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21/03/2024 | FRANCE | N°23/04679

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 21 mars 2024, 23/04679


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 59B



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 21 MARS 2024



N° RG 23/04679 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V7HG



AFFAIRE :



S.A.S. IGA GESTION







C/

Organisme BTP PREVOYANCE











Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 28 Juin 2023 par le Président du TC de NANTERRE

N° RG : 2023R00296



Expéditions exéc

utoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 21.03.2024

à :



Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Anne-Laure DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT ET UN MARS DEUX MILL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 59B

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 MARS 2024

N° RG 23/04679 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V7HG

AFFAIRE :

S.A.S. IGA GESTION

C/

Organisme BTP PREVOYANCE

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 28 Juin 2023 par le Président du TC de NANTERRE

N° RG : 2023R00296

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 21.03.2024

à :

Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Anne-Laure DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. IGA GESTION

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 750 504 789 - RCS de Nanterre

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2371603

Ayant pour avocat plaidant Me Antoine DÉROT, du barreau de Paris, vestiaire : K30

APPELANTE

****************

Organisme BTP PREVOYANCE

pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIREN : 784 621 468

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Anne-Laure DUMEAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 - N° du dossier 43198

Ayant pour avocat plaidant Me Cécile FOURNIE, du barreau de Paris

INTIMÉ

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas VASSEUR, Président et Madame Marina IGELMAN, conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSE DU LITIGE

La société BTP Prévoyance est un organisme paritaire qui a pour objet d'assurer la couverture des risques liés à la personne des salariés et anciens salariés du bâtiment et des travaux publics et des industries connexes, ainsi qu'à leurs ayants droit.

La S.A.S. IGA Gestion exerce des activités de courtage et de conseil en assurance.

Le 19 mars 2015, un protocole de gestion a été signé entre la société BTP Prévoyance et la société IGA Gestion pour une durée de deux ans, à compter du 1er janvier 2015.

Aux termes de ce contrat, il a été confié à la société IGA Gestion plusieurs missions.

La société BTP Prévoyance s'est engagée à rembourser les règlements effectués dans le délai de 15 jours à compter de la réception d'un état récapitulatif du mois écoulé.

Le 19 janvier 2015, la société BTP Prévoyance a affirmé avoir mis à disposition de la société IGA Gestion un fonds de roulement de 346 500 euros afin de permettre au gestionnaire de procéder au règlement des prestations des assurés, sans faire l'avance de trésorerie.

Le 23 mai 2016, la société BTP Prévoyance a exposé avoir adressé un complément de fonds de roulement de 176 400 euros, sollicité par la société IGA Gestion, le 25 avril 2016.

Le 31 décembre 2016, le contrat de délégation de gestion est arrivé à son terme sans renouvellement. La société IGA Gestion n'a pas restitué le fonds de roulement de 522 900 euros.

Les relances de la société BTP Prévoyance sont restées vaines.

Par actes du 20 mars 2023 et le 21 avril 2023, la société BTP Prévoyance a fait assigner en référé la société IGA Gestion aux fins d'obtenir principalement sa condamnation au paiement de la somme de 522 900 euros au titre du fonds de roulement non restitué, avec intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure du 27 janvier 2023.

Par ordonnance contradictoire rendue le 28 juin 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :

- joint les affaires enrôlées n° 2023R00296 et n° 2023R00473 sous le numéro n° 2023R00296, et s'est prononcé par un seul et même jugement,

- dit que l'exception d'incompétence recevable mais mal fondée et s'est déclaré compétent,

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation,

- condamné la société IGA Gestion à régler à la société BTP Prévoyance Institution de Prévoyance du Bâtiment et des Travaux Publics la somme de 522 900 euros au titre du fonds de roulement non restitué, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 janvier 2023,

- condamné la société IGA Gestion à payer à la société BTP Prévoyance Institution de Prévoyance du Bâtiment et des Travaux Publics la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société IGA Gestion aux dépens de l'instance,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,

- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 40,66 euros, dont TVA de 6,78 euros,

- dit que l'ordonnance est mise à disposition au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 6 juillet 2023, la société IGA Gestion a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :

- joint les affaires enrôlées n° 2023R00296 et n° 2023R00473 sous le numéro n° 2023R00296, et s'est prononcé par un seul et même jugement,

- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 40,66 euros, dont TVA de 6,78 euros,

- dit que l'ordonnance est mise à disposition au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 16 janvier 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société IGA Gestion demande à la cour, au visa des articles 873 alinéa 2, 48, 54 du code de procédure civile, 1100-1, 1145, 1188, 1191, 1353, 2224, 2240 du code civil, L. 931-1, L. 932-13 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, L. 114-1 alinéa 1 du code des assurances, L. 227-6 et L.721-3 du code de commerce, de :

'- infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre le 28 juin 2023 en ce qu'elle :

- dit l'exception d'incompétence recevable mais mal fondée et se déclare compétent ;

- condamne la sas IGA Gestion à régler à BTP-Prévoyance-Institution de Prévoyance du Bâtiment et des Travaux Publics la somme de 522 900 euros au titre du fonds de roulement non restitué, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 janvier 2023 ;

- condamne la sas IGA Gestion à payer à BTP-Prévoyance-Institution de Prévoyance du Bâtiment et des Travaux Publics la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la sas IGA Gestion aux dépens de l'instance ;

- rappelle que l'exécution provisoire est de droit.

et, statuant à nouveau :

in limine litis

- juger bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par IGA Gestion et déclarer le président du tribunal de commerce de Nanterre incompétent au profit du président du tribunal judiciaire de Nanterre ;

sur le fond

- débouter la société BTP Prévoyance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et notamment de sa demande de capitalisation des intérêts ;

- condamner la société BTP Prévoyance à payer à la société IGA Gestion la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société BTP Prévoyance aux entiers dépens dont distraction au profit de la selarl LX Paris-Versailles-Reims ;'

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 janvier 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société BTP Prévoyance demande à la cour, au visa des articles 2240, 2231, 1156, 1343-2 du code civil, L. 110-4 du code de commerce et 873 du code de procédure civile, de :

'- confirmer l'ordonnance du tribunal de commerce de Nanterre du 28 juin 2023

en conséquence,

- condamner la société IGA Gestion venant aux droits de la société Gestion Sociale et Prévoyance à régler à BTP Prévoyance, à titre de provision, la somme de 522 900 euros au titre du fonds de roulement non restitué, avec intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure du 27 janvier 2023,

- ordonner la capitalisation des intérêts, en réparant l'omission matérielle commise par le tribunal qui n'avait pas repris cette capitalisation des intérêts dans le dispositif de son ordonnance,

- débouter la société IGA Gestion de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

- y ajoutant, condamner la société IGA Gestion au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater' ou de 'dire et juger' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.

Il n'est pas contesté que la société IGA a absorbé la société GSP, entraînant la transmission universelle du patrimoine entre les deux sociétés, et que la société IGA est donc tenue des obligations de la société absorbée.

Sur l'exception d'incompétence

La société IGA soulève in limine litis l'incompétence matérielle du tribunal de commerce de Nanterre, au motif que l'article 12 du protocole conclu avec la société BTP Prévoyance prévoit que 'la partie la plus diligente pourra saisir le tribunal de grande instance de Paris'.

Reconnaissant que cette clause doit être réputée non écrite en ce qu'elle concerne la compétence territoriale sur le fondement de l'article 48 du code de procédure civile, l'appelante soutient qu'elle conserve en revanche son effet pour la compétence d'attribution matérielle et qu'elle est opposable à la société BTP Prévoyance même en référé, le tribunal judiciaire de Nanterre étant donc compétent.

La société IGA réfute l'argumentation de l'intimée quant à l'analyse lexicale de la clause.

La société BTP Prévoyance conclut au mal-fondé de l'exception d'incompétence soulevée par la société IGA au motif que la clause litigieuse n'attribue pas la connaissance exclusive du litige à une juridiction du fait de l'utilisation du verbe 'pouvoir'.

Elle indique que la clause attributive de compétence doit être réputée non écrite dès lors qu'elle déroge aux règles de compétence territoriale alors qu'elle n'a pas été conclue entre deux commerçants.

Elle en déduit avoir usé de son option de compétence en saisissant la juridiction consulaire en référé.

Sur ce,

L'article 48 du code de procédure civile dispose que 'toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée'.

En l'espèce, le protocole conclu entre les sociétés GSP et BTP Prévoyance prévoit en son article 12 une clause attributive de compétence ainsi rédigée : ' Il est convenu entre les parties que tout litige né de l'interprétation ou de l'exécution du présent contrat fera l'objet d'une notification par lettre recommandée avec accusé de réception à la partie en cause. (') A défaut d'accord dans le mois suivant la survenance du litige, la partie la plus diligente pourra saisir le Tribunal de Grande Instance de Paris'.

Les parties conviennent que cette clause doit être réputée non écrite en ce qu'elle a trait à la compétence territoriale dès lors qu'elle a été convenue entre une société commerciale et une personne morale de droit privé non commerçante.

Cependant, une clause attributive de compétence, nulle en ce qu'elle vise la compétence territoriale, conserve son effet quant à la compétence d'attribution lorsqu'elle est valable à cet égard.

En l'espèce la clause litigieuse prévoyait la saisine du tribunal judiciaire, l'utilisation du terme 'pourra' résultant à l'évidence du choix laissé au demandeur quant à l'opportunité d'introduire une action en justice et non la formulation d'une option de compétence et c'est donc à tort que le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre s'est déclaré compétent.

Cependant, en application de l'article 90 du code de procédure civile, lorsque le juge s'est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en premier ressort et lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.

La présente cour étant juridiction d'appel du juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre, l'affaire ne saurait être renvoyée devant lui et il convient de statuer sur le fond du litige.

Sur la demande de provision

La société IGA argue de l'existence de deux contestations sérieuses faisant obstacle à la demande en paiement formée par l'intimée, la première tenant à la prescription de la demande tenant à l'acquisition de la prescription biennale prévue par les articles L. 932-13 du code de la sécurité sociale et L. 114-1 du code des assurances.

L'appelante expose que le protocole conclu entre les parties ne fait pas référence à la mise à disposition d'un fonds de roulement, que ce fonds de roulement n'est pas inhérent aux contrats de délégation de gestion et qu'aucune reconnaissance de dette n'en atteste en l'espèce.

Elle soutient qu'à supposer même que le fonds de roulement puisse être rattaché au protocole, celui-ci ne correspond pas à une contrepartie qui lui serait versée pour la rémunérer de ses prestations de gestion, mais au contraire au paiement des prestations dues aux assurés en exécution de leurs contrats d'assurance, la prescription étant donc acquise puisque le délai de deux ans a commencé à courir le 31 décembre 2016 (date de fin du protocole conclu entre les parties) et que la première réclamation de la société BTP Prévoyance date du 27 janvier 2023.

La société IGA souligne que la prescription est acquise même en cas d'application du délai de prescription quinquennal puisque la dette née du remboursement du fonds de roulement était exigible au terme du protocole, soit le 31 décembre 2016.

Elle réfute l'existence d'une reconnaissance de dette ayant interrompu la prescription, indiquant que le courriel du 11 juin 2018 ne peut remplir cette fonction puisque M. [M] était son simple salarié et ne disposait d'aucun mandat pour engager la société, que le contenu de ce document ne contient aucune reconnaissance de dette explicite et que ce courriel a été adressé à un salarié de la société PRO BTP et non BTP Prévoyance.

L'appelante précise que le juge des référés n'avait pas le pouvoir d'interpréter et de qualifier cet élément de reconnaissance de dette.

En second lieu, la société IGA invoque une contestation sérieuse tenant au caractère incertain de la créance puisque :

- le protocole ne prévoit pas la mise à disposition d'un fonds de roulement,

- les deux virements de 346 600 euros et 176 400 euros dont se prévaut la société BTP Prévoyance ne sont justifiés que par deux captures d'écran difficilement lisibles dont la source est inconnue,

- le courriel du 11 juin 2018 de M. [M] ne constitue pas une reconnaissance de dette,

soulignant en outre l'important délai entre la fin du protocole et la première réclamation de l'intimée.

La société BTP Prévoyance argue en réponse de l'absence de toute contestation sérieuse faisant valoir en premier lieu que sa demande est une action mobilière résultant du contrat de mandat prévu dans le protocole conclu entre les parties, soumise en conséquence à la prescription quinquennale de droit commun.

Elle soutient que le fonds de roulement est 'de l'essence même' des contrats de délégation de gestion des sinistres, la circonstance qu'il n'ait pas été expressément prévu dans le protocole étant sans incidence selon elle, et indique avoir mis à la disposition de la société IGA une somme de 346 500 euros à ce titre au début du contrat, complétée ensuite à la demande d'IGA à hauteur de 176 400 euros.

L'intimée soutient que ne sont applicables ni l'article L. 932-13 du code de la sécurité sociale puisque la société IGA n'est pas attraite à l'instance en qualité d'entreprise adhérente à l'institution de prévoyance ou ayant souscrit un contrat pour la prévoyance de ses salariés, ni l'article L. 114-1 du code des assurances dès lors que les parties ne sont pas liées par un contrat d'assurance et que cette prescription ne s'applique que dans les rapports entre assureur et assuré.

La société BTP Prévoyance conteste toute interprétation du contrat par le premier juge et souligne que le protocole fait clairement apparaître qu'il s'agit d'un contrat de prestations de gestion et non d'un contrat d'assurance.

Invoquant l'existence d'une interruption de prescription, l'intimée se fonde sur une reconnaissance de dette non équivoque émanant de la société IGA datée du 11 juin 2018, par laquelle elle proposait de rembourser la somme de 520 400 euros, soutenant que M. [M], le rédacteur du courrier, disposait d'un mandat en ce sens ou à tout le moins s'est comporté comme tel.

Rappelant la chronologie des échanges intervenus entre M. [M] et son service comptable (commun avec la société PRO BTP), la société BTP Prévoyance affirme pouvoir se prévaloir d'un mandat apparent de celui-ci.

En second lieu, la société BTP Prévoyance réfute toute contestation sérieuse relative au montant de la provision réclamée, soutenant justifier des deux virements de 346 500 euros et 176 400 euros dont elle sollicite le remboursement et soulignant le peu de réaction de la société IGA à ses multiples demandes, rappelant que la preuve est libre en matière commerciale.

Elle sollicite enfin la rectification de l'omission matérielle affectant l'ordonnance querellée relative à la capitalisation des intérêts.

Sur ce,

Selon l'alinéa 2 de l'article 835 du code de procédure civile :'Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il (le président ) peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire'.

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision, celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle et la cour est tenue d'appliquer les clauses claires du contrat qui lui est soumis, si aucune interprétation n'en est nécessaire. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Aux termes de l'article du 1353 du code civil, c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Sur la prescription

Il doit tout d'abord être relevé qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, juge de l'évidence, de constater l'acquisition d'une prescription, un tel moyen ne pouvant devant ce juge qu'être examiné sur le point de savoir s'il constitue une contestation suffisamment sérieuse faisant obstacle à l'allocation d'une provision.

En vertu des dispositions de l'article L. 932-13 du code de la sécurité sociale, 'toutes actions dérivant des opérations mentionnées à la présente section sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance.', l'article L. 932-1 du même code précisant que les dispositions de ladite section s'appliquent aux 'opérations collectives à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance'.

L'article L. 114-1 du code des assurances dispose que 'toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance'.

Le 'protocole de gestion' conclu entre la société BTP Prévoyance et la société GSP le 19 mars 2015 indiquait qu'il avait pour objet la délégation par l'assureur 'de la gestion du contrat d'assurances pour les régimes collectifs et individuels des frais médicaux pour l'ensemble du personnel rattaché aux entités concernées par la délégation de gestion et affilié à la Sécurité sociale française du groupe NGE, au gestionnaire qui l'accepte avec pour missions :

- la tenue du fichier des assurés nécessaire à la réalisation des opérations de gestion confiée,

- les remboursements complémentaires à ceux de la Sécurité sociale pour les frais médicaux,

- les affiliations des salariés pour les régimes collectifs et individuels.'

Il en ressort avec l'évidence requise que ce contrat constitue une délégation au sens de l'article 1336 du code civil et ne concerne ni une opération collective à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance ni une action dérivant d'un contrat d'assurance, le fait que la mission du délégataire implique de vérifier le droit de l'assuré au remboursement sollicité en application de la réglementation de la Sécurité sociale étant sans incidence sur la nature des relations contractuelles entre délégant et délégué.

Dès lors, la contestation relative à l'existence d'un délai biennal de prescription n'est pas sérieuse, la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil étant manifestement applicable en l'espèce.

Cependant, il est constant que le protocole est arrivé à terme le 31 décembre 2016, dont les parties ne discutent pas qu'il s'agit du point de départ du délai de prescription, l'article 2224 précité précisant que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.

Or la première mise en demeure de la société BTP Prévoyance adressée à la société IGA lui demandant de rembourser la somme de 522 900 euros est datée du 27 janvier 2023, soit plus de cinq ans après cette date.

La société BTP Prévoyance invoque les dispositions de l'article 2240 du code civil qui dispose que 'la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription' et verse aux débats des échanges de courriels intervenus en 2018 et se déroulant ainsi :

- un courriel de M. [L] [U], présenté comme 'comptable PRO BTP/ DCGG Service réassurance- partenariats' adressé à M. [I] [M], salarié de la société IGA, daté du 8 juin 2018 indique 'au titre de la gestion déléguée, nous vous avions versé un fonds de roulement intitula de 346 500 euros. Par la suite ce fonds de roulement a même été augmenté de 176 400 euros. Soit un total de 522 900 euros. Nous constatons que les remboursements de prestations au titre de ce partenariat sont désormais minimes (...). pourriez-vous svp nous rembourser tout ou partie de ce fonds de roulement '',

- M. [I] [M] répond le 11 juin 2018 'Je vous propose de vous rembourser la somme de 520 400 euros et de conserver 2 500 euros de fonds de roulement au titre de 45 jours de prestations moyenne. Je vous remercie de bien vouloir me signifier votre accord afin que je puisse enclencher les opérations avec mon service comptable',

- le retour de M. [U] du 12 juin 2018 mentionne : 'Nous vous donnons notre accord concernant le remboursement de 520 400 euros.',

- M. [M] répond le même jour : 'Pourriez-vous nous communiquer les coordonnées bancaires sur lesquelles nous devons verser cette somme ''.

Si la société BTP Prévoyance indique à juste titre que M. [M] a reconnu la dette de façon explicite dans cette conversation, il convient cependant de constater qu'il n'est pas discuté que celui-ci était salarié de la société IGA et non son dirigeant.

Or il n'est pas démontré que ce salarié avait la capacité d'engager la société, la simple mention 'responsable délégation de gestion' dans sa signature numérique n'étant pas suffisante pour en attester, étant souligné que M. [M] parle d''enclencher les opérations' avec son service comptable, formulation équivoque qui n'exclut pas un processus d'autorisation ultérieur. Le contrat de travail de M. [M] et son éventuelle délégation de pouvoirs n'est pas versé aux débats.

S'il résulte des articles 1985 et 1998 du code civil qu'une personne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent, cela implique à la fois que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime et que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs, cette appréciation excédant les pouvoirs du juge des référés et de la cour statuant à sa suite.

Dès lors, il convient de dire qu'est sérieuse la contestation de la société IGA tenant à l'absence de reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait et, partant, la contestation afférente à la prescription de la créance dont se prévaut la société BTP Prévoyance.

L'ordonnance querellée sera donc infirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande de provision formée par la société BTP Prévoyance et il sera dit n'y avoir lieu à référé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

La société IGA étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société BTP Prévoyance ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile pour les dépens d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société IGA la charge des frais irrépétibles exposés. La société BTP Prévoyance sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance attaquée,

Accueille l'exception d'incompétence soulevée par la société IGA Gestion ;

Dit que le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre était compétent pour connaître de la demande de provision formée par la société BTP Prévoyance ;

Faisant application de l'article 90 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société BTP Prévoyance,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société BTP Prévoyance à verser à la société IGA Gestion la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que la société BTP Prévoyance supportera les dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Monsieur Mohamed EL GOUZI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 23/04679
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;23.04679 ?
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