COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 52B
chambre 1 - 2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 MARS 2024
BAIL RURAL
N° RG 22/06487 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VPPS
AFFAIRE :
M. [O] [P] [W] [N]
...
C/
Mme [X] [F]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Octobre 2022 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de CHARTRES
N°RG : 51-22-19
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 19/03/24
à :
Me Helia DA SILVA
Me Isabelle GUERIN
+
Parties
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [O] [P] [W] [N]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Maître Helia DA SILVA, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000011 - N° du dossier E00004QH
Madame [C] [G] [A] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Maître Helia DA SILVA, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000011 - N° du dossier E00004QH
APPELANTS
****************
Madame [X] [F]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Maître Isabelle GUERIN de la SELARL ISALEX, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000053 - N° du dossier E00009K2
Madame [H] [H] [J] [F]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Maître Isabelle GUERIN de la SELARL ISALEX, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000053 - N° du dossier E00009K2
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue en audience publique, le 07 Novembre 2023, Monsieur Philippe JAVELAS, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe JAVELAS, Président,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Anne THIVELLIER, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 28 novembre 2003 et pour une durée de dix-neuf ans, M. et Mme [N] ont consenti un bail rural à long terme à prise d'effet au 1er octobre 2003 pour se terminer le 30 septembre 2022 à M. et Mme [F] portant sur diverses parcelles pour une surface totale de 23ha 16a 20ca.
Par acte authentique du 19 février 2005, Mme [N] a consenti, pour une durée de dix-huit ans, un bail rural a long terme à prise d'effet au 1er octobre 2004 à M. [B] [F] et Mme [J] [F], et portant sur diverses parcelles pour une surface totale de 5ha 90a.
Par acte extra-judiciaire du 27 décembre 2018, les bailleurs ont, consécutivement au décès de M. [B] [F], notifié au notaire en charge de sa succession la résiliation des deux baux ruraux conclus respectivement les 28 novembre 2003 et 19 février 2005.
Par requête en date du 30 juin 2016, M. et Mme [N] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Chartres aux fins de solliciter la résiliation des deux baux ruraux susvisés.
Par requête du 6 février 2019, Mme [F] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Chartres aux fins de voir juger nulle et de nul effet la notification de résiliation des baux ruraux après décès délivrée le 27 décembre 2018.
Mme [J] [F] est décédée le 28 juin 2019.
Par courrier déposé le 23 avril 2020, Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [F], venant aux droits de leurs parents, M. [B] [F] et Mme [J] [F], ont sollicité la réinscription et la jonction des deux affaires instruites devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Chartres par requêtes du 30 juin 2016 et du 6 février 2019, et, par conclusions jointes, ont sollicité du tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :
- leur donner acte du dépôt de conclusions de reprise d'instance,
- ordonner la jonction des deux instances RG 51-19-000003 et RG 51-16-000013,
- juger sans objet la demande en résiliation des baux ruraux de 2003 et 2005 présentée par M. et Mme [N],
- constater que M. et Mme [N] ont fait régler à M. [B] [F] et Mme [J] [F] lors de la conclusion du bail rural à long terme du 28 novembre 2003, une somme indue a hauteur de 60323,40 euros,
- voir condamner M. et Mme [N] solidairement à leur payer la somme en principal de 60323,40 euros et ce, avec intérêts calculés en application de I'article L. 313-2 du Code monétaire et financier à compter :
o du 27 novembre 2003, pour la somme de 5 000 euros,
o du 10 décembre 2003, pour la somme de 38 786,40 euros,
o du 13 décembre 2003, pour la somme de 5 000 euros,
o du 12 janvier 2014, pour la somme de 11 537 euros,
outre la capitalisation des intérêts jusqu' à parfait paiement,
- condamner M. et Mme [N] à leur payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par leurs parents,
- leur donner acte qu'elles chiffreront le montant des indemnités de sortie dues par les bailleurs à l'issue de la récolte 2020,
- condamner M. et Mme [N] à leur payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par jugement contradictoire rendu le 7 octobre 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Chartres a :
- condamné in solidum Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] à payer à M. et Mme [N] en deniers ou quittances, la somme principale de 5 031,03 euros,
- condamné in solidum M. et Mme [N] à payer à Mme [H] [F], épouse [R] et Mme [X] [R] la somme principale de quarante-cinq mille sept cent trente-cinq euros et soixante-dix-neuf cents (45 735,79 euros), outre intérêts au taux légal majoré de trois points à compter du 16 février 2013, et ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière au moins,
- débouté Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] de leur demande en dommages et intérêts,
- condamné in solidum M. et Mme [N] à payer à Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] la somme principale de quatre mille cent vingt et un euros (4 121,00 euros), outre intérêts au taux légal à compter du présent jugement, et ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière au moins,
- condamné in solidum M. et Mme [N] à payer à Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] la somme de quatre mille euros (4 000,00 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum M. et Mme [N] aux entiers dépens,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, l'exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration reçue au greffe en date du 26 octobre 2022, M. et Mme [N] ont relevé appel de ce jugement.
Aux termes de leurs conclusions signifiées le 22 juin 2023, M. et Mme [N], appelants, demandent à la cour de :
- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par M. et Mme [N],
Y faisant droit,
- infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau,
- décharger M. et Mme [N] des condamnations prononcées contre eux en principal, intérêts, frais et accessoires.
- s'entendre donner acte à Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R], que les terres objet des baux des 28 novembre 2003 et 15 février 2005 ont été restitués par elles le 30 septembre 2020, date pour laquelle a été délivré le congé signifié le 27 décembre 2018,
- juger Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] tant irrecevables que mal fondées en l'ensemble de leurs moyens, fins et prétentions : les rejeter,
- condamner solidairement Mme [H] [F] épouse [R] et Mme [X] [R] au paiement du fermage et des impôts récupérables 2020,
- condamner Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] à verser à M. et Mme [N] la somme de 6 000 euros pour frais irrépétibles par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] à tous les dépens au titre de l'article 696 du code de procédure civile,
- condamner Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] à porter et payer au concluant la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] en tous les dépens,
- dire que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par Me Hélia Da Silva, avocat
au Barreau de Chartres, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs conclusions signifiées le 28 février 2023 et soutenues oralement à l'audience du 7 novembre 2023, Mme [H] [F] et Mme [X] [F], intimées et appelantes à titre incident, demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. et Mme [N] à restituer à Mmes [H] et [X] [F], au titre de la restitution du pas de porte, la somme de 45 735,79 euros en principal, outre les intérêts au taux légal majoré de trois points à compter du 16 février 2013, outre la capitalisation,
- infirmer le jugement entrepris sur le quantum et statuant à nouveau,
- condamner M. et Mme [N] à payer à Mmes [H] et [X] [F], à titre complémentaire, la somme de 21 537 euros en principal, et ce avec intérêts de droit majorés de trois points à compter du 16 février 2013 jusqu'au parfait paiement, outre la capitalisation des intérêts,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. et Mme [N] à payer à Mmes [H] et [X] [F] la somme de 4 121 euros au titre des améliorations culturales de sortie, outre intérêts au taux légal à compter du jugement et la capitalisation des intérêts,
- déclarer recevables M [H] et [X] [F] en leur appel incident et condamner M. et Mme [N] à leur payer, en réparation des préjudices moraux subis par leurs parents, la somme de 10 000 euros,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à Mmes [H] et [X] [F], au titre des frais irrépétibles de première instance, la somme de 4 000 euros,
- condamner in solidum M. et Mme [N] à payer à Mmes [H] et [X] [F] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. et Mme [N] aux entiers dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.
En cours de délibéré, la cour a demandé aux parties de présenter leurs observations quant à la date d'application du nouveau taux d'intérêt majoré prévu à l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime tel que modifié par la loi du 13 octobre 2014.
Par note du 13 mars 2024, Mmes [F] ont fait observer à la cour que, par application des dispositions combinées des articles L.411-74 du code rural et de la pêche maritime et de l'article 2224 du code civil, elle avait, par conclusions devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Chartres du 16 février 2018 sollicité le remboursement des sommes versées indûment et l'application du taux légal majoré de l'article L.411-74 du coder rural à compter du 16 février 2013, soit 5 ans avant les conclusions du 16 février 2018, si bien qu'elle sont parfaitement fondées à solliciter de la cour la restitution du paiement de l'indu, majoré de trois points à compter du 16 février 2013 jusqu'au parfait paiement, outre la capitalisation des intérêts à compter du 16 février 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I) Sur la demande en paiement des fermages au titre de l'année 2020
La condamnation des consorts [F] à payer à leurs bailleresses la somme de 5 031,03 euros, au titre des fermages de l'année 2020, sera confirmée, dès lors qu'elle ne fait l'objet d'aucune contestation de la part des preneurs.
II) Sur la restitution du pas-de-porte
Moyens des parties
Les bailleurs font grief aux premiers juges de les avoir condamnés, sur le fondement de l'article L. 411-74, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime, à rembourser à leurs preneurs une somme de 45 735, 79 euros, qui avait été versée par feu leurs parents, lors de la conclusion du bail du 28 novembre 2003.
Les preneurs produisent, au soutien de leur demande de remboursement, une facture, datée du 27 novembre 2003, émise par les époux [N] à l'intention de M. [B] [F], pour un montant total de 54 658, 39 euros hors taxes, soit 65371,44 toutes taxes comprises, se décomposant comme suit :
- 2 549,31 euros hors taxe pour le matériel,
- 6 379, 29 euros hors taxe pour installation de stockage,
- 45 735, 79 euros hors taxe pour l'amélioration du fonds.
La facture dont s'agit porte mention d'un règlement intervenu le 27 novembre 2003, au moyen d'un chèque bancaire n°813 2528, d'un montant de 30 000 euros et les consorts [F] soutiennent que le complément a été payé au moyen d'un autre chèque bancaire n°8132522 d'un montant de 35 371, 44 euros.
A hauteur de cour, les bailleurs contestent formellement avoir reçu la somme de 65 371, 44 euros toutes taxes comprises.
Ils exposent à la cour que :
- les preneurs font état d'un paiement de 30 000 euros au moyen d'un chèque n°8132528, alors que sur l'extrait de compte bancaire produit par ces mêmes preneurs, le chèque portant ce numéro ne correspond pas à la somme de 30 000 euros, mais à celle de 1 400 euros,
- ils contestent avoir été bénéficiaires du chèque n°8132522, d'un montant de 35 371, 44 euros,
- sur les extraits de compte des bailleurs, il n'apparaît qu'une seule remise de chèque de 30 000 euros le 4 décembre 2003, correspondant à la facture n°36, acquittée par M. [F] et se décomposant comme suit : 2 549, 31 euros hors taxe pour le matériel, 6 373, 29 euros hors taxe pour installation de stockage, 16 161,01 euros hors taxe au titre de l'amélioration du fonds, si bien que le pas-de-porte acquitté par les époux [F] serait en fait de 16 161, 03 euros hors taxe, soit 19 328, 56 euros toutes taxes comprises,
- aucune copie des chèques n'est produite alors qu'il suffisait aux preneurs de solliciter du Crédit agricole une copie recto- verso des chèques permettant d'en identifier les bénéficiaires et que la créance d'indu contre le bénéficiaire d'un chèque trouve son origine non dans l'émission du chèque mais dans son encaissement,
- les preneurs ne justifient pas que les sommes qu'ils ont versées excédent de plus de 10 % la valeur vénale des biens cédés.
- les preneurs ne démontrent pas non plus que les prêts bancaires qu'ils ont sollicités et obtenus leur ont permis de rembourser le pas-de-porte, dès lors que, par suite de l'agrandissement de leur exploitation, ils ont été contraints d'effectuer de nouveaux investissements.
Les preneurs concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné leurs bailleurs à leur restituer la somme de 45 735,79 euros et sollicitent, en outre et à titre de complément, le remboursement des sommes suivantes : 5 000 euros payée le 27 novembre 2003, 5 000 euros payée le 13 décembre 2003 et 11537 euros payée le 12 janvier 2004.
Ils exposent à la cour que :
- si le preneur sortant a droit à l'expiration du bail à une indemnité pour les améliorations apportées au fonds par son travail ou par ses investissements, cette indemnité est due uniquement par le bailleur et non par le preneur entrant et si une telle indemnité est payée par le preneur entrant, elle s'analyse comme un pas-de-porte prohibé par l'article L.411-74 du code rural et de la pêche maritime, sans même que la règle des 10 % visée par cet article en cas de surévaluation des biens cédés ait à s'appliquer,
- l'application de l'article L. 411-74 du code rural n'exige que deux conditions cumulatives : un changement d'exploitant et l'existence d'un bail rural et ces deux conditions sont, en l'espèce, réunies,
- les relevés de compte bancaire qu'ils produisent mentionnent des règlements de 30 000 euros et de 35 371, 44 euros par chèque n°8132521 et 8132522 les 4 et 10 décembre 2003, et prouvent à suffisance le paiement,
- les bailleurs n'expliquent pas pourquoi, s'ils n'ont pas reçu paiement de ces sommes, ils n'ont jamais engagé d'action en recouvrement de la somme de 65 371,44 euros toutes taxes comprises,
- la somme de 45 735, 79 euros au titre des améliorations représentant 1 975 euros par hectare au titre des améliorations culturales, alors que les indemnités de sortie s'élevaient à environ 300 euros par hectare, a été indûment perçue et doit être remboursée.
Réponse de la cour
L'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime dispose que :
'Sera puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30 000 € ou de l'une de ces deux peines seulement, tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire qui aura, directement ou indirectement, à l'occasion d'un changement d'exploitant, soit obtenu ou tenté d'obtenir une remise d'argent ou de valeurs non justifiée, soit imposé ou tenté d'imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci.
Les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition. Elles sont majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux de l'intérêt légal mentionné à l'article L. 313-2 du code monétaire et financier majoré de trois points.
En cas de reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci, l'action en répétition peut être exercée dès lors que la somme versée a excédé ladite valeur de plus de 10 %
L'action en répétition exercée à l'encontre du bailleur demeure recevable pendant toute la durée du bail initial et des baux renouvelés qui lui font suite ainsi que, en cas d'exercice du droit de reprise, pendant un délai de dix-huit mois à compter de la date d'effet du congé.'.
La prohibition d'ordre public qu'instaure l'article L.411-74 du code rural s'applique expressément à trois catégories de personnes, « tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire ». Elle ne concerne donc pas le seul preneur sortant mais également le bailleur qui, après avoir exploité lui-même ses terres, consent un bail rural.
Il incombe au juge de caractériser l'existence d'un bail rural et d'un changement d'exploitant (3e Civ. 5 avril 2006 pourvoi n° 05-11.552).
Tel est le cas en l'espèce, puisqu'un bail a été consenti, le 28 novembre 2003, par les époux [N] à M. [B] [F] sur des parcelles préalablement exploitées par M. et Mme [N], ce bail concernant diverses parcelles sises sur les communes de [Localité 8] et [Localité 7] et portant sur une superficie totale de 23 ha 16 a 20 ca.
Les preneurs soutiennent que le paiement litigieux a été, en l'espèce, effectué au profit des bailleurs, M. et Mme [N].
Il en résulte que la répétition des sommes éventuellement indûment perçues peut être réclamée à M. et Mme [N] sur le fondement de ce texte.
Les preneurs produisent, au soutien de leur demande de remboursement, une facture, datée du 27 novembre 2003, émise par les époux [N] à l'intention de M. [B] [F], pour un montant total de 54 658, 39 euros hors taxes, soit 65371,44 se décomposant comme suit :
- 2 549,31 euros hors taxe pour le matériel,
- 6 379, 29 euros hors taxe pour installation de stockage,
- 45 735, 79 euros hors taxe pour l'amélioration du fonds.
A hauteur de cour, les parties s'accordent à reconnaître que les sommes de 2 549, 31 euros et 6373,29 euros ne peuvent s'analyser comme des sommes ne correspondant pas à la valeur vénale des actifs cédés et susceptibles, par suite, de donner lieu à répétition.
S'agissant de la somme de 45 735, 79 euros, correspondant à des améliorations du fonds, il convient de rappeler qu'en cas d'amélioration du fonds loué par le preneur, c'est au bailleur qu'incombe le paiement de l'indemnité à l'expiration du bail ; que toute somme non justifiée perçue par le bailleur, le preneur sortant ou un intermédiaire à l'occasion d'un changement d'exploitant est sujette à répétition.
Aux fins d'échapper à la répétition les bailleurs soutiennent que le paiement des sommes mentionnées sur la facture n'est pas établi.
Le paiement, qui est un fait juridique, se prouve par tout moyen, y compris par présomptions judiciaires abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat.
Il résulte certes de l'article L. 131-67 du code monétaire et financier, que la remise d'un chèque ne vaut ni paiement ni novation ; la remise d'un chèque, fut-il de banque, ne vaut jamais que sous réserve de son encaissement par le bénéficiaire (Com., 17 avril 2019, pourvoi n° 17-13.595).
Toutefois, en l'espèce, les preneurs intimés démontrent l'encaissement des deux chèques litigieux en produisant leurs relevés de compte bancaires.
Il est vrai que, comme le soutiennent les appelants, les extraits de relevés de compte des preneurs ne permettent pas de déterminer l'ordre auquel étaient libellé les deux chèques litigieux ni leur bénéficiaire et qu'il n'est pas plus justifié d'une copie recto verso desdits chèques prouvant la qualité et l'identité du bénéficiaire.
Pour autant, ces deux chèques valent présomption de paiement en raison de la parfaite coïncidence entre le montant de la facture cosignée par les parties et celui cumulé des deux chèques litigieux débités du compte des preneurs et de la contemporanéité de ces paiements avec la facture, et cette présomption est corroborée par l'ensemble des circonstances de la cause et notamment l'absence d'engagement d'une action en recouvrement de la facture.
Ces indices précis et concordants permettent de tirer des conséquences quant à la réalité du paiement contesté et d'en rapporter la preuve, sans que la discordance, s'agissant du chèque de 30 000 euros, entre le numéro de chèque figurant sur la facture et celui mentionné sur le relevé de compte bancaire des intimées ne soit de nature à remettre en cause le paiement effectué par les preneurs.
La cour considère, par suite, que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du droit et des faits de la cause en considérant que le paiement était justifié par les dames [F], et confirmera, en conséquence, le jugement déféré de ce chef, les premiers juges ayant relevé à bon droit que le montant réglé au titre de l'amélioration du fonds correspondait à une somme d'environ 1 950 euros à l'hectare, sans commune mesure avec la valeur vénale pour l'année 2003 d'un montant à l'hectare compris dans une fourchette de 300 à 350 euros.
Les preneurs intimés revendiquent, en outre, le remboursement d'une somme totale de 21537 euros, correspondant à trois chèques d'un montant respectif de 5 000 euros, 5 000 euros, et 11 537 euros qu'ils disent avoir été payés par feu leur père à leurs bailleurs sans contrepartie les 27 novembre 2003 (5000 euros), 13 décembre 2003 (5 000 euros) et 12 janvier 2004 (11 537 euros).
Toutefois, s'agissant de cette somme réclamée à titre de complément, les relevés de compte bancaires produits par les preneurs, qui ne mentionnent aucun bénéficiaire et ne sont accompagnés d'aucune production des chèques litigieux, ne peuvent être rapprochés d'aucune facture cosignée par les parties comme c'est le cas pour la somme de 45 735, 79 euros correspondant à de prétendues améliorations du fonds, si bien que la preuve du paiement ne peut être considérée comme rapportée pour la somme dont s'agit et que les preneurs intimés doivent être déboutés de cette demande en paiement.
Par suite, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné les époux [N] à payer la somme de 45 735, 79 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 février 2013, soit cinq ans avant la demande de remboursement, en application des dispositions de l'alinéa 2 de l' article L 411-74, dans sa rédaction issue de la loi du 13 octobre 2014 et applicable au présent litige.
En effet, l' article L. 411-74, alinéa 2, que ce soit dans sa rédaction antérieure ou postérieure à la loi du 13 octobre 2014, prévoit que les intérêts sur les sommes perçues sont dus à compter de leur versement. Si ce texte déroge à la règle selon laquelle les intérêts ne courent que du jour de la mise en demeure, il ne déroge pas aux dispositions relatives à la prescription. Il convient, en effet, de distinguer la créance en principal, dont le montant est connu dès la date du versement, de la créance en intérêts qui elle est périodique et se calcule d'année en année. Même s'il s'agit d'une action en répétition de l'indu, s'agissant des intérêts, il n'existe aucune disposition faisant échapper l'action en répétition au délai de prescription extinctive de droit commun soit cinq ans. Les intérêts sur la somme de 45 735, 79 euros sont donc dus à compter du 16 février 2013, la première demande en paiement remontant au 16 février 2018, comme le souligne à bon droit les consorts [F].
Cependant, si la loi du 13 octobre 2014 a précisé que les dispositions de l' article L 411-74 étaient applicables immédiatement aux instances en cours, elles ne peuvent cependant pas s'appliquer rétroactivement à la répétition de sommes versées avant l'entrée en vigueur de la loi, qui n'a point d'effet rétroactif. Le taux majoré de trois points ne doit, par suite, être appliqué qu'à compter du 14 octobre 2014. Pour la période du 16 février 2013 au 13 octobre 2014, le taux légal non majoré sera substitué au taux déclaré inconstitutionnel. Le jugement sera, en conséquence, réformé sur la condamnation à intérêts et les époux [N] condamnés à payer la somme de 45 735, 79 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2013 jusqu'au 13 octobre 2014, et au taux légal majoré de trois points de l'article L 411-74 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime à compter du 14 octobre 2014.
III) Sur la demande en paiement au titre des améliorations culturales
Moyens des parties
Les époux [N] font grief aux premiers juges de les avoir condamnés à payer la somme de 4 121 euros au titre des améliorations culturales et concluent à titre principal à l'irrecevabilité de la demande en indemnisation, motif pris de sa tardiveté, et, à titre subsidiaire, au mal fondé de la demande, l'expert [L] ayant constaté dans son rapport que les résultats des analyses ne permettaient pas d'affirmer qu'en fin de bail des améliorations ou des dégradations ont été apportées ou commises, aucun état des lieux n'ayant été dressé au moment de la prise de possession des terres.
Les dames [F] de répliquer que la forclusion n'est pas encourue, dès lors qu'elles se sont manifestées dans le délai annal et que seules les manoeuvres des époux [N], qui ont refusé dans un premier temps de leur communiquer le rapport de l'expert [L], les ont empêchées de chiffrer leur demande en paiement.
Elles précisent, ensuite, que l'expert [L] a lui-même chiffré les améliorations culturales et qu'elles se bornent à solliciter l'entérinement de ses conclusions.
Réponse de la cour
L'article L.411-69 du code rural et de la pêche maritime dispose, dans son dernier alinéa :
' La demande du preneur sortant relative à une indemnisation des améliorations apportées au fonds loué se prescrit par douze mois à compter de la date de fin de bail, à peine de forclusion'
L'article L. 411- 69 du code rural et de la pêche maritime, résultant de la loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014, a ainsi instauré un délai préfix d'un an à compter de la résiliation du bail pour introduire la demande en indemnisation (Cass. 3ème civ., 9 mars 2023, pourvoi n° 21-13.646).
En application de l'article 2220 du code civil, les délais de forclusion ne sont, sauf dispositions contraires, pas régis par les règles relatives à la prescription et, hors les cas d'introduction d'une demande en justice (article 2241 du code civil)et d'exercice d'une mesure conservatoire ou d'exécution(article 2244 du même code), ils ne sont susceptibles ni d'interruption, ni de suspension, même dans l'hypothèse d'une impossibilité d'agir en justice par suite d'un empêchement résultant de la loi.
Au cas d'espèce, la résiliation des baux litigieux est intervenue le 30 septembre 2020 et la demande en indemnisation des dames [F] a été formée par conclusions du 1er juillet 2022 développées oralement devant les premiers juges.
Par suite la forclusion est encourue.
Le moyen tiré du fait que les preneurs n'auraient pas été en mesure de former leur demande plus tôt en raison du refus des bailleurs de leur communiquer le rapport d'expertise est inopérant, le délai de l'article L. 411-69 étant, comme il vient d'être dit, un délai de forclusion et non de prescription et étant, au surplus, relevé que les dames [F], assistées de leur conseil, étaient présentes aux opérations d'expertise et auraient donc pu former leur demande dans le délai prescrit par le code rural et de la pêche maritime.
Le jugement de condamnation déféré sera infirmé de ce chef et la demande déclarée irrecevable.
IV) Sur la demande de dommages et intérêts des dames [F] (10 000 euros)
Les intimées font valoir, au soutien de leur demande de dommages et intérêts, dont elles ont été déboutées par les premiers juges, que leurs parents ont vu leur installation gravement obérée par les pas-de-porte exorbitants que leurs bailleurs leur ont demandé d'acquitter pour leur consentir un bail.
Les époux [N] concluent à la confirmation du jugement ayant débouté les intimées de cette demande.
Réponse de la cour
Les dames [F] ne justifient pas d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé par les sommes qui leur ont été allouées en remboursement du pas-de-porte illicite exigé de leurs parents et qui sont, au surplus, assorties d'intérêts au taux légal majoré de trois points à compter du 14 octobre 2014.
Le jugement déféré ayant rejeté leur demande de dommages et intérêts sera, par suite, confirmé.
V) Sur les demandes accessoires
Chacune des parties succombant alternativement à hauteur de cour, il sera fait masse des dépens de la procédure d'appel qui seront partagés par moitié entre les parties, les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens de première instance et aux frais irrépétibles non compris dans ces mêmes dépens étant, toutefois et par ailleurs, confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant :
- dit que la somme de 45 735, 79 euros sera assortie des intérêts au taux légal majoré de trois points à compter du 16 février 2013,
- condamné in solidum M. et Mme [N] à payer à Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] la somme principale de quatre mille cent vingt et un euros (4 121 euros), outre intérêts au taux légal à compter du présent jugement, et ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière au moins ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés
Dit que la condamnation in solidum prononcée contre M. et Mme [N] à paiement de la somme de 45 735, 79 euros à Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R], portera intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2013 jusqu'au 13 octobre 2014 et aux taux légal majoré de trois points de l'article L 411-74 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime à compter du 14 octobre 2014 ;
Déclare irrecevable, pour cause de forclusion, la demande en paiement de la somme de quatre mille cent vingt et un euros (4 121 euros) formée par Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] à l'encontre M. et Mme [N] ;
Déboute Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] de leur demande en paiement de la somme de 21 537 euros ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute M. et Mme [N] et Mme [H] [F], épouse [R], et Mme [X] [R] de leurs demandes en paiement;
Fait masse des dépens de la procédure d'appel qui seront partagés par moitié entre les parties.
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,