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25/03/2024 | FRANCE | N°21/02749

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-3, 25 mars 2024, 21/02749


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 25 MARS 2024



N° RG 21/02749 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UXTS



AFFAIRE :



[J] [E]



C/



S.A.S. KONICA MINOLTA BUSINESS SOLUTIONS FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Juillet 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Sec

tion : E

N° RG : F 20/00029



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Franck LAFON



Me Fabrice LAFFON de la AARPI FLS Associés







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT CIN...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 MARS 2024

N° RG 21/02749 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UXTS

AFFAIRE :

[J] [E]

C/

S.A.S. KONICA MINOLTA BUSINESS SOLUTIONS FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Juillet 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Section : E

N° RG : F 20/00029

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Franck LAFON

Me Fabrice LAFFON de la AARPI FLS Associés

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [J] [E]

né le 21 Janvier 1972 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Nathalie KELYOR, Plaidant, avocat au barreau de MEAUX, vestiaire : 161

Représentant : Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618

APPELANT

****************

S.A.S. KONICA MINOLTA BUSINESS SOLUTIONS FRANCE

N° SIRET : 302 695 614

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Fabrice LAFFON de l'AARPI FLS Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P204

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Président,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller,

Madame Michèle LAURET, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

FAITS ET PROCÉDURE

La société par actions simplifiée Konica Minolta Business Solutions France exerce des activités de vente, location, maintenance de matériels bureautiques informatiques au travers de différents réseaux de distribution ainsi que le développement de ces matériels. Elle comptait plus de 11 salariés au moment du licenciement.

M. [E] a été engagé par la société Konica Minolta en qualité de responsable du développement des ventes marché sécurité par contrat de travail à durée indéterminée du 20 avril 2017 à effet du 1er août 2017. Il était soumis à un forfait annuel de 214 jours de travail effectif par an. Sa rémunération mensuelle brute était de 5'833,34 euros.

La convention collective applicable à la relation de travail était la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.

Par LRAR du 18 juillet 2019, la société Konica Minolta a convoqué M. [E] à un entretien préalable à un licenciement, qui s'est tenu le 31 juillet 2019 et lui a notifié sa mise à pied conservatoire.

Par LRAR du 5 août 2019, la société Konica Minolta a notifié à M. [E] son licenciement pour faute grave en ces termes':

«'Monsieur,

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 18 juillet 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 31 juillet suivant

Vous vous êtes présenté à cet entretien assisté de Monsieur [P] [C], membre du Comité Social et Economique de Konica Minolta Business Solutions France.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les différents griefs qui nous amenaient à envisager la rupture de votre contrat de travail,

Ainsi, cet entretien préalable n'a pas été de nature à modifier notre appréciation de la situation, bien au contraire.

Nous vous informons donc que nous sommes au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave fondé sur les motifs exposés ci-après. 

Nous rappelons que vous avez été embauché à compter du 1er août 2017 en qualité de Responsable du Développement des Ventes Marché Sécurité avec pour principales fonctions de :

- Définir la stratégie marketing et commerciale,

- Piloter les actions associées afin d'atteindre les objectifs,

- Conceptualiser et construire le contenu des supports de présentation et de commercialisation de l'offre en France à l'attention des commerciaux et clients/prospects.

Votre recrutement est intervenu pour assurer le développement d'un marché sur lequel la Société KMBSF n'était pas encore implantée, de sorte que vous avez bénéficié d'une grande autonomie pour assurer vos fonctions avant que nous ne décidions de davantage structurer notre activité à travers la constitution d'une équipe dédiée à partir d'avril 2019.

Il vous incombait de pleinement vous intégrer à cette équipe et nous comptions sur votre expérience du marché pour amplifier le développement escompté.

Votre supérieur hiérarchique a cependant rapidement remarqué vos difficultés à vous inscrire dans un travail en équipe et plus encore à appréhender le lien hiérarchique.

Vous lui êtes ainsi apparu distant, peu impliqué, extrêmement réticent à partager votre activité et plus encore à vous conformer à ses directives.

C'est dans le prolongement que nous avons découvert que vous aviez parallèlement développé votre propre entreprise d'expertise et de conseil à destination des entreprises, offrant dans ce cadre des prestations que la Société KMBSF est également amenée à proposer.

Après interrogation du Greffe du Tribunal de Commerce de MEAUX nous avons appris que vous étiez associé unique et seul représentant légal de la SASU ADEQUATE FRANCE, qui a généré en 2017 un chiffre d'affaires de 215 000 euros, pour un résultat de 41 000 euros.

L'article 8-1 de votre contrat de travail, «'exclusivité et loyauté'» prévoit :

«'Pendant toute la durée du présent contrat, Monsieur [J] [E] sera tenu à une obligation de loyauté à l'égard de la Société.

Pendant toute la durée d'exercice de ses fonctions au sein de la Société, Monsieur [J] [E] s'engage à n'exercer directement ou indirectement à aucun moment, une quelconque activité de quelque nature qu'elle soit, pour le compte d'une autre Société ou entité étrangère au Groupe auquel appartient la Société Konica Minolta Business Solutions FRANCE.'».

Vous avez de toute évidence enfreint cette obligation contractuelle pourtant essentielle et c'est dès la découverte de ces faits portés à notre connaissance (et dont vous vous êtes abstenu de nous informer de votre côté), le 16 juillet 2019, que nous avons décidé de vous convoquer à cet entretien préalable.

Nous soulignons d'ailleurs que cette disposition contractuelle interdit l'exercice de toute activité pour le compte d'une société étrangère au Groupe auquel nous appartenons, et ce pendant toute la durée de votre contrat de travail, peu importe la nature ou le secteur de cette activité parallèle.

Le seul fait de développer votre Société commerciale parallèlement à l'exercice de votre activité salariée au sein de l'entreprise enfreint donc les dispositions contractuelles.

Plus encore, à l'examen du site internet de votre entreprise, il nous apparaît que les prestations proposées par la Société ADEQUATE FRANCE peuvent recouper celles proposées par la Société KMBSF et notamment par vous pour le compte de notre entreprise.

Ainsi, la Société Adequate France propose un «'service d'accompagnement commercial personnalisé pour les entreprises ».

Le site internet de la société évoque : « notre expérience et la diversité de nos compétences apportent de véritables solutions aux problématiques de nos clients à travers une offre diversifiée pour répondre à des besoins sur mesure'».

Nous ne pouvons donc exclure que vous utilisiez vos activités salariées pour développer votre entreprise (ses résultats sont d'ailleurs significatifs pour une société récemment constituée) au préjudice direct de la Société KMBSF (et ce d'autant que jusqu'à peu vous bénéficiez d'une grande latitude dans l'exercice de vos activités).

Vous avez d'ailleurs perdu récemment un certain nombre de dossiers alors que nous vous avions communiqué les informations stratégiques vous permettant de positionner la Société KMBSF.

Nos craintes à cet égard sont d'autant plus fondées que vous avez agi à notre insu, en vous abstenant de nous informer ; ce comportement induit donc a contrario que vous entendiez nous dissimuler vos agissements.

Il y a, à nos yeux, dans ces agissements une violation de l'obligation de loyauté que nous jugeons inconciliable avec la poursuite de notre collaboration, en particulier avec un cadre investi de vos responsabilités.

Au-delà, vous devez comprendre que dans la mesure où nous savons désormais que vous exercez une activité parallèle à votre activité salariée, il nous apparaît que vous n'êtes plus en mesure de respecter les temps de repos prévus part votre convention de forfait jours, ce qui expose la Société KMBSF à une violation de son obligation de sécurité de résultat.

Il n'est pas envisageable pour l'entreprise, au regard de l'importance d'une telle obligation, de s'en départir et de méconnaître les dispositions impératives relatives à la durée du travail.

Enfin, ce licenciement est également fondé au regard de votre comportement en marge de la structuration de notre activité «'Marché Sécurité'».

En effet, vous apparaissez depuis lors totalement réfractaire au respect du lien hiérarchique, dans la mesure où vous refusez de reporter régulièrement votre activité et vous n'appliquez pas les directives qui vous sont données, persévérant dans une attitude individualiste qui ne peut perdurer.

Nous sommes en effet très attachés au travail en équipe, et alors que le développement de notre activité sur le secteur pour lequel vous intervenez nous conduit désormais à constituer une équipe dédiée, nous ne pouvons accepter une démarche solitaire de votre part de nature à annihiler les efforts entrepris.

Au cours de l'entretien préalable vous avez fait état de votre désaccord avec la stratégie de KMBSF, prenant notamment l'exemple de la structuration de cette équipe dédiée, et de ce que vous avez déploré comme une prétendue absence d'information à votre égard concernant la constitution de cette équipe.

Nous prenons acte du désaccord que vous exprimez, mais contestons vivement les tentatives de justifications que vous mettez en avant, et qui reposent sur des inexactitudes : en effet, nous disposons d'écrits de votre part dans lesquels vous nous faites part de votre satisfaction quant aux moyens que nous mettions en 'uvre à travers notamment la constitution de cette équipe démontrant ainsi notre volonté de développer ce marché.

Vous comprendrez donc que les faits dont nous venons de faire le constat ruinent définitivement la confiance inhérente à la collaboration avec un cadre de votre niveau, et que les éléments évoqués ci-dessus sont totalement inconciliables avec le bon accomplissement de votre activité de Responsable du Développement des Ventes Marché Sécurité.

En l'état, vous nous imposez donc de tirer les conséquences de votre comportement en prononçant la rupture à effet immédiat de votre contrat de travail.

Croyez bien que nous sommes les premiers à le regretter.

Votre licenciement, privatif d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité de licenciement, prend effet à compter de la date d'envoi de la présente notification à votre domicile soit le 5 août 2019.(...)'».

Par requête introductive du 29 janvier 2020, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye.

Par jugement du 19 juillet 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye a :

- Dit que le licenciement pour faute grave de Monsieur [J] [E] est justifié ;

- Déboute Monsieur [J] [E] de l'intégralité de ses demandes ;

- Déboute la S.A.S. Konica Minolta Business Solutions France (KMBSF) de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- Laisse à la charge de Monsieur [J] [E] les dépens éventuels.

M. [E] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel au greffe du 17 septembre 2021.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 janvier 2024.

A l'audience, le juge rapporteur a proposé à M. [E] et au conseil de la société Konica Minolta une mesure de médiation judiciaire, leur a imparti un délai de quinze jours afin d'y consentir ou non, leur réponse devant être déposé au greffe au Rpva avant le 14 février 2024.

Par message adressé par le RPVA le 14 février 2024, la société Konica Minolta par l'intermédiaire de son conseil à refusé la mesure de médiation.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 8 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [E] demande à la cour de':

- D'infirmer le jugement entrepris

Et statuant à nouveau :

- Dire le licenciement de Monsieur [E] dépourvu de cause réelle et sérieuse

Par conséquent,

- Condamner la société Konica Minolta Business à payer au profit de Monsieur [E] les sommes suivantes :

* 4 234,45 euros à titre d'une indemnité de licenciement ;

* 22 583,76 euros à titre d'une indemnité compensatrice de préavis ;

* 2 258,38 euros au titre des congés payés y afférents';

* 26 347,72 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';

* 4 516,75 euros à titre de rappel de salaires pour la période de mise à pied';

* 451,67 euros plus congés payés afférents';

A titre subsidiaire

- Dire que la faute grave n'est pas constituée.

- Par conséquent, condamner la société Konica Minolta Business France à payer au profit de Monsieur [E] les sommes suivantes :

* 26 347,72 euros à titre d'une indemnité de licenciement

* 22 583,76 euros à titre d'une indemnité compensatrice de préavis ;

* 2 258,38 euros au titre des congés payés y afférents ;

* 4 516,75 euros à titre de rappel de salaires pour la période de mise à pied ;

* 451,67 euros plus congés payés y afférents;

En tout état de cause

- Condamner la société Konica Minolta Business France à payer au profit de Monsieur [E] les sommes suivantes :

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité ;

* 428,72 euros à titre de remboursement de frais.

- Dire que les sommes ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et pour les sommes à caractère indemnitaires à compter du prononcé de la présente décision.

- Condamner la société Konica Minolta Business France au paiement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 6 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Konica Minolta Business Solutions France demande à la cour de':

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye,

Statuant à nouveau,

- Juger bien fondé le licenciement prononcé le 5 août 2019,

- Débouter Monsieur [J] [E] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions.

- Condamner Monsieur [J] [E] à payer à la Société KMBSF la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la faute grave

Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis. La charge de la preuve pèse sur l'employeur.

Aux termes de ses conclusions, la société Konica soutient désormais uniquement deux griefs, elle reproche d'une part à M. [E] un non-respect de la clause de loyauté en application du contrat de travail (article 8.1) et de l'article L 122-1 du code du travail, et d'autre part une insubordination du salarié refusant le lien hiérarchique et le travail en équipe. Les autres griefs ne sont pas soutenus.

En l'espèce, M. [E] a été engagé le 12 avril 2017 à effet du 1er août 2017 par la société Konica en qualité de responsable du développement des ventes marché sécurité sous le statut de cadre. A la suite du rachat par la société Konica de la société Mobotix portant sur le marché de sécurité, M. [E], placé sous le lien hiérarchique du seul directeur marketing de la société, a été chargé de développer ce nouveau service de sécurité consistant, selon l'article 3 du contrat de travail, à :

'- Définir la stratégie marketing commerciale,

- Piloter les actions associées afin d'atteindre les objectifs,

- Conceptualiser et construire le contenu des supports de présentation et de commercialisation de l'offre en France à l'attention des commerciaux et clients/prospects'.

En application de l'article 8 du contrat portant sur les obligations professionnelles, M. [E] était soumis à une clause dénommée 'exclusivité et loyauté' (article 8-1) dans les termes suivants :

'Pendant toute la durée du présent contrat, M. [E] sera tenu à une obligation de loyauté à l'égard de la société.

Pendant toute la durée d'exercice de ses fonctions au sein de la société, M. [E] s'engage à n'exercer directement ou indirectement à aucun moment, une quelconque activité de quelque nature qu'elle soit, pour le compte d'une autre société ou entité étrangère au groupe auquel appartient la société Konica Minolta'.

Comme le souligne à juste titre M. [E], la clause d'exclusivité, qui ne contient aucune limitation géographique, temporelle et sans indication de la nature des activités interdites, est disproportionnée et donc inopposable au salarié, ce que ne conteste pas l'employeur, qui se fonde uniquement sur le manquement de M. [E] à son obligation de loyauté.

La clause de loyauté insérée dans le contrat de travail rejoint les dispositions de l'article L. 1222-1 du code du travail selon lesquelles 'le contrat de travail est exécuté de bonne foi'.

La société soutient avoir donné son accord à M. [E] pour exécuter son poste de président de la SASU Adéquate France, en qualité d'agent sportif uniquement, mais elle indique avoir appris le 16 juillet 2019 par M. [U], directeur des ventes et marketing, que le salarié avait étendu l'objet social de la société Adequate par procès-verbal de l'associé unique le 25 avril 2017, soit cinq jours après la signature du contrat, ajoutant de nouvelles activités de conseil de nature à concurrencer la société Konica, de manière dissimulée, puisque ce procès-verbal n'a été déposé que le 30 mai 2017. La société Konica ajoute que le salarié a en outre opéré une modification du représentant légal de la société Adéquate quatre jours avant l'entretien préalable, en nommant son épouse.

M. [E] démontre par l'échange de courriels des 4, 9 et 10 mai 2017, produits aux débats, avoir informé la société Konica de son mandat de président de la SASU Adéquate France créée en janvier 2016 et ayant comme activités les prestations de services aux entreprises, le conseil au développement commercial et la formation, figurant sur l'extrait K bis.

Si la société soutient que ce dernier l'a informée uniquement de l'exécution d'une activité d'agent sportif non concurrente des missions de la société Konica, elle ne l'établit pas comme il lui incombe puisqu'elle ne produit pas le courriel initial adressé à ce titre par le salarié.

En revanche, la société Konica démontre que le salarié ne l'a pas informée de l'extension de l'objet social de la société Adequate, décidée par procès-verbal du 25 avril 2017, et publié au greffe seulement le 30 mai 2017, que cette extension n'a pas donné lieu à une modification des statuts, et que M. [E] ne l'a pas non plus informée de la modification des statuts de la société Adéquate effectuée le 1er juillet 2018, ce que le salarié ne conteste pas.

Or, il apparaît que l'objet social a été largement étendu aux activités suivantes, tel qu'il apparaît sur le procès-verbal précité et l'extrait K bis à jour au 14 août 2018 :

«- Conception, production (préproduction et post-production comprises), exploitation et promotion de programmes et 'uvres cinématographiques, audiovisuelles, multimédia, musicaux, radiophoniques, théâtraux, littéraires et graphiques et de toutes 'uvres artistiques en général, en tout genre et à toute fin, y compris publicitaire, ainsi que toutes activités s'y rapportant ;

- Conception, réalisation, exploitation et promotion d'événements institutionnels et professionnels, conventions, congrès, festivals, expositions et de formations en tout genre et à toute fin ;

- Conseil, assistance et représentation de toute personne, notamment les personnalités sportives et artistiques en matière de communication, relations publiques et gestion d'image, de marque et de réputation ;

- Conseil, assistance et représentation en matière de communication, marketing et développement de partenariats ».

La mise à jour des statuts du 1er juillet 2018 mentionne pour sa part comme objet social :

'- la prestation de services aux entreprises,

- le conseil en développement commercial et formation,

- l'achat, la vente, la prise à bail, la location, la gérance, la participation directe ou indirecte par tous moyens ou sous quelque forme que ce soit, à toute entreprises et à toutes sociétés créées ou à créer, ayant le même objet ou un objet similaire ou connexe,

- et plus généralement toutes opérations industrielles, commerciales, financières, mobilières ou immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social ci-dessus spécifié ou à tout autre objet similaire ou connexe.

La société peut recourir en tous lieux à tous actes ou opérations de quelque nature et importance qu'elles soient, dès lors qu'ils peuvent concourir ou faciliter la réalisation des activités visées aux alinéas qui précèdent ou qu'ils permettent de sauvegarder, directement ou indirectement, les intérêts commerciaux ou financiers de la société ou des entreprises avec lesquelles elle est en relation d'affaires'.

Or, en application de son obligation de loyauté, M. [E] était tenu d'informer son employeur de l'extension de l'objet social de la société qu'il présidait, puisque celle-ci intervenait dans des domaines similaires et selon un objet social proche de celui de la société Adéquate portant sur : 'la vente, la location, la maintenance, de matériels bureautiques, informatiques et de vidéosurveillance au travers de différents réseaux de distribution ainsi que le développement de ces matériels, la maintenance, au travers de différents réseaux de distribution, de produits médicaux et graphiques en particulier mais sans limitation cassettes, écrans, films et développement de films, équipements de mammographies, miniteurs et films graphiques ...) pour le développement, dilutions d'épreuves et médias de grande échelle, appareils de radiologies automatisés, générateurs d'images laser, dispositifs de réseau numérique et Pacs. Et plus généralement, toutes opérations industrielles, intellectuelles, commerciales, financières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à l'objet social ou susceptible d'en favoriser le développement'.

M. [E] n'en a informé son employeur ni lors de la rédaction du procès-verbal de l'associé unique le 27 avril 2017, ni lors de la modification des statuts le 1er juillet 2018, et la société établit n'en avoir pris connaissance que le 16 juillet 2019, suite à l'envoi d'un courriel adressé par M. [U], directeur des ventes et marketing pour le cluster sud, à la direction des ressources humaines.

La cour considère que le manquement réitéré de M. [E] à son obligation de loyauté, eu égard aux responsabilités qu'il exerçait au sein de la société Konica, est d'une gravité suffisante justifiant de prononcer son licenciement pour faute grave et ce, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le second grief allégué par l'employeur. Le jugement du conseil des prud'hommes, qui a dit que le licenciement pour faute de M. [E] était justifié, sera donc confirmé.

Par suite, il convient de rejeter l'ensemble des demandes afférentes au licenciement formulées par le salarié à titre principal et subsidiaire (indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés afférents, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rappel de salaires pendant la mise à pied et congés payés afférents), par voie de confirmation du jugement entrepris.

Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral

D'autre part, il résulte de l'article 1240 du code civil que, même lorsqu'il est prononcé en raison d'une faute grave, le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation (Soc 4 octobre 2023, N°21-20.889).

En application de cette jurisprudence, le salarié qui argue des circonstances vexatoires ayant accompagné la rupture et justifie d'un préjudice distinct de la perte de son emploi peut en demander réparation, y compris lorsque le licenciement repose sur une cause réelle sérieuse ou une faute grave.

Néanmoins, en l'espèce, d'une part, la mise en place d'une nouvelle équipe entraînant la création d'un échelon hiérarchique entre M. [E] et le directeur marketing relève du pouvoir de direction de l'employeur, elle ne constitue pas une modification du contrat de travail et n'est pas de nature à caractériser une faute de l'employeur. D'autre part, M. [E] à qui incombe la charge de la preuve, ne justifie pas de circonstances vexatoires ayant accompagné la rupture de son contrat de travail. En conséquence, il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts, par voie de confirmation du jugement entrepris.

Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat et violation de l'obligation de sécurité

M. [E] sollicite des dommages-intérêts au visa d'une part de l'exécution déloyale de son contrat de travail, faute de suivi de son temps de travail soumis au forfait annuel en jours et, d'autre part, de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, étant précisé qu'en cause d'appel, il ne maintient pas les demandes de nullité de la convention de forfait-jours, de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et d'indemnité pour travail dissimulé formulées en première instance.

Selon l'article L. 3121-63 du code du travail, toute convention de forfait annuel en jours est mise en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

L'accord collectif d'entreprise sur l'harmonisation des modalités d'aménagement et de réduction du temps de travail du 29 avril 2005 autorise en son article 9 la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours pour les salariés cadres autonomes fixant un nombre maximum de jours travaillés à 214 jours de travail pour une année complète. L'article 9.4 de l'accord prévoit qu'il appartient aux cadres autonomes, compte tenu de la grande latitude dans l'organisation de leur activité, d'assurer eux-mêmes une répartition annuelle de leur activité et des jours de travail ou de repos, conformément d'une part aux intérêts de l'entreprise et, d'autre part, aux objectifs qui leurs seront fixés. Il ajoute qu'afin d'assurer l'analyse et le suivi de la gestion de l'activité de chaque salarié bénéficiaire, les parties (salarié et responsable hiérarchique) devront périodiquement se rencontrer afin d'évoquer l'organisation et la charge de travail du salarié, ainsi que l'amplitude des journées d'activité.

En application de l'article 4 de son contrat de travail, M. [E] était soumis à un forfait annuel en jours et rémunéré sur la base de 214 jours de travail effectif par an et libre d'organiser selon sa convenance son temps de travail dans le cadre de ce forfait annuel, sous réserve de respecter les règles relatives au repos quotidien et hebdomadaire.

En l'espèce, contrairement à ce que soutient M. [E], la société Konica justifie':

- avoir établi un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées et non travaillés (mentionnant les RTT), ainsi que les jours fériés et de congés payés du salarié (pièce 17 a),

- du suivi de l'organisation du travail et de la charge de travail par le supérieur hiérarchique permettant de s'assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires. La société Konica justifie en particulier de l'entretien annuel avec le salarié sur la période allant du 1er avril 2018 au 31 mars 2019 au cours duquel il a été évoqué sa charge de travail, qu'il a évalué comme étant raisonnable (3/10, 1 étant la charge la moins importante), l'organisation de son travail jugée comme efficiente (évaluée à 2/10, 1 étant la plus efficiente), l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle étant considérée comme étant équilibrée (évaluée à 1, 1 étant équilibré).

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Konica a effectué un suivi de l'exécution du forfait annuel en jour, de sorte que l'exécution déloyale du contrat de travail, alléguée par le salarié, n'est pas établie, ni davantage, la violation par l'employeur de son obligation de sécurité.

En conséquence, il convient, par voie de confirmation du jugement entrepris, de débouter M. [E] de sa demande de dommages-intérêts formulée à ce titre.

Sur le remboursement de frais

M. [E] sollicite le paiement de 428,72 euros de notes de frais, que son employeur a refusé de rembourser.

La demande présentée n'est cependant pas fondée, puisque M. [E] ne justifie ni de la note de frais ni du quantum dont le remboursement aurait été refusé par la société Konica, et jointe au mail qu'il a adressé en ce sens le 26 juin 2019 à son employeur.

Il convient donc, par voie de confirmation du jugement entrepris, de le débouter de ses demandes de remboursement de frais.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M. [E], qui succombe doit supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, par

voie de confirmation de la décision des premiers juges. Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société au titre des frais irrépétibles, l'équité et en particulier la situation économique respective des parties ne justifiant pas d'en faire application. Les parties seront donc également déboutées de leurs demandes sur ce fondement en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye du 19 juillet 2021, en la totalité de ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute M. [E] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne M. [E] aux dépens en cause d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Laurence SINQUIN, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-3
Numéro d'arrêt : 21/02749
Date de la décision : 25/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-25;21.02749 ?
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