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12/03/2024 | FRANCE | N°22/02608

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-1, 12 mars 2024, 22/02608


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Chambre civile 1-1





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B





DU 12 MARS 2024





N° RG 22/02608

N° Portalis DBV3-V-B7G-VEES





AFFAIRE :



[I] [R]

S.A.R.L. JEF2

C/

S.C.P.A. NFA LAW





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 21/000

01



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-Me Philippe CHATEAUNEUF,



-la SCP COURTAIGNE AVOCATS



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DOUZE MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versai...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Chambre civile 1-1

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 12 MARS 2024

N° RG 22/02608

N° Portalis DBV3-V-B7G-VEES

AFFAIRE :

[I] [R]

S.A.R.L. JEF2

C/

S.C.P.A. NFA LAW

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 21/00001

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me Philippe CHATEAUNEUF,

-la SCP COURTAIGNE AVOCATS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [R]

né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 10]

et

S.A.R.L. JEF2

prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité au siège social

N° SIRET : 422 884 254

[Adresse 2]

[Localité 8]

représentés par Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 - N° du dossier 2022052

Me Christophe LLORCA de l'ASSOCIATION FARTHOUAT ASSELINEAU ET ASSOCIES, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : R130

APPELANTS

****************

S.C.P.A. NFA LAW, anciennement dénommée NATAF FAJGENBAUM & ASSOCIES

agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social

N° SIRET : 352 81 0 2 87

[Adresse 1]

[Localité 9]

représentée par Me Thierry VOITELLIER de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 021434

Me Pierre LACLAVIERE substituant Me Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0042

INTIMÉE

***************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Décembre 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 14 mai 1999, Mme [O] a 'consenti' à la société JEF2 un bail dérogatoire sur un local situé [Adresse 6] à [Localité 12] (Calvados), avec effet au 15 mai 1999 jusqu'au 20 janvier 2000, bail renouvelé dans les mêmes conditions à sept reprises.

A compter du 15 décembre 2006, Mme [O] a confié la gestion de ce magasin à la société Emouna pour trois ans jusqu'au 31 décembre 2009. Cette dernière a, par lettre du 20 novembre 2006, notifié à la société JEF2 une obligation de quitter les lieux au plus tard le 8 janvier 2007, sauf à lui consentir un bail commercial soumis au statut moyennant un loyer supérieur et un droit d'entrée.

Parallèlement, par acte du 17 janvier 2007 délivré à la société Emouna, la société JEF2 a saisi le tribunal de grande instance de Lisieux aux fins d'obtenir la requalification de son bail précaire en bail commercial. Elle en a été déboutée par jugement du 29 mai 2008 qui a en outre ordonné son expulsion, exécutée le 13 août 2008, la société JEF2 ayant remis les clés et quitté les lieux.

Nonobstant l'appel interjeté de ce jugement par la société JEF2 devant la cour d'appel de Caen, la société Emouna a, en vertu de son mandat de gestion du bien, consenti un bail commercial à la société Appaloosa portant sur ce local, contrat signé le 28 août 2008.

La cour d'appel de Caen a, le 23 octobre 2008, infirmé ce jugement, dit qu'un bail commercial liait Mme [O] à la société JEF2 depuis le 3 janvier 2006 et a ordonné la réintégration de cette dernière dans le local.

Mme [O] est décédée le [Date décès 4] 2008, l'immeuble dont dépendent les locaux situés [Adresse 6] à [Localité 12] ont été attribués à sa fille, Mme [O], épouse [W] (ci-après 'Mme [W]'), suivant acte authentique du 15 mai 2009.

Afin d'obtenir sa réintégration effective, la société JEF2 a saisi le juge de l'exécution (autrement dénommé 'Jex') près le tribunal de grande instance de Lisieux qui, par jugement du 13 janvier 2009, a constaté qu'en raison de la coexistence du bail conclu avec la société Appaloosa, l'exécution en nature ordonnée par la cour d'appel de Caen (arrêt du 23 octobre 2008) était impossible.

Sur appel de la société JEF2, la cour d'appel de Caen, par arrêt du 6 octobre 2009, a considéré au contraire que le bail conclu avec la société Appaloosa ne faisait pas obstacle à la réintégration de la société JEF2 dès lors qu'il constituait une fraude aux droits de la demanderesse.

La société Appaloosa a été expulsée, sous astreinte. Par arrêt rendu le 10 juin 2010, la cour d'appel de Caen a réformé la décision du juge de référé qui avait rejeté la demande d'expulsion de la société Appaloosa. Postérieurement, cette dernière a cependant obtenu des délais (jusqu'au 1er septembre 2010) pour libérer les lieux par ordonnance du 29 juillet 2010 du juge des référés.

C'est dans ces circonstances que la société JEF2 a réintégré les lieux le 3 septembre 2010.

A la suite, deux types de procédures ont été initiés par la société JEF2 et M. [R] aux fins d'indemnisation du préjudice du fait de l'expulsion de la société JEF2 du local commercial intervenue effectivement le 13 août 2008 (1) et de fixation des montants des indemnités d'éviction et d'occupation à la suite du congé délivré sans offre de renouvellement le 24 juin 2014 (2). En effet, comme il le sera précisé ultérieurement la société JEF2, après avoir réintégré les lieux le 3 septembre 2010, a reçu congé en juin 2014, et a dû quitter les lieux en avril 2016.

1. Procédure d'indemnisation du préjudice du fait de l'expulsion de la société JEF2 du local commercial intervenue effectivement le 13 août 2008

M. [R] et la société JEF2 ont, par actes des 6 et 7 décembre 2012, fait assigner Mme [W] et la société Appaloosa devant le tribunal de grande instance de Lisieux aux fins d'obtenir leur condamnation à leur verser des dommages et intérêts en raison de l'expulsion intervenue en août 2008.

Par jugement du 9 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Lisieux a, en particulier :

- débouté la société JEF2 et M. [R] de leurs demandes dirigées contre la société Appaloosa ;

- déclaré Mme [W] entièrement responsable du préjudice subi par M. [R] et par la société JEF2 ;

- fixé à 384 418 euros le préjudice subi par la société JEF2 du fait de son éviction prématurée et à 74 593,60 euros le préjudice personnel distinct subi par M. [R] ;

- condamné Mme [W] au paiement de ces sommes respectivement à la société JEF2 et à M. [R] avec intérêts à compter de ce jugement ;

- condamné Mme [W] à verser à la société JEF2 la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur appel interjeté par des parties appelées en garantie par Mme [W], la cour d'appel de Caen, par arrêt du 7 février 2019 a, en particulier :

- confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lisieux du 9 novembre 2016 en ce qu'il :

* déboute la société JEF2 et M. [R] de leurs demandes dirigées contre la société Appaloosa ;

* déclare Mme [W] entièrement responsable du préjudice subi par la société JEF2 et M. [R] ;

* condamne Mme [W] à verser à la société JEF2 la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmé le jugement, en particulier, en ce qu'il :

* condamne Mme [W] à verser 384 418 euros au titre du préjudice subi par la société JEF2 du fait de son éviction prématurée et à 74 593,60 euros le préjudice personnel distinct subi par M. [R] ;

Statuant à nouveau, en particulier, de ce chef, la cour d'appel a :

- condamné Mme [W] à payer à la société JEF2 la somme de 76 625,81 euros en réparation de la marge brute perdue et 74 593,60 euros à M. [R] au titre de sa perte de rémunération.

2. La procédure en fixation de l'indemnité d'éviction

Par acte signifié le 24 juin 2014, Mme [W] a donné congé à la société JEF2 pour le 2 janvier 2015 avec refus de renouvellement du bail et offre d'une indemnité d'éviction. En effet, la société JEF2 après avoir réintégré les lieux le 3 septembre 2010, a reçu congé pour le 2 janvier 2015 et a quitté les lieux le 27 avril 2016.

Par ordonnance de référé du 30 avril 2015, le président du tribunal de grande instance de Lisieux a désigné M. [B] en qualité d'expert judiciaire avec pour mission de donner un avis sur le montant des indemnités d'éviction et d'occupation. L'expert a déposé son rapport le 16 février 2016.

La société JEF2 a libéré les locaux et restitué les clefs à la bailleresse le 27 avril 2016.

La société JEF2 a fait assigner, le 24 juin 2016, Mme [W] devant le tribunal de grande instance de Lisieux aux fins notamment de fixation des montants des indemnités d'éviction et d'occupation à la suite du congé délivré sans offre de renouvellement le 24 juin 2014 qui, par jugement rendu le 14 mai 2018, a, en particulier :

- Condamné Mme [W] à payer à la société JEF2 la somme de 257 500 euros au titre de l'indemnité d'éviction, avec intérêts de retard au taux légal à compter de la signification de ce jugement, avec anatocisme ;

- Condamné Mme [W] à payer à la société JEF2 les sommes de :

* 25 750 euros au titre de l'indemnité de remploi,

* 9 851 euros au titre de l'indemnité pour trouble commercial,

* 1 800 euros au titre des frais de déménagement,

- Condamné la société JEF2 à payer à Mme [W] en deniers ou quittances une indemnité d'occupation fixée à :

* 32 021 euros par an pour la période allant du 2 janvier 2015 au 2 janvier 2016,

* 32 400 euros par an pour la période allant du 3 janvier 2016 au 27 avril 2016 ;

avec intérêts de retard au taux légal sur les sommes restant dues par la société JEF2 au titre de cette indemnité qui courent à compter de la signification de ce jugement ;

- Condamné Mme [W] à régler à la société JEF2 la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par arrêt du 12 mars 2020, la cour d'appel de Caen a confirmé ce jugement à l'exception des dispositions du jugement qui ont condamné Mme [W] à payer à la société JEF2 les sommes de 257 500 euros au titre de l'indemnité d'éviction et de 25 750 euros au titre de l'indemnité de remploi. Statuant à nouveau, sur ces dispositions du jugement, la cour d'appel de Caen a, en particulier :

- Condamné Mme [W] à payer à la société JEF2 la somme de 180 348 euros au titre de l'indemnité d'éviction dite de 'déplacement ou de transfert' ayant pour assiette la valeur du droit au bail ;

- Dit que les sommes de 9 851 euros et 1 800 euros allouées à la société JEF2 par le jugement déféré respectivement en réparation du trouble commercial subi par la locataire pendant la période de déménagement et de réinstallation et au titre des frais de déménagement produiront intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement déféré et avec anatocisme ;

- Débouté la société JEF2 de sa demande en paiement d'une indemnité de remploi de 39 000 euros et subsidiairement de 36 300 euros.

Aux termes d'une convention d'honoraires conclue le 3 juillet 2015, la société JEF2 a confié la défense de ses intérêts à la société NPA Law (anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés) dans deux contentieux principaux l'opposant à son bailleur Mme [W] à savoir :

* celui lié à l'expulsion du local commercial, par la suite annulée avec obligation sous astreinte de réintégrer la société JEF2 dans celui-ci et à l'indemnisation du préjudice lié à la privation de jouissance des locaux ;

* celui survenu après la réintégration de la société JEF2 dans les locaux commerciaux puis son éviction avec désaccord sur le montant de l'indemnité d'éviction.

Reprochant à la société NFA Law (anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés) d'avoir commis des fautes dans l'exercice de son mandat, la société JEF2 et M. [R] l'ont, par acte d'huissier de justice délivré le 18 décembre 2020, fait assigner devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins d'obtenir sa condamnation à payer à la société JEF2 la somme de 148 632,40 euros et la somme de 46 148,40 euros à M. [R] au titre du dépassement du délai de l'article 909 du code de procédure civile, outre la condamnation de la société Nataf Fajgenbaum & Associés à lui payer la somme de 196 488 euros hors taxes soit 235 785,60 euros pour ne pas avoir justifié des frais de justice à la cour d'appel, ainsi que la somme de 201 402 euros au titre des communications du rapport de M. [Z] et de la facture du déménagement.

Par jugement contradictoire rendu le 29 mars 2022, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- Condamné la société NFA Law (anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés) à payer à la société JEF2 et M. [R] la somme de 21 236,40 euros en réparation de la perte de chance subie ;

- Débouté la société JEF2 et M. [R] de toutes leurs autres demandes de dommages et intérêts ;

- Débouté la société NFA Law (anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés) de sa demande de dommages et intérêts ;

- Condamné la société NFA Law (anciennement dénommé Nataf Fajgenbaum & Associés) à payer à la société JEF2 et M. [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- Condamné la société NFA Law (anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés) aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société JEF2 a interjeté appel de ce jugement le 13 avril 2022 à l'encontre de M. [I] [R] et de la société NFA Law.

Par leurs dernières conclusions notifiées le 8 novembre 2023, la société JEF2 et M. [I] [R] demandent à la cour, au visa des articles 47 et suivants du code de procédure civile, 1103, 1104 et suivants du code civil, 1231-1 et suivants du même code, de :

- Les recevoir en leur appel ;

- Les y déclarant bien fondés, y faisant droit,

- Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il :

* condamne la société NFA Law (anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associes) à leur payer la somme de 21 236,40 euros en réparation de la perte de chance subie,

* les déboute de toutes leurs autres demandes de dommages et intérêts.

Statuant à nouveau,

- Condamner la société NFA Law anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés à payer à la société JEF2 la somme de 148 632,40 euros au titre du dépassement du délai de l'article 909 du code de procédure civile ;

- Condamner la société NFA Law anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés à payer à payer 46 448,40 euros à M. [I] [R] au titre du dépassement du délai de l'article 909 du code de procédure civile ;

- Condamner la société NFA Law anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés à payer à la société JEF2, la somme de 196 488 euros hors taxes soit 235 785,60 euros pour ne pas avoir justifié des frais de justice à la cour d'appel ;

- Condamner la société NFA Law anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés à payer à la société JEF2, la somme de 201 402 euros au titre des communications du rapport de M. [Z] et de la facture du déménagement ;

- Condamner la société NFA Law anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés à payer 28 113,37 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées le 13 novembre 2023, la société NFA Law, anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés, demande à la cour, au visa de l'article 1231-1 du code civil, de :

- Déclarer la société JEF2 et M. [R] mal fondés en leur appel.

- La déclarer recevable et bien fondée en son appel incident ;

- Infirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société JEF2 et M. [R] la somme de 21 236,40 euros en réparation de la perte de chance subie, l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts, l'a condamnée à payer à la société JEF2 et M. [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et l'a condamnée aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

- Débouter la société JEF2 et M. [R] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.

- Condamner la société JEF2 et M. [R] à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

- Condamner la société JEF2 et M. [R] à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d'appel.

- Condamner la société JEF2 et M. [R] à lui verser la somme de 1 569,20 euros TTC en remboursement du coût du constat d'huissier.

- Condamner la société JEF2 et M. [R] aux entiers dépens dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile pour ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 23 novembre 2023.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l'appel,

Il résulte des écritures respectives des parties que le jugement est critiqué en toutes ses dispositions.

Sur la responsabilité de la société NFA Law

* Le contentieux lié à l'expulsion puis à la réintégration dans ses locaux

1. La violation des dispositions de l'article 909 du code de procédure civile

' Moyens des parties

Selon M. [R] et la société JEF2, à l'occasion de ce premier contentieux, la société NFA Law aurait commis différents manquements consistant à avoir laissé expirer les délais de l'article 909 du code de procédure civile et en ne versant pas les éléments de preuve du montant des frais d'avocat réclamé, soit la somme de 196 488 euros hors taxes.

Ils précisent que dans le premier jeu de conclusions notifiées à la cour d'appel de Caen, les intimés s'étaient bornés à solliciter la confirmation du jugement ; dans le second jeu, notifié hors délai, ils demandaient à ce que l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'expulsion de la société JEF2 du local commercial soit portée en faveur de la société JEF2 et de M. [R] aux montants respectifs de 472 103 euros et de 121 042 euros. Ils soulignent que la cour d'appel de Caen, par arrêt du 7 février 2019 (pages 11 et 12), a relevé que les intimés n'avaient pas interjeté appel incident des dispositions du jugement relatives au quantum de leurs préjudices dans les délais de l'article 909 du code de procédure civile de sorte qu'elle n'était régulièrement saisie que des conclusions sollicitant la confirmation du jugement. Ils en concluent que le manquement de la société NFA Law est établi.

Ils ajoutent que la cour d'appel de Caen a également estimé que leur demande tendant à la prise en compte des frais de justice évalués à 196 488 euros hors taxes composés des honoraires de la société NFA Law ne pouvait pas être accueillie faute pour eux d'avoir produit des pièces justificatives.

S'agissant du préjudice en lien avec le manquement résultant du non-respect des délais de l'article 909 du code de procédure civile, les appelants font valoir qu'il 'porte sur les différences entre ces demandes', donc la différence entre les sommes réclamées dans le premier jeu de conclusions et celles réclamées dans le second jeu donc pour la société JEF2 (472 103 euros - 384 418 euros) donc '148 632,40 euros' (sic) et pour M. [R] la somme de 46 448,40 euros (121 042 euros - 74 593,60 euros).

Ils soutiennent que le premier juge a commis une erreur manifeste de droit sur la notion de perte de chance en retenant que 'la seule différence entre les montants sollicités aux termes des premières conclusions et des conclusions signifiées tardivement' ne suffit pas à caractériser la perte de chance ; qu'ils ne justifient pas en quoi leur demande incidente avait une chance de succès. Selon eux, leur demande incidente était fondée sur des éléments objectifs puisque ressortant du rapport d'un expert-comptable spécialement missionné et dont les conclusions avaient été largement reprises. Leurs demandes étaient donc fondées sur des constats et la cour d'appel aurait, selon eux, fait droit à leurs demandes incidentes.

La société NFA Law poursuit l'infirmation du jugement qui retient l'existence d'une faute pour ne pas avoir notifié l'appel incident dans les délais de l'article 909 du code de procédure civile. Selon elle, la faute incombe entièrement à l'avocat postulant, M. [S]. Elle précise qu'à la suite de l'appel incident de Mme [W], elle a transmis le 22 mai 2017, les conclusions en réponse formant appel incident à M. [S], ce en temps utiles, mais cet avocat postulant n'a pas tenu compte de ses instructions données à deux reprises le 22 mai 2017 (pièces 7 et 9) et le 24 mai 2017 (pièce 8), à la suite de la demande de M. [S] qui sollicitait l'envoi de ce document en format 'Word'.

Elle précise que, pour une raison inconnue, M. [S] n'a pas exécuté sa demande de sorte que la faute du postulant est entière et la dégage de toute responsabilité.

Elle explique encore qu'un appel immédiat n'a pas été envisagé car les montants alloués par le premier juge était satisfaisant et que ce n'est qu'en raison de l'appel de Mme [W] sur le quantum que l'appel incident a été interjeté pour tenter d'augmenter les sommes allouées en réparation des préjudices.

Elle insiste donc pour que, à titre principal, aucune faute ne soit retenue contre elle.

A titre subsidiaire, elle demande la confirmation du jugement qui rejette la demande de ses adversaires en réparation du préjudice résultant de la perte de chance alléguée alors qu'il est manifeste qu'ils ne justifient pas de son existence.

Elle fait valoir que la cour d'appel de Caen a éliminé l'ensemble des postes retenus par le jugement qui lui était déféré pour ne retenir que la perte de marge brute de la société JEF2 évaluée à la somme de 151 219,41 euros. S'agissant du préjudice de M. [R], la société NFA Law indique que la cour d'appel de Caen a considéré que la rémunération de ce dernier devait être déduite de cette marge de sorte qu'elle a finalement alloué à la société JEF2 la somme de 76 625,81 euros (151 219,41 euros - 74 593,60 euros).

Elle en conclut que ni le préjudice allégué par la société JEF2 ni celui allégué par M. [R] dans ce second jeu de conclusions n'auraient été retenus puisque la cour d'appel de Caen a limité le préjudice de la société JEF2 à la marge brute et que, s'agissant de M. [R], elle a considéré que son préjudice résultait de la perte de rémunération laquelle qui était directement prélevée sur la société JEF2.

Elle soutient donc que l'indemnité allouée à la société JEF2 permet indirectement à M. [R] d'être indemnisé et qu'au final, il résulte de cet arrêt que les appelants ne justifient d'aucune perte de chance en lien avec la faute, le cas échéant, retenue contre elle.

' Appréciation de la cour

Contrairement à ce que soutient la société NFA Law, la présence d'un avocat postulant ne la dispense pas de faire preuve de diligences et de s'assurer que ses instructions ont été respectées par ce dernier.

Or, si effectivement la société NFA Law démontre avoir adressé des instructions à M. [S], l'avocat postulant, les 22 et 24 mai 2017, elle ne justifie pas s'être renseignée après cette date sur l'exécution de celles-ci. Ainsi, le 19 mai 2017, l'avocat postulant lui rappelait que 'le délai de l'article 909 expirera tant pour la société JEF2 que pour M. [R] le 12 juin 2017' (pièce 7, page 2, de la société NFA Law). Cependant, entre le 24 mai et le 12 juin 2017, la société NFA Law ne prouve pas avoir questionné M. [S], avocat postulant, à ce sujet.

La société NFA Law n'a pas plus appelé en garantie M. [S]. Elle ne l'a pas mis en cause afin qu'il réponde de ses propres fautes. Or, sans les manquements de la société NFA Law et de M. [S], M. [R] et la société JEF2 n'auraient pas perdu une chance de faire valoir leurs moyens de fait et de droit, de produire les éléments de preuve à l'appui de leur demande de majoration du montant de l'indemnisation de leurs préjudices subis en raison de l'expulsion de la société JEF2 du local commercial.

Il s'ensuit que c'est exactement que le jugement retient le manquement de la société NFA Law dans l'exécution de sa mission.

La perte de chance de pouvoir le faire à l'appui de leur demande de majoration du montant des dommages et intérêts alloués en réparation des préjudices subis en raison de l'expulsion de la société JEF2 du local commercial est donc avérée.

Pour autant, il revient aux demandeurs de justifier que sans ces fautes et manquements de leur conseil, ils auraient eu une chance sérieuse et réelle d'obtenir satisfaction devant la juridiction de fond. En d'autres termes, ces éléments qu'ils n'ont pu faire valoir devant la juridiction qui aurait dû juger au fond de leurs demandes doivent être fournis à cette cour tenue d'évaluer les chances de succès des prétentions des appelants. Il leur revient de fournir à la cour, appelée à mesurer les chances de succès de leurs prétentions, les éléments qui lui permettront de reconstituer la discussion qui n'a pas pu avoir lieu devant la cour d'appel de Caen par la faute de la société NFA Law.

En l'espèce, pour emporter la conviction de cette cour sur les chances de succès de leurs prétentions qui n'ont pu être examinées par la cour d'appel de Caen ils font valoir que leurs demandes étaient fondées sur des 'éléments objectifs' tirés du rapport de M. [G], expert comptable spécialement mandaté à cet effet par M. [R], et dont les conclusions avaient été largement reprises dans leurs conclusions récapitulatives que la cour d'appel de Caen a décidé d'écarter des débats.

L'analyse de l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 7 février 2019 enseigne que le rapport de M. [G] a été examiné et qu'a été débattue la consistance tant du préjudice de la société JEF2 que de celui de M. [R] résultant de l'expulsion de la société JEF2 du local commercial par Mme [W].

Or, réformant le jugement qui lui était déféré, la cour d'appel de Caen a éliminé l'ensemble des postes de préjudices invoqués par la société JEF2 et M. [R] pour ne retenir que la perte de marge brute de la société JEF2, à concurrence donc de la somme de 151 219,41 euros.

Elle a ensuite considéré que si la société JEF2 n'avait pas été évincée par le fait de Mme [W], elle aurait réalisé la marge perdue, donc 151 219,41 euros, et aurait prélevé sur celle-ci les fonds nécessaires au paiement de son gérant, M. [R]. Elle a estimé que la société JEF2 n'aurait conservé pour elle que le solde de cette marge après prélèvement et qu'elle n'était donc fondée à réclamer en réparation de son entier préjudice que le montant correspondant à ce solde, le surplus de la marge perdue devant être alloué à M. [R] en réparation de son propre préjudice constitué par sa perte de rémunération. Elle a relevé que la perte de rémunération de M. [R] s'élevait à 121 042 euros (montant au reste invoqué et réclamé par ce dernier dans les conclusions tardives), qu'elle n'était régulièrement saisie que d'un montant de 74 593,60 euros de ce chef. Elle a par conséquent condamné Mme [W] à verser à la société JEF2 la somme de 76 625,81 euros (151 219,41 euros - 74 593,60 euros) en réparation de la marge brute et la somme de 74 593,60 euros à M. [R].

Dès lors, il est patent que la société JEF2 n'a pas subi une perte de chance d'obtenir des dommages et intérêts d'un montant de 472 103 euros, puisque la cour d'appel de Caen a décidé de limiter le montant des dommages et intérêts au solde de la marge brute une fois la rémunération de M. [R] prélevée ; quant à M. [R] le montant des dommages et intérêts auquel il pouvait prétendre serait nécessairement venu en déduction de celui alloué à la société JEF2, comme le retenait l'arrêt de la cour d'appel de Caen de sorte que si cette cour avait retenu le montant de 121 042 euros au lieu de le plafonner à 74 593,60 euros, l'indemnisation de la société JEF2 aurait nécessairement été fixée à 30 177,41 euros [151 219,41 euros (perte de marge) - 121 042 euros (rémunération du gérant)]. Ainsi, comme l'observe judicieusement l'intimé, M. [R] ne subit aucun préjudice car il prélève sa rémunération sur la société JEF2 et l'indemnisation allouée directement à la société JEF2 permet indirectement à M. [R] d'être indemnisé.

Il s'ensuit que c'est exactement que le premier juge a débouté tant la société JEF2 que M. [R] de leurs demandes.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

2. Les fautes alléguées dans l'évaluation des frais de justice à l'encontre de la société NFA Law

Le tribunal a retenu l'existence de manquements imputables à la société NFA Law en matière d'évaluation des frais de justice consistant à ne pas avoir remis les pièces relatives aux frais de justice facturés par instance et payés ainsi que ceux concernant les articles 700 du code de procédure civile auxquelles avait été condamnée la bailleresse.

Analysant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Caen, il a indiqué que contrairement à ce que soutenait la société NFA Law la demande de la société JEF2 n'avait pas été rejetée en raison des jugements rendus et revêtus de l'autorité de la chose jugée, mais en raison de l'absence de production des pièces nécessaires à l'appui de sa demande relative au paiement des frais de justice.

Il a considéré que ce faisant la société NFA Law avait commis une faute professionnelle et que la société JEF2 démontrait ainsi avoir perdu une chance d'obtenir le remboursement de la somme de 70 788 euros ; il a évalué la perte de chance à 30% de sorte qu'il a condamné la société NFA Law à payer à la société JEF2 et à M. [R] la somme de 21 236,40 euros.

' Moyens des parties

M. [R] et la société JEF2 poursuivent l'infirmation du jugement qui limite le quantum de ce préjudice à la somme de 21 236,40 euros et demandent la condamnation de la société NFA Law à payer à la société JEF2 la somme de 196 488 euros hors taxe soit 235 785,60 euros toutes taxes comprises pour ne pas avoir justifié des frais de justice devant la cour d'appel de Caen.

Selon eux, quatre fautes sont imputables à la société JEF2 :

* une faute dans l'analyse juridique de l'astreinte qui ne sont pas des frais de justice et qui n'auraient pas dû venir en déduction de ceux-ci ;

* une faute dans la stratégie adoptée ; en effet, selon eux, l'expert amiable, M. [G], avait proposé cette approche et il appartenait à la société NFA Law de contester ce raisonnement pour servir les intérêts de ses clients ; en suivant l'approche de cet expert, la société NFA Law n'a fait que servir les intérêts adverses ;

* un défaut de conseil de la part de la société NFA Law à l'égard de ses clients puisqu'il lui revenait de les avertir des conséquences de la validation de cette approché qui aboutissait en réalité à les priver de la possibilité d'obtenir la condamnation de leur adversaire à régler l'ensemble des frais de justice réglés par eux pour assurer la défense de leurs intérêts ;

* une faute dans l'association de M. [R] à cette stratégie judiciaire.

Ils soutiennent que ces fautes représentent pour eux un manque à gagner de 90 200 euros.

De même, ils reprochent à la société NFA Law d'avoir considéré que pour démontrer la réalité des frais de justice réglés par eux, il suffisait de renvoyer au rapport amiable et à ses annexes (pièce 3) alors que la cour d'appel de Caen a considéré qu'ils leur appartenaient de produire les pièces permettant de prouver qu'il n'aurait pas été statué sur une partie de ces frais à hauteur de 70 788 euros. Ils reprochent au premier juge d'avoir limité le montant des dommages et intérêts à la somme de 21 236 euros.

La société NFA Law poursuit l'infirmation du jugement qui la condamne à verser la somme de 21 236 euros. Elle soutient, à titre principal, que si elle avait produit les factures d'honoraires relatives aux différentes procédures ayant opposé la société JEF2 à Mme [W], la cour d'appel de Caen n'aurait pu que constater qu'il avait été statué sur ces frais au titre des demandes d'articles 700 du code de procédure civile formulées dans le cadre de ces mêmes procédures.

' Appréciation de la cour

Il est clair que la société JEF2 sollicite la condamnation de la société JEF2 à lui verser la somme de 196 488 euros hors taxes soit 235 785,60 euros au titre des frais de justice à savoir les honoraires d'avocats qu'elle prétend avoir versés au cours des différentes procédures engagées contre Mme [W].

Il apparaît que ce montant correspond à ce qui a été récapitulé en page 13 de l'expertise de M. [G] et détaillé en page 7 de cette expertise (pièce 3 des appelants). Ce montant est constitué des frais et honoraires d'avocats [honoraires de la société NFA Law : 161 333 euros + autres intervenants (huissiers de justice, autres avocats, conseils et avoués) : 27 655 euros + honoraires de M. [G] : 7 500 euros].

L'expert précise qu'il a pu viser les pièces justificatives et les notes d'honoraires et qu'il les a récapitulées en annexes 11 et 12.

La pièce 11 récapitule les différents honoraires versés à la société NFA au titre des procédures en référé en 2007 et 2008, en exécution d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance en 2008 et 2009, devant le Jex de Lisieux en 2009, en appel de la décision du Jex de Lisieux en 2009, en référé en 2010, puis en appel du référé en 2010, en appel en 2010, pour la liquidation de l'astreinte en 2010, en hypothèque provisoire en 2010. L'annexe 11 correspond donc à un montant total de 159 508,50 euros hors taxes pour les honoraires de la société NFA au titre des diligences accomplis à l'occasion de ces multiples procédures.

Aucune facture ni note d'honoraires n'est produite devant cette cour.

La pièce 12 énumère le coût des différentes prestations d'intervenants pour un montant total de 27 655, 09 euros hors taxes et correspond aux coûts de constats d'huissier de justice (sans plus de précision), signification de jugement ou d'arrêts de cour d'appel et de Cour de cassation.

Aucune facture ni note d'honoraires n'est produite devant cette cour.

Il apparaît à la lecture de ces tableaux que la société JEF2 réclame le paiement de montant sur lesquels il a déjà pu être statué au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'occasion des jugements et arrêts rendus au cours des nombreuses procédures. Ni la société JEF2 ni M. [R] ne donnent des précisions à cet effet et ne commentent de manière détaillée les pièces à l'appui de leurs demandes. La lecture des quelques décisions rendues dans le cadre de ces multiples procédures enseigne cependant qu'aucune juridiction n'a accordé les montants sollicités par la société JEF2 devant cette cour. De même, les frais d'huissier de justice ont pu être réglés au titre des dépens accordés par les juridictions antérieurement saisies des affaires au fond.

Il s'ensuit que c'est à tort que la société JEF2 prétend avoir perdu une chance d'obtenir les sommes qu'elle a versées à la société NFA au titre de ses honoraires pour les prestations réalisées à l'occasion de ces multiples procédures puisqu'elle ne le démontre pas et qu'il est justifié par la société NFA Law que les frais de justice, en partie au moins, ont été pris en compte à l'occasion des différents procès. En tout état de cause, il revenait à la société JEF2 de démontrer qu'elle a perdu une chance sérieuse, actuelle et réelle d'obtenir devant la cour d'appel de Caen le remboursement de ces frais si son conseil avait produit les factures d'honoraires ce qu'elle ne fait pas.

Il apparaît encore que les demandes de la société JEF2 ne sont nullement précises et que, en réalité, elle se borne à asseoir ses demandes sur les tableaux et les conclusions de cet expert amiable, sans fournir les factures et honoraires qui faisaient défaut à la cour d'appel de Caen. Ainsi, devant cette cour, elle reproduit le même comportement qui lui a été reproché par la cour d'appel de Caen, et qu'elle reproche devant cette cour à la société NFA Law. Ce faisant, elle ne permet pas à cette cour d'apprécier, preuve à l'appui, si les montants récapitulés par l'expert correspondent à des prestations qui n'ont pas été prises en compte par les juridictions précédemment saisies.

Enfin, il apparaît encore des productions que la société NFA n'est pas restée inactive et s'il peut lui être reproché quelques manquements, il n'en demeure pas moins qu'elle a permis à la société JEF2 de gagner des procès contre sa bailleresse, autorisant ainsi la requalification du bail précaire en bail commercial, obtenant tant sa réintégration après son expulsion que l'indemnisation de ses préjudices ainsi que le paiement d'une astreinte. Il s'ensuit que c'est à tort qu'elle se croit autorisée à réclamer le remboursement de l'intégralité des honoraires de son avocat, la société NFA Law, alors qu'en contrepartie du paiement de ceux-ci, son conseil a fourni des prestations qui ont permis à la société JEF2 d'obtenir satisfaction dans ses procès contre sa bailleresse.

Le jugement en ce qu'il accorde la somme de 21 236,40 euros en réparation de la perte de chance sera dès lors infirmé et les demandes de la société JEF2 de ce chef seront rejetées.

* Le contentieux en fixation de l'indemnité d'éviction

1. La communication d'un rapport d'expertise amiable établi par [Z] Expertises

- Moyens des parties

La société JEF2 poursuit l'infirmation du jugement qui écarte l'existence de cette faute aux motifs que :

* si l'expertise amiable produite dans le cadre de l'expertise judiciaire était défavorable à la société JEF2 s'agissant de la valeur du fonds de commerce, elle lui était en revanche favorable au titre de la valeur du droit au bail, qu'ainsi cette expertise amiable n'était pas défavorable à la société JEF2 dans sa globalité, qu'une expertise amiable n'a pas la même force qu'une expertise judiciaire ;

alors que :

* cette expertise amiable a permis à l'expert judiciaire de faire une moyenne entre ses propres conclusions et celles de l'expert amiable de sorte que les résultats ainsi obtenus ont permis à l'expert de minorer les valeurs retenues aboutissant à une perte de 110 000 euros pour les appelants.

Ils en concluent qu'ayant ainsi subi une perte nette de 110 000 euros, la société NFA Law en produisant ce rapport d'expertise amiable a accompli une diligence contraire aux intérêts de ses clients.

La société NFA Law poursuit la confirmation du jugement.

' Appréciation de la cour

Il ressort du rapport d'expertise amiable que si effectivement les valeurs retenues par l'expert judiciaire diffèrent de celles retenues par l'expert amiable, il n'en demeure pas moins que le rapport d'expertise amiable n'est pas globalement défavorable à la société JEF2.

En effet, l'expert judiciaire a considéré que la valeur du fonds de commerce de la société JEF2 était égale à 363 000 euros alors que l'expert amiable l'estimait à 152 000 euros, les deux experts ayant eu recours à deux méthodes distinctes d'évaluation. En revanche, l'expert judiciaire a retenu que la valeur du droit au bail était égale à 191 000 euros alors que l'expert amiable considérait que celle-ci atteignait le montant de 281 000 euros.

Il s'ensuit que c'est à tort que la société JEF2 prétend que produire cette pièce allait à l'encontre de ses intérêts.

En outre, c'est de manière pertinente que la société NFA Law fait valoir que la production de cette expertise était d'autant moins blâmable que la cour d'appel de Caen, dans son arrêt du 12 mars 2020 (pièce 2 de l'appelante) a considéré que le bailleur n'était pas redevable d'une indemnité de remplacement ayant pour assiette la valeur du fonds de commerce, mais d'une indemnité de déplacement ou de transfert ayant pour assiette la valeur du droit au bail (page 6 de cet arrêt). Or, ainsi que précisé antérieurement, la valeur du droit au bail estimée par l'expert amiable était bien plus favorable au preneur, la société JEF2, que celle retenue par l'expert judiciaire.

Il s'ensuit que la faute de la société NFA Law n'est pas caractérisée sur ce point.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

2. La communication de la facture de déménagement

' Moyens des parties

La société JEF2 poursuit l'infirmation du jugement qui rejette les moyens des demandeurs relatifs à la faute de la société NFA Law pour avoir produit cette facture sans laquelle la cour d'appel de Caen, dans son arrêt du 12 mars 2020, n'aurait pas, selon la société JEF2, retenu que le fonds de commerce n'avait pas été perdu et, par voie de conséquence, elle aurait accueilli la demande d'indemnité d'éviction.

La société NFA Law poursuit la confirmation du jugement de ce chef.

' Appréciation de la cour

Comme le soutient de manière pertinente la société NFA Law, l'article L. 145-14 du code de commerce relatif à l'indemnité d'éviction précise que cette indemnité comprend la valeur marchande du fonds de commerce augmentée le cas échéant des frais normaux de déménagement et de réinstallation de sorte qu'elle se devait de produire cette pièce pour solliciter le remboursement de ces frais à l'appui de la demande d'indemnité d'éviction.

En outre, comme l'indique encore judicieusement la société NFA Law, c'est de manière infondée que la société JEF2 fait valoir que la production de cette facture a justifié le rejet par la cour d'appel de Caen de sa demande au titre de l'indemnité d'éviction.

En effet, en page 6 de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Caen le 12 mars 2020, on peut lire ce qui suit (souligné par cette cour) :

'Les locaux restitués à Mme [W] sont situés [Adresse 6] à [Localité 12] et la société JEF2 y exploitait sous l'enseigne Manhattan un commerce de vente de 'produits électroniques HIFI, radios, cassettes, walkmann, TV, vidéos, téléphones, montres et tous accessoires'. Il est établi que depuis le mois de mai 2008, la société JEF2 exploite également au n° 7 de cette rue un autre magasin sous la même enseigne Manhattant dans laquelle elle vend les mêmes produits.

Contrairement à ce que soutient l'intimée, les conditions du contrat d'agréation 'carré Sony conclu pour ce dernier local ne la contraignent pas à consacrer la totalité de la superficie du magasin aux produits de marque Sony, mais lui imposent seulement d'exploiter une surface totale de vente supérieure à 100 m² dédiée à la vente de produits électroniques grand public dont un espace de vente d'un seul tenant de 15 m² minimum et en moyenne de 25 m² doit être réservé à l'espace 'Carré Sony'.

Ainsi, au 27 avril 2016, la société JEF2 disposait d'un local de remplacement offrant la surface commerciale nécessaire au transfert de l'activité exploitée au 45 de la rue Désiré Le Hoc au n° 7 de la même rue, sur un site de vente connu d'une clientèle nécessairement fidélisée à cette adresse depuis 2008.

La société JEF2 le confirme lorsqu'elle produit la facture du déménagement opéré le 27 avril 2016 des 20 m² de mobilier du magasin Manhattan sis [Adresse 6] au magasin Manhattan sis [Adresse 7] pour la somme de 1 800 euros dont elle réclame la prise en charge à sa bailleresse.

Le fonds est transférable et la clientèle préservée la société JEF2 qui n'a pas perdu son fonds de commerce ne peut prétendre à une indemnité d'éviction égale à la valeur de ce fonds et doit être déboutée de cette demande.

La bailleresse est redevable d'une indemnité de déplacement ou de transfert ayant pour assiette la valeur du droit au bail.'

Il résulte des motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 12 mars 2020 que la facture de déménagement n'a pas été l'élément déterminant de sa décision sur le rejet de la demande relative à l'indemnité d'éviction. Il s'ensuit que c'est à tort que la société JEF2 soutient que la société NFA Law a commis une faute, a exécuté des diligences contraires aux intérêts de son client en produisant cette facture.

Le jugement qui rejette la demande de la société JEF2 et de M. [R] au titre de la perte de chance imputable à la société NFA Law à l'occasion du contentieux relatif à la fixation de l'indemnité d'éviction sera confirmé.

Sur la demande de la société NFA Law au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive

Celui qui voit son action accueillie même partiellement ne peut pas être condamné pour procédure abusive.

Les demandes de la société JEF2 et M. [R] ont été partiellement accueillies en première instance de sorte que la faute faisant dégénérer en abus leur droit d'agir en justice n'est pas caractérisée.

Le jugement qui a rejeté cette demande sera confirmé.

Sur la demande de la société NFA Law en paiement de la somme de 1 569,20 euros toutes taxes comprises en remboursement du coût 'du constat d'huissier de justice'

La société NFA Law ne développe aucun moyen de fait ou de droit à l'appui de cette demande de sorte qu'une telle demande ne saurait être accueillie.

Cette demande sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Le sens de l'arrêt conduit à infirmer le jugement relatif aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société JEF2 et M. [R], parties perdantes, supporteront les dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

L'équité commande d'allouer la somme de 5 000 euros à la société NFA Law. La société JEF2 et M. [R] seront condamnés au paiement de cette somme.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

INFIRME le jugement en ce qu'il condamne la société NFA Law (anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés) à payer à la société JEF2 et M. [R] la somme de 21 236,40 euros en réparation de la perte de chance subie ;

INFIRME le jugement en ce qu'il condamne la société NFA Law (anciennement dénommé Nataf Fajgenbaum & Associés) à payer à la société JEF2 et M. [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

INFIRME le jugement en ce qu'il condamne la société NFA Law (anciennement dénommée Nataf Fajgenbaum & Associés) aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Le CONFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

REJETTE les demandes de la société JEF2 et M. [R] en réparation de la perte de chance subie en raison de l'absence de justification des frais de justice devant la cour d'appel de Caen ;

REJETTE la demande de la société NFA Law en remboursement du coût d'un constat d'huissier de justice ;

CONDAMNE la société JEF2 et M. [R] aux dépens de première instance et d'appel ;

DIT qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société JEF2 et M. [R] à verser à la société NFA Law la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-1
Numéro d'arrêt : 22/02608
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-12;22.02608 ?
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