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19/03/2024 | FRANCE | N°22/05393

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-1, 19 mars 2024, 22/05393


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Chambre civile 1-1





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 61B





DU 19 MARS 2024





N° RG 22/05393

N° Portalis DBV3-V-B7G-VMGN





AFFAIRE :



CPAM DES HAUTS DE SEINE

C/

S.A.S. LES LABORATOIRES SERVIER

...





Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 30 Avril 2020 par la Cour d'Appel de VERSAILLES

N° Chambre : 3ème

N° Section : >
N° RG : 19/00574



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES,



-Me Christophe DEBRAY

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX NEUF MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Chambre civile 1-1

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 61B

DU 19 MARS 2024

N° RG 22/05393

N° Portalis DBV3-V-B7G-VMGN

AFFAIRE :

CPAM DES HAUTS DE SEINE

C/

S.A.S. LES LABORATOIRES SERVIER

...

Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 30 Avril 2020 par la Cour d'Appel de VERSAILLES

N° Chambre : 3ème

N° Section :

N° RG : 19/00574

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES,

-Me Christophe DEBRAY

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (CIV.1) du 21 avril 2022 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de VERSAILLES (3ème chambre) le 30 avril 2020

CPAM DES HAUTS DE SEINE

agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20220624

****************

DÉFENDERESSES DEVANT LA COUR DE RENVOI

S.A.S. LES LABORATOIRES SERVIER

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social

N° SIRET : 085 48 0 7 96

[Adresse 4]

[Localité 7]

S.A.S. LES LABORATOIRES SERVIER INDUSTRIE

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentées par Me Christophe DEBRAY, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 22357

Me Nathalie CARRERE de la SCP PONS ET CARRERE, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : A193

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Décembre 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseiller chargée du rapport et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

[K] [T], assurée auprès de la CPAM des Hauts-de-Seine, s'est vue prescrire entre 1995 et 1999 le médicament Médiator, commercialisé par la société Les Laboratoires Servier. Elle a présenté en 1999 une hypertension artérielle pulmonaire primitive.

Elle a saisi le juge des référés et obtenu, par ordonnance du 12 juillet 2011, la désignation de M. [L] en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport le 31 mars 2014.

Mme [T] et ses proches ont, par actes d'huissier de justice des 5 et 8 septembre 2014, fait assigner les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie (ci-après Les Laboratoires Servier) ainsi que la CPAM des Hauts-de-Seine afin d'obtenir la réparation des préjudices consécutifs à la prise du Médiator.

[K] [T] est décédée le [Date décès 1] 2015.

Le 6 avril 2015, ses ayants droit ont conclu avec la société Les laboratoires Servier un protocole transactionnel d'indemnisation et se sont désistés de l'instance et de leur action.

Par jugement rendu le 4 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Nanterre, devenu tribunal judiciaire, a :

- Débouté les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie de leur demande de révocation de l'ordonnance de clôture et la CPAM des Hauts-de-Seine de sa demande de renvoi de l'instance devant le juge de la mise en état,

- Dit que la CPAM des Hauts-de-Seine ne rapporte pas la preuve que les conditions de la responsabilité des sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie sont réunies,

- Débouté en conséquence la CPAM des Hauts-de-Seine de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie,

- Condamné la CPAM des Hauts-de-Seine aux entiers dépens,

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision,

- Rejeté pour le surplus des demandes,

La CPAM des Hauts-de-Seine a interjeté appel de ce jugement le 24 janvier 2019 à l'encontre des sociétés Laboratoires Servier Industrie et Les Laboratoires Servier.

Par un arrêt rendu le 30 avril 2020, la cour d'appel de Versailles a :

- Confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la CPAM des Hauts-de-Seine aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Par un arrêt rendu le 21 avril 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a :

- Cassé et annulé, sauf en ce qu'il confirme le jugement ayant débouté les sociétés Les Laboratoires Servier Industrie et Les Laboratoires Servier de leur demande de révocation de l'ordonnance de clôture et la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine de sa demande de renvoi de l'instance devant le juge de la mise en état. l'arrêt rendu lé 30 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles,

- Remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyé devant la cour d'appel de Versailles autrement composée,

- A condamné les sociétés Les Laboratoires Servier Industrie et Les Laboratoires Servier aux dépens,

En application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rejeté la demande formée par la société Les Laboratoires Servier Industrie et la société Les Laboratoires Servier, et les a condamnés à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme globale de 3 000 euros,

- Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.

Par déclaration du 19 août 2023, la CPAM des Hauts-de-Seine a saisi la cour d'appel de Versailles.

Par d'uniques conclusions notifiées le 4 octobre 2022, elle demande à la cour de :

Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 21 avril 2022,

Vu les articles L. 376-1 et L. 376-4 du code de la sécurité sociale,

Vu l'article 2044 du code civil,

Vu les articles 1240 et 1245 et suivants du code civil,

Vu le rapport d'expertise de M. [L] du 31.03.2014

Vu la jurisprudence citée,

- La déclarer recevable et fondée en son appel du jugement rendu le 4 octobre 2018 par le tribunal de grande instance de Nanterre,

Y faisant droit,

- Infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- La déclarer fondée en son recours subrogatoire à l'encontre des sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie dans les conséquences dommageables consécutives à la prise du médicament Médiator dont a été victime Mme [K] [T] et ce, au titre des sommes servies à cette dernière,

En conséquence,

- Condamner in solidum les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie à lui payer la somme de 429.411,21 euros au titre du remboursement des prestations versées à feue Mme [K] [T],

- Condamner in solidum les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie à lui régler les intérêts au taux légal sur la somme de 285 907,83 euros à compter du 13 mai 2015 et, pour le surplus à compter du 8 janvier 2016 avec anatocisme conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil s'agissant des intérêts échus depuis plus d'un an,

- Condamner in solidum les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie à lui payer l'indemnité forfaitaire prévue à l'alinéa 9 de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale soit la somme de 1 091 euros,

- Condamner in solidum les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie à lui payer une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouter les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions en ce compris leur demande d'indemnité de procédure,

- Les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux la concernant au profit de Me Oriane Dontot (SELARL JRF & Associés), avocat au barreau de Versailles, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

Par d'uniques conclusions notifiées le 29 novembre 2022, les société Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie demandent à la cour de :

Vu le jugement entrepris,

Vu les dispositions des articles 1245 et suivants du code civil,

Vu les conclusions d'appel sur renvoi après cassation de la CPAM des Hauts-de-Seine et ses pièces n° 1 à 5,

Vu les présentes écritures et les pièces visées,

A titre principal,

- Confirmer le jugement rendu le 4 octobre 2018 par le tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu'il a débouté la CPAM de l'ensemble de ses demandes, faute pour elle de démontrer que les conditions de leur responsabilité sont réunies,

- Débouter en conséquence la CPAM des Hauts-de-Seine de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la CPAM des Hauts-de-Seine au paiement d'une somme de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre subsidiaire,

- Juger que leur responsabilité des sociétés ne peut être retenue sur le fondement de l'article 1240 du code civil en l'absence de preuve de l'existence d'une faute distincte du défaut du médicament Médiator®,

- Débouter en conséquence la CPAM des Hauts-de-Seine de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la CPAM des Hauts-de-Seine au paiement d'une somme de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre plus subsidiaire,

- Juger que la CPAM n'établit pas que les prestations servies postérieurement au 16 janvier 2012 sont en lien avec la prise de Médiator®,

- Débouter en conséquence la CPAM des Hauts-de-Seine de ses demandes de prise en charge des dites prestations, à savoir :

- Hospitalisations :

' Du 7 juin 2012 : 1.950,00 €

' Du 20 février 2013 : 595,05 €

' Du 30 juin au 2 août 2013 : 10.749,00 €

' Du 1 er au 4 avril 2014 : 5.850,00 €

' Du 9 au 11 avril 2014 : 3.900,00 €

' Du 5 au 13 mai 2014 : 15.600,00 €

' Du 24 au 27 juin 2014 : 5.850,00 €

' Du 11 au 13 juillet 2014 : 1.759,72 €

' Du 14 juillet au 1 er août 2014 : 35.100,00 €

' Du 19 au 25 décembre 2014 : 11.700,00 €

' Du 25 décembre 2014 au 13 janvier 2015 : 59.154,69 €

- Frais médicaux et pharmaceutiques : 44.486,60 €

- Frais de transport du 11 juillet 2014, d'un montant de 770,85 €

- Juger que sont sans lien avec le fait dommageable les hospitalisations suivantes :

o Hospitalisation du 4 au 5 septembre 2003 : 4.119,26 €

o Hospitalisation du 31 mars au 20 avril 2010 : 24.700,00 + 7.435,95 + 7.600,00 €

o Hospitalisation du 20 au 29 avril 2011 : 5.470,64 €

o Hospitalisation du 16 au 24 mai 2011 : 9.951,52 €

o Hospitalisation du 18 août au 1er septembre 2011 : 7.280,00 €

o Hospitalisation du 11 au 16 novembre 2011 : 5.758,00 €

En conséquence,

- Fixer comme suit le montant de la créance dont la CPAM justifie :

*Frais d'hospitalisation exposés avant le 12 janvier 2012 en lien avec le fait dommageable : 168 246,79 euros,

- Débouter la CPAM des Hauts-de-Seine de ses plus amples demandes,

A titre plus subsidiaire encore,

- Juger que les frais de transport du 11 juillet 2014 ne seront remboursés que dans la limite de 65% soit à hauteur de 501,05 €,

- Débouter en conséquence la CPAM de ses plus amples demandes.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de la saisine

Il résulte de l'arrêt rendu par la Cour de cassation que la présente cour est saisie d'une demande d'infirmation du jugement en ce qu'il a :

- Dit que la CPAM des Hauts-de-Seine ne rapporte pas la preuve que les conditions de la responsabilité des sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie sont réunies,

- Débouté en conséquence la CPAM des Hauts-de-Seine de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie,

- Condamné la CPAM des Hauts-de-Seine aux entiers dépens,

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision,

- Rejeté pour le surplus des demandes,

Sur le recours subrogatoire exercé par la CPAM des Hauts de Seine

Pour rejeter les demandes de remboursement de ses débours présentées par la CPAM au titre de son recours subrogatoire, le tribunal a estimé que la demanderesse ne démontrait pas qu'[K] [T] ait pris du Médiator, ni qu'elle ait subi des dommages en lien direct et certain avec la prise de ce médicament et ne développait aucun moyen de fait ou de droit de nature à établir la responsabilité des laboratoires Servier.

Moyens des parties

La CPAM des Hauts de Seine poursuit l'infirmation du jugement en précisant qu'elle fonde son recours sur l'article L 376-1 du code de la Sécurité Sociale.

Les laboratoires Servier soutiennent tout d'abord que la CPAM ne peut pas se dispenser d'établir que les conditions de sa responsabilité sont établies. Ensuite, ils affirment que la transaction conclue avec les ayants-droit d'[K] [T] ne contient aucune reconnaissance de responsabilité, son engagement public d'indemniser les personnes ayant souffert des effets indésirables du Médiator étant seulement moral.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyés aux conclusions des parties pour un exposé complet des moyens évoqués au soutien des prétentions.

Appréciation de la cour

En application de l'article L 376-4 du code de la sécurité sociale, 'La caisse de sécurité sociale de l'assuré est informée du règlement amiable intervenu entre l'assuré et le tiers responsable ou l'assureur.

L'assureur ou le tiers responsable ayant conclu un règlement amiable sans respecter l'obligation mentionnée au premier alinéa ne peuvent opposer à la caisse la prescription de leur créance. Ils versent à la caisse, outre les sommes obtenues par celle-ci au titre du recours subrogatoire prévu à l'article L. 376-1, une pénalité qui est fonction du montant de ces sommes et de la gravité du manquement à l'obligation d'information, dans la limite de 50 % du remboursement obtenu'.

Par ailleurs, il convient de rappeler les attendus principaux de l'arrêt, publié, rendu par la Cour de cassation le 22 avril 2022 (souligné par la cour) :

'Vu les articles L. 376-1, L. 376-3 et L. 376-4 du code de la sécurité sociale et l'article 2044 du code civil (...)

8. Il s'en déduit que, lorsqu'une personne conclut avec la victime d'un dommage corporel ou ses ayants droit une transaction portant sur l'indemnisation des préjudices en résultant, elle admet par là-même, en principe, un droit à indemnisation de la victime dont la caisse, subrogée dans ses droits, peut se prévaloir.

9. Il incombe alors aux juges du fond, saisis du recours subrogatoire de la caisse qui n'a pas été invitée à participer à la transaction, d'enjoindre aux parties de la produire pour s'assurer de son contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes dues à la caisse, en évaluant les préjudices de la victime, en précisant quels postes de préjudice ont été pris en charge par les prestations servies et en procédant aux imputations correspondantes.

Pour rejeter les demandes de la caisse, l'arrêt retient que celle-ci ne peut valablement soutenir que la transaction conclue entre les ayants droit et les sociétés, que la cour d'appel ne connaît pas et dont elle ignore les termes, suffirait à fonder sa demande et que l'article L. 376-4 du code de la sécurité sociale n'interdit pas aux sociétés d'invoquer le bénéfice de l'exonération de responsabilité prévue par l'article 1386-11, devenu 1245-19, du code civil.

En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.'

Il résulte de cet arrêt que la Cour de cassation considère que c'est à tort et en violation des articles précités que la cour d'appel de Versailles estime que la CPAM ne peut pas fonder sa réclamation sur les dispositions d'une transaction. Elle censure en outre l'arrêt attaqué en ce qu'il retient que l'article L. 376-4 du code de la sécurité sociale n'interdit pas aux sociétés défenderesses d'invoquer efficacement le bénéfice de l'exonération de responsabilité prévue par l'article 1386-11, devenu 1245-19, du code civil.

Le protocole d'accord transactionnel, qui a été versé aux débats par les Laboratoires Servier, autorise donc la CPAM à s'en prévaloir en tant que fait juridique.

Il revient dès lors à cette cour de rechercher si celui-ci peut s'analyser en une reconnaissance, par les laboratoires Servier, du droit à indemnisation de la victime et si la CPAM, en sa qualité de subrogée, peut obtenir le remboursement des prestations versées pour le compte d'[K] [T].

Tout d'abord, il convient de rappeler que les laboratoires Servier ne contestent pas que l'intéressée a suivi un traitement au Médiator. Ils ne contestent pas non plus que la pathologie qu'elle a développé est imputable à ce médicament.

En effet, le protocole est ainsi rédigé (souligné par la cour) 'A titre forfaitaire, transactionnel et définitif, la société Les laboratoires servier consent à indemniser, dans les conditions précisées ci-après, M. [W] [T] et ses trois enfants, [H], [D] et [U] [T] des préjudices imputables au traitement par Médiator® suivi par Mme [K] [M] épouse [T], ce qui est expressément accepté par chacun d'entre eux.

Il est expressément indiqué que cette indemnisation ne saurait constituer, de la part de la société Les laboratoires Servier la reconnaissance d'une quelconque faute ou d'un éventuel défaut du produit».

Les intimés reconnaissent donc l'imputabilité des préjudices subis par [K] [T] au Médiator, tout en contestant le caractère fautif.

Par ailleurs, ainsi que l'a souligné la Cour de cassation, '(...) lorsqu'une personne conclut avec la victime d'un dommage corporel ou ses ayants droit une transaction portant sur l'indemnisation des préjudices en résultant, elle admet par là-même, en principe, un droit à indemnisation de la victime'.

Les laboratoires Servier affirment que s'il y a un principe, il y a nécessairement des exceptions.

Néanmoins, ils n'expliquent pas comment, ou pourquoi, ils auraient accepté de verser une indemnisation aux ayants-droits de la victime sans, dans le même temps, reconnaître un droit à indemnisation de celle-ci. Ils n'expliquent pas plus ce qui pourrait constituer l'exception de nature à limiter la portée du principe, ni n'en justifient.

Les laboratoires Servier font valoir que cette indemnisation reposerait sur son engagement public 'moral' d'indemniser les personnes ayant souffert des effets indésirables du Médiator.

Il est patent que les laboratoires Servier ont reconnu le droit à indemnisation de la patiente, peu important que ce droit soit déconnecté de la notion de faute, des règles de la responsabilité civile ou de celles des produits défectueux. Cette reconnaissance résulte de leur liberté contractuelle.

La CPAM est fondée à se prévaloir de ce contrat (le protocole transactionnel) comme d'un fait juridique. Elle n'exerce pas un recours pour obtenir une réparation au titre d'un préjudice qui lui serait propre, mais bien au titre des préjudices subis par [K] [T], pour lesquels elle a fait l'avance d'une indemnisation en prenant en charge les frais d'hospitalisation et en remboursant les frais médicaux, et pour lesquels elle se trouve subrogée.

Le créancier subrogé disposant des mêmes droits que la victime, ce qui vaut pour [K] [T] vaut pour la CPAM.

Au surplus, c'est en vain que les laboratoires Servier prétendent pouvoir bénéficier de l'exonération de responsabilité fondée sur l'article 1245-10, 4°, du code civil.

Cet article dispose que 'Le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :

(...) 4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut'.

Les intimés soutiennent en effet que lors de la mise en circulation du produit entre 1995 et 1999, époque à laquelle [K] [T] s'est vue administrer le Médiator, ils n'avaient pas connaissance de l'existence d'un risque lié à son administration.

Un tel moyen est inopérant au regard de la décision de la Cour de cassation qui saisit cette cour et qui a censuré la première cour d'appel pour avoir énoncé ' (...) l'article L. 376-4 du code de la sécurité sociale n'interdit pas aux sociétés d'invoquer le bénéfice de l'exonération de responsabilité prévue par l'article 1386-11, devenu 1245-19 (en réalité 1245-10), du code civil'.

Ainsi, il est indiscutable que les Laboratoires Servier ayant signé une transaction avec la victime sans appeler la caisse d'assurance maladie à y participer, celle-ci peut invoquer l'accord ainsi intervenu, lequel implique une reconnaissance du droit indemnisation de cette victime, sans se voir opposer l'exonération de responsabilité résultant de l'article 1245-10, anciennement 1386-11, du code civil.

Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu'il a débouté la CPAM des Hauts de Seine de ses demandes de remboursement de ses débours.

Sur le quantum des demandes

Moyens des parties

La CPAM des Hauts de Seine sollicite le remboursement de la somme de 429 41,21 euros au titre de ses débours et verse une attestation d'imputabilité établie par son médecin conseil.

Les Laboratoires Servier soutiennent que les dépenses de santé postérieures à l'expertise judiciaire du 16 janvier 2012 ne sauraient être pris en charge car le lien de causalité avec le fait dommageables ne serait pas établi.

Appréciation de la cour

La CPAM des Hauts de Seine verse une ' Attestation d'imputabilité' établie par son médecin conseil de laquelle il résulte que l'ensemble des frais médicaux engagés au profit de Mme [T] sont imputables à la prise du Médiator.

La preuve d'un fait peut être rapportée par tout moyen de sorte que ce document, émanant d'un médecin conseil qui n'est pas un salarié de la caisse d'assurance maladie, est suffisant pour établir la preuve du lien de causalité entre les frais engagés et la prise du Médiator, d'autant que sa force probante n'est pas discutée. Seuls des éléments précis et circonstanciés seraient de nature à combattre efficacement la force probante de cette attestation.

Or, c'est en vain que les Laboratoires Servier contestent la prise en charge des frais postérieurs à l'expertise médicale, au motif que l'expert n'a pas pu certifier le lien de causalité entre ces frais postérieurs et la prise du Médiator, ou encore que certaines des hospitalisations sont sans lien direct et certain avec le fait dommageable.

Ces contestations sont en effet générales, non circonstanciées et non étayées par des pièces probantes.

Enfin, il est vain de faire valoir que les frais de transport ne sont remboursables qu'à 65% pour prétendre limiter ce poste de dépense à la somme de 501,05 euros au lieu de 770,85 euros correspondant aux frais réels.

En effet, ce sont les règles de l'indemnisation du préjudice qui doivent s'appliquer et non celles de la sécurité sociale. Or, la victime a le droit à une indemnisation de son entier préjudice.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de remboursement des débours à hauteur de la somme demandée, soit la somme de 429 411,21 euros, outre l'indemnité de 1 091 euros due en application de l'article L376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale.

La CPAM demande en outre que la condamnation soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2015 sur la somme de 285 907,83 euros et à compter du 8 janvier 2016 pour le surplus.

Elle ne justifie toutefois d'aucune mise en demeure à ces dates, de telle sorte que les intérêts ne commenceront à courir qu'à compter de ses conclusions notifiées le 9 juin 2017, sur la totalité de la somme.

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt commande d'infirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Les Laboratoires Servier seront condamnés aux dépens de première instance et des deux procédures d'appel, lesquels pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Ils devront en outre verser à la CPAM la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande au titre des frais irrépétibles formée par les intimés sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de la saisine, et par mise à disposition au greffe,

Vu le jugement rendu le 4 octobre 2018 par le tribunal de grande instance de Nanterre (RG 16/6423),

Vu l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 30 avril 2020 (RG 19/574),

Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 avril 2022 (Pourvoi 20-17.185),

INFIRME le jugement entrepris,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE in solidum les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie à payer la CPAM des Hauts de Seine la somme de 429 411,21 euros au titre du remboursement des prestations servies à [K] [T],

DIT que cette somme produira intérêt au taux légal à compter du 9 juin 2017,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

CONDAMNE in solidum les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie à payer la CPAM des Hauts de Seine la somme de 1 091 euros en application de l'article L376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale,

CONDAMNE in solidum les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie aux dépens de la procédure de première instance et des deux procédures d'appel,

DIT qu'ils pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

CONDAMNE in solidum les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie à payer la CPAM des Hauts de Seine la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-1
Numéro d'arrêt : 22/05393
Date de la décision : 19/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-19;22.05393 ?
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