COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 5 JUILLET 2023
N° RG 21/02296
N° Portalis DBV3-V-B7F-UUOF
AFFAIRE :
[H] [I]
C/
Société COMPANEO
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 avril 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : AD
N° RG : F20/00588
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Alexandre SECK
Me Guy ALFOSEA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [H] [I]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Alexandre SECK de l'AARPI MSL AVOCATS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0586
APPELANT
****************
Société COMPANEO
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Guy ALFOSEA de la SCP LA GARANDERIE AVOCATS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: P0487
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [I] a été engagé en qualité de conseiller client, par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, à compter du 24 juillet 2017, par la société Companeo.
Cette société a pour activité un service en ligne de comparaison d'offres commerciales. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale dite Syntec.
Par lettre remise en main propre contre décharge du 21 mai 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 29 mai 2019, avec mise à pied à titre conservatoire.
Il a été licencié par lettre du 14 juin 2019 pour faute grave dans les termes suivants:
« Le 21 mai 2019 à 9h, vous avez assisté à une altercation entre Madame [X] [M] et Monsieur [V] [C] au sein de l'open space où vous travaillez. Considérant les propos de ce dernier menaçants, vous avez pris la décision de vous interposer et lui avez demandé de cesser ces agissements.
A cet instant, certains de vos collègues ont dû intervenir pour apaiser la situation.
Monsieur [V] [C] a alors quitté l'open space et s'est dirigé vers le palier des ascenseurs, accompagné Madame [J] [D]. Quelques instants plus tard, vous avez rejoint les ascenseurs à votre tour, en présence de Madame [X] [M]. S'en sont alors suivis une altercation et de violents échanges de coups entre Monsieur [V] [C] et vous-même.
Par vos agissements, vous avez enfreint les dispositions de l'article 2.2. du règlement intérieur de la société, notamment l'alinéa relatif au respect des personnes qui stipule que « Tout manquement au respect de l'intégrité de la personne tant sur le plan physique que sur le plan psychologique et moral sera sanctionné. Dans l'exécution de son travail, le personnel est tenu de respecter les instructions de ses supérieurs hiérarchiques, ainsi que l'ensemble des instructions diffusées par voie d'affichage. Tout acte contraire à la discipline est passible de sanctions. Il doit de plus faire preuve de correction dans son comportement vis-à-vis de ses collègues et de la hiérarchie, sous peine de sanctions. »
En outre, de tels agissements sont intolérables et vont pleinement à l'encontre des règles relatives à la discipline établies au sein de la société. Votre comportement au moment des faits est irrespectueux et inadmissible. Il est absolument inconcevable de poursuivre notre collaboration en toute impunité face aux faits qui vous sont reprochés et qui menacent directement l'intégrité des personnes présentes.
Ce comportement constitue un manquement grave à vos obligations contractuelles ».
Le 11 juin 2020, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement du 13 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section activités diverses) a :
- fixé le salaire mensuel moyen brut de M. [I] à 3 500 euros brut,
- dit que le licenciement pour faute grave de M. [I] est fondé,
- débouté M. [I] de ses demandes,
- débouté la société Companeo de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- mis à la charge de M. [I] les éventuels dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 13 juillet 2021, M. [I] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 février 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [I] demande à la cour de :
- l'accueillir en son acte d'appel, le déclarer recevable et bien fondé dans ses conclusions d'appelant
- réformer la décision querellée (RG 20/00588 section activités diverses) en ce qu'elle a considéré son licenciement pour faute grave fondé,
et statuant à nouveau,
- fixer son salaire brut moyen à la somme de 3 728 euros ,
- dire et juger qu'il n'a pas été réglé de sa rémunération au titre de la période du 21 mai 2019 au 14 juin 2019,
à titre principal,
- dire et juger qu'il n'est pas co-auteur de la scène de violence mais qu'il a été agressé,
- dire et juger que les griefs qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une faute grave,
en conséquence,
- condamner la société Companeo à lui régler les sommes suivantes :
. 7 456 euros au titre du préavis,
. 745 euros au titre des congés payés afférents au préavis,
. 2 796 euros au titre de rappel de salaires pour la période du 21 mai au 14 juin 2019,
. 279 euros au titre des congés payés correspondant à la période du 21 mai au 14 juin 2019,
. 1 864 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
. 11 184 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que les faits qui lui sont reprochés doivent être requalifiés en cause réelle et sérieuse,
- dire et juger que la société Companeo sera condamnée à lui payer les sommes suivantes :
. 7 456 euros au titre du préavis,
. 745 euros au titre des congés payés afférents au préavis,
. 2 796 euros au titre de rappel de salaires pour la période du 21 mai au 14 juin 2019,
. 279 euros au titre des congés payés correspondant à la période du 21 mai au 14 juin 2019,
. 1 864 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
. 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Companeo demande à la cour de:
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il a débouté M. [I] de ses demandes au titre du licenciement, du préavis, des congés payés afférents au préavis, de rappel de salaires pour la période du 21 mai au 14 juin 2019, des congés payés correspondant à la période du 21 mai au 14 juin 2019, de l'indemnité légale de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
- constater que le licenciement pour faute grave de M. [I] est justifié,
en conséquence,
- débouter M. [I] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [I] au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la rupture
Le salarié expose que l'employeur estime à tort qu'il avait le même degré d'implication que M. [C] dans les faits survenus le 21 mai 2019 à 9h30. Il affirme qu'il n'a eu cesse de revendiquer son statut de victime et de présenter une version des faits toujours constante, confirmée par l'attestation de Mme [M] alors que l'employeur n'a produit, le 3 décembre 2020, qu'une seule attestation faisant apparaître une co-responsabilité entre lui et M. [C] dans la dispute, sans chercher à distinguer qui, de l'un ou l'autre des deux, avait le statut de l'agresseur et l'autre de victime.
Il ajoute que M. [C] et l'employeur n'ont pas déposé de plainte à son encontre, ce qui renforce la thèse selon laquelle l'employeur a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits et a fait le choix de la mesure disciplinaire la plus radicale à ses dépens.
L'employeur réplique qu'il ressort de l'ensemble des témoignages que le salarié, qui a pris la défense de Mme [M], s'est disputé oralement et de manière virulente dans un premier temps avec M. [C] et qu'après le départ de ce dernier, le salarié est sorti de l'open space pour le chercher et qu'une violente altercation assortie de coups a eu lieu.
L'employeur indique qu'il ressort du témoignage de Mme [D] que le salarié est à l'origine de la violente bagarre et que ces faits, commis dans les locaux professionnels, devant les collègues, et en les blessant caractérise à l'évidence la rupture immédiate du contrat, peu important l'ancienneté du salarié. Il ajoute que les deux protagonistes de cette violente altercation ont été traités de manière identique en étant licenciés pour faute grave.
***
Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; la charge de la preuve pèse sur l'employeur.
Au cas présent, sont reprochés au salarié une violente altercation physique et verbale avec M. [C] intervenue le 21 mai 2019 sur le lieu et pendant le temps de travail.
Il n'est pas discuté que les faits qui se sont déroulés le 21 mai 2019 en début de matinée se sont d'abord déroulés dans l'open space puis au niveau du palier devant les ascenseurs, chaque partie communiquant une seule attestation.
Mme [D],témoinde l'employeur, atteste le 3 décembre 2020 que le 21 mai 2019, aux alentours de 8h30/9h00 alors qu'elle se trouvait devant les portes des ascenceurs et qu'elle a entendu au loin des voix, elle s'est approché et a aperçu ' [V] [C], [H] [I] et [X] [M] debout proche de leur bureau en train de se disputer et d'hausser le ton. J'ai donc pris [V] à part afin d'apaiser les tensions. [H] et [X] ont été calmés par d'autres collègues, sur site au moment des faits.
Je décide donc d'emmener [V] à l'extérieur du bâtiment en prenant les portes proches des ascenseurs. Je précise qu'à ce moment, j'ai pensé que [X] et [H] prendraient l'entrée opposée, c'est-à-dire celle qui mène à la cantine par le monte-charge.
Nous sortons donc avec [V] dans le hall et attendons l'ascenseur, quand là la porte s'ouvre. [X] et [H] nous ont suivi et ont à nouveau hausser le ton. Je demande donc à tout le monde de bien vouloir se calmer. [H] s'approche de [V] pour chercher le contact physique. Je me mets donc entre eux deux et pousse [V] dans l'ascenseur afin d'éviter le coup et je reste entre les portes afin d'éviter à [H] de s'approcher encore de [V]. Malheureusement je prends un coup dans le dos et n'arrive plus à rester entre eux. Et c'est là que tout part en vrille. Ils commencent à se battre. J'essaye tant bien que mal de les séparer, mais je n'y parviens pas.
Un des employés de service est présent à ce moment et essaye également de les séparer et se prend un coup au visage par la même occasion. A ce moment, je crie et d'autres de mes collègues arrivent et nous parvenons tous ensemble à les séparer. ».
Mme [M], témoin du salarié, atteste le 25 novembre 2019 qu'elle a demandé à M. [C] la raison pour laquelle il a adressé des messages à ses enfants âgés de 12 et 13 ans et que cela cesse, ce dernier ' tout à coup se lève de sa chaise et se montre assez violent à mon égard. Voyant le ton monter et ne voulant pas me donner en spectacle sur mon lieu professionnel je regagne rapidement mon bureau en vain, il s'approche de moi et continue les invectives avec une virulence évidente et constaté par l'ensemble des collaborateurs présents sur l'open space. Mon collègue de travail [I] [H] avec qui je partage le même bureau(...) s'interpose alors à ce moment pour tenter de calmer la tension (...) [V] ( cf M. [C] ) prend à partie Lesuge [H] en l'attrapant par le col lui criant ' tu la défends toi tu sais pas qui je suis je vais te baiser' A ce moment-là d'autres collègues interviennent (...).'
Mme [M] pousuit en expliquant que M. [I] lui a dit craindre que M. [C], qui se dirigeait verse les ascenseurs, s'en prenne à son véhicule garé à côté du sien et qu'elle a donc proposé à M. [I] de l'accompagner au parking et que ' Au moment (sic)nous attendons pour prendre l'ascenceur et malencontreusement [V] se trouvait dedans, c'est là que [V] bouscula [H] lors de l'ascenseur et que [H] surpris s'est protégé pour ne pas être blessé. Nous nous sommes retrouvés [J] et moi au milieu afin de calmer les tensions mais pas d'échange de coups ni de pieds ni de poings, mais une bousculade très bruyante. Autour quelques collègues arrivent sur place pour séparer les deux protagonistes et apaiser les tensions cette fois chacun repart de son côté, reçu et entendu par les ressources humaines Bernt qui leur a remis en main propre une lettre de mise à pied conservatoire.'.
Sans élément complémentaire, notamment d'autres salariés dont il est attesté qu'ils étaient présents sur les lieux à la fois dans l'open space puis devant les ascenseurs, il n'est pas possible d'affirmer que le salarié a provoqué l'altercation.
Par ailleurs, c'est à juste titre que le salarié invoque l'absence de toute enquête et l'immédiateté de la sanction prise par l'employeur après le déroulement de l'incident.
Toutefois, la lettre de licenciement n'invoque pas la responsabilité du salarié dans le déclenchement de l'altercation mais lui reproche un comportement irrespectueux et inadmissible.
Peu important de savoir si le salarié est à l'origine de l'altercation avec M. [C] qui a nécessité l'intervention d'autres salariés pour les séparer, point sur lequel s'entendent les deux témoins, l'altercation n'a pas seulement été violente oralement puisque Mme [M] reconnaît qu'il y a eu ' une bousculade' tandis que Mme [D] relate que les deux salariés se sont battus.
Le salarié a ainsi perdu le contrôle de ses faits et gestes justifiant l'intervention de tiers pour faire cesser l'incident.
Le 'comportement irrespectueux et inadmissible' dans les locaux professionnels reproché au salarié est établi et, les premiers juges ont décidé à juste titre, que les circonstances de l'altercation ne permettaient pas d'exonérer le salarié, la cour retenant que la gravité des faits, nonobstant l'ancienneté du salarié et l'absence de reproche antérieur, a rendu impossible son maintien dans l'entreprise.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit fondé le licenciement pour faute grave de M. [I] et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes à ce titre.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Le salarié qui succombe, doit supporter la charge des dépens et ne saurait bénéficier de l'article 700 du code de procédure civile ; toutefois, pour des raisons d'équité, il n'y a pas lieu de faire application à son encontre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
CONDAMNE M. [I] aux dépens.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine Mouret, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente