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14/03/2024 | FRANCE | N°23/05748

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-6, 14 mars 2024, 23/05748


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 56C



Chambre civile 1-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 MARS 2024



N° RG 23/05748 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WAY5



AFFAIRE :



C.E. COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE (CSE) DE LA SOCIETE TA TA CONSULTANCY SERVICES FRANCE



C/



S.A. TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Juin 2023 par le Juge de l'exécution de NANTERRE

N° RG : 23

/00760



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 14.03.2024

à :



Me Florence FEUILLEBOIS de la SELARL FEUILLEBOIS HENROT ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS



Me Asma MZE, avocat au barr...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 56C

Chambre civile 1-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 MARS 2024

N° RG 23/05748 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WAY5

AFFAIRE :

C.E. COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE (CSE) DE LA SOCIETE TA TA CONSULTANCY SERVICES FRANCE

C/

S.A. TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Juin 2023 par le Juge de l'exécution de NANTERRE

N° RG : 23/00760

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 14.03.2024

à :

Me Florence FEUILLEBOIS de la SELARL FEUILLEBOIS HENROT ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Me Asma MZE, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

C.E. COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE (CSE) DE LA SOCIETE TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

SYNDICAT SOLIDAIRES INFORMATIQUE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Florence FEUILLEBOIS de la SELARL FEUILLEBOIS HENROT ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0463 - N° du dossier 20210106, substituée par Me Halima SAMOURA, avocat au barreau de PARIS

APPELANTES

****************

S.A. TATA CONSULTANCY SERVICES FRANCE

N° Siret : 401 595 483 (RCS Nanterre)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Asma MZE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2472908 - Représentant : Me Benjamine FIEDLER de l'AARPI BIRD & BIRD AARPI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R255 - N° du dossier TATCC2, substituée par Me Nathalie DEVERMAY, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller et Madame Florence MICHON, Conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,

EXPOSÉ DU LITIGE

Par ordonnance en date du 24 juin 2022, le président du tribunal judiciaire de Nanterre, statuant à la demande du Comité Social et Economique ( CSE) de la société Tata Consultancy Services France et du syndicat Solidaires Informatique, a :

enjoint à la société Tata Consultancy Services de suspendre, en ce qu'il s'applique aux correspondances numériques à caractère personnel des salariés, la mise en oeuvre du dispositif 'Data Leakage Protection', dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,

enjoint à la société Tata Consultancy Services de suspendre la mise en oeuvre du dispositif 'Secure Bordeless Work Space' dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

L'ordonnance a été signifiée le 19 juillet 2022 à la société Tata Consultancy Services France.

Saisi par le CSE et le syndicat Solidaires Informatique d'une demande de liquidation de l'astreinte fixée par l'ordonnance du 24 juin 2022, de fixation d'une astreinte définitive et d'allocation de dommages et intérêts pour résistance abusive, suivant assignation délivrée le 21 décembre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nanterre a, par jugement contradictoire rendu le 27 juin 2023 :

condamné la société Tata Consultancy Services France à payer au Comité Social et Economique de Tata Consultancy Services et au syndicat Solidaires Informatique la somme de 13 100 euros représentant la liquidation de l'astreinte fixée par l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Nanterre du 24 juin 2022, pour la période du 4 août 2022 au 12 décembre 2022 ;

dit que l'astreinte fixée par l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Nanterre du 24 juin 2022 s'agissant de l'injonction faite à la société Tata Consultancy Services de suspendre la mise en oeuvre du dispositif 'Secure Bordeless Work Space' dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance et sous astreinte de 1000 euros par jour de retard continue de courir ;

débouté le CSE de la société Tata Consultancy Services et le syndicat Solidaires Informatique de leur demande de fixation d'une nouvelle astreinte et de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

rejeté pour le surplus des demandes ;

condamné la société Tata Consultancy Services France à payer au Comité Social et Economique de Tata Consultancy Services et au syndicat Solidaires Informatique la somme de 1 500 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Tata Consultancy Services France aux entiers dépens ;

rappelé que les décisions du juge de l'exécution bénéficient de l'exécution provisoire de droit.

Le 31 juillet 2023, le Comité Social et Economique de la société Tata Consultancy Services France et le syndicat Solidaires Informatique ont relevé appel de cette décision.

La société Tata Consultancy Services a constitué avocat le 11 septembre 2023.

Par ordonnance du 16 janvier 2024, les conclusions par elle déposées le 22 décembre 2023 ont été déclarées irrecevables en application de l'article 905-2 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 février 2024, avec fixation de la date des plaidoiries au 7 février 2024.

Aux termes de leurs premières et dernières conclusions remises au greffe le 2 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, le Comité Social et Economique de la société Tata Consultancy Services France et le syndicat Solidaires Informatique, appelants, demandent à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a : dit que l'astreinte fixée par l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Nanterre du 24 juin 2022 s'agissant de l'injonction faite à la société Tata Consultancy Services France de suspendre la mise en oeuvre du dispositif 'Secure Bordeless Work Space' dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard continuait de courir ; condamné la société Tata Consultancy Services France au paiement de l'astreinte fixée par l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Nanterre du 24 juin 2022 pour la période du 4 août 2022 au 12 décembre 2022 ; condamné la société Tata Consultancy Services France à payer 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ; débouté la société Tata Consultancy Services France de ses demandes,

infirmer le jugement quant au quantum de l'astreinte provisoire liquidée pour la période du 4 août 2022 au 12 décembre 2022,

infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande de fixation d'une nouvelle astreinte définitive et de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Statuant à nouveau,

fixer le montant de la liquidation de l'astreinte provisoire prononcée contre la société TCS France

à titre principal, à la somme de 426 000 euros (calcul du 4 août 2022 au 3 octobre 2023 et sauf à parfaire au jour de la décision à intervenir,

à titre subsidiaire, à la somme de 352 000 euros (calcul du 4 août 2022 au 21 juillet 2023),

condamner la société Tata Consultancy Services France à payer cette somme à chacun des appelants, soit au CSE TCS France et au syndicat Solidaires Informatique,

condamner la société TCS France à verser une astreinte définitive de 10 000 euros par jour de retard et pour une durée de 100 jours à compter de la notification de la décision à intervenir,

condamner la société TCS France à payer à chacun des appelants, soit au CSE TCS et au syndicat Solidaires Informatique, la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive, sur le fondement de l'article L.121-3 du code des procédures civiles d'exécution,

condamner la société TCS France à verser à chacun des appelants, soit au CSE de la société TCS France et au syndicat Solidaires Informatique, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société TCS France aux entiers dépens sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Florence Feuillebois, avocat au barreau de Paris.

Faute de conclusions recevables, l'intimée est en application de l'article 954 du code de procédure civile réputée s'approprier les motifs du jugement dont appel.

A l'issue de l'audience, l'affaire a été mise en délibéré au 14 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

A titre liminaire la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, pour autant qu'elles sont soutenues par des moyens développés dans la discussion, et qu'elle ne répond aux moyens que pour autant qu'ils donnent lieu à une prétention correspondante figurant au dispositif des conclusions.

Sur la liquidation de l'astreinte

Pour statuer comme il l'a fait, le juge de l'exécution, après avoir relevé que les parties s'accordaient sur le fait que la société Tata Consultancy Services France n'avait jamais suspendu le dispositif litigieux, et qu'au contraire, celui-ci avait été mis en oeuvre, a considéré que, dès lors que le juge des référés, dont la décision n'a fait l'objet d'aucun appel ni demande d'interprétation, n'avait pas conditionné la suspension ni la mise en oeuvre postérieure du dispositif, il ne pouvait que constater que l'injonction de suspension n'avait pas été respectée.

Ensuite, compte tenu de l'enjeu du litige, de la mauvaise interprétation de la société [ qui considérait qu'elle n'avait pas à supprimer l'outil, mais seulement à régulariser la situation], des avancées dans les garanties apportées par la société [qui faisait valoir qu'elle avait repris le dialogue, ajouté les informations manquantes permettant de mettre fin au trouble et régularisé la situation], il a liquidé l'astreinte provisoire à la somme de 13 100 euros ( 131 jours X 100 euros).

Selon les appelants, la société a appliqué à dessein une interprétation infondée de l'ordonnance, pour justifier son inexécution, en considérant que la suspension de l'outil SBWS résultait d'une carence de consultation et de précisions constatée par le juge des référés, alors que les termes et la motivation de l'ordonnance étaient parfaitement limpides : le juge des référés, constatant que le CSE avait été formellement consulté sur la mise en oeuvre de ce dispositif lors de la séance du 5 juin 2020, a expressément écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de consultation, mais a estimé que le dispositif en cause portait au droit au respect de la vie privée des salariés une atteinte manifestement disproportionnée, et dès lors constitutive d'un trouble manifestement illicite. L'injonction n'a donc ni été conditionnée à la transmission d'une quelconque information complémentaire, ni limitée dans le temps comme le prétend la société. Et à aucun moment, ajoutent-ils, la société, alors qu'elle savait que le CSE et les organisations syndicales avaient une toute autre interprétation qu'elle de la décision du juge des référés, n'a émis la possibilité de recourir au juge pour trancher cette question, pas plus qu'elle n'a interjeté appel de la dite décision.

Considérant que si la société a annoncé le 21 juillet 2023 la suspension de l'outil, ils ne disposent d'aucun élément permettant de garantir l'effectivité de la suspension à cette date, les appelants demandent à la cour, à titre principal, de liquider l'astreinte au jour de la décision à intervenir, et au plus tôt le 3 octobre 2023, et à titre subsidiaire, si 'par extraordinaire' la cour venait à considérer que l'outil a été effectivement suspendu le 21 juillet 2023, de liquider l'astreinte sur la période allant du 4 août 2022 au 21 juillet 2023, soit 352 jours.

Soutenant que la société a fait obstruction à l'exécution de la décision, en refusant, dès l'origine, de suspendre l'outil SBWS, et qu'elle n'a rencontré aucune difficulté ni ne s'est heurtée à aucune cause étrangère, les appelants considèrent qu'il n'y a lieu à aucune réduction du montant de l'astreinte liquidée. Ils ajoutent que la raison première de la suspension de l'outil litigieux étant l'atteinte portée par celui-ci à la vie privée de l'ensemble des collaborateurs de la société, laquelle emploie plus de 1 000 personnes et réalise un chiffre d'affaire de plus de 300 millions (sic), en constante progression depuis 2017, il est primordial que le montant de l'astreinte soit à la hauteur du manquement en cause.

Ceci étant exposé, il est rappelé qu'en matière de liquidation d'astreinte, il appartient à la partie débitrice de l'obligation de faire mise à sa charge, dont le juge de la liquidation ne peut modifier les termes, d'apporter la preuve de l'exécution de cette obligation.

Il lui appartient également de démontrer, le cas échéant, qu'elle s'est exécutée dans le délai imparti par la décision qui fixe l'astreinte.

En vertu de l'article L.131-4 du code des procédures civiles d'exécution, le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. L'astreinte est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

Par ailleurs, il appartient au juge saisi d'une demande de liquidation d'une astreinte provisoire d'examiner, de façon concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide cette astreinte et l'enjeu du litige.

A titre liminaire, il sera rappelé que, comme l'a précisé le juge de l'exécution, la demande du CSE et du syndicat Solidaires Informatique ne porte que sur la liquidation de l'astreinte qui assortit l'obligation faite à la société de suspendre la mise en oeuvre du dispositif 'Secure Bordeless Work Space' ( ou SBWS), les appelants confirmant, aux termes de leurs conclusions, que l'outil 'Data Leakage Protection' ( ou DLP) a été arrêté, et qu'il n'est plus appliqué dans l'entreprise depuis le 3 août 2022.

Le jugement dont appel a retenu que l'obligation faite à la société de suspendre l'outil SBWS n'avait pas été exécutée, et a liquidé l'astreinte pour la période courant du 4 août 2022, point de départ de l'astreinte, jusqu'au 12 décembre 2022.

Ce point est acquis, puisque la cour n'est saisie d'aucune demande d'infirmation de ce chef de jugement, et il convient seulement de déterminer si, et le cas échéant à quelle date, l'injonction du juge des référés a été exécutée depuis le 12 décembre 2022.

Selon les appelants eux-mêmes ( page 6/19 de leurs conclusions), l'outil litigieux a été suspendu à compter du 21 juillet 2023, et ils versent aux débats un avis de l'équipe des ressources humaines, envoyé le 21 juillet 2023 aux collaborateurs de la société, les informant de la suspension de l'outil SBWS.

S'ils mettent en doute, dans la suite de leurs écritures, la réalité de l'exécution de la décision, au motif qu'ils ne disposent d'aucun élément permettant de garantir l'effectivité de la suspension au 21 juillet 2023, l'avis visé ci-dessus suffit à convaincre la cour que l'injonction du juge des référés a bien été exécutée à cette date, observation faite que les appelants ne produisent aucun élément objectif à l'appui d'un maintien de l'outil au delà du 21 juillet 2023, date qu'ils ont eux-mêmes reconnue dans les premières pages de leurs conclusions comme étant celle de l'exécution.

En conséquence, la cour retient que l'obligation assortie de l'astreinte a été exécutée, le 21 juillet 2023.

La liquidation de l'astreinte doit donc s'opérer pour la période allant du 4 août 2022 au 21 juillet 2023, soit 352 jours comme sollicité, à titre subsidiaire, par les appelants.

Pour liquider l'astreinte comme il l'a fait, le premier juge a visé, comme dit ci-dessus, l'enjeu du litige, ce qui renvoie au contrôle de proportionnalité, la mauvaise interprétation qu'a fait la société de la décision fixant ses obligations, ce qui renvoie aux difficultés rencontrées par le débiteur de l'obligation, et les avancées dans les garanties apportées par la société, ce qui renvoie au comportement du débiteur.

Il n'a pas constaté l'existence d'une cause étrangère, ayant eu pour effet de retarder l'exécution de l'injonction, et en tout état de cause, le fait pour le débiteur d'une obligation de mal comprendre les termes de celle-ci ne s'analyse pas en une cause étrangère.

L'ordonnance du 24 juin 2022, s'agissant de l'obligation de suspendre l'outil SBWS, retient dans ses motifs :

que le comité social et économique a été formellement consulté sur la mise en oeuvre de ce dispositif, lors d'une séance du 5 juin 2020, à l'occasion de laquelle il a émis un avis défavorable, raison pour laquelle le juge des référés écarte le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de consultation sur cet outil informatique,

au visa de l'article L.1121-1 du code du travail, interdisant à l'employeur de prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par un salarié grâce à un outil informatique mis à disposition pour son travail, et de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont il résulte qu'un employeur ne peut mettre en place un dispositif tendant, directement ou indirectement, à porter atteinte à la vie privée de ses salariés que si ces derniers ont été préalablement avertis de la nature, des modalités et de l'étendue de cette surveillance, si celle-ci poursuit un but légitime ne pouvant être atteint par un moyen moins intrusif, et si elle demeure strictement proportionnée au but poursuivi, qu'il ressort des pièces du dossier que le dispositif en cause permet notamment à l'employeur de surveiller à distance les noms des domaines et de réseaux utilisés, les heures d'utilisation de l'appareil informatique et les applications ouvertes par le salarié, sans faire la distinction entre les périodes où celui-ci est en situation de travail et les périodes où il ne l'est pas, qu'il s'ensuit que cet outil porte une atteinte au moins indirecte à la vie privée des salariés concernés, que les motifs avancés par l'employeur pour justifier de cette surveillance sont beaucoup trop imprécis et génériques pour permettre d'apprécier la proportionnalité du dispositif et, en particulier, déterminer si une solution moins intrusive était envisageable,

qu'en outre, aucune garantie n'est apportée s'agissant de l'identité précise des personnes ayant accès aux données collectées et aux éventuelles garanties contre leur utilisation à d'autres fins, alors-même que celles-ci seront stockées en Inde, que la mise en oeuvre du dispositif SBWS porte au droit au respect de la vie privée des salariés une atteinte manifestement disproportionnée et est dès lors constitutive d'un trouble manifestement illicite.

La décision, parfaitement explicite tant en ce qui concerne le constat opéré par le juge des référés qu'en ce qui concerne le moyen d'y mettre fin, ne nécessite aucune interprétation.

A supposer, pour les besoins du raisonnement, que l'ordonnance du juge des référés soit susceptible d'interprétation, il ressort des procès-verbaux des réunions du CSE des 29 juillet 2022, 2 août 2022 et 10 août 2022 que la lecture qu'en a fait la société, à savoir, en substance, que puisqu'il avait été retenu que l'information donnée aux salariés n'était pas exhaustive, il suffisait pour l'exécuter de leur apporter des informations supplémentaires, et qu'il n'était donc pas nécessaire de suspendre l'outil, a été contestée, de manière répétée, par les membres du CSE, qui ont fait observer, à de nombreuses reprises, que tel n'était pas le sens de la décision, que le juge des référés avait considéré que l'outil représentait une atteinte à la vie privée des salariés et que les moyens employés étaient disproportionnés par rapport aux objectifs à atteindre, et que les solutions proposées par l'employeur n'étaient pas conformes à la décision de justice. En sorte que, eu égard à ces multiples alertes, la société aurait dû, à tout le moins, s'interroger sur la pertinence de son analyse.

C'est à tort en conséquence que le premier juge, en considérant implicitement que la société pouvait légitimement commettre une erreur d'interprétation, a retenu une telle circonstance pour réduire le montant de l'astreinte.

Le juge de l'exécution, en se référant à l'argumentation de la société qui faisait valoir qu'elle avait organisé deux réunions du CSE les 12 et 29 juillet [2022] et apporté à ces occasions les précisions et garanties sollicitées par le juge des référés dans sa motivation, a retenu, également, que des avancées étaient intervenues dans les garanties apportées par la société. Cependant, l'injonction donnée à la société était de suspendre la mise en oeuvre du dispositif SBWS au sein de l'entreprise, parce que, comme dit ci-dessus, il portait une atteinte disproportionnée au droit des salariés au respect de leur vie privée, et non de fournir un complément d'information. Il ressort des procès-verbaux des réunions du CSE des 29 juillet 2022, 2 août 2022, 10 août 2022 et 15 et 16 novembre 2022, déjà évoqués, que la société, bien qu'alertée sur le fait qu'en se bornant à communiquer des informations alors qu'il lui était fait obligation de suspendre le dispositif litigieux, elle contrevenait à la décision de justice, a au contraire persisté dans son refus de s'exécuter, en prétextant que la suspension du dispositif n'était pas nécessaire puisqu'elle avait donné des informations complémentaires. Dans les circonstances ainsi décrites, le fait de donner aux salariés des précisions ou des garanties sur un dispositif jugé, en lui-même, attentatoire à la vie privée, ces explications et garanties étant à apporter au juge des référés, fût-ce par la voie d'un appel, pour le convaincre que le dispositif SBWS n'enfreignait pas la loi, ne justifie pas une réduction du montant de l'astreinte.

En dernier lieu, ainsi qu'il ressort des termes de l'ordonnance du 24 juin 2022, l'obligation mise à la charge de la société était destinée à empêcher qu'il soit portée une atteinte injustifiée à la vie privée des salariés. Ainsi, il n'apparaît pas qu'il existe, en l'espèce, un rapport déraisonnable entre le montant de l'astreinte, telle qu'il est sollicité par les appelants à l'égard d'une société commerciale de l'importance décrite, et l'enjeu du litige, qui justifierait de réduire le montant de l'astreinte ainsi que l'a fait le premier juge.

En considération de ce qui précède, l'astreinte sera liquidée, sans réduction du montant fixé par le juge des référés, à la somme de 352 000 euros, pour la période allant du 4 août 2022, date à laquelle elle a commencé à courir, jusqu'au 21 juillet 2023, date à laquelle la décision a été exécutée.

La société intimée sera condamnée au paiement de cette somme au CSE et au syndicat Solidaires Informatique ensemble et non pas à chacun d'eux comme demandé dans le dispositif des conclusions des appelants, dès lors d'une part, qu'une telle demande, déjà formulée en première instance, a été implicitement rejetée et que les appelants ne font valoir aucun moyen à l'appui d'une infirmation sur ce point, d'autre part, que le juge des référés a fixé une astreinte unique, et enfin, qu'une astreinte n'est pas destinée à indemniser un préjudice mais à inciter le débiteur de l'obligation à l'exécuter, et que le CSE et le syndicat Solidaires Informatique sont créanciers de la même obligation.

Le jugement dont appel est infirmé en conséquence.

Sur la demande de fixation d'une astreinte définitive

Le juge de l'exécution a considéré que, dans la mesure où l'astreinte instituée par l'ordonnance de référé du 24 juin 2022 courait sans limitation de temps, il y avait lieu de rejeter la demande tendant à la fixation d'une nouvelle astreinte.

Ce chef de jugement doit être confirmé dès lors que, outre que la nécessité de fixer une astreinte définitive pour assurer l'exécution de la décision n'est pas avérée puisque l'astreinte fixée par le juge des référés n'est pas limitée dans le temps, la cour retient que l'obligation assortie de l'astreinte a été exécutée, à la date du 21 juillet 2023.

Sur la demande de dommages et intérêts

Le juge de l'exécution a considéré que s'il était avéré que les interprétations [de l'ordonnance de référé ] étaient divergentes, les demandeurs ne rapportaient pas la preuve d'un réel abus de la société Tata Consultancy Services France dans son refus de mise en oeuvre [de la suspension ordonnée], cette dernière ayant poursuivi les discussions.

Les appelants font valoir que la société débitrice a refusé délibérément, sans motif valable et en faisant preuve de mauvaise foi, d'exécuter la décision de justice, alors que les termes de celle-ci étaient clairs et non équivoques, et qu'elle a persisté dans son refus en prétextant une interprétation de la décision différente de la leur, sans toutefois interjeter appel de la décision ou solliciter la confirmation de son interprétation par une requête auprès du juge, et continué de ce fait à porter atteinte au droit à la vie privée de ses salariés. Ils ajoutent que, en outre, si l'outil DLP a été suspendu, la société envisage d'appliquer un second outil DLP, malgré l'injonction du tribunal. La résistance particulièrement abusive de la société les a, expliquent-ils, contraints à agir en justice, la société, en refusant de s'exécuter, a délibérément maintenu le trouble manifestement illicite que constituait l'outil SBWS pour les droits et libertés des collaborateurs de l'entreprise, ce qui leur a causé un préjudice qu'il convient de réparer, et enfin, la menace de réinstaller un second outil DLP, alors que celui-ci constitue également un trouble manifestement illicite mérite également réparation.

Le juge de l'exécution peut, en vertu de l'article L.121-3 du code des procédures civiles d'exécution, condamner le débiteur à des dommages et intérêts en cas de résistance abusive.

Il ne peut cependant le faire que dans la limite des pouvoirs qui lui sont dévolus.

Aucune demande de liquidation d'astreinte n'ayant été formée s'agissant de l'obligation de suspendre la mise en oeuvre du dispositif 'Data Leakage Protection', la demande indemnitaire, en ce qu'elle se rapporte à ce dispositif, non concerné par la présente instance, n'est pas recevable.

S'agissant du dispositif 'Secure Bordeless Work Space', il découle de ce qui précède que sa suspension n'est intervenue que le 21 juillet 2023, soit un an après la notification de la décision qui l'ordonnait, que la société Tata Consultancy Services France ne peut légitimement se prévaloir d'une difficulté d'interprétation de cette décision, et que contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, les discussions ne se poursuivaient pas utilement puisque, en dépit des demandes argumentées qui lui ont été présentées, à plusieurs reprises, lors des réunions du CSE, elle a toujours opposé un refus de remettre en cause sa lecture manifestement erronée de la décision de justice, afin de s'abstenir d'exécuter la décision du juge des référés.

Ce refus de se soumettre à la décision rendue à son encontre, qui a dégénéré en abus compte tenu des circonstances exposées ci-dessus, a causé aux appelants, qui avaient obtenu une décision de justice permettant de mettre fin à une atteinte injustifiée à la vie privée des collaborateurs de l'entreprise, et qui ont dû supporter la persistance, pendant une année supplémentaire, du trouble manifestement illicite que constituait cette atteinte, un préjudice qu'il convient de réparer par l'allocation, à chacun d'eux, d'une somme de 3 000 euros de dommages et intérêts.

Le jugement déféré est infirmé en conséquence.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens sont à la charge de la société Tata Consultancy Services France, partie condamnée, qui sera en outre condamné à régler, à chacun des appelants, une somme que l'équité commande de fixer à 2 500 euros, au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

INFIRME le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nanterre le 27 juin 2023 en ce qu'il a :

liquidé à la somme de 13 100 euros l'astreinte fixée par l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Nanterre du 24 juin 2022, pour la période du 4 août 2022 au 12 décembre 2022 ;

débouté le Comité Social et Economique de la société Tata Consultancy Services France et le syndicat Solidaires Informatique de leur demande de dommages et intérêts ;

Confirme le jugement pour le surplus des dispositions dévolues à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

Déclare l'obligation assortie de l'astreinte exécutée au 21 juillet 2023 ;

Liquide à la somme de 352 000 euros l'astreinte fixée par l'ordonnance de référé rendue le 24 juin 2022 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre, assortissant l'injonction faite à la société Tata Consultancy Services de suspendre la mise en oeuvre du dispositif 'Secure Bordeless Work Space', pour la période courant du 4 août 2022 au 21 juillet 2023 ;

Condamne la société Tata Consultancy Services France à payer cette somme totale de 352 000 euros au Comité Social et Economique de la société Tata Consultancy Services France et au syndicat Solidaires Informatique ;

Condamne la société Tata Consultancy Services France à payer, à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, une somme de 3 000 euros au Comité Social et Economique de la société Tata Consultancy Services France et une somme de 3 000 euros au syndicat Solidaires Informatique ;

Condamne la société Tata Consultancy Services France à payer, par application de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 2 500 euros au Comité Social et Economique de la société Tata Consultancy Services France et une somme de 2 500 euros au syndicat Solidaires Informatique ;

Déboute le Comité Social et Economique de la société Tata Consultancy Services France et le syndicat Solidaires Informatique du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Tata Consultancy Services France aux dépens, et autorise le conseil du Comité Social et Economique de la société Tata Consultancy Services France et du syndicat Solidaires Informatique à recouvrer ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision préalable dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-6
Numéro d'arrêt : 23/05748
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;23.05748 ?
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