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14/03/2024 | FRANCE | N°22/02001

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 14 mars 2024, 22/02001


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 MARS 2024



N° RG 22/02001

N° Portalis DBV3-V-B7G-VIYD



AFFAIRE :



[Z] [P]

...



C/

S.A.S. STHREE

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 20/01106


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Me Maude BECKERS



la ASSOCIATION VEIL JOURDE



Me Mylène HADJI



Me Sébastien PO NCET



le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT Q...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 MARS 2024

N° RG 22/02001

N° Portalis DBV3-V-B7G-VIYD

AFFAIRE :

[Z] [P]

...

C/

S.A.S. STHREE

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 20/01106

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Maude BECKERS

la ASSOCIATION VEIL JOURDE

Me Mylène HADJI

Me Sébastien PO NCET

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [Z] [P]

née le 04 Avril 1989 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentant : Me Maude BECKERS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 141

ASSOCIATION EUROPEENNE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES AU TRAVAIL

N° SIRET : 340 096 528 00054

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Mylène HADJI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS

APPELANTES

****************

S.A.S. STHREE

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Pauline LARROQUE DARAN de l'ASSOCIATION VEIL JOURDE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T06 - Substitué par Me Solène HERVOUET, avocat au barreau de PARIS

S.A. ENGIE ENERGIE SERVICES

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant : Me Sébastien PO NCET de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 657

INTIMEES

***************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 31 Janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,

EXPOSE DES FAITS:

Mme [Z] [P] a été embauchée selon contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 3 juin 2019 en qualité 'd'ingénieur SIG' (système d'information géographique), par la société STHREE SAS, qui a pour activité le recrutement de personnes dans le secteur des sciences, technologie, ingénierie et mathématiques afin de répondre aux besoins d'entreprises en recherche de consultants spécialisés.

La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils, sociétés de conseils dite Syntec.

La société STHREE SAS a affecté Mme [P], par ordre de mission, au sein de la société Engie Energie Services dans le cadre de l'exécution d'un contrat de prestations de services conclu le 23 avril précédent.

Le 29 août 2019, Mme [P] a dénoncé auprès de son supérieur hiérarchique au sein de la société STHREE SAS, des faits de harcèlement sexuel imputés à un salarié de la société Engie Energie Services (M. [L]).

Par avenant du 30 septembre 2019, la société STHREE SAS a nommé Mme [P] dans l'emploi de 'consultante assistance à maîtrise d'ouvrage'.

À compter du 4 novembre 2019, Mme [P] a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Aux termes d'une visite de reprise du 24 janvier 2020, le médecin du travail a déclaré Mme [P] inapte à son poste, en précisant que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par lettre du 28 février 2020, la société STHREE SAS a notifié à Mme [P] son licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Au moment de la rupture du contrat de travail, la société STHREE SAS employait habituellement au moins onze salariés et la rémunération moyenne mensuelle de Mme [P] s'élevait à 4 166,66 euros bruts.

Le 7 juillet 2020, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre pour contester la validité de son licenciement et demander la condamnation 'solidaire' de la société STHREE SAS et de la société Engie Energie Services à lui payer des indemnités de rupture et diverses sommes.

L'Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail (ci-après l'association AVFT) est intervenue volontairement à l'instance et a réclamé l'allocation de dommages-intérêts.

Par un jugement du 11 mars 2022, le conseil de prud'hommes a :

-débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté l'association AVFT de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société STHREE SAS et la société Engie Energie Services de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamné Mme [P] aux dépens.

Le 23 juin 2022, Mme [P] a interjeté appel de ce jugement.

Le 4 juillet 2022, l'association AVFT a également interjeté appel de ce jugement.

Les deux procédures d'appel ont été jointes par ordonnance du 5 septembre 2022, sous le numéro RG : 22/02001.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 22 juillet 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, Mme [P] demande la cour d'infirmer le jugement attaqué et, statuant à nouveau, de :

1°) A TITRE PRINCIPAL :

- Sur le fondement de la fausse sous-traitance constitutive de marchandage, la condamnation solidaire des sociétés STHREE et ENGIE ENERGIE SERVICE au paiement des sommes suivantes :

* Dommages et intérêts pour marchandage 10 000 euros net

* Dommages et intérêts pour harcèlement sexuel 30 000 euros net

* Dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention 15 000 euros net

* Dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité 15 000 euros net

* Dommages et intérêts pour licenciement nul 12 mois 49 999,92 euros net

* Dommages et intérêts à titre d'indemnité de préavis 12 499,98 euros net

* Congés payés afférents 1 249,99 euros net

- sur le fondement de l'article L. 8223-1 du code du travail, la condamnation solidaire des sociétés STHREE et ENGIE ENERGIE SERVICE au paiement de dommages et intérêts pour travail dissimulé à hauteur de 24 999, 96 euros net

2°) À TITRE SUBSIDIAIRE :

- D'UNE PART, sur le fondement de l'article L. 4121-5 du code du travail, la condamnation

solidaire des sociétés STHREE et ENGIE ENERGIE SERVICE venant aux droits

d'ENGIE COFELY au paiement des sommes suivantes :

* Dommages et intérêts pour harcèlement sexuel 30 000 euros net

* Dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention 15 000 euros net

* Dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité 15 000 euros net

- D'AUTRE PART, sur le fondement des articles L. 1153-2 à L. 1153-5 du code du travail, la condamnation de la société STHREE au paiement des sommes suivantes :

* Dommages et intérêts pour licenciement nul 49 999,92 euros net

* Dommages et intérêts à titre d'indemnité de préavis 12 499,98 euros net

* Congés payés afférents 1 249,99 euros net

- EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

* ORDONNER dès la notification du jugement l'affichage de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard en application de l'article 24 du code de procédure civile;

* ORDONNER la remise de documents sociaux conformes (solde de tout compte, attestation Pôle emploi, certificat de travail)

* CONDAMNER la société STHREE au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'une carence dans la remise de documents sociaux à hauteur de 8 333,32 euros

3°) SI PAR IMPOSSIBLE, la COUR déclarait la société ENGIE ENERGIE SERVICE hors de cause, DE CAUSE :

- Condamner la société STHREE aux sommes suivantes :

* Dommages et intérêts pour harcèlement sexuel 30 000 euros net

* Dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention 15 000 euros net

* Dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité 15 000 euros net

* Dommages et intérêts pour licenciement nul 49 999,92 euros net

* Dommages et intérêts à titre d'indemnité de préavis 12 499,98 euros net

* Congés payés afférents 1 249,99 euros net

- ORDONNER dès la notification du jugement l'affichage de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard en application de l'article 24 du code de procédure civile ;

- ORDONNER la remise de documents sociaux conformes (solde de tout compte, attestation pôle emploi, certificat de travail)

- CONDAMNER la société STHREE au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'une carence dans la remise de documents sociaux à hauteur de 8 333,32 euros

4°) - à titre principal, condamnation solidaire des sociétés ENGIE et STHREE à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile exposé en première instance et celle de 3 000 euros pour les frais exposés devant la Cour.

- à titre subsidiaire la condamnation de la société STHREE à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile exposé en première instance et celle de 3000 euros pour les frais exposés devant la Cour.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 2 août 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, l'association AVFT demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés STHREE SAS et Engie Energie Services de leurs demandes et statuant à nouveau de :

- condamner solidairement la société Engie Energie Services et la société STHREE SAS à lui payer une somme de 3 000 euros en réparation de ses préjudices et une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- ordonner l'affichage du jugement à intervenir dans les locaux des sociétés Engie Energie Services et STHREE SAS sous astreinte de 50 euros chacune par jour de retard à compter de la décision.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 19 octobre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société STHREE SAS demande à la cour de :

- dire que la demande indemnitaire au titre d'un délit de marchandage ne relève pas de la compétence de la chambre sociale de la cour d'appel et en conséquence débouter Mme [P] de sa demande à ce titre et l'inviter à mieux se pourvoir ;

- confirmer le jugement attaqué ;

- débouter Mme [P] et l'association AVFT de leurs demandes ;

- en tout état de cause, dire que les dommages-intérêts alloués à Mme [P] s'entendent comme des sommes brutes avant CSG et CRDS ;

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 octobre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société Engie Energie Services demande la cour de :

- confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;

- condamner Mme [P] à lui payer une somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter Mme [P] de ses demandes.

Une ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 16 janvier 2024.

MOTIVATION :

Sur l'exception d'incompétence partielle soulevée par la société STHREE SAS :

Considérant qu'il appartient à la juridiction prud'homale de statuer sur la demande de dommages-intérêts formée par Mme [P] relativement à des faits de marchandage de main d'oeuvre, quand bien même ces faits sont par ailleurs constitutifs de délits pénaux ; qu'il y a donc lieu de rejeter l'exception d'incompétence soulevée à ce titre par cette société ;

Sur les dommages-intérêts pour marchandage à l'encontre de la société STHREE SAS et de la société Engie Energie Services :

Considérant que Mme [P] soutient que la société STHREE SAS et la société Engie Energie Services ont conclu un 'faux contrat de sous-traitance constitutif de faits de marchandage' en ce que :

- l'unique objet du contrat conclu entre les deux sociétés est la fourniture de main d'oeuvre, placée sous la responsabilité d'un cadre de la société Engie Energie Services, sans fournir de matériel spécifique ou de connaissances particulières ;

- il s'agit de fourniture de main-d''uvre à but lucratif puisque la société Engie Energie Services bénéficiait de cette prestation de fourniture de main d'oeuvre en termes de 'flexibilité' et 'faisait des économies certaines du fait de la non-application d'avantages collectifs' en vigueur dans l'entreprise ;

- elle en a subi un préjudice 'du fait de ne pas être directement salariée par la société Engie Energie Services' en ne bénéficiant pas des avantages de cette société ;

Qu'elle demande donc la condamnation 'solidaire' des deux sociétés à lui payer des dommages-intérêts pour ces faits de marchandage :

Que l'association AVFT soutient les mêmes moyens que ceux de Mme [P] ;

Que les deux sociétés intimées concluent au débouté ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 8231- 1 du code du travail : 'Le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail, est interdit' ;

Qu'en l'espèce, il ressort tout d'abord des débats et des pièces versées, et notamment du contrat de prestation de services conclu entre la société STHREE SAS et la société Engie Energie Services, des factures établies par la société STHREE SAS, de compte-rendus de suivi de mission établis par cette société, que l'objet du contrat conclu entre les deux sociétés ne porte pas exclusivement sur de la fourniture de main d'oeuvre mais sur la fourniture par la société STHREE SAS d'une prestation de services de développement cartographique des réseaux d'énergie appartenant à la société Engie Energie Services dans le cadre de son obligation légale de géoréférencement de ces réseaux lui incombant à partir du 1er janvier 2020, compétence très spécifique et correspondant à un besoin temporaire dont elle ne disposait pas en interne eu égard à son activité de gestionnaire de réseaux d'énergie ;

Que par ailleurs, le prix de cette prestation de services à été fixé à 41 600 euros, de manière forfaitaire et indépendamment du nombre d'heures de travail effectivement fournies par Mme [P], affectée à l'exécution du contrat conclu entre les deux sociétés ;

Qu'en outre, Mme [P] ne démontre en rien qu'elle était placée sous la subordination d'un salarié de la société Engie Energie Services (M. [L]), le courriel dans lequel elle indique à la société STHREE SAS qu'elle souhaitait prendre des congés payés au mois de juillet 'après validation par Engie cette semaine' étant insuffisant à établir un tel lien ;

Qu'enfin, Mme [P], qui se borne à procéder par allégation, n'établit en rien l'existence d'un préjudice tiré de ce qu'elle 'ne bénéficiait pas des avantages applicables aux salariées de la société Engie Energie Services, tels que des primes de participation et d'intéressement ou encore des avantages proposés dans le comité d'entreprise' ; qu'elle ne justifie donc pas d'un préjudice au titre d'un marchandage ;

Qu'il résulte de ce qui précède que Mme [P] n'établit pas l'existence de faits de marchandage de main-d''uvre entre les deux sociétés intimées ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de la demande de dommages-intérêts formée à ce titre à l'encontre des deux sociétés ;

Sur les demandes de condamnation 'solidaire' de la société Engie Energie Services relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail sur le fondement d'un marchandage :

Considérant qu'en l'absence de faits de marchandage, il y a lieu de confirmer le débouté de ces demandes dirigées contre la société Engie Energie Services à ce titre ;

Sur la demande de condamnation solidaire de la société STHREE SAS et de la société Engie Energie Services à payer une indemnité pour travail dissimulé prévu par l'article L. 8223-1 du code du travail :

Considérant qu'aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail, 'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales '

Qu'en l'espèce, Mme [P] soutient à ce titre qu'elle a travaillé sous la subordination de la société Engie Energie Services qui a ainsi pratiqué, par l'intermédiaire d'une fausse sous-traitance, du travail dissimulé à son égard ; qu'elle réclame en conséquence une somme de 24'999,96 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé à l'encontre de la société Engie Energie Services, étant précisé qu'elle ne soulève aucun moyen au soutien de sa demande contre la société STHREE SAS ;

Mais considérant que ainsi qu'il a été dit ci-dessus, aucune fausse sous-traitance ni aucun lien de subordination entre Mme [P] et la société Engie Energie Services ne sont établis ; que Mme [P] n'est donc pas fondée à réclamer l'allocation d'une indemnité dissimulée par dissimulation d'emploi salarié ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute Mme [P] de cette demande ;

Sur les demandes de condamnation 'solidaire' de la société Engie Energie Services sur le fondement de l'article L. 4121-5 du code du travail pour manquements à l'obligation de prévention du harcèlement sexuel, à l'obligation de sécurité et pour harcèlement sexuel :

Considérant qu'aux de l'article L. 4121-5 du code du travail : 'lorsque dans un même lieu de travail les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs coopèrent à la mise en 'uvre des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail' ;

Que contrairement à ce que soutient Mme [P], ces dispositions légales sont inopérantes pour obtenir devant la juridiction prud'homale la condamnation 'solidaire' de la société Engie Energie Services, laquelle n'est pas son employeur ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à lui payer des dommages-intérêts au titre de manquements aux obligations de prévention du harcèlement sexuel et de sécurité et au titre d'un harcèlement sexuel ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de ces demandes à l'encontre de la société Engie Energie Services ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel à l'encontre de la société STHREE SAS :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige : ' Aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. ' ;

Qu'en l'espèce, la société STHREE SAS reconnaît que Mme [P] a été victime d'un harcèlement sexuel de la part de M. [L], salarié de la société Engie Energie Services, lorsqu'elle accomplissait sa mission au sein de cette dernière société ;

Qu'il ressort des pièces versées aux débats, et notamment des pièces du dossier de la médecine du travail, que ce harcèlement sexuel a dégradé l'état de santé physique et psychique de Mme [P], notamment en créant un syndrome anxieux ;

Que le préjudice ainsi causé à Mme [P] sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 8 000 euros net à titre de dommages-intérêts ; que la société STHREE SAS sera ainsi condamnée au paiement de cette somme ; que le jugement attaqué sera infirmé sur ce point ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité à l'encontre de la société STHREE SAS :

Considérant que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement sexuel, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement sexuel, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ;

Qu'en l'espèce, il ressort des débats et des pièces versées, et notamment d'échanges de courriels intervenus entre Mme [P] et la société STHREE SAS à compter du jeudi 29 août 2019, que Mme [P] a dénoncé auprès de la société STHREE SAS les faits de harcèlement sexuel en litige et que dès le lendemain, vendredi 30 août, la salariée a été reçue par son supérieur hiérarchique et le service des ressources humaines pour être entendue sur ce point ; que le lundi 2 septembre 2019, la société STHREE SAS a porté à la connaissance de la société Engie Energie Services la dénonciation de Mme [P] et le même jour la société STHREE SAS a mis à pied à titre conservatoire M. [L] et l'a convoqué à un entretien préalable à un licenciement ; qu'une enquête interne a ensuite été menée par la société Engie Energie Services et cette dernière a licencié M. [L] pour faute grave à raison de ces faits le 7 octobre 2019 ;

Que la société STHREE SAS s'est par ailleurs enquise, peu après la dénonciation, de l'état de santé de Mme [P] et a pris l'initiative d'un rendez-vous auprès de la médecine du travail le 20 septembre suivant, ainsi que le montre un courriel adressé par un membre du service des ressources humaines à la salariée le 13 septembre 2019 ;

Qu'en outre, le dossier de la médecine du travail démontre que, contrairement à ce qu'elle prétend, Mme [P] a eu connaissance de la mise à pied à titre conservatoire prise à l'encontre de M. [L] de manière très rapide et savait ainsi qu'elle ne serait pas amenée à croiser ce dernier dans le cadre de son travail ;

Que la société STHREE SAS justifie ainsi avoir rempli son obligation de sécurité à l'égard de Mme [P] à la suite de sa dénonciation d'un harcèlement sexuel ;

Que par ailleurs et en toute hypothèse, Mme [P] ne justifie à ce titre d'aucun préjudice distinct de celui réparé par l'allocation de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel mentionné ci-dessus ;

Que dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le débouté de cette demande indemnitaire à l'encontre de la société STHREE SAS ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention du harcèlement sexuel à l'encontre de la société STHREE SAS :

Considérant en l'espèce, que Mme [P] ne justifie en tout état de cause d'aucun préjudice à ce titre ; qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande indemnitaire ;

Sur la validité du licenciement et ses conséquences :

Considérant que Mme [P] soutient que son inaptitude est la conséquence du harcèlement sexuel qu'elle a subi pendant l'exécution du contrat de travail ; qu'elle en déduit que son licenciement est nul et qu'il convient de lui allouer une indemnité pour licenciement nul et une indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents ;

Que la société STHREE SAS soutient que Mme [P] ne prouve pas que son inaptitude est la conséquence du harcèlement sexuel dont elle a été victime ; qu'elle conclut donc au débouté des demandes subséquentes ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1153-4 du code du travail : 'toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 1153-1 et L. 1153-3 d du travail est nul' ;

Qu'en l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats, et notamment du dossier de la médecine du travail, que le harcèlement sexuel subi par Mme [P] a entraîné une dégradation de son état de santé physique et psychique, matérialisée notamment par un syndrome anxieux, lequel a été constaté lors de la visite médicale du 20 septembre 2019 ; que si l'état de santé de Mme [P] s'est ensuite amélioré au cours du mois de novembre 2019, les visites médicales réalisées les 3 décembre 2019, 15 et 21 janvier 2020, par le médecin du travail démontrent que la salariée a ensuite été victime d'une dépression réactionnelle à ces faits de harcèlement sexuel, laquelle a conduit à son inaptitude physique à son poste ;

Qu'il s'ensuit que Mme [P] établit que son inaptitude est la conséquence du harcèlement sexuel subi ; qu'il s'ensuit que le licenciement pour inaptitude est nul contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Que dans ces conditions, Mme [P] est tout d'abord fondée à demander la condamnation de la société STHREE SAS à lui payer une indemnité pour licenciement nul dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail ; qu'eu égard à son âge (née en 1989), à sa rémunération, à son ancienneté inférieure à une année, à l'absence d'éléments sur sa situation professionnelle postérieure au licenciement, il sera alloué à Mme [P] une somme de 25 000 euros net à ce titre ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Que Mme [P] est en outre fondée à demander la condamnation de la société STHREE SAS à lui payer une somme de 12'499,98 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et une somme de 1 249,99 euros brut au titre des congés payés afférents ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Sur la demande dommages-intérêts afférents à la remise des documents de fin de contrat à l'encontre de la société STHREE SAS :

Considérant en l'espèce que Mme [P] ne produit aucune pièce établissant que la perception d'indemnité de chômage seulement à compter de juillet 2020 est la conséquence de manquements de l'employeur en matière de remise des documents sociaux de fin de contrat ; qu'elle ne justifie en outre d'aucun préjudice à ce titre ; qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande indemnitaire ;

Sur l'affichage de l'arrêt dans les locaux des sociétés sous astreinte :

Considérant en l'espèce qu'une telle mesure d'affichage sous astreinte n'est pas nécessaire ; qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande ;

Sur le remboursement des indemnités de chômage par la société STHREE SAS :

Considérant qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société STHREE SAS aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [P] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités ;

Sur la remise de documents sociaux :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'ordonner à la société STHREE SAS de remettre à Mme [P] un solde de tout compte, une attestation pour Pôle emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Sur la demande de dommages-intérêts formés par l'association AVFT à l'encontre de la société et de la société Engie Energie Services :

Considérant en l'espèce qu'il y a lieu de condamner la société STHREE SAS à payer à l'association AVFT, à raison du harcèlement sexuel subi dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail avec la société STHREE SAS, une somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par l'association AVFT dont l'objet est notamment de faire en sorte que les 'employeurs remplissent leurs obligations légales et jurisprudentielle en matière de harcèlement sexuel' ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Que l'association AVFT sera par ailleurs déboutée de sa demande indemnitaire contre la société Engie Energie Services, laquelle n'est pas l'employeur de Mme [P] ainsi qu'il a été dit ci-dessus ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ;

Que la société STHREE SAS sera condamnée à payer les sommes suivantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

- 2 000 euros à Mme [P] pour la procédure suivie en première instance et 2 000 euros pour la procédure suivie en appel ;

- 1 000 euros à l'association AVFT pour la procédure suivie en appel ;

Que Mme [P] sera déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la société Engie Energie Services,

Que l'équité commande de ne pas condamner Mme [P] à payer à la société Engie Energie Services une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que la société STHREE SAS sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Rejette l'exception d'incompétence partielle soulevée par la société STHREE SAS,

Infirme le jugement attaqué en ce qu'il statue sur la validité du licenciement de Mme [Z] [P], sur le débouté des demandes formées par Mme [Z] [P] à l'encontre de la société STHREE SAS de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel, d'indemnité pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, sur le débouté de la demande de dommages-intérêts de l'Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail à l'encontre de la société STHREE SAS, sur la remise de documents sociaux de fin de contrat, sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

Confirme le jugement attaqué pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [Z] [P] est nul,

Condamne la société STHREE SAS à payer à Mme [Z] [P] les sommes suivantes :

- 8 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel,

- 25 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 12'499,98 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 249,99 euros brut au titre des congés payés afférents,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et 2 000 euros à ce même titre pour la procédure suivie en appel,

Ordonne à la société STHREE SAS de remettre à Mme [Z] [P] un solde de tout compte, une attestation pour Pôle emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt,

Ordonne le remboursement par la société STHREE SAS aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [Z] [P] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités,

Condamne la société STHREE SAS à payer à l'Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail une somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

Condamne la société STHREE SAS à payer à l'Asssociation Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société STHREE SAS aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Monsieur LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 22/02001
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;22.02001 ?
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