrombophilie, le syndrome des anticorps antiphospholipides. Ce SAPL est un élément majeur de fausses couches spontanées précoces " (rapport d'expertise,p.19, pièce UCB II-52).
Le diagnostic de thrombophilie a été évoqué en 2010 par les médecins ayant suivi Mme [V] (pièce I-8), et des taux positifs d'anticardiolipines et beta-glycoprotéines1 positifs de type IgM ayant été diagnostiqués, ont justifié la mise en place d'un traitement par Aspégic et de Solupred par le Professeur [IE], poursuivi après confirmation de la persistance des IgM positifs pour les deux anticorps comme le confirme le dossier du docteur [F] du CHU de [Localité 8]. Ce traitement est confirmé comme étant celui communément adapté au SAPL selon le rapport d'expertise et la littérature médicale. La thrombophilie de Mme [I] [V] est donc établie sans qu'il soit besoin de ce point de vue de faire réaliser une autre expertise.
Il est rappelé que ce même docteur [IE] a écarté tout lien entre la malformation utérine et les fausses couches.
La présence d'anticorps anti-cardiolipines associés à des anticorps anti-beta-2-glycoprotéine 1 de type IgG ou 1gM augmenterait le risque de fausse couche précoce de 3,4 selon le Pr [G] selon la Revue Simcoxe et al. (pièce Ucb II-1) soit un risque deux fois plus élevé que celui induit par une exposition au DES(1,65) - à la supposer avérée.
Le syndrome des SAPL est une maladie auto-immune se caractérisant par la survenue de manifestations thromboemboliques. Les causes de ce syndrome au mécanisme peu connu sont multifactorielles. Ainsi, l'autorité de santé anglaise liste au nombre des facteurs de risques, des facteurs génétiques, mais également les infections virales telles que le cytomegalovirus ou parvovirus 19, les infections bactériennes comme le e.coli, certains médicaments comme la pilule contraceptive et enfin le tabac .
Le dossier médical de Mme [V] documente au moins deux de ces facteurs de risques :
- Une pilule contraceptive prescrite depuis 1992 (pièce Mme [V] I, 16) ;
- Un tabagisme actif, le dossier médical évoquant même la prise d'un paquet par jour au début des années 1990 (même pièce, dossier médical du docteur [R]).
Un lien entre ce syndrome et une exposition in utero au DES n'a jamais été évoqué dans la littérature scientifique, comme le rapport de l'expert judiciaire le relève : " il n'existe aucun article dans la littérature montrant qu'une exposition au DES favorise l'apparition du syndrome des anti-phospholopides ".(pièce UCB II-52, rapport d'expertise).
Dès lors, ces indices ne sont pas probants chez Mme [I] [V], les conclusions contraires de l'expert judiciaire ayant été justement écartées par le tribunal pour leurs contradictions internes non expliquées entre les motifs et la conclusion.
- La survenance d'une grossesse extra-utérine subie en juin 2007
Comme les fausses couches, les grossesses extra-utérine sont multi-factorielles et répandues dans la population non exposée à raison d'une femme sur 55 qui connaît un jour une grossesse extra-utérine.
Le rapport de l'expert judiciaire conclut dans une formulation équivoque au caractère 'vraisemblablement exclusif' de l'exposition au DES ce qui n'a pas de sens. Pour cette raison encore, la conclusion du rapport a été écartée à juste titre par le tribunal.
Sont connus comme facteurs de risques dans la population générale et non utilement contestés par Mme [I] [V] " deux principaux facteurs de risques de grossesse extra-utérine sans contraception : les antécédents d'infection génitale ou de chirurgie tubaire et le tabac. Sur le plan quantitatif leur rôle sur le risque de Grossesse extra-utérine sont semblables. Les autres facteurs de risque sont l'âge de la femme, les antécédents de fausse couche spontanée, d'interruption volontaire de grossesse, de contraception par stérilet et d'infertilité. L'ensemble de ces facteurs de risques explique 76% des Grossesse extra-utérine " (Pièce UCB II-25 et pièces II- 26 et II-27)
Or, le dossier médical de la demanderesse témoigne de l'existence de certains de ces risques, plus ou moins significatifs :
- le tabagisme, avec une addiction au tabac présente dès 1992 et jusqu'à 42 ans selon ses propres termes avec un paquet de cigarettes par jour (pièce Mme [V] I-16) ; il multiplie le risque par 3,
- deux fausses couches antérieures : la première intervenue en juin 2006 et la seconde en février 2007 (pièce Mme [V] I-19, p.19) ;
- un antécédent d'interruption volontaire de grossesse (pièce Mme [V] I-8) ;
- l'âge : cette grossesse extra-utérine intervient alors que Mme [V] est âgée de 37 ans ;
- les conséquences d'antécédents infectieux : le compte rendu de biopsie cervicale de 1997 évoque une cervicite virale associée à un HPV (pièce Mme [V] I-1).
En outre, Mme [I] [V] avait 37 ans lors de cette grossesse extra-utérine ce qui vient s'ajouter aux précédents facteurs de risques, même si leur importance relative n'est pas la même.
Curieusement, l'expert affirme que cette grossesse extra-utérine est totalement imputable au DES alors même qu'il recense les facteurs personnels prédisposant Mme [I] [V] à cet événement.
Le DES est considéré par le pré-rapport comme la cause exclusive sans qu'il soit tenu compte du fait que l'exposition n'est pas documentée, que le trajet, la morphologie et les plis muqueux des trompes de Mme [V] étaient tout à fait normaux, aucune des anomalies rapportées par DeCherney et al. dans l'étude invoquée par la plaignante n'étant présente et qu'elle est survenue après trois implantations intra-utérines normales.
Le Professeur [G] observe à cet égard que cela est donc exclusif d'une anomalie grave des trompes qui serait causée par une exposition au DES et même si celle-ci était avérée, cette exposition ne serait donc pas responsable de cette grossesse extra-utérine.
L'expert n'a répondu à aucune des objections formulées ci-dessus par un dire du Pr [G] du 6 mai 2019 (pièce 101 GSGP) et a seulement maintenu ses conclusions précédentes sans explication particulière.
Trop de facteurs autonomes peuvent expliquer cette grossesse extra-utérine comme les fausses couches pour en faire des indices suffisamment précis et concordants en faveur d'une exposition certaine au DES.
- La diminution de la réserve ovarienne considérée comme occulte par l'expert et constatée chez Mme [V] à l'âge de 39 ans ne sort pas de l'ordinaire et aucun lien de causalité entre exposition in utero et insuffisance ovarienne n'a en tout état de cause été scientifiquement prouvé. L'expert judiciaire conclut au lien de causalité tout en disant que 'ce n'est pas scientifiquement démontrable' et sans expliquer le caractère prétendûment occulte du phénomène, caractère qui n'est même pas revendiqué par le docteur [O], médecin expert de Mme [I] [V], et qui apparaît pour la 1e fois dans le rapport.
La ménopause de Mme [I] [V] à 48 ans alors qu'elle a eu des cycles normaux jusqu'à 47 ans n'est en rien occulte ni précoce , elle est dans la norme des femmes européennes.
La prise en charge de Mme [I] [V] pour une AMP a été tardive puisqu'en décembre 2009, elle avait presque 40 ans, âge où le taux de fertilité a fortement chuté depuis plusieurs années chez toutes les femmes.
L'article cité par Mme [I] [V], celui du Pr Christin- Maître, s'appuie sur une étude médicale de Hoover en 2011 qui vise une population de femmes ménopausées précocement ce qui n'est pas le cas de Mme [I] [V]. Elle vient en outre en contradiction avec les nombreuses références citées par la société Ucb Pharma du docteur [B], de Palmer de Hornsby et al., de Sanglai, de Dedecker et Quereux entre autres qui nient tout lien entre l'insuffisance ovarienne - à la supposer établie- et l'exposition au DES.
La diminution de la fertilité et de la réserve ovarienne ne constituent pas des indices venant compléter un tableau par ailleurs concordant en faveur d'une exposition au DES.
- L'appelante qui ne peut se contenter de la survenance de ces phénomènes multi-factoriels fort courants dans la population générale (troubles de la fertilité, fausses couches ou grossesse extra-utérine dont parfois la cause reste inexpliquée) pour asseoir la preuve de son exposition au DES avec un degré de certitude suffisant, verse aux débats les attestations de trois de ses tantes.
A leur lecture, la cour constate que Mme [L] tient ses renseignements selon lesquels '[J]' aurait eu des piqûres de Distilbène de la mère de Mme [V], Mme [M] aurait vu le médecin venu faire lesdites piqûres et Mme [W] aurait reçu les confidences du médecin venu aussi y procéder.
S'il peut en être raisonnablement inféré que la mère de Mme [V] a reçu des piqûres au temps de sa grossesse, il n'est pas possible de savoir de quel produit il s'agissait et il ne peut être question de se contenter de vagues probabilités reposant sur des témoignages humains apparus, non au temps des faits, mais au moment où une action judiciaire est engagée. L'existence du fait générateur doit être établi de façon certaine de même que le lien de causalité avec les dommages invoqués pour pouvoir prétendre à une indemnisation.
Ces attestations dont la sincérité n'est pas mise en doute mais la fiabilité considérée comme fragile, rédigées plus de 45 ans après les faits ce qui explique aisément leur caractère imprécis, ne permettent même pas d'identifier le nom pharmaceutique du traitement qui aurait été administré à la mère de Mme [V], comme l'ont constaté les experts (rapport d'expertise, p.38, pièce UCB II-52) alors que le terme de Distilbène a été employé comme terme générique de plusieurs molécules différentes ainsi que l'a très bien prouvé la société Ucb Pharma en introduction de ses écritures.
A la lecture du dossier médical de l'appelante, l'expert judiciaire et son sapiteur pharmacologue ont d'ailleurs constaté que " dans ce dossier, il n'y a aucune information permettant de connaître le nom pharmaceutique du produit incriminé " (rapport d'expertise, p.38, pièce UCB II-52).
La forme injectable de la molécule est en tout cas exclue s'agissant du Stilboestrol Borne (SBB) distribué par la société GSPS ce qui dégage sa responsabilité puisque Mme [I] [V] n'invoque que cette forme d'administration du produit .
Les attestations des tantes de l'appelante ne sont pas constitutives de présomptions graves, précises et concordantes d'une exposition à la molécule DES au sens de l'article 1353 du code civil.
Elles viendraient s'ajouter à des pièces médicales évoquant directement le syndrome du DES, soit celles du docteur [U] du 24 février 1992, celle du professeur [F] du CHU de [Localité 7] de 2009 et celle du médecin traitant de Mme [V] de mars 2017 mais comme les premiers juges l'ont justement souligné , ils ne font que reprendre les déclarations de Mme [I] [V], les médecins ne s'appuyant sur aucune information objective extérieure ou explications pour asseoir leurs affirmations de l'exposition.
Ces documents sont d'ailleurs moins affirmatifs qu'elle ne le dit comme il a été vu.
Ces éléments conjugués, qui auraient pu dans le principe suffire à prouver une exposition au DES, ne permettent donc pas de le démontrer de manière suffisamment certaine en l'espèce par des présomptions graves, précises et concordantes.
Les éléments de doute introduits par des études médicales produites aux débats sont trop nombreux et le jugement sera confirmé qui a considéré comme non suffisamment prouvée l'exposition au DES in utero de Mme [I] [V] ainsi que l'inutilité d'une nouvelle expertise alors que de très nombreuses études médicales sont très largement exposées et discutées par les parties.
L'examen des éventuelles fautes des deux intimées à l'origine des dommages invoqués n'a pas d'objet.
Sur le préjudice d'anxiété
Mme [I] [V] sollicite une indemnisation de 70 000 euros au titre d'un préjudice d'anxiété.
Elle fait valoir qu'il s'agit d'un préjudice corporel et que seules les dispositions de l'article 2226 du code civil sont applicables, rendant son action parfaitement recevable.
Sur le fond, elle expose que les experts ont relevé la nécessité d'un suivi régulier de sa part en relevant que " Maintenant même si cela n'est pas démontré, elle vit dans la peur de contracter un cancer du sein. Ces événements constituent un préjudice d'angoisse exceptionnel. " (rapport page 34)
Elle invoque le fait que le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a confirmé le caractère cancérigène certain du diéthylstilbestrol (DES) chez les filles des femmes exposées au DES pendant leur grossesse et que les études publiées sont suffisantes pour justifier des examens de contrôles recommandés par l'ANSM (ex-Afssaps).
Elle liste les pathologies dont elle est menacée du fait de son exposition in utero au DES : le risque d'adénocarcinome à cellules claires, le risque de cancer du sein, les risques de CIN (dysplasies cervicales) au titre de 'cofacteur favorisant la prolifération de l'HPV selon le CIRC OMS', le risque de cancer du pancréas, le risque cardiaque.
Mme [V] justifie être maintenant régulièrement suivie par frottis et mammographies et le docteur [X] son médecin traitant depuis 26 ans certifie le 6 octobre 2021: " Elle consulte régulièrement notamment pour des anticipations anxieuses, liées à son histoire gynécologique "
Le docteur [K] qui l'a suivie de septembre 2006 à septembre 2021 certifie le 13 mai 2022 " l'avoir vue en consultation pour un travail de deuil par rapport à une grossesse (mère a eu un traitement par distilbène pendant la grossesse de la patiente). Une peur de maladie en particulier du cancer. Le contexte distilbène majore cette peur. La patiente consulte de façon ponctuelle pour des crises d'angoisses "
Enfin, elle produit de nombreuses attestations de personnes proches dont celle d'une amie de 30 ans , Mme [H], qui atteste de l'anxiété massive de Mme [I] [V] lors du suivi par échographies mammaires et de sa crainte de développer un cancer du sein ce que confirme Mme [D], voisine et amie de Mme [I] [V] depuis 2013.
En réponse, la société Ucb Pharma considère la demande prescrite et en tout état de cause, infondée. Elle fixe le point de départ de la prescription en 1984 dès que Mme [I] [V] a eu connaissance de son exposition au DES ce qui rendrait l'action largement prescrite en 2017.
La société GSGP s'associe à cette exception de prescription en fixant un autre point de départ du délai pour agir, soit en 1992, au début du parcours de soins de Mme [I] [V].
Sur le fond, elle dit le préjudice non caractérisé.
Sur ce,
Sur la prescription :
Le préjudice d'anxiété est un préjudice moral ce qui, en tant que préjudice autonome, ne se confond pas avec les souffrances endurées ni avec le déficit fonctionnel temporaire ou permanent.
Les demandes tendant à son indemnisation se prescrivent selon le droit commun.
Le délai de prescription de droit commun, applicable en l'espèce, est passé de 10 à 5 ans à compter du 18 juin 2008 , date de l'entrée en vigueur de la réforme du 17 juin 2008 et en vertu de l'article 2224 du code civil, le point de départ du délai pour agir n'est donc pas le jour de la consolidation mais le jour où la plaignante a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du dommage , peu important que le dommage perdure dans le temps ce qui ne le rend pas imprescriptible.
Mme [I] [V] a fourni elle-même une attestation de son thérapeute certifiant qu'elle aurait suivi une thérapie commencée en septembre 2006 en raison des angoisses sur l'avenir de sa santé liée au risque d'imprégnation in utero au DES.
Mais force est de constater que de son propre aveu, l'anxiété ressentie trouve son origine dans cette exposition dont elle affirme "avoir toujours eu connaissance" et "bénéficier ['] dans ce sens d'un suivi gynécologique précoce avec une colposcopie systématique à 22 ans" (pièce n° 8, rapport d'expertise page 4), c'est-à-dire dès 1992. Le point de départ de la prescription doit donc être fixé au plus tard en 1992.
L'action était donc largement prescrite en 2017.
Sur les demandes accessoires :
Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont confirmées.
Il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge des frais irrépétibles engagés pour l'instance d'appel.
Succombant, Mme [I] [V] sera condamnée aux dépens avec recouvrement direct selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette les demandes d'expertises médicales de Mme [I] [V],
Déboute Mme [I] [V] de sa demande liée à la réparation d'un préjudice d'anxiété,
Déboute l'ensemble des parties de leurs demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en remboursement de leurs frais irrépétibles engagés pour l'instance d'appel,
Déclare l'arrêt opposable à la CPAM de [Localité 6],
Condamne Mme [I] [V] aux dépens d'appel avec recouvrement direct selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame F. PERRET, Président et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,