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26/03/2024 | FRANCE | N°21/06966

France | France, Cour d'appel de Versailles, Ch civ.1-4 expropriation, 26 mars 2024, 21/06966


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 70H



Ch. civ 1-4 expropriations



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 26 MARS 2024



N° RG 21/06966 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U3GW



AFFAIRE :



Société TRANSPORTS LOCATIONS SERVICES ENVIRONNEMENT (TSLE), venant aux droits de la Société [Localité 6] BEZONS TRANSPORTS (ABTRANS)

et autre



C/

S.A. SNCF VOYAGEURS





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Octobre 202

1 par le juge de l'expropriation de PONTOISE

RG n° : 21/21



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Laure-Eva GABSI,



Me Michèle DE KERCKHOVE,



M. [U] [K] (Commissaire du gouver...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 70H

Ch. civ 1-4 expropriations

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 MARS 2024

N° RG 21/06966 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U3GW

AFFAIRE :

Société TRANSPORTS LOCATIONS SERVICES ENVIRONNEMENT (TSLE), venant aux droits de la Société [Localité 6] BEZONS TRANSPORTS (ABTRANS)

et autre

C/

S.A. SNCF VOYAGEURS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Octobre 2021 par le juge de l'expropriation de PONTOISE

RG n° : 21/21

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Laure-Eva GABSI,

Me Michèle DE KERCKHOVE,

M. [U] [K] (Commissaire du gouvernement)

et les parties

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société TRANSPORTS LOCATIONS SERVICES ENVIRONNEMENT (TSLE), agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, venant aux droits de la Société [Localité 6] BEZONS TRANSPORTS (ABTRANS)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Laure-Eva GABSI, Postulant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 140 et Me Emma VERDIER-VILLET de la SELAS AGN AVOCATS PARIS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Société LE GUELMA agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Laure-eva GABSI, Postulant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 140 et Me Emma VERDIER-VILLET de la SELAS AGN AVOCATS PARIS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTES

****************

S.A. SNCF VOYAGEURS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentant : Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.26 et Me François-charles BERNARD de l'AARPI FRECHE ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R211 substitué à l'audience par Me Benjamin GIRAUDAT, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE

****************

Les fonctions du COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT étant exercées par Monsieur [U] [K], direction départementale des finances publiques .

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Février 2024, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Raphaël TRARIEUX, président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président,

Madame Séverine ROMI, Conseiller,

Madame Agnès PACCIONI, Vice-présidente placée

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Kalliopi CAPO-CHICHI

****************

La SNCF Voyageurs procède à une éviction portant sur un bail commercial conclu initialement au bénéfice des sociétés Le Guelma et Abtrans, portant sur un terrain nu d'une superficie de 1 800 m² situé sur les parcelles sises [Adresse 1] et [Adresse 3], aux fins d'y installer un atelier de maintenance. La société Abtrans ayant été dissoute, son activité a été reprise par la société Loca-Bennes puis par la société Transports Locations Services Environnement, ci-après dénommée 'société TLSE'. L'ordonnance d'expropriation a été rendue le 3 juin 2019.

Saisi par la SNCF Voyageurs selon requête datée du 13 avril 2021, le juge de l'expropriation de Pontoise a par jugement en date du 1er octobre 2021, qui sera signifié le 12 octobre 2021 :

- donné acte à la société TLSE de son intervention volontaire ;

- débouté la société TLSE de ses prétentions ;

- fixé l'indemnité due en principal à la société Le Guelma à 68 546,70 euros, en ce compris une indemnité principale de 43 347 euros représentant un an de loyers, une indemnité de remploi de 2 034,70 euros, et une somme de 22 015 euros au titre du trouble commercial ;

- sursis à statuer sur les indemnisations dues à la société Le Guelma au titre des frais de déménagement, et des indemnités de licenciement ;

- débouté la société Le Guelma de ses autres demandes ;

- condamné la SNCF Voyageurs à payer à la société Le Guelma la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration en date du 29 octobre 2021, parvenue au greffe de la Cour d'appel de Versailles le 2 novembre 2021, la société Le Guelma et la société TLSE ont relevé appel de ce jugement.

En leur mémoire parvenu au greffe le 31 janvier 2022, et notifié par ce dernier par des lettres recommandée avec avis de réception dont le commissaire du gouvernement et la SNCF Voyageurs ont accusé réception le 1er février 2022, les appelantes exposent :

- que la société Le Guelma et la société Abtrans ont conclu un bail commercial avec la société Osmose ;

- que le 17 septembre 2018, le bien de ladite société a été cédé à la SCI Henriques, laquelle a repris le bail ;

- que la société Abtrans ayant été dissoute, son activité a été reprise par la société Loca-Bennes puis la société TLSE, avec l'accord verbal de la société Osmose puis de la SCI Henriques ;

- que si le premier juge a refusé d'indemniser la société TLSE au motif qu'aucun accord écrit n'avait été passé entre elle et la bailleresse, sa présence sur le terrain n'est pas contestée, et elle a poursuivi l'exécution du bail commercial initial dans les mêmes conditions que les sociétés Abtrans et Loca-Bennes ;

- que la société TLSE, titulaire du bail, et destinataires de factures de location, a donc droit à une indemnisation ;

- qu'elle réclame à ce titre une indemnité principale égale à 80 % du chiffre d'affaires soit 325 000 euros, ainsi qu'une indemnité de remploi de 27 850 euros ;

- qu'elle sollicite également une indemnité pour trouble commercial égale à 15 jours de chiffres d'affaires soit 22 124 euros et 5 000 euros pour frais divers ;

- que s'agissant de l'indemnité pour licenciement, il échet de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de justificatifs ;

- que concernant la société Le Guelma, il s'avère que contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, aucun terrain disponible ne lui permettra de poursuivre son activité dans les mêmes conditions ; qu'elle ne peut donc pas conserver sa clientèle actuelle ; que son activité d'achat, vente et réparation de palettes ne peut s'exercer qu'à l'extérieur ;

- que les références sur lesquelles s'est basé le tribunal portent sur des entrepôts et des hangars et ne sont donc pas pertinentes ;

- que dès lors, et dans la mesure où elle prend l'engagement de ne pas se réinstaller, la société Le Guelma peut prétendre au versement d'une indemnité correspondant à la valeur de son fonds de commerce, soit 45 % du chiffre d'affaires (200 000 euros), outre une indemnité de remploi de 18 850 euros, une indemnité pour trouble commercial de 22 015 euros, 5 000 euros au titre des frais divers, et 36 396 euros représentant les frais de déménagement, un sursis à statuer devant être ordonné au titre des indemnités de licenciement ;

- subsidiairement, que si la valeur du droit au bail devait être retenue, la somme de 82 653 euros serait due, outre l'indemnité de remploi (5 695 euros) et les autres indemnités susvisées.

Les appelantes demandent en conséquence à la Cour :

- d'annuler le jugement en ce qu'il a débouté la société TLSE de ses demandes ,

- d'infirmer ledit jugement, et d'allouer :

* à la société TLSE les sommes de 325 000 euros (indemnité principale), 27 850 euros (indemnité de remploi), 22 124 euros (indemnité pour trouble commercial), et 5 000 euros (indemnité pour frais divers), un sursis à statuer étant ordonné du chef des indemnités de licenciement ;

* à la société Le Guelma les sommes de 200 000 euros ou subsidiairement 82 653 euros (indemnité principale), 18 850 euros ou subsidiairement 5 695 euros (indemnité de remploi), 22 015 euros (indemnité pour trouble commercial), 5 000 euros (indemnité pour frais divers), 30 330 euros (indemnité de déménagement), un sursis à statuer étant ordonné du chef des indemnités de licenciement ;

- la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans son mémoire parvenu au greffe le 26 avril 2022 et qui a été notifié par le greffe par des lettres recommandées datées du 26 avril 2022 dont les appelantes et le commissaire du gouvernement ont accusé réception respectivement les 27 avril et 3 mai 2022, la SNCF Voyageurs réplique :

- que les prétentions de la société TLSE se heurtent à la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir, la publicité relative à l'expropriation de même que la procédure liée à la déclaration d'utilité publique ayant été menées sans que l'intéressée se fasse connaître ;

- que les appelantes se sont maintenues dans les lieux après le prononcé du jugement dont appel, si bien qu'une décision rendue dans le cadre de la procédure accélérée au fond ordonnant l'expulsion de la société Le Guelma a été rendue le 11 février 2022 ; que de plus, une ordonnance de référé datée du 4 février 2022 a ordonné l'expulsion de la société TLSE ;

- que le bail dont était titulaire la société Abtrans n'a pas fait l'objet d'une reprise par la société TLSE même si l'intéressée aurait, à ses dires, repris son activité, alors même que l'une des clauses du bail prohibait toute cession du bail sans le consentement du bailleur ;

- que le jugement a justement relevé que la société TLSE n'était titulaire d'aucun bail ; qu'il apparaît qu'elle s'est installée sur le site, une partie du terrain étant mise à sa disposition par la société Le Guelma ;

- que la société TLSE ne peut d'autant moins prétendre à une indemnité que la société Abtrans n'aurait elle-même pas pu le faire ;

- qu'il n'est pas établi que les appelantes ne veulent pas se réinstaller, si bien que l'indemnité qui pourrait leur revenir serait calculée en fonction du droit au bail, soit 0 euro pour la société TLSE ;

- que celle-ci ne justifie pas du montant de ses demandes ; que seule l'absence de réinstallation et donc de poursuite d'activité peut fonder une indemnisation en valeur du fonds de commerce ;

- que s'agissant de la société Le Guelma, elle a la possibilité de se réinstaller à proximité, contrairement à ce qu'elle prétend ; que des locaux sont proposés à la location sur la commune d'[Localité 6], ou à proximité ;

- qu'en conséquence une indemnisation en valeur 'fonds de commerce' est impossible ; que dans ses calculs, la société Le Guelma utilise des ratios qui ne sont pas adaptés ;

- que l'indemnité principale a été justement évaluée à un an de loyer ;

- que l'indemnité de remploi doit être fixée en fonction du droit au bail ;

- que la demande pour frais divers doit être rejetée ;

- que l'indemnité de déménagement doit être fixée à 20 000 euros ;

- que s'agissant des indemnités de licenciement, faute de lien entre ce dernier et l'expropriation il y a lieu de rejeter la demande ;

- que la date de référence est le 18 septembre 2018 soit un an avant l'ouverture de l'enquête d'utilité publique.

La SNCF Voyageurs demande en conséquence à la Cour de :

- déclarer irrecevables les prétentions de la société TLSE, les rejeter ;

- confirmer le jugement ;

- subsidiairement, fixer à 15 980,18 euros l'indemnité de dépossession due à la société TLSE pour trouble commercial ;

- très subsidiairement, lui allouer la somme maximale de 156 862 euros, soit : 129 119,89 euros (indemnité principale), 11 762 euros (indemnité de remploi), 15 980,18 euros (indemnité pour trouble commercial, réévaluable), un sursis à statuer étant ordonné du chef des indemnités de licenciement ;

- rejeter les prétentions de la société Le Guelma, considérant que les indemnités qui lui ont été allouées sont suffisantes ;

- prononcer un sursis à statuer du chef des indemnités de déménagement, ou les fixer à la somme de 20 000 euros ;

- condamner les appelantes au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de mémoire.

Par courrier en date du 1er mars 2024, la Cour a soulevé d'office l'irrecevabilité des pièces complémentaires qui ont été déposées par les appelantes le 26 février 2024.

Par message du 4 mars 2024 le conseil des appelantes a indiqué qu'il s'agissait de pièces remises tardivement par leurs clientes, et qu'admettre qu'elles soient versées aux débats permettrait d'éviter un sursis à statuer.

Par message du 5 mars 2024, la SNCF Voyageurs a soutenu que les pièces en question étaient irrecevables pour ne pas avoir été versées aux débats en même temps que les premières conclusions d'appelantes, que le greffe n'avait pas eu le temps de les notifiers aux parties adverses, et que l'article 15 du code de procédure civile avait ainsi été méconnu.

MOTIFS

En vertu de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

En l'espèce les appelantes ont déposé de nouvelles pièces le 26 février 2024 soit la veille de l'audience, et le greffe n'a matériellement pas eu le temps de les notifier aux parties adverses comme prévu à l'article R 311-26 dernier alinéa du code de l'expropriation. En outre, l'intimée fait valoir à juste titre que les pièces doivent être versées aux débats en même temps que le premier mémoire. Elles seront en conséquence déclarées irrecevables.

L'indemnité d'éviction est due uniquement au commerçant régulier bénéficiaire du droit au renouvellement prévu par les articles L 145-1 et suivants du code de commerce, car le fondement de ladite indemnité est la résolution, par l'ordonnance d'expropriation, du bail du locataire. Un simple occupant précaire, ou temporaire, ne bénéficie nullement du droit au renouvellement. Par ailleurs, un sous-locataire ne peut prétendre au versement d'une indemnité que s'il s'agit d'une véritable sous-location et que le propriétaire a concouru au contrat y relatif.

Il résulte des pièces produites que selon acte sous seing privé du 12 septembre 2014, la société Osmose a consenti aux sociétés Le Guelma et Abtrans un bail commercial sur le terrain de 1 800 m² dont s'agit ; il était stipulé que les preneurs ne pourraient en aucun cas et sous aucun prétexte céder le droit au bail ni sous-louer en tout ou partie les lieux loués, sans le consentement exprès et par écrit du bailleur. Il s'avère que par courrier en date du 22 décembre 2016, les sociétés Le Guelma et Abtrans ont informé ce dernier de ce que cette dernière serait dissoute et remplacée par la société Loca-Bennes en formation ; le 13 novembre 2018, elles ont informé le bailleur de ce que la société TLSE serait créée et remplacerait la société Loca-Bennes sur le terrain sans aucune modification du bail.

Force est de constater que la société Osmose n'a jamais consenti à ces cessions de bail, alors que n'est produite aucune facture de loyers émanant d'elle qui tendrait à prouver le contraire. Quant à la société Henriques, elle n'a pas non plus donné son accord pour que partie du terrain dont s'agit soit louée à la société TLSE, et d'ailleurs dans ses écritures celle-ci se borne à évoquer un accord verbal, au demeurant nullement démontré. La Cour observe en outre que suivant ordonnance de référé en date du 4 février 2022, le président du Tribunal judiciaire de Pontoise a constaté l'occupation sans droit ni titre de la parcelle par la société TLSE et ordonné son expulsion immédiate et sans délai, après avoir relevé que l'intéressée se 'prétendait' sous-locataire.

Dans ces conditions, la société TLSE ne saurait prétendre à aucune indemnité et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble de ses prétentions.

S'agissant de la société Le Guelma, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée qui s'impose au juge français, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

Aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la réserve d'une juste et préalable indemnité.

En vertu de l'article L 321-1 du code de l'expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

L'administration n'achète pas, à proprement parler, le fonds de commerce, vu qu'elle ne se substitue pas au commerçant et ne va pas continuer son exploitation. L'expropriation a pour effet d'éteindre le droit au bail et de contraindre le commerçant à transférer son exploitation dans d'autres locaux, en conservant certains éléments, à moins que sa réinstallation ne soit impossible.

Seul est indemnisable le préjudice direct et certain, né de l'expropriation, si bien que doit être allouée au commerçant la valeur entière de son fonds s'il ne désire pas se réinstaller, ou une indemnité lui permettant de le faire dans les mêmes conditions, dans le cas contraire. La société Le Guelma soutient dans ses écritures qu'en l'absence de terrain nu à proximité de la zone industrielle du Val d'Argent, elle ne peut pas conserver sa clientèle actuelle ; devant le juge de l'expropriation et devant la Cour, elle a pris l'engagement de ne pas se réinstaller dans un périmètre d'un km autour de la parcelle expropriée, durant un an.

Son activité d'achat/vente de palettes nécessite un terrain nu d'une superficie de 1 500-2 500 m² pour les stocker et permettre aux acquéreurs de les charger directement dans des camions, avec seulement un hangar de taille modeste permettant de les réparer, et ce, à [Localité 6] ou à proximité.

Ont été produites diverses annonces portant sur :

- un terrain de 5 000 m² à [Localité 7] accessible aux véhicules poids lourds (36 euros/m²/an) ;

- un terrain de 10 500 m² viabilisé et bitumé, sur site sécurisé, sis à [Localité 10] (35 euros/m²/an) ;

- un terrain de 2 000 m² sis à [Localité 13] avec un accès semi-remorque ;

- un bien composé d'une cellule d'activité /stockage de 1 100 m² dont 150 m² de bureaux (85 euros/m²/an) ; il ne s'agit pas d'un terrain nu ;

- des entrepôts de 1 453 m², 1 125 m², 1 192 m² sis à [Localité 6] (70, ou 85 euros/ m²/an); il ne s'agit pas non plus de terrains nus ;

- un terrain sis à [Localité 8], d'une surface de 3 000 à 9 286 m² (20 euros/m²/an) ;

- un terrain nu de 40 000 m² sis à [Localité 12], divisible à partir de 10 000 m², avec accès poids lourds (12 euros/m²/an) ;

- un terrain de 30 000 m² non divisible sis à [Localité 12] ( 7 euros/m²/an) ;

- un terrain nu de 3 000 m² sis à [Localité 9], gravillonné et sécurisé.

Les communes de [Localité 11], [Localité 10] et [Localité 13] sont distantes. Si certains biens ne sont pas des terrains nus, leurs caractéristiques démontrent qu'il est possible, et même aisé, d'y faire rentrer des véhicules destinés à charger des palettes. Contrairement à ce qu'avance la société Le Guelma, elle n'a pas nécessairement besoin d'un terrain nu. En outre de tels terrains sont disponibles dans des communes proches d'[Localité 6], [Localité 7] étant situé à 12,5 km et [Localité 8] à 13,7 km, voire à [Localité 6] même. Par ailleurs, devant le premier juge, la société Le Guelma avait affirmé qu'elle avait trouvé un terrain à [Localité 5], commune située à une vingtaine de kilomètres, et il ne peut pas être soutenu avec pertinence que cette distance est trop importante pour qu'elle puisse conserver des liens réguliers avec les artisans, commerçants et grossistes qui lui fournissent ou achètent des palettes.

Il faut dès lors considérer que la société Le Guelma peut se réinstaller dans des conditions satisfaisantes, et ce d'autant plus que le bien dont elle a besoin ne requiert aucune spécificité quant aux aménagements.

Toutefois, dès lors qu'elle prend l'engagement (devant le Tribunal et réitéré devant la Cour) de ne pas se réinstaller, l'indemnité à elle due peut être calculée d'après la valeur du fonds et non pas celle du droit au bail comme l'a fait le premier juge.

En application de l'article L 321-3 du code de l'expropriation le jugement distingue, dans la somme allouée à chaque intéressé, l'indemnité principale et, le cas échéant, les indemnités accessoires en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées.

La consistance du fonds, en application des dispositions de l'article L 322-1 du code de l'expropriation, est appréciée à la date de l'ordonnance d'expropriation (soit au 3 juin 2019) :

- portant transfert de propriété, en ce qui concerne le propriétaire des murs ;

- et éteignant tous droits personnels, soit le bail commercial, en ce qui concerne le preneur à bail et exploitant du fonds ;

conformément à l'article L 222-2 du code de l'expropriation.

En vertu des dispositions de l'article L 322-2 du même code, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance (ici le 1er octobre 2021), seul étant pris en considération - sous réserve de l'application des articles L 322-3 à L 322-6 dudit code - leur usage effectif à la date définie par ce texte. La date de référence doit être fixée au 17 septembre 2018, date à laquelle est devenue opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.

Pour évaluer le fonds de commerce, s'agissant d'une activité d'achat, vente et stockage de palettes, le barème habituellement utilisé est de 30 % à 45 % du chiffre d'affaires. La situation du bien est satisfaisante, sans pour autant être extrêmement favorable comme la société Le Guelma le soutient dans ses écritures, si bien qu'un taux de 30 % sera retenu. La somme de 440 299 euros x 30 % soit 132 089 euros sera ainsi allouée à l'intéressée, par infirmation du jugement.

Selon les dispositions de l'article R 322-5 du code de l'expropriation, l'indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition de biens de même nature moyennant un prix égal au montant de l'indemnité principale. Sont également pris en compte dans le calcul du montant de l'indemnité les avantages fiscaux dont les expropriés sont appelés à bénéficier lors de l'acquisition de biens de remplacement.

L'indemnité de remploi est calculée selon la jurisprudence habituelle comme suit :

5 % entre 0 et 23 000 euros : 1 150 euros

10 % sur le surplus : 10 908 euros

soit 12 058 euros.

L'indemnité pour trouble commercial répare le préjudice résultant de l'interruption temporaire de l'activité du commerçant qui, exploitant son fonds dans un immeuble exproprié, se trouve dans la nécessité de le remplacer. Ce dommage n'est pas réparé par les deux indemnités susvisées. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à la société Le Guelma la somme de 22 015 euros.

La société Le Guelma réclame également une indemnité de 5 000 euros pour frais divers, faisant valoir qu'elle devra engager des frais de papeterie, publicité, installation téléphonique, informatique et autre, générés par le transfert. Il est exact que l'intéressée aura des frais à engager de ces chefs, mais ils sont nécessairement inclus dans l'indemnité de remploi qui a vocation à couvrir les frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition de biens de même nature.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande.

Une indemnité de déménagement peut être réclamée pour couvrir le commerçant évincé des frais de déménagement de divers équipements, du mobilier commercial et du matériel, ainsi que des stocks (qui seront conservés, en toute hypothèse, par la société Le Guelma, l'autorité expropriante n'en prenant nullement possession). Ladite société verse aux débats deux devis ; sera retenu celui de la SA Global à hauteur de 35 592 euros TTC, somme qui sera allouée à la société Le Guelma, le jugement étant infirmé sur ce point.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé un sursis à statuer du chef de la demande relative aux licenciements, l'appelante ne pouvant chiffrer son préjudice à ce jour.

La SNCF Voyageurs, qui succombe, sera condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

- DÉCLARE irrecevables les pièces déposées par la société Le Guelma et la société TLSE le 26 février 2024 ;

- INFIRME le jugement en date du 1er octobre 2021 en ce qu'il a fixé à 68 546,70 euros l'indemnité de dépossession due à la société Le Guelma et en ce qu'il a ordonné un sursis à statuer au titre des indemnités de déménagement ;

et statuant à nouveau :

- FIXE à 132 089 euros l'indemnité principale, à 12 058 l'indemnité de remploi, et à 35 592 euros TTC l'indemnité de déménagement dues à la société Le Guelma ;

- CONFIRME le jugement pour le surplus ;

- CONDAMNE la SNCF Voyageurs à payer à la société Le Guelma la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la SNCF Voyageurs aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président et par Madame Kalliopi CAPO-CHICHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Ch civ.1-4 expropriation
Numéro d'arrêt : 21/06966
Date de la décision : 26/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-26;21.06966 ?
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