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21/03/2024 | FRANCE | N°21/03353

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 21 mars 2024, 21/03353


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 21 MARS 2024



N° RG 21/03353 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U2UR



AFFAIRE :



[W] [T]



C/



[P] [J] Es-qualité de mandataire liquidateur de la société EDITIONS SED

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de POISSY

N

° Section : I

N° RG : 20/00244



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL LBBA



la SELARL SELARL XY AVOCATS



Me BENOIT Claude-Marc







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 MARS 2024

N° RG 21/03353 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U2UR

AFFAIRE :

[W] [T]

C/

[P] [J] Es-qualité de mandataire liquidateur de la société EDITIONS SED

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de POISSY

N° Section : I

N° RG : 20/00244

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL LBBA

la SELARL SELARL XY AVOCATS

Me BENOIT Claude-Marc

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [W] [T]

née le 22 Mai 1980 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentant : Me Béatrice BURSZTEIN de la SELARL LBBA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0469

SYNDICAT NATIONAL LIVRE EDITION CFDT

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentant : Me Béatrice BURSZTEIN de la SELARL LBBA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0469

APPELANTES

****************

Maître [P] [J] Es-qualité de mandataire liquidateur de la société EDITIONS SED

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Fabrice BERTOLOTTI de la SELARL SELARL XY AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de COMPIEGNE

Unédic Délégation AGS CGEA d'[Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant : Me Claude-marc BENOIT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1953

INTIMES

****************Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 Janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée du 23 décembre 2013, Mme [W] [T] a été engagée à compter du 13 janvier 2014 par la société Editions Sed en qualité d'attachée commerciale.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale de l'édition.

Par jugement du 10 octobre 2019, la société Editions Sed a bénéficié de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde judiciaire. Par jugement du 12 décembre 2019, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Editions Sed, puis, par jugement du 6 février 2020, cette juridiction a placé la société en liquidation judiciaire et a désigné la SELARL JSA, prise en la personne de Me [P] [J], en qualité de mandataire liquidateur.

Par courrier recommandé du 2 mars 2020, la salariée a été licenciée pour motif économique. Le contrat de travail a été rompu le 24 mars 2020 à la suite de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle.

Par requête reçue au greffe le 23 septembre 2020, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Poissy afin d'obtenir le paiement de diverses sommes notamment au titre d'heures supplémentaires.

Par jugement du 4 octobre 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes a :

- débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté Me Aurélie Lecaudey, mandataire liquidateur de la société Editions Sed de ses demandes reconventionnelles,

- débouté le syndicat national livre édition CFDT de ses demandes reconventionnelles,

- dit que la présente décision est opposable au centre de gestion et d'études AGS CGEA d'[Localité 8] dans la limite de sa garantie légale,

- mis les dépens à la charge de Mme [T].

Par déclaration au greffe du 11 novembre 2021, Mme [T] et le syndicat national livre édition CFDT ont interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 21 avril 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité partielle de la déclaration d'appel dirigée à l'encontre de la société Malakoff Humanis assurances.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 26 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [T] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :

- fixer son salaire de référence à 3 077,21 euros,

- inscrire au passif de la liquidation sa créance au titre du rappel de salaire sur heures supplémentaires, à hauteur des sommes suivantes :

* au titre des heures supplémentaires,

à titre principal, la somme de 26 442,95 euros brut, outre 2 644,29 euros brut de congés payés afférents,

à titre subsidiaire, la somme de 1 317,62 euros brut, outre 131,76 euros brut de congés payés afférents,

* en tout état de cause, la somme de 14 351,27 euros net à titre d'indemnité pour non-respect des durées maximales de travail minimales de repos,

* la somme de 10 000 euros net à titre d'indemnité pour non-respect des durées maximales de travail et minimales de repos,

- sur l'obligation de sécurité, la somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- la somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour l'absence de compensation du temps anormal de trajet entre son domicile et son lieu de travail,

- sur le solde de tout compte :

* la somme de 1 300,21 euros brut au titre des rappels de salaire pour février et mars 2020,

* la somme de 409,80 euros brut au titre des congés payés non versés dans le solde de tout compte,

* la somme de 6 444,37 euros net au titre du reliquat d'indemnité de licenciement,

* la somme de 2 000 euros net à titre de dommages et intérêts au titre de la discrimination en raison de l'état de santé,

- prendre acte de son désistement de toute demande à l'encontre de la société Malakoff Humanis Assurances,

- condamner le mandataire liquidateur Me [J] à lui verser la somme de 1 000 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter le mandataire liquidateur Me [J] de ses demandes reconventionnelles,

- condamner le mandataire liquidateur Me [J] aux entiers dépens,

- déclarer l'arrêt opposable au CGEA d'[Localité 8].

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 5 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, le syndicat national livre édition CFDT demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, notamment en ce qu'il l'a débouté de ses demandes au titre du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession et au titre des frais de procédure,

et, statuant à nouveau,

- inscrire au passif de la liquidation sa créance la somme de 5 000 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession d'attaché commercial,

- condamner le mandataire liquidateur Maitre [J] à lui verser la somme de 1 000 euros net au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Maitre [J] aux entiers dépens,

- déclarer l'arrêt opposable au CGEA d'[Localité 8].

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 30 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Me [J] es qualité de mandataire liquidateur de la société Editions Sed demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [T] de l'intégralité de ses demandes hormis celle relative au titre d'un rappel de congés payés,

- et statuant sur l'appel incident de l'intimée de ce chef, réformer le jugement en ce qu'il a fixé la créance de Mme [T] au passif de la liquidation judiciaire de la société Sed représentée par Me [J] à la somme de 409,80 euros au titre de rappel de congés payés,

- débouter l'appelante de cette demande,

- débouter Mme [T] plus généralement de l'intégralité de ses autres demandes, fins et conclusions,

- déclarer le syndicat national livre édition CFDT irrecevable dans son action et le débouter de ses demandes, fins et conclusions,

- en tout état de cause, prendre acte du désistement partiel de Mme [T] en cause d'appel de toute demande à l'encontre de la société Malakoff Humanis Assurances,

- constater que plus aucune demande n'est formée de ce chef en lien avec le versement ou l'absence de versement des cotisations retraites à l'égard de la société Sed prise en la personne de Me [J] es qualité de mandataire judiciaire,

- condamner Mme [T] et le syndicat national livre édition CFDT au paiement d'une somme de 1 000 euros chacun, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [T] et le syndicat national livre édition CFDT aux entiers frais et dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 16 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 8] demande à la cour de :

A titre principal

- confirmer le jugement,

- débouter la salariée de ses demandes,

à défaut,

- réduire les quanta sollicités à bien plus juste proportion,

- fixer au passif de la liquidation les créances retenues,

- dire le jugement opposable à l'AGS dans les termes et conditions de l'article L 3253-19 du

code du travail,

vu l'article L 3253-8 du code du travail,

- exclure l'astreinte de la garantie de l'AGS,

- exclure de l'opposabilité à l'AGS la créance éventuellement fixée au titre de l'article 700 du

code de procédure civile,

vu les articles L.3253-6, L.3253-8 et L.3253-17 du code du travail,

- dire le jugement opposable dans la limite d'un plafond toutes créances brutes confondues,

vu l'article L 621-48 du code de commerce,

- rejeter la demande d'intérêts légaux,

- dire ce que de droit quant aux dépens sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 décembre 2023.

MOTIVATION

A titre liminaire, la cour constate que la salariée n'entend maintenir aucune demande à l'encontre de la SA Malakoff Humanis Assurances à l'égard de laquelle une ordonnance de caducité partielle de la déclaration d'appel a été prononcée rendant ainsi sans objet toute demande de désistement à son égard.

Sur les heures supplémentaires

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

La salariée, qui sollicite le paiement d'heures supplémentaires depuis le 4 septembre 2017, décrit précisément les tâches qu'elle estime avoir accomplies dans le cadre de ses missions contractuellement assignées ainsi que son temps de travail constitué de rendez-vous clients et d'un travail administratif afin d'obtenir et préparer ces rendez-vous, d'y donner suite et de remplir les outils de suivi exigés par l'employeur, soit des bons journaliers et des fiches client non automatisés. A l'exclusion des pièces illisibles ou insuffisamment fiables et authentifiables, notamment d'un courrier du 15 mars 2015 sans date certaine ni signature, les éléments suffisamment précis présentés par la salariée à l'appui de sa demande quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, sont les suivants : un document informatique dit « bons journaliers » sur lequel ont été portées des informations relatives à ses visites clients et aux bons de commande traités sur la période considérée ; un exemple de fiche client concernant une école répertoriant de manière manuscrite des données relatives à l'achat de produits au cours de la période de janvier 2011 à juin 2019 ; un tableau récapitulatif mentionnant, notamment, pour chaque jour travaillé, semaine civile par semaine civile, des temps de « phoning » avant le premier rendez-vous et après le dernier rendez-vous, l'heure du premier et du dernier rendez-vous de la journée, des temps de repas, des temps de travail administratif, l'amplitude journalière temps de repas déduit, le total des temps de « phoning » et de travail administratif, le nombre d'heures de travail quotidiennes et hebdomadaires, le nombre d'heures de travail supplémentaires hebdomadaires, la majoration consécutivement appliquée, de 25% ou 50% ; les bulletins de paie mensuels sur la période considérée ; des agendas scannés mentionnant ses rendez-vous.

Le mandataire liquidateur ne produit aucun élément propre de contrôle des heures travaillées et ne justifie pas des horaires effectivement réalisés. Il soutient que les pièces produites ne présentent pas un caractère d'authenticité et de fiabilité suffisant pour être qualifiées d'éléments suffisamment précis afin de lui permettre d'y répondre en fournissant ses propres éléments, les

qualifiant d'approximatives, illisibles, incohérentes ou non contemporaines, ce qui n'est pas le cas pour les pièces retenues ci-dessus. Il indique que quand bien même les bons journaliers auraient été envoyés chaque semaine à son employeur, ceux-ci ne contiennent aucune indication sur les heures de travail, alors que ces éléments, dont il ne conteste utilement ni l'existence ni l'envoi à l'employeur, sont identifiables grâce aux données renseignées par la salariée et sont de nature à mettre en évidence sa charge de travail quotidienne dans toutes ses composantes décrites ci-dessus dont des temps de « phoning » commercial découlant de la nature et de l'étendue de l'activité déployée. De même, il fait valoir que l'autorisation préalable de l'employeur était requise pour l'accomplissement d'heures supplémentaires sans justifier d'une adaptation de la charge de travail afin que les missions confiées, dont la nature et l'étendue rendaient nécessaires la réalisation d'heures supplémentaires, puissent s'effectuer dans le temps normalement imparti. Il pointe des incohérences entre les agendas et le tableau récapitulatif qui sont peu significatives.

Au vu des éléments apportés de part et d'autre, il y a lieu de fixer à la liquidation judiciaire de la société Editions Sed la somme de 1 115,18 euros brut à titre de rappel de salaire correspondant à des heures supplémentaires pour la période du 4 septembre 2017 au 26 septembre 2019, outre 111,52 euros brut de congés payés afférents.

Le jugement entrepris est donc infirmé de ces chefs.

Sur le travail dissimulé

En application des dispositions combinées des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, il y a lieu de rejeter la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé dès lors que nonobstant les difficultés invoquées pour mettre des outils déclaratifs à la disposition des salariés, il n'est pas établi que l'employeur a intentionnellement dissimulé de l'emploi notamment en délivrant des bulletins de salaire mentionnant un nombre d'heures de travail inférieur, dans une proportion peu significative, à celui réellement accompli.

Le jugement est donc confirmé de ce chef.

Sur le non-respect des durées maximales de travail

La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.

En l'espèce, il ressort des éléments soumis à l'appréciation de la cour qu'en tenant compte des heures supplémentaires retenues ci-dessus, la salariée a bien bénéficié du repos quotidien comme du repos hebdomadaire, n'a pas accompli d'amplitudes par journée civile excédant 10 heures, n'a pas non plus réalisé de durées de travail, au cours d'une même semaine, dépassant 48 heures.

Il convient ainsi, par voie de confirmation du jugement, de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef.

Sur le non-respect de l'obligation de sécurité

Il résulte de l'article L. 4121-1 que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Le mandataire liquidateur ne justifie pas de la mise en place par l'employeur de mesures concrètes de nature à réduire de manière significative le poids des mallettes et la manutention manuelle de celles-ci qu'impliquait l'exercice des missions commerciales assignées à la salariée, alors qu'il ne pouvait ignorer que cette manutention manuelle était de nature à affecter la santé de la salariée et que celle-ci constituait un facteur de risques professionnels au sens de l'article L. 4161-1 du code du travail, ce qui ressort, notamment, du procès-verbal de réunion de la délégation unique du personnel du 8 février 2017 au cours de laquelle il a évoqué ce port de charge pouvant atteindre

plus de quinze kilogrammes en tentant vainement d'en minimiser les effets sur la santé des salariés par des calculs de temps de manutention approximatifs et non étayés.

Il en résulte que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité.

La salariée, qui a été placée en arrêt de travail pour maladie ordinaire entre le mois d'octobre 2019 et le mois de mars 2020 en raison d'algies de la ceinture cervico-scapulaires, d'une maladie cervico-brachiale bilatérale avec pathologie musculo-tendineuse, d'une pathologie lombaire et cervico-lombaire de type mécanique et récidivante, et dont le compte-rendu de visite médicale dans le cadre de son dossier médical de santé au travail relie les pathologies dont elle souffre, notamment à la problématique du port de charges lourdes, ce qui a entraîné la prescription de soins adaptés, justifie de son préjudice.

Ce préjudice sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts et il convient, par voie d'infirmation du jugement, de fixer cette somme à la liquidation judiciaire de la société Editions Sed.

Sur les temps de déplacement professionnel

Il résulte de la combinaison des articles L. 3121-4, L. 3121-7, et L. 3121-8 dans ses versions successivement applicables au litige, du code du travail, qu'en cas de déplacement professionnel vers un lieu qui n'est pas le lieu de travail habituel du salarié, sous réserve de dispositions conventionnelles ou d'usages plus favorables, ce temps de déplacement n'entre pas dans le décompte de la durée du travail, qu'il n'a pas à être rémunéré, sauf s'il coïncide avec l'horaire de travail, et que dans l'hypothèse où il excède le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, seule une contrepartie sous forme de repos ou sous forme financière, doit être prévue. Les contreparties sont déterminées par accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par accord de branche. A défaut d'accord, l'employeur les définit unilatéralement, après consultation, s'ils existent, du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, et depuis le 1er janvier 2018 du comité social et économique. Le temps normal de trajet se détermine par référence à celui d'un travailleur type se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel, le temps normal de trajet s'appréciant dans la région concernée. 

En l'espèce, la salariée, qui invoque le fait que ses temps de trajet entre son domicile et son lieu de travail inhabituel, soit le lieu de son premier rendez-vous de la journée, puis du lieu du dernier rendez-vous jusqu'à son domicile, excèdent le trajet domicile-travail médian dans les régions considérées, ne prétend pas à un rappel de salaire pour un travail effectif en tant que salarié itinérant, mais sollicite des dommages-intérêts au titre des temps de déplacement excédentaires non indemnisés par l'employeur au cours des trois dernières années, faisant observer que l'employeur avait indiqué lors d'une réunion de la délégation unique du personnel du 27 juin 2018, qu'il ne prendrait aucune décision quant aux temps de déplacement, laissant au juge le soin de le faire.

Il ressort des pièces produites par la salariée, dont différents tableaux suffisamment précis et détaillés sur ses déplacements professionnels définis ci-dessus, que ceux-ci excèdent le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail d'un travailleur type dans les régions concernées.

Il n'est justifié d'aucune contrepartie réelle financière ou en repos, ce que ne suffit pas à mettre en évidence, en elle-même, une absence d'activité professionnelle pendant les seules vacances scolaires qui n'était que partielle, quand de surcroît des congés payés étaient pris au cours de celles-ci.

Au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il y a lieu de fixer la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnisation de ces temps de déplacement excédentaires.

Sur le solde de tout compte

- Alors que la salariée conteste les montants portés sur le solde de tout compte en raison de la non-prise en compte, pour le calcul du salaire maintenu à 100% pour les mois de février et mars 2020, de la part variable de sa rémunération devant être intégrée dans le salaire maintenu telle que calculée sur les douze mois civils précédant son arrêt maladie, l'employeur, qui se prétend libéré du paiement du maintien de salaire incluant la part variable, ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, du paiement, ni même des éléments de calcul, de la part variable incluse dans le maintien de salaire réglé.

Il convient donc, au vu des éléments d'appréciation et par voie d'infirmation du jugement, de fixer la somme de 1 300,21 euros brut à ce titre.

- Par ailleurs, la salariée sollicite la fixation à la liquidation judiciaire de la société Editions Sed d'une somme de 409,80 euros brut au titre des congés payés non versés dans le cadre du solde de tout compte en ce que 24,66 jours ont été payés alors que le bulletin de paie de janvier 2020 mentionne 28,5 jours en incluant l'acquisition, conformément à un usage, de congés payés au cours de son arrêt pour maladie ordinaire, ce à quoi le mandataire liquidateur oppose qu'une erreur n'est pas créatrice de droit.

Si la salariée ne justifie pas de l'usage dont elle se prévaut, il demeure qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union européenne. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340).

Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que la salariée peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour, c'est la somme de 409,80 euros brut qui reste due à ce titre. Cette créance sera ainsi fixée à la liquidation judiciaire de la société Editions Sed.

Sur le rappel d'indemnité de licenciement

Selon l'article 13 de l'annexe II, Agents de maîtrise, techniciens et cadres, article 13, de la convention collective nationale de l'édition du 14 janvier 2000 que :

« Sous les réserves ci-dessus, les agents de maîtrise, techniciens et cadres licenciés se voient verser une indemnité de licenciement lorsque celui-ci intervient après 6 mois de présence du salarié dans l'entreprise. Cette indemnité est calculée de la manière suivante :

- 1 mois de salaire par année de présence dans l'entreprise pendant les 5 premières années ;

- 0,8 mois de salaire par année de présence entre la sixième et la dixième année ;

- 0,6 mois de salaire par année de présence à partir de la onzième année.

L'indemnité de licenciement des agents de maîtrise, techniciens et cadres est plafonnée à 18 mois de salaire.

Elle fait l'objet d'un prorata en fonction du nombre de trimestres entiers de présence du salarié dans l'entreprise.

L'indemnité est calculée :

- sur les appointements mensuels de l'agent de maîtrise, du technicien ou du cadre au moment de la fin du délai-congé ;

- sur le 1/12 des autres rémunérations acquises au titre des 12 derniers mois, à l'exclusion des frais de déplacement et des indemnités et rémunérations n'ayant pas le caractère de salaire. »

Il résulte de l'application de ces dispositions et de l'article L. 1132-1 du code du travail, que la salariée est fondée à prétendre à l'allocation d'une indemnité conventionnelle de licenciement calculée en fonction d'un salaire de référence des douze derniers mois précédant l'arrêt de travail pour maladie, ce qui n'est pas utilement contesté.

Ainsi, en tenant compte des heures supplémentaires retenues par la cour pour leur montant correspondant à la période de référence, le salaire de référence est de 2 965,76 euros et le reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement à fixer à la liquidation judiciaire est de 5 783,69 euros (17 581,02 € - 11 797,33 €).

Sur la discrimination

L'article L. 1132-1 du code du travail dispose qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison, notamment, de son état de santé.

Aux termes de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions relatives au principe de non-discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

A l'appui de la discrimination qu'elle allègue avoir subie en raison de son état de santé, la salariée invoque la réduction de son indemnité de licenciement caractérisant selon elle une différence de traitement par rapport à ses collègues ne souffrant pas de maladie.

Ce faisant, elle présente un élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

L'employeur, qui se borne à indiquer avoir fait application des dispositions conventionnelles relatives au calcul de référence de l'indemnité de licenciement, quand cette application était en elle-même discriminatoire, ne prouve pas que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il y a donc lieu d'allouer à la salariée, à titre de réparation intégrale de son préjudice, la somme de 1 000 euros à fixer au passif de la procédure collective de la société Editions Sed.

Sur la demande de dommages-intérêts du syndicat

Le syndicat national livre édition CFDT sollicite l'allocation de dommages-intérêts pour le préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession d'attaché commercial en ce que l'employeur a commis des manquements aux règles relatives à la durée du travail, la salariée justifiant de l'accomplissement d'heures supplémentaires non rémunérées et de l'absence de compensation de la durée anormale de ses trajets.

Ainsi, l'action du syndicat ne relève pas de la défense de l'intérêt collectif de la profession en application de l'article L. 2132-3 du code du travail.

Cette action sera donc déclarée irrecevable.

Sur la garantie de l'AGS

Pour les créances allouées ci-dessus, la garantie est due, en application des articles L. 3253-6 et suivants du code du travail, dans les limites et plafond légaux et réglementaires.

Il sera dit que l'obligation de l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 8] de faire l'avance des créances garanties, s'exécutera sur présentation d'un relevé de créances par le mandataire liquidateur et justification de l'absence de fonds disponibles pour procéder à leur paiement.

En application des dispositions combinées des articles L. 622-28 et L. 641-3 du code de commerce, le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 10 octobre 2019 a arrêté le cours des intérêts légaux.

Sur les frais irrépétibles

En équité, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il statue sur les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et il n'y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions qu'au profit de la salariée. La somme de 1 000 euros lui est allouée au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. Cette créance sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Editions Sed.

Sur les dépens

Il convient de mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge du mandataire liquidateur es qualité et de dire que ces dépens seront pris en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant contradictoirement,

Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant,

Constate que Mme [W] [T] n'entend maintenir aucune demande à l'encontre de la SA Malakoff Humanis Assurances ;

Fixe les créances de Mme [W] [T] au passif de la liquidation judiciaire de la société Editions Sed comme suit :

- 1 115,18 euros brut à titre de rappel de salaire correspondant à des heures supplémentaires,

- 111,52 euros brut de congés payés afférents,

- 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité,

- 3 000 euros au titre de l'indemnisation des temps de déplacement excédentaires,

- 1 300,21 euros brut au titre d'un rappel de maintien de salaire de février et mars 2020,

- 409,80 euros brut à titre de reliquat d'indemnité de congés payés,

- 5 783,69 euros au titre d'un reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination ;

Dit que le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 10 octobre 2019, qui a prononcé une mesure de sauvegarde judiciaire au bénéfice de la société Editions Sed, a arrêté le cours des intérêts légaux ;

Dit le présent arrêt opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 8] et que sa garantie s'applique sur les créances fixées ci-dessus dans la limite des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants et D 3253-5 du code du travail ;

Dit que cet organisme ne devra faire l'avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d'un relevé par le mandataire liquidateur et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement ;

Fixe, en outre, au passif de la liquidation judiciaire de la société Editions Sed, la somme de 1 000 euros allouée à Mme [W] [T] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déclare irrecevable la demande formée par le syndicat national livre édition CFDT ;

Déboute les parties pour le surplus ;

Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de Me [P] [J], en qualité de mandataire liquidateur de la société Editions Sed, et dit que ces dépens seront pris en frais privilégiés de procédure collective

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 21/03353
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;21.03353 ?
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