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06/07/2023 | FRANCE | N°21/01163

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 06 juillet 2023, 21/01163


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 JUILLET 2023



N° RG 21/01163 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UOLB



AFFAIRE :



[E] [K]



C/



SAS COLAS FRANCE venant aux droits de la Société COLAS IDF NORMANDIE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de RAMBOUILLET

N° Section : I



N° RG : F19/00049











Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Julie GOURION



Me Mélina PEDROLETTI







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SIX JUILLET DEUX MILLE V...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 JUILLET 2023

N° RG 21/01163 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UOLB

AFFAIRE :

[E] [K]

C/

SAS COLAS FRANCE venant aux droits de la Société COLAS IDF NORMANDIE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de RAMBOUILLET

N° Section : I

N° RG : F19/00049

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Julie GOURION

Me Mélina PEDROLETTI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 29 juin 2023 et prorogé au 06 juillet 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Madame [E] [K]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Julie GOURION, Constitution, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51 et Me Anne-laure REVEILHAC DE MAULMONT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0786

APPELANTE

****************

SAS COLAS FRANCE venant aux droits de la Société COLAS IDF NORMANDIE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 et Me Emilie TOURNIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0312

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

Rappel des faits constants

La société Colas France venant aux droits de la société Colas IDF Normandie, dont le siège social est situé à [Localité 8], est une entreprise de travaux publics spécialisée dans les travaux routiers et de construction. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des ETAM des travaux publics du 12 juillet 2006.

Mme [E] [K], née le 14 mai 1977, a initialement été engagée par la société LITP selon contrat de travail à durée déterminée du 11 octobre 2001, en qualité de secrétaire sténo dactylo, puis par contrat à durée indéterminée à compter du 11 mars 2002. Mme [K] était affectée à l'établissement situé à [Localité 9].

À compter du 1er juin 2022, suite à une fusion absorption, son contrat a été transféré à la société Colas IDF Normandie.

Par avenant régularisé le 17 octobre 2016, à effet au 1er décembre 2016, Mme [K] a été alors affectée sur le site de [Localité 7], siège social de la société, puis par un nouvel avenant régularisé le 26 décembre 2016 à effet au 1er janvier 2017 elle a exercé les fonctions d'assistante de service technique et percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 2 450 euros.

Un avenant est ensuite intervenu par suite du passage à temps partiel de 20 heures par semaine pour mi-temps thérapeutique du 9 juillet au 8 octobre 2018, renouvelé par la suite.

Mme [K] a été arrêtée pour maladie de façon continue du 12 décembre 2018 au 30 septembre 2021.

Invoquant des manquements imputables à son employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail et faute d'arrangement à l'amiable, Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Rambouillet en résiliation judiciaire, par requête reçue au greffe le 1er avril 2019.

En cours de procédure d'appel, le 30 septembre 2021, Mme [K] a fait l'objet d'un avis d'inaptitude.

Après un entretien préalable prévu le 2 décembre 2021 auquel la salariée ne s'est pas présentée, elle s'est vu notifier, par lettre datée du 6 décembre 2021, son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement dans les termes suivants :

« Nous vous avons convoquée par courrier du mercredi 24 novembre 2021, pour un entretien le 2 décembre 2021 en nos bureaux de [Localité 7], au cours duquel nous souhaitions vous présenter la procédure de rupture du contrat de travail pour inaptitude et impossibilité de reclassement vous concernant.

Vous ne vous êtes pas présentée à cet entretien.

Nous avons le regret de vous notifier la fin de votre contrat de travail pour le motif suivant :

Inaptitude physique constatée par le médecin du travail et à la suite de laquelle votre reclassement dans l'entreprise s'est révélé impossible.

En effet, par avis médical du 30 septembre 2021, la médecine du travail vous a déclarée inapte définitif à votre poste d'assistante de service technique en un examen médical unique en précisant les mentions suivantes : « Inapte définitif à son poste et à tous postes dans l'entreprise. Invalidité 2 décidée par la SS » ainsi que « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. »

Malgré notre étude sur les possibilités de votre reclassement dans l'entreprise, nous avons dû constater votre impossibilité de reclassement, et vous avons adressé un courrier le 24 novembre 2021.

Nous avons consulté les membres du CSE sur l'impossibilité de reclassement lors d'une réunion en date du 26 novembre 2021 qui ont émis un avis favorable.

Dès lors que vous ne vous êtes pas présentée à l'entretien du 2 décembre 2021, nous avons le regret de vous notifier la fin de votre contrat de travail pour le motif suivant : inaptitude physique constatée par le médecin du travail à tout poste au sein de l'entreprise et pour impossibilité de

reclassement.

Du fait de l'inaptitude, vous n'effectuerez pas de préavis mais vous percevrez l'indemnité légale de licenciement.

En conséquence, la présente mesure de licenciement prendra effet dès la première présentation de la présente par la poste. »

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 17 mars 2021, la formation de départage de la section industrie du conseil de prud'hommes de Rambouillet a :

- débouté Mme [K] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,

- débouté Mme [K] de ses demandes en paiement subséquentes,

- condamné la société Colas France à payer à Mme [K] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité,

- rejeté la demande de dommages-intérêts présentée par Mme [K] au titre de l'obligation de prévention des risques psychosociaux,

- condamné 1a société Colas France à verser à Mme [K] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Colas France aux dépens,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement,

- débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif.

Mme [K] avait présenté les demandes suivantes :

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail pour harcèlement moral,

- 83 000 euros à titre de licenciement nul,

- 4 800 euros à titre d'indemnité de préavis et 480 euros au titre des congés payés afférents,

- 14 611 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement aux obligations de prévention des risques psychosociaux,

- 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Colas France venant aux droits de la société IDF Normandie avait, quant à elle, présenté les demandes suivantes :

- dire et juger que Mme [K] n'établit pas de faits susceptibles de laisser présumer un harcèlement moral à son encontre,

- dire et juger que Mme [K] ne démontre pas l'existence de manquements graves de sa part à son égard qui auraient empêché la poursuite de son contrat de travail, ces éléments étant largement contredits par ceux qu'elle a apportés,

- dire et juger que Mme [K] ne rapporte pas la preuve d'un manquement de sa part à son obligation de sécurité,

- dire et juger que Mme [K] ne rapporte pas la preuve d'un manquement de sa part à son obligation de prévention des risques psychosociaux,

- en conséquence, débouter Mme [K] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société,

- débouter Mme [K] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,

- débouter Mme [K] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité,

- débouter Mme [K] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention des risques psychosociaux,

- débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Mme [K] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [K] en tous les dépens.

La procédure d'appel

Mme [K] a interjeté appel du jugement par déclaration du 16 avril 2021 enregistrée sous le numéro de procédure 21/01163.

Par ordonnance rendue le 15 mars 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 20 avril 2023.

Prétentions de Mme [K], appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 4 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [K] demande à la cour d'appel de :

- déclarer recevable et fondé l'appel qu'elle a interjeté,

y faisant droit,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il :

. l'a déboutée de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, . l'a déboutée de ses demandes en paiement subséquentes,

. a condamné la société Colas France à lui régler la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité de résultat, alors qu'elle réclamait, à ce titre, la somme de 30 000 euros,

. a rejeté sa demande de dommages-intérêts au titre de l'obligation de prévention des risques psychosociaux,

. a condamné la société Colas France à lui régler la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, alors qu'elle réclamait, à ce titre, la somme de 8 000 euros,

. a dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement,

. l'a déboutée de ses autres demandes différentes, plus amples ou contraires au dispositif,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité entraînant un préjudice imposant sa condamnation,

- plus particulièrement, sur le quantum, réformer la décision entreprise et condamner la société Colas France venant aux droits de la société Colas IDF Normandie à lui régler une somme de 50 000 euros,

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts et griefs de la société Colas France,

- déclarer en conséquence que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul,

- condamner la société Colas France venant aux droits de la société Colas IDF Normandie à lui régler les sommes suivantes :

. 83 000 euros à titre de licenciement nul,

. 4 800 euros à titre d'indemnité de préavis et 480 euros à titre de congés payés,

. 14 611 euros à titre d'indemnité de licenciement sauf à parfaire à la date du licenciement,

. 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement aux obligations de prévention des risques psychosociaux,

. 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- donner acte à la société Colas France de son engagement à régler l'indemnité de licenciement dont elle est débitrice à son égard,

- condamner la société Colas France venant aux droits de la société Colas IDF Normandie aux entiers dépens,

- dire qu'ils pourront être directement recouvrés par Me Julie Gourion, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prétentions de la société Colas France, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 3 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Colas France demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

. déclaré et jugé que Mme [K] n'établissait pas de faits susceptibles de laisser présumer un harcèlement moral à son encontre,

. déclaré et jugé que Mme [K] ne démontrait pas l'existence de manquements graves de sa part qui auraient empêché la poursuite de son contrat de travail, ces éléments étant largement contredits par ceux qu'elle a apportés,

. déclaré et jugé que Mme [K] ne rapportait pas la preuve d'un manquement de la part de l'employeur à son obligation de prévention des risques psychosociaux,

. débouté en conséquence Mme [K] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société,

. débouté Mme [K] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,

. débouté Mme [K] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention des risques psychosociaux,

- infirmer le jugement en ce qu'il :

. l'a condamnée à la somme de 5 000 euros au titre du non-respect de l'obligation de sécurité,

. l'a condamnée à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau et y ajoutant,

- déclarer et juger irrecevable la demande additionnelle de dommages-intérêts de Mme [K] au titre du prétendu manquement à son obligation de sécurité,

- déclarer et juger que Mme [K] ne rapporte pas la preuve d'un manquement de la société à son obligation de sécurité,

- débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- juger que Mme [K] a été intégralement remplie de ses droits au titre de l'indemnité de licenciement en suite de son licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement,

- condamner Mme [K] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [K] en tous les dépens, dont le montant sera recouvré par Me Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Mme [K] a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire. Elle a par la suite été licenciée mais ne remet pas en cause son licenciement. A l'appui de sa demande de résiliation judiciaire, elle soutient avoir été victime d'un harcèlement moral et demande que la résiliation produise les effets d'un licenciement nul. Il convient dès lors d'examiner cette prétention en premier.

Sur le harcèlement moral

En application des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Aux termes de l'article L. 1154-1 du même code, « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 [...], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il y a lieu d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

De façon générale, Mme [K] allègue, sans être précise, que les difficultés rencontrées en 2018 sont dans la continuité de précédentes difficultés intervenues depuis 2014 qu'elle a essayé de surmonter en son temps pour préserver son emploi, qu'elle avait conscience qu'elle n'était guère considérée par ses collègues et sa hiérarchie.

Elle expose que depuis son arrivée sur le site de [Localité 7] le 1er décembre 2016, elle était rattachée au directeur technique et innovation, M. [A] [L], et travaillait avec une autre assistante, Mme [Y], que toutefois, un nouvel organigramme du service technique et innovation est intervenu en avril 2018 témoignant de sa rétrogradation comme « assistante de l'assistante » du service alors qu'elle avait précédemment le même niveau hiérarchique que Mme [Y], que cette situation a cristallisé les difficultés qu'elle a rencontrées depuis de nombreuses années et rendu particulièrement difficiles et conflictuelles les relations professionnelles qui se sont déroulées dans un climat de souffrance morale aiguë.

Elle fait valoir qu'elle a souffert au quotidien, s'est sentie rabaissée ce qui a contribué à détruire petit à petit sa confiance en elle et lui a fait douter de son avenir dans l'entreprise, qu'elle s'est repliée sur elle-même et a tenté de maîtriser sa souffrance mais que la situation s'est dégradée jusqu'au 10 décembre 2018, date à partir de laquelle elle a été arrêtée de manière ininterrompue.

Il est constant que Mme [K] exerçait des fonctions d'assistante de service technique sous la responsabilité de Mme [Y], assistante direction technique et N+1 et de M. [L], directeur technique et N+2, sans qu'il ne soit démontré un changement dans l'organigramme, la salariée n'en produisant qu'un seul daté du 5 avril 2018 (sa pièce 2).

A l'appui de son allégation de harcèlement moral, Mme [K] fait état, pêle-mêle, de nombreux faits, qu'il convient de reprendre précisément.

La salariée invoque, en premier lieu, qu'on lui aurait demandé de faire et de refaire l'analyse des résultats d'une enquête de satisfaction portant sur les formations techniques organisées chaque année en janvier.

Mme [K] prétend qu'il lui aurait été demandé des modifications incessantes, sans instructions claires, sur un délai très long.

Or, il apparaît que les instructions données par Mme [Y] étaient claires et précises, par exemple dans un courriel du 3 septembre 2018 : « Bonjour [E], j'ai fait le point avec [A]. Effectivement les enquêtes ont eu lieu tous les deux ans. Dans la récap. 2017 concerne bien les réponses 2016. Pour le comparatif, tu ne prends que 2016 et 2018 puisque le formulaire 2014 est différent. Concernant les histogrammes de satisfaction, il faudrait en faire deux : un par fonction, c'est à dire exploitation et BE. A tout à l'heure ». Il en est de même des instructions données par M. [L] : « Il faudrait faire une exploitation en camembert + une comparaison des années passées (') histogramme » (pièce 24 de la salariée).

Par ailleurs, les échanges de courriels versés aux débats par Mme [K] montrent que ce sujet a été traité en neuf jours, du 30 août au 7 septembre 2018, et non en cinq mois comme la salariée le soutient page 8 de ses conclusions.

Le fait que ce travail ait donné lieu à deux allers-retours entre Mme [K] et sa hiérarchie en neuf jours n'apparaît pas anormal, de sorte que la matérialité de ce fait n'est pas établie.

Mme [K] invoque, en deuxième lieu, le fait que Mme [Y] lui aurait fait un cadeau « empoisonné » en lui offrant un livre de Mme [Z] rassemblant des expressions cocasses et pittoresques de la langue française s'intitulant « Au bonheur des expressions françaises » pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas française et qu'il fallait qu'elle se mette à niveau. Elle allègue encore que Mme [Y] lui aurait dit que « si elle était sage, elle recevrait le tome 2 à Noël ». Elle soutient que ce cadeau serait en réalité un acte discriminatoire venant lui rappeler « les lacunes liées à ses origines maghrébines ».

Mme [Y] reconnaît avoir fait ce cadeau à Mme [K] de sorte que la matérialité de ce fait est établi.

Mme [K] invoque, en troisième lieu, le fait que M. [L] lui a dit que sa présence n'était pas souhaitée à une réunion du 5 octobre 2018 et que Mme [Y] lui aurait confié le même jour des tâches à effectuer, que M. [L] l'aurait finalement autorisée à aller à cette réunion puis lui aurait rapidement suggéré de retourner à son bureau.

Elle ne produit aucun commencement de preuve de ses allégations concernant les dires de M. [L], de sorte que ce fait n'est pas matériellement établi.

Mme [K] fait état, en quatrième lieu, du fait que Mme [Y] l'aurait tenue pour responsable d'une erreur d'adresse sur des bons de commande, alors que, selon elle, cette erreur ne lui était pas imputable et qu'elle aurait subi des remarques désobligeantes et sarcastiques de sa responsable.

A l'appui de son allégation, elle produit un courriel que lui a adressé Mme [Y] le 14 novembre 2018 aux termes duquel elle lui écrit : « tu n'as toujours rien compris aux différentes explications ».

Ce fait est matériellement établi.

Mme [K] soutient, en cinquième lieu, que Mme [Y] lui a demandé de préparer une invitation pour la soirée de Noël du service technique mais ne lui a communiqué que des informations incomplètes et au compte-goutte, tentant ainsi de la faire passer pour une incompétente auprès de M. [L].

Elle produit un courriel de Mme [Y] en ces termes : « Bonjour [E], Je trouvais que le menu n'était pas alléchant car je ne t'avais pas tout dit (méchante [N]). Ci-dessous le libellé exact des plats que nous avons sélectionnés pour mise à jour de ton invitation (') D'autre part, j'ai repris l'invitation 2017 : je trouvais qu'elle était très bien tant au niveau du texte que dans sa mise en forme, notamment pour mettre en évidence les points importants de la soirée. Merci de reprendre cette mise en forme, tant sur la couleur que le pas d'écriture. A tout à l'heure. » (pièce 29 de la salariée).

Ce fait est matériellement établi.

Mme [K] soutient, en sixième lieu, que Mme [Y] aurait volontairement adressé ses chèques-cadeaux de Noël sur le site de [Localité 5], l'obligeant à aller les récupérer là-bas. Elle explique qu'elle exerçait ses fonctions dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique et ne travaillait pas les après-midis, qu'elle n'était donc pas présente pour récupérer ses chèques-cadeaux, que plutôt que la laisser récupérer ses chèques-cadeaux ou de les lui donner en mains propres le lendemain matin, dans la mesure où leurs bureaux ne sont éloignés de quelques mètres, Mme [Y] a pris l'initiative de les adresser sur le site de [Localité 5]. Elle considère qu'il s'agit d'une man'uvre visant à l'isoler et d'un acte supplémentaire déplacé.

Mme [Y] reconnaissant avoir adressé les chèques-cadeaux à [Localité 5], ce fait est matériellement établi.

Mme [K] avance, en septième lieu, que l'entreprise l'a ostensiblement écartée d'une formation de secourisme destinée à l'ensemble du personnel, M. [L] lui ayant déclaré : « C'est plutôt les gens qui devrait la secourir elle ! ».

Si elle justifie avoir été destinataire de l'offre de formation (sa pièce 17), elle ne justifie pas y avoir candidaté et ne produit aucun commencement de preuve de l'allégation qu'elle prête à M. [L].

Ce fait n'est pas matériellement établi.

Mme [K] invoque, en dernier lieu, avoir fait l'objet d'une rétrogradation au poste de standardiste. Elle fait valoir que « le point d'orgue » de cette situation a été l'annonce de sa rétrogradation au poste de standardiste, qu'elle a eu un entretien avec M. [P], DRH, l'informant de son passage au standard d'accueil le 4 décembre 2018, qu'elle a demandé un délai de réflexion dans l'attente d'une rencontre avec M. [J], responsable des services généraux, tout en sachant qu'elle vivait une véritable descente aux enfers et qu'une visite avec le médecin du travail devait avoir lieu le lendemain, qu'elle a été particulièrement affectée par cette proposition de la société qui témoignait d'une volonté sans équivoque de pure rétrogradation et a provoqué chez elle de fortes douleurs thoraciques qui l'ont amenée à se rendre aux urgences de l'hôpital de [Localité 9] l'après-midi du 4 décembre. Elle considère que cette situation prouve que la proposition de poste était, en fait, purement et simplement destinée à la pousser à bout et à l'humilier aux yeux de tous par une rétrogradation injuste car il ne peut être sérieusement soutenu qu'une assistante soit récompensée de près de 17 ans d'ancienneté par la proposition d'un poste d'hôtesse d'accueil.

L'employeur reconnaît avoir fait cette proposition à la salariée. Le fait est donc matériellement établi.

Il y a lieu en outre de prendre en compte les éléments médicaux produits, en distinguant cependant les éléments concernant la maladie dont est atteinte Mme [K], à savoir une maladie c'liaque chronique auto-immune, au titre de laquelle elle a été reconnue travailleur handicapé depuis 2010, de ceux concernant une souffrance au travail en relation avec les harcèlement moral qu'elle soutient avoir subi.

Mme [K] se prévaut tout d'abord d'un certificat médical de son médecin traitant du 25 janvier 2016, le docteur [W] [V], sollicitant un aménagement de ses horaires de travail avec un « repos le vendredi après-midi afin de pouvoir se soigner de sa longue maladie » (pièce 6 de la salariée). L'employeur indique, sans être démenti, avoir respecté cet aménagement.

Elle fait ensuite état de divers arrêts de travail et en dernier lieu de son arrêt de travail pour maladie ininterrompu depuis le 12 décembre 2018 (sa pièce 57), dont l'employeur fait à juste titre remarquer qu'ils sont tous pour maladie, donc sans relation avec les conditions de travail.

La salariée produit un certificat médical rédigé par son nouveau médecin traitant, le docteur [S], le 18 décembre 2018, en ces termes : « J'atteste avoir suivi Mme [K] depuis cette date (12 mai 2017) pour dépression et souffrance au travail, secondaire très souvent à des conflits de personnes. Ces éléments ont contribué à aggraver l'affection au long cours (reconnue par la CPAM en ALD) dont elle souffre par ailleurs et pour laquelle elle a un suivi spécialisé et un statut de travailleur handicapé catégorie 1. » (sa pièce 44).

Elle produit également une attestation du docteur [B] du 29 mars 2019 en ces termes : «  (') présente un état dépressif sévère avec arrêt de travail depuis le 11 décembre 2018. (') Elle subit des injures racistes continuellement des brimades. Elle a porté plainte aux prud'hommes mais elle est traitée d'handicapé du fait de sa maladie c'liaque et d'incapable.

Merci de bien vouloir recevoir sa plainte. » (sa pièce 59)

Ce certificat, manifestement rédigé selon les dires de la salariée, ne revêt aucune valeur probante, ainsi que le docteur [B] l'a lui-même reconnu lors d'une audience devant le conseil départemental des Yvelines de l'ordre des médecins en indiquant avoir omis les réserves d'usage concernant l'écrit litigieux qui ne reprenait que les dires de sa patiente et en confirmant ne pas être en mesure d'établir un lien entre ses constatations médicales et les allégations de sa patiente (pièce 52 de l'employeur).

Mme [K] produit les justificatifs de suivi par le médecin du travail, le docteur [H], des 17 mai, 12 juillet et 11 décembre 2018, sans que n'y soit relevée de mention particulière (ses pièces 18, 19 et 20).

Elle produit encore un courrier du 6 décembre 2018 adressé par le docteur [F], cardiologue, au docteur [S], lequel mentionne un bilan de douleurs thoraciques, d'une jeune femme qui fait état d'un stress professionnel important, d'un examen plutôt rassurant avec des symptômes en lien avec un état de stress important qu'il convient de corriger (pièce 34 de la salariée).

Après prise en compte des éléments médicaux produits, il sera retenu que les faits matériellement établis, appréciés dans leur ensemble, font présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

La société Colas France donne cependant des explications aux différentes situations.

Concernant le livre offert par Mme [Y], l'employeur produit une attestation rédigée par Mme [Y], laquelle explique : « Nous avons discuté de nos lectures (') En me rendant au rayon des dictionnaires, j'ai découvert « Au bonheur des expressions françaises » : en feuilletant ce livre, je l'ai trouvé intéressant par son contenu, gai, accessible à tous. Mme [K] parlant souvent de ses enfants, je l'imaginais partageant ce livre avec eux. De plus, j'ai constaté que Mme [K] agrémentait ses productions écrites avec des dessins. Je l'ai choisi donc par rapport à ce que je pensais connaître de Mme [K]. En lui offrant cet ouvrage à titre personnel, je lui ai expliqué ce qui avait motivé le choix de ce livre. » (pièce 31 de l'employeur).

Ces explications convaincantes excluent que ce cadeau ait été offert avec l'intention de discriminer la salariée.

Concernant l'erreur d'adresse sur des bons de commande, l'employeur démontre, en produisant les mails correspondants, que le 6 novembre 2018, M. [D], chef des laboratoires industries et spécialités, a demandé à Mme [K] d'établir un bon de commande, ce que celle-ci a fait le jour-même, que Mme [Y] s'est aperçue qu'il manquait l'adresse sur le bon de commande et a adressé un mail à Mme [K] le 8 novembre 2018 afin qu'elle complète le bon de commande, qu'à cette occasion, elle lui a transmis un courriel dont Mme [K] avait déjà été destinataire le 29 novembre 2017, soit plus d'un an avant, précisant l'adresse qui devait figurer sur les bons de commande, que malgré ces instructions claires, Mme [K] a indiqué une adresse à [Localité 6], qu'à nouveau, par courriel du 14 novembre 2018, Mme [Y] a été contrainte d'indiquer à Mme [K] que le bon de commande n'était toujours pas correct et devait donc être repris une deuxième fois, qu'un mois plus tard, Mme [K] a de nouveau commis la même erreur d'adresse sur un autre bon de commande.

Il ressort de ces circonstances que Mme [Y], en qualité de supérieure hiérarchique, était légitime à contrôler le travail de Mme [K] et le cas échéant à identifier les erreurs et à les signaler à la salariée, ce qu'elle a fait en des termes exempts de tout harcèlement.

Concernant l'invitation pour la soirée de Noël, l'employeur établit que, comme l'année précédente, Mme [Y] a demandé à Mme [K] de préparer cette invitation, que ce travail avait déjà été fait par les deux femmes ensemble l'année précédente, que Mme [Y] pensait légitimement que Mme [K] repartirait de cette précédente invitation déjà validée, ce qui n'a pas été le cas, qu'à réception du projet, Mme [Y] a demandé à Mme [K] de la reprendre dans l'esprit de la précédente.

La cour retient ici que ce type de travail, dont le rendu reste subjectif, peut donner lieu à différentes versions sans que ne puisse être mise en cause la bonne foi de la supérieure hiérarchique, aucune rétention intentionnelle d'informations n'étant ici caractérisée.

Concernant les chèques cadeaux de Noël envoyés sur le site de [Localité 5] par Mme [Y], l'employeur explique qu'un coffre-fort a été installé sur le site de [Localité 5] pour stocker les chèques-cadeaux de l'ensemble des collaborateurs par souci de sécurité, ce qui évite en plus que chacun d'eux ne vienne les récupérer un par un au siège, que pour plus de facilité, il avait été demandé à Mme [Y] de récupérer les chèques-cadeaux des collaborateurs du siège, ce qu'elle a fait mais que, par erreur, elle a oublié les chèques cadeaux destinés à Mme [K] dans la pile destinée aux collaborateurs de [Localité 5].

Aucune des circonstances alléguées ne permet de retenir que cet oubli était volontaire de la part de Mme [Y] et Mme [K] ne fait pas état d' avoir rencontré des difficultés pour récupérer ses chèques-cadeaux.

Concernant la rétrogradation au poste de standardiste, l'employeur explique que l'accueil du siège de la société Colas France était géré depuis plusieurs années par une entreprise extérieure, que n'étant que partiellement satisfaite de cette prestation, elle a souhaité pour plus d'effectivité que cette tâche soit reprise en interne, ses propres salariés connaissant mieux l'entreprise ainsi que son personnel, ce qui constituait un véritable atout pour assurer l'accueil des visiteurs, qu'elle a donc décidé que deux salariés du siège pourraient se répartir cette mission d'accueil, que ces postes ont été proposés à différents salariés occupant le poste d'assistant, dont Mme [K], qu'elle a d'abord proposé le poste à Mme [R] qui l'a refusé, qu'elle l'a par la suite proposé à Mme [K] le 4 décembre 2018 par l'intermédiaire de M. [P], DRH, qui l'a reçue en entretien pour lui présenter le contenu et les conditions de cette nouvelle mission.

M. [P] atteste de cette situation dans les termes suivants : « Dans le cadre du projet d'internalisation de l'accueil et du standard téléphonique, de notre siège social basé à [Localité 7], j'ai proposé le 4 décembre 2018 à Mme [E] [K] (assistante au service technique) d'occuper ce poste et ces missions qui selon moi correspondent à ses compétences tout en lui garantissant une adaptation de ses horaires lui permettant de répondre ainsi à ses contraintes d'organisation personnelle. Sur le principe, Mme [E] [K] a accepté cette proposition sous réserve d'aménagement horaire et en sollicitant un entretien avec M. [C] [J], responsable des services généraux du site et potentiel futur responsable hiérarchique pour bien comprendre les missions du poste. Cet entretien a eu lieu le 10 décembre 2018 durant lequel M. [K] a confirmé son accord pour occuper cette nouvelle fonction. » (pièce 37 de l'employeur).

L'employeur insiste sur le fait qu'il a été précisé à Mme [K] qu'il s'agissait d'une proposition qu'elle était tout à fait en droit de refuser, comme l'avait fait Mme [R], ce que la salariée a elle-même reconnu, page 2 de ses conclusions.

Dès lors, la seule proposition d'une nouvelle affectation, en dehors de toute obligation de la rejoindre, relève du pouvoir de direction de l'employeur et ne peut donc lui être reproché.

En définitive, l'employeur prouve que les agissements invoqués par la salariée et retenus comme matériellement établis ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Aucun harcèlement moral ne sera en conséquence retenu.

Sur la résiliation judiciaire

En application des dispositions des articles 1224 et suivants du code civil, le salarié peut demander à la cour de prononcer la résiliation de son contrat de travail en cas de manquement de l'employeur à ses obligations. Pour justifier de la résiliation judiciaire, il doit être démontré l'existence de manquements d'une importance et d'une gravité qui rendent impossible la poursuite du contrat de travail et la charge de la preuve incombe au salarié.

Mme [K], qui fonde sa demande de résiliation judiciaire sur l'existence d'un harcèlement moral, en sera déboutée, ainsi que de sa demande indemnitaire subséquente.

Elle sera également déboutée de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité de licenciement.

Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Sur l'obligation de sécurité

Mme [K] sollicite l'allocation d'une somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

Elle fait valoir qu'alors qu'elle devait la protéger, la société Colas France n'a pas pris la mesure de la souffrance qu'elle a vécue notamment auprès de Mme [Y], que M. [L], son supérieur hiérarchique, n'a rien fait pour diligenter les procédures nécessaires pour protéger ses intérêts, que, pire, il a cautionné sa relégation dans un poste d'hôtesse d'accueil.

Elle reproche plus précisément à son employeur de ne pas avoir diligenté une enquête interne dès qu'il a eu connaissance des faits de harcèlement moral qu'elle dénonçait et soutient qu'en s'abstenant de le faire, il a manqué à son obligation de sécurité.

La société Colas France oppose, à titre principal, l'irrecevabilité de la demande additionnelle de Mme [K] et à titre subsidiaire, son mal fondé.

S'agissant de la recevabilité de la demande

L'article 4 du code de procédure civile dispose : « L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. »

La réforme de la justice prud'homale intervenue en 2016 a notamment abrogé les articles du code du travail relatifs à l'unicité de l'instance, à la recevabilité des demandes nouvelles en appel et à la péremption de l'instance.

Les instances introduites postérieurement à la réforme devant le conseil de prud'hommes sont désormais soumise aux dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, lequel énonce : « Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Toutefois, la demande en compensation est recevable même en l'absence d'un tel lien, sauf au juge à la disjoindre si elle risque de retarder à l'excès le jugement sur le tout. »

L'article 65 du même code énonçant que : « Constitue une demande additionnelle la demande par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures. », la combinaison de ces deux textes conduit à retenir que, pour qu'une demande additionnelle soit recevable, elle doit se rattacher par un lien suffisant à la demande initiale, ce qui implique que les demandes successives, initiale et additionnelle, aient un objet identique et pour le moins tendent aux mêmes fins et à un résultat équivalent.

En l'espèce, il est constant que Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes le 1er avril 2019, postérieurement à la réforme, et est donc soumise aux dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, que dans sa requête introductive d'instance, la salariée avait notamment demandé l'allocation d'une somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination (pièce 53 de l'employeur), mais qu'en cours d'instance, dans ses conclusions en date du 12 septembre 2019, elle a formé une demande additionnelle à hauteur de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité (pièce 54 de l'employeur), qu'ainsi, elle a modifié sa demande de dommages-intérêts pour discrimination en une demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

La demande présentée au titre du manquement à l'obligation de sécurité ne repose pas sur le même fondement juridique et ne vise pas le même type de faits que la demande présentée au titre de la discrimination, de sorte qu'elle ne constitue pas une demande additionnelle telle que définie par l'article 65 du code de procédure civile.

Ainsi, en raison du principe d'immutabilité du litige, la demande présentée au titre d'un manquement à l'obligation de sécurité doit donc être déclarée irrecevable.

Le conseil de prud'hommes, pourtant saisi de cette demande, page 31 des conclusions de première instance de la société, n'y a apporté aucune réponse. Mme [K] ne répond pas sur ce point dans ses écritures.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Colas France à payer à Mme [K] une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et la demande sera jugée irrecevable.

Sur la prévention des risques psychosociaux

Mme [K] sollicite l'allocation d'une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de prévention des risques psychosociaux tandis que la société Colas France s'oppose à la demande.

Il est rappelé que l'article L. 4121-1 du code du travail dispose : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».

L'article L. 4121-2 du même code dispose : « L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Éviter les risques ;

2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».

L'employeur ne peut s'exonérer de sa responsabilité que s'il démontre qu'il a bien pris toutes les mesures des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Au soutien de sa demande, la salariée évoque d'abord le « réorganisation interne d'avril 2018 ». Elle reproche à la société de ne pas avoir identifié les risques susceptibles d'être induits par la nouvelle organisation qu'elle entendait mettre en 'uvre puis de ne pas avoir précisé les moyens de prévention dans l'accompagnement des salariés concernés.

La société Colas France, de son côté, explique que le 1er janvier 2018, la direction technique des société Colas IDFN et Aximum, autre société du groupe Colas, ont été regroupées, que cette direction devenant commune entre les deux sociétés, les équipes ont été rassemblées, mélangeant ainsi des salariés des deux sociétés, que cette nouvelle organisation a fait l'objet d'une information/consultation des institutions représentatives du personnel, que dans les faits, Mme [K] a simplement changé d'étage et de bureau pour retrouver un nouveau bureau individuel à l'étage inférieur, qu'il en a été de même pour les autres salariés concernés dont Mme [Y] et M. [L] qui doivent depuis cette date partager leur bureau contrairement à Mme [K].

En toute hypothèse, il sera relevé que la salariée n'allègue pas de faits précis au soutien de son moyen, lequel sera écarté.

Mme [K] soutient ensuite que la société Colas France aurait négligé la prise en charge de son suivi sur différents points, qu'elle aurait ainsi refusé de lui accorder l'écoute et l'attention nécessitées par sa situation de santé et les difficultés de harcèlement rencontrées, qu'elle aurait aussi refusé de prendre en compte l'aménagement du temps partiel un jour sur deux et qu'elle aurait enfin refusé d'aménager son poste. Elle ajoute que la société a validé sa relégation à une fonction subalterne d'hôtesse d'accueil.

La société Colas France justifie pourtant avoir accompagné la salariée tout au long de la relation de travail. Elle justifie ainsi l'avoir soutenue dans la recherche d'un logement en faisant intervenir la chargée de mission handicap (sa pièce 6). Elle justifie également l'avoir accompagnée dans la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé afin de lui permettre l'accès à des aides et accompagnements dans la vie sociale et professionnelle.

Elle produit notamment un courriel de la chargée de mission handicap du 25 septembre 2008 en ces termes : « Actuellement elle est arrêtée pendant encore dix jours, mais depuis un an 'et après une hospitalisation d'un an) elle est en mi temps thérapeutique. Elle a une maladie orpheline (liée au gluten) qui lui crée une grande fatigue, des malaises fréquents, des 'dèmes, bref une gène très importante dans son travail. Il nous semblerait opportun de tenter une reconnaissance RQTH qui pourrait lui permettre l'accès à des aides et accompagnement dans la vie sociale et professionnelle. Merci » (pièce 12 de l'employeur).

La société Colas France souligne enfin que Mme [K] a été amenée à apporter, à deux reprises, son témoignage dans des revues de la société au titre de la mission diversité handicap.

Elle a ainsi témoigné dans la revue « Handi News de mars 2016 » dans les termes suivants :

« Employée depuis 10 ans au sein du laboratoire LITP de Colas Île-de-France Normandie (CIDFN), je n'ai jamais parlé de ma maladie. J'évitais les repas au restaurant italien avec mes collègues et les chocolats de fin d'année. Entre 2007 et 2009, extrêmement affaiblie par la maladie, je me suis souvent et longtemps absentée. Je bénéficiais d'un mi-temps thérapeutique et je sentais que les regards sur ma situation étaient pesants.

Tout cela a pris fin lorsque j'ai enfin osé parler de ma maladie. Ma hiérarchie m'a alors accompagnée pour engager les démarches de RQTH. Grâce à cela, les regards ont changé. Désormais, toute l'équipe me soutient. Je reçois des appels, des visites chez moi et à l'hôpital, et, pour mon retour, Colas IDFN a adapté mes horaires de travail. Je suis reconnaissante envers mon entreprise d'avoir agi en ma faveur, non seulement sur le plan professionnel mais aussi sur le plan personnel en m'aidant à faire face à certaines difficultés.

Aujourd'hui, j'ai confiance en l'avenir et en mon entreprise. Souvent, mes collègues changent de restaurant et vont déjeuner au « japonais » pour que je puisse me joindre à eux. Je n'ai qu'un mot à dire à mon équipe : Merci » (pièce 14 de l'employeur).

Au regard de ces éléments, Mme [K] ne peut sérieusement reprocher à son employeur d'avoir négligé sa prise en charge, ni d'avoir manqué d'écoute et d'attention.

Par ailleurs, Mme [K] n'indique pas quel aménagement préconisé par le médecin du travail n'aurait pas été respecté, de sorte qu'il ne peut être tenu compte de ce reproche.

Enfin, il a été retenu précédemment que Mme [K] n'avait pas fait l'objet d'une « relégation à une fonction subalterne d'hôtesse d'accueil ».

A l'appui de sa demande, Mme [K] évoque enfin son handicap, qui aurait dû alerter son employeur. Elle se prévaut de l'accord du groupe Colas relatif à la qualité de vie au travail et à l'égalité professionnelle.

Elle n'allègue cependant aucun manquement précis auquel l'employeur pourrait répondre et il a été retenu que la société Colas France avait accompagné la salariée dans la prise en charge de son handicap, ce que cette dernière a elle-même admis.

Mme [K] sera déboutée de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Colas France aux dépens et à verser à Mme [K] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [K], qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel, tels qu'ils sont définis par l'article 695 du même code. Les dépens d'appel seront recouvrés directement par Me Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Mme [K] sera en outre condamnée à payer à la société Colas France une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 000 euros.

Mme [K] sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Rambouillet le 17 mars 2021, excepté en ce qu'il a :

- condamné la SAS Colas France à payer à Mme [E] [K] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité,

- condamné 1a SAS Colas France à verser à Mme [E] [K] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Colas France aux dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT irrecevable la demande de Mme [E] [K] de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

CONDAMNE Mme [E] [K] au paiement des entiers dépens, dont distraction, pour ceux d'appel, au profit de Me Pedroletti, avocat,

CONDAMNE Mme [E] [K] à payer à la SAS Colas France une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE Mme [E] [K] de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01163
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.01163 ?
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