COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 5 JUILLET 2023
N° RG 21/02260
N° Portalis DBV3-V-B7F-UUIO
AFFAIRE :
[H] [W]
C/
Société SUZOHAPP FRANCE
Décision déférée à la cour : Décision rendu le 31 mai 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE
Section : E
N° RG : F19/00197
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Thanh TRAN TU THIEN - BIECHER
Me Martine DUPUIS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont la mise à disposition a été fixée au 14 juin 2023 puis prorogée au 5 juillet 2023, dans l'affaire entre :
Monsieur [H] [W]
né le 4 juillet 1969 à [Localité 5]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Thanh TRAN TU THIEN - BIECHER, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 50
APPELANT
****************
Société SUZOHAPP FRANCE
N° SIRET : 439 518 721
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Thierry MEILLAT du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: J033 - et Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 31 mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [W] a été engagé par la société France Espèces, faisant partie du groupe Scan Coin, en qualité de responsable comptable, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 26 mars 2007.
Le salarié a été promu à deux reprises, une première fois au poste de responsable administratif et financier le 8 octobre 2012 puis une deuxième fois le 1er janvier 2016 au poste de directeur administratif et financier (ci-après « DAF »).
Le contrat de travail du salarié a été transféré à la société Suzohapp France.
Cette société fournit des logiciels et du matériel pour des solutions automatisées de traitement des espèces. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale du commerce de gros.
Le salarié percevait une rémunération fixe brute mensuelle de 5 800 euros, outre des primes pour un temps de travail décompté en une convention de forfait annuel de 215 jours travaillés par an.
Par lettre du 29 octobre 2018, remise en mains propres le 5 novembre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 12 novembre 2018, avec mise à pied à titre conservatoire.
Il a été licencié par lettre du 19 novembre 2018 pour faute grave dans les termes suivants :
« Vous exercez les fonctions de Directeur Administratif et financier de la société. A ce titre vous avez la responsabilité d'établir des documents comptables et financiers de la société dans le respect des règles légales et des procédures financières applicables au sein de la société. Vous êtes le garant de l'exactitude et de la sincérité des documents et informations financières et cette responsabilité est d'autant plus importante qu'ils font l'objet de contrôles des autorités fiscales et des experts comptables.
Au cours des mois de septembre et octobre 2018, notre société a pris connaissance du fait que de nombreuses factures relatives aux mois d'août et de septembre 2018 n'avaient pas été honorées par la société Brinks.
Cette situation nous a particulièrement alerté car, comme vous le savez, la société Brinks qui représente entre 60 et 70 % des ventes annuelles, est notre client principal.
C'est dans ce contexte que nous avons initié des investigations en interne, et auprès de Brinks, pour mieux comprendre l'état de ces nombreux impayés.
Nos recherches nous ont permis d'identifier que 44 factures d'un montant total de 290.130 euros ont été établies par vos soins au nom du client Brinks, sans jamais lui avoir été envoyées.
En réalité, nous nous sommes aperçus que ces factures avaient été éditées par vos soins sans correspondre à aucune commande du client.
Lors de votre entretien préalable, vous avez reconnu avoir édité ces factures mais les avoir ensuite volontairement retenues, dans l'objectif d'augmenter fictivement le chiffre d'affaires de la société en augmentant les ventes, en diminuant les stocks, et partant en augmentant les bénéfices, et ayant ainsi pour effet de déclencher le versement de primes.
En d'autres termes, le système mis en place visait à gonfler artificiellement les chiffres de la société.
Lors de votre entretien préalable, vous avez justifié une telle démarche en indiquant avoir agi sur les instructions de l'ancien directeur Général de la société.
En tout état de cause, une telle justification n'est pas recevable. Vous aviez la responsabilité de l'édition des factures et de la fiabilité et la sincérité de nos comptes, et vous auriez dû, si tel avait été le cas, signaler toute démarche en contravention de la réglementation applicable, ce que vous n'avez pas fait laissant ces pratiques inacceptables perdurer.
Plus grave encore, lors de l'examen de factures restées en souffrance, nous avons découvert que de nombreuses autres factures ont été envoyées, toujours à notre client principal, sans qu'une livraison quelconque ou installation de matériel n'ait été réalisée pour celui-ci.
En d'autres termes, notre client principal Brinks, a été destinataire de factures éditées par vos soins, ne correspondant à aucune prestation.
Lors de votre entretien préalable, vous avez également reconnu l'édition de ces factures, sans la livraison d'aucune prestation mais vous n'avez été en mesure d'apporter aucune justification.
Lors de votre entretien préalable, vous avez reconnu l'ensemble des faits qui vous étaient reprochés.
Ainsi, en décidant d'émettre des factures sans objet, vous aviez conscience de fausser les comptes de la société, alors même qu'il était légitimement attendu de la part d'un Directeur Administratif et Financier la plus grande transparence et probité.
Une telle attitude, en pleine connaissance de cause, est inacceptable et incompatible avec vos fonctions alors qu'au regard de votre ancienneté et de votre expérience vous auriez dû adopter un comportement exemplaire.
En effet, vous avez délibérément enfreint les règles comptables et fiscales alors qu'en votre qualité de Directeur Administratif et Financier vous en êtes le garant.
De plus, vos agissements ont porté une atteinte grave à la sincérité des comptes et résultats financiers de la Société.
La réputation de la Société a également été entachée auprès de son client le plus important, la société Brinks.
Enfin, vous nous avez placés dans une situation plus que délicate au regard des autorités financières.
Compte tenu de la gravité des faits et des manquements constatés, votre maintien dans la Société est impossible et nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité de rupture. »
Le 27 juin 2019, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye aux fins de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 31 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye (section encadrement) a :
- dit et jugé que le licenciement de M. [W] repose sur une faute grave,
- débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Suzohapp France de sa demande reconventionnelle,
- mis les entiers dépens afférents aux actes et procédures de la présente instance, à la charge de M. [W].
Par déclaration adressée au greffe le 12 juillet 2021, M. [W] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 31 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [W] demande à la cour de :
- le recevoir en ses demandes et y faire droit,
en conséquence,
- confirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye le 31 mai 2021 en ce qu'elle a débouté la société Suzohapp de ses demandes reconventionnelles,
- infirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en date du 31 mai 2021 en ce qu'elle l'a débouté en l'ensemble de ses demandes,
et, statuant et jugeant de nouveau,
- dire et juger que le licenciement pour faute grave prononcé par la société Suzohapp France à l'égard de M. [W] est dénué de cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Suzohapp France à lui verser la somme de 19 398 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1 940 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés afférents au préavis,
- condamner la société Suzohapp France à lui verser la somme de 3 164 euros brut au titre du rappel de salaires durant la période de mise à pied précédent le licenciement injustifié,
- condamner la société Suzohapp France à lui verser la somme de 4 128 euros brut au titre de rappel de salaire pour remise tardive du solde de tout compte et documents de fin de contrat,
- condamner la société Suzohapp France à lui verser la somme de 24 184 euros net au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- condamner la société Suzohapp France à lui verser la somme de 71 126 euros net, soit 11 mois de salaires, conformément à l'article L. 1235-3 du code du Travail pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Suzohapp France à lui verser la somme de 65 904,88 euros net, au titre de la réparation du préjudice financier et moral subi,
- condamner la société Suzohapp France à lui verser la somme de 1 333 euros brut, au titre du rappel de primes,
- ordonner à la société Suzohapp France à lui remettre un certificat de travail conforme et des bulletins de paye conforme, sous peine d'une astreinte journalière de 50 euros par document,
- condamner la société Suzohapp France à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Suzohapp France aux dépens,
- assortir la décision à intervenir d'un intérêt au taux légal à compter de la date d'introduction de l'instance,
- ordonner l'exécution provisoire.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Suzohapp France demande à la cour de :
- recevoir la société Suzohapp France en ses conclusions,
- l'y déclarer bien fondée,
à titre principal, liminaire et avant tout débat au fond,
- juger que dans le dispositif de ses conclusions communiquées dans le cadre de l'article 908 du code de procédure civile M. [W] se contente de solliciter l'infirmation de « la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en date du 31 mai 2021 en ce qu'elle a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes »,
en conséquence,
- déclarer que la cour n'est pas saisie de la demande de M. [W] relative à la contestation du licenciement pour faute grave,
- confirmer le jugement entrepris par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye le 31 mai 2021 en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [W] repose sur une faute grave et en ce qu'il a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes de condamnation de la société, à savoir :
. recevoir M. [W] en ses demandes et y faire droit,
. dire et juger que le licenciement pour faute grave prononcé par la société à l'égard de M. [W] est dénué de cause réelle et sérieuse,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 19 398 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1 940 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés afférents au préavis.
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 3 164 euros brut au titre du rappel de salaires durant la période de mise à pied précédent le licenciement injustifié,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 4 128 euros brut au titre de rappel de salaire pour remise tardive du solde de tout compte et documents de fin de contrat.
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 24 184 euros net au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 71 126 euros net, soit 11 mois de salaires, conformément à l'article L. 1235¬3 du code du Travail pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 65 904,88 euros net, au titre de la réparation du préjudice financier et moral subi,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 1 333 euros brut, au titre du rappel de primes,
. ordonner à la société à remettre à M. [W] un certificat de travail conforme et des bulletins de paye conforme, sous peine d'une astreinte journalière de 50 euros par document,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. condamner la société aux dépens,
. assortir la décision à intervenir d'un intérêt au taux légal à compter de la date d'introduction de l'instance,
. ordonner l'exécution provisoire.
- débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
à défaut, à titre subsidiaire sur le fond :
- juger que le licenciement de M. [W] repose sur une faute grave,
- juger que M. [W] n'a subi aucun manquement de sa part,
- juger que M. [W] a été rempli de ses droits par la société,
en conséquence,
- confirmer le jugement entrepris par le Conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye le 31 mai 2021 en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [W] repose sur une faute grave et en ce qu'il a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes de condamnation de la société Suzohapp France, à savoir :
. recevoir M. [W] en ses demandes et y faire droit,
. dire et juger que le licenciement pour faute grave prononcé par la société à l'égard de M. [W] est dénué de cause réelle et sérieuse,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 19 398 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1 940 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés afférents au préavis.
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 3 164 euros brut au titre du rappel de salaires durant la période de mise à pied précédent le licenciement injustifié,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 4 128 euros brut au titre de rappel de salaire pour remise tardive du solde de tout compte et documents de fin de contrat.
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 24 184 euros net au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 71 126 euros net, soit 11 mois de salaires, conformément à l'article L 1235¬3 du code du Travail pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 65 904,88 euros net, au titre de la réparation du préjudice financier et moral subi,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 1 333 euros brut, au titre du rappel de primes,
. ordonner à la société à remettre à M. [W] un certificat de travail conforme et des bulletins de paye conforme, sous peine d'une astreinte journalière de 50 euros par document,
. condamner la société à verser à M. [W] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. condamner la société aux dépens,
. assortir la décision à intervenir d'un intérêt au taux légal à compter de la date d'introduction de l'instance,
. ordonner l'exécution provisoire,
- débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
à défaut, à titre infiniment subsidiaire,
- juger que le licenciement de M. [W] repose sur une cause réelle et sérieuse.
à défaut, à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour jugeait recevables et fondées les demandes indemnitaires et salariales de M. [W] à son encontre,
- limiter le quantum des condamnations au montant du préjudice réellement subi et démontré par M. [W] et, en tout état de cause, dans la limite du barème d'indemnisation fixé à l'article L. 1235-3 du code du travail,
- limiter le quantum des condamnations au montant des sommes réellement justifiées et dues,
en tout état de cause,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. l'a déboutée la société Suzohapp France de la demande reconventionnelle qu'elle formulait au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance,
en conséquence, statuant à nouveau,
- condamner M. [W] au paiement de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance,
- débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner M. [W] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur de cour,
- condamner M. [W] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur l'effet dévolutif
L'employeur conclut à l'absence d'effet dévolutif relatif à la demande du salarié visant à la contestation de son licenciement pour faute grave. Il se fonde en cela sur les articles 562, 908 et 954 du code de procédure civile et sur l'arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2021, et expose que les premières conclusions du salarié ne demandaient que « l'infirmation de la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en date du 31 mai 2021 en ce qu'elle a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes » sans viser expressément le chef de jugement par lequel le conseil de prud'hommes a retenu sa faute grave. Il en déduit que la cour n'est pas saisie de la question du principe du licenciement.
Au contraire, le salarié affirme que l'effet dévolutif a opéré s'agissant du principe du licenciement dès lors que ses conclusions ne se limitent pas à solliciter l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes mais demandaient, notamment, de dire que le licenciement pour faute grave prononcé à son égard était dénué de cause réelle et sérieuse.
***
Il résulte de la combinaison des articles 562 et 954 alinéa 3 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que la partie qui entend voir infirmer des chefs du jugement critiqué doit formuler des prétentions en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d'appel.
Il résulte de ces textes que le dispositif des conclusions de l'appelant doit comporter, en vue de l'infirmation ou de l'annulation du jugement frappé d'appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement frappé d'appel. Cette règle poursuit un but légitime, tenant au respect des droits de la défense et à la bonne administration de la justice.
Cette sanction, qui permet d'éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice.
En l'espèce, dans le dispositif de ses conclusions, le salarié demande notamment de « confirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye le 31 mai 2021 en ce qu'elle a débouté la société Suzohapp de ses demandes reconventionnelles » et d'« infirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en date du 31 mai 2021 en ce qu'elle l'a débouté en l'ensemble de ses demandes », parmi lesquelles figurait la demande de voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dès lors, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, le salarié entend voir infirmer les chefs du jugement critiqué de tous les chefs de jugement sauf en ce qu'il déboute l'employeur de ses demandes reconventionnelles, étant précisé que la déclaration d'appel critique expressément le jugement en ce qu'il dit et juge que son licenciement repose sur une faute grave.
L'effet dévolutif a donc produit ses effets du chef du principe du licenciement.
Le moyen de l'employeur selon lequel l'effet dévolutif n'a pas produit ses effets sera en conséquence rejeté.
Sur le rappel de prime
A juste titre l'employeur expose que le salarié ne présente aucun moyen au soutien de sa demande tendant au rappel d'une prime de 1 333 euros, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salariée de ce chef de demande.
Sur la rupture
Le salarié fait valoir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors que les faits qui lui sont imputés ne sont pas matériellement établis et ne lui sont pas personnellement imputables, au contraire de l'employeur qui les estime démontrés et suffisamment graves, eu égard aux fonctions de DAF exercées par le salarié, pour justifier son éviction immédiate.
***
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.
En l'espèce, il est reproché au salarié d'avoir édité des factures auprès du client Brink's ne correspondant pas à des bons de commande( « Purchase Orders » ou « PO »).
Pour établir la réalité des griefs, l'employeur s'appuie sur plusieurs éléments.
Par sa pièce 6, l'employeur produit un échange de courriels du 14 novembre 2018 entre la société Brink's et la société Suzohapp France montrant que la première a des « petites questions » à soumettre à la seconde à propos de certaines factures. Y sont recensés plusieurs problèmes :
. la facture 178351 pour laquelle « le numéro de commande n'est pas bon »,
. la facture 160776 qui porte le même numéro de commande que la facture 1613359,
. l'existence ou non d'un avoir qui annulerait la facture 160776,
. l'impossibilité de saisir la facture 182314 « car apparemment il n'y a pas de bon de commande », de même que pour les factures 182255 et 162842.
Le salarié objecte que les courriels échangés le 14 novembre 2018, après son départ consécutif à une mise à pied du 5 novembre 2018 sont sans lien avec les factures visées par la société dans la lettre de licenciement. La société vise en effet quarante-quatre factures dont elle dresse la liste dans sa pièce 10 (liste des factures litigieuses et factures associées). Dans la liste des quarante-quatre factures mentionnées dans la lettre de licenciement ne figurent pas toutes les factures visées dans l'échange de courriels du 14 novembre 2018 entre la société Suzohapp France et la société Brinks. La cour observe toutefois que la facture 182255 figure à la fois dans la liste des quarante-quatre factures (troisième de la liste) et dans l'échange de courriels du 14 novembre 2018. Cette facture date du 28 août 2018 ' donc antérieurement au départ du salarié ' et vise un « order » qui n'a pas été retrouvé par le client Brink's.
En pièce 7, l'employeur produit un courriel interne adressé au salarié le 15 juin 2018 par lequel un interlocuteur de la société Suzohapp France lui demande quels sont les bons de commande qu'il a pour l'arriéré de la société Brink's et s'il y a un calendrier de livraison convenu. Le 18 juin 2018, le salarié a transféré ce courriel à M. [J] (directeur général) en lui indiquant : « Nous devons faire quelque chose sur le suivi des coffres et les retards d'installation. Ca va nous péter à la figure ». Cet échange accrédite à tout le moins le contenu de la lettre de licenciement en ce qu'elle mentionne que des factures n'avaient pas été honorées par la société Brink's.
Courant juillet 2018, à l'occasion d'un contrôle interne, le salarié en charge du contrôle ' M. [P] ' a interrogé M. [W] sur le point de savoir pourquoi, en l'espace d'une semaine, le chiffre d'affaires du mois de juin 2018 avait progressé de 500 000 euros par rapport aux prévisions. Le salarié lui a répondu : « je ne sais » (pièce 8).
Enfin, l'employeur verse aux débats un courriel que le 3 novembre 2018, le salarié s'est adressé à lui-même avec pour sujet « factures Brink's sans commande au 31-10-2018 » et dans lequel il indique « nous devons absolument obtenir les commandes BRINK'S pour lesquelles nous avons établi une facture. »
De ces éléments, il ressort que, comme le soutient l'employeur, plusieurs factures ont été émises par la société Suzohapp France à la société Brink's, qui, cela n'est pas contesté, est son principal client. Il en ressort aussi que certaines factures sont demeurées impayées par le client, lequel ne retrouvait pas les bons de commande associés aux factures. Il en ressort enfin que le salarié savait que des factures sans bon de commande avaient été adressées à la société Brink's.
Le salarié explique que les factures étaient éditées et envoyées par la direction de l'administration des ventes sur demande du directeur général, M. [J]. Cela ressort en effet de ses pièces 29 à 32 qui évoquent une « vague de facturation anticipée » entre le 15 juin et le 20 juillet 2018. Toutefois, même si effectivement le salarié n'a pas édité les factures en question, il demeure qu'en sa qualité de DAF, il ne pouvait pas ignorer que ces factures ne correspondaient pas à des commandes du client. C'est ainsi qu'il a écrit, le 18 juin 2018 à M. [J], que cette pratique allait leur « péter à la figure ». En outre, il a entendu le dissimuler à M. [P] qui s'interrogeait sur une progression anormale du chiffre d'affaires, en prétendant en ignorer les raisons .
Il n'est pas discuté que la comptabilité d'une société est gouvernée par plusieurs principes généraux au rang desquels figurent l'image fidèle des comptes, leur régularité et leur sincérité (pièce 15 ' normes comptables françaises ' règlement n°2014-03 relatif au plan comptable général ' Autorité des normes comptables), qu'en sa qualité de DAF, le salarié était tenu d'appliquer .
La pratique litigieuse à laquelle le salarié a participé et qu'il a couverte, concourrait à l'insincérité des comptes de la société. Elle s'analyse en une faute qui constitue à tout le moins une cause réelle et sérieuse dès lors qu'elle a été commise par un salarié occupant des fonctions de DAF.
S'agissant de la gravité de la faute, il convient de relever que M. [J] témoigne de ce qu'en « mai 2018, le stock de coffres intelligents (smartsafe) de notre principal client (Brink's) étant trop important (trésorerie dormante), la direction du groupe a exigé que nous menions une action rapide auprès dudit client de manière à solder cette dérive occasionnant des difficultés de trésorerie importantes. Chose faite le 06/06/2018 lors d'une réunion avec notre interlocuteur Brink's ou il a été acté que la société Suzohapp France allait facturer à Brink's de façon anticipée à raison de 10 coffres par semaine sur 8 semaines les 80 unités en stock sans date d'installation connue chez les clients finaux ; la facturation des coûts de livraison, d'installation et de mise en service étant facturés ultérieurement à Brink's à la mise en service réelle des coffres concernés. »
Il se comprend de cette attestation que c'est en raison d'un stock trop important de machines chez la société Suzohapp France et des difficultés de trésorerie qui en découlent, que M. [J] a pris la décision, concertée avec Brink's, de procéder à des facturations « anticipées ».
Cette explication, qui montre que le directeur général, M. [J], aidé en cela par M. [W], a agi dans l'intérêt de l'entreprise, n'enlève rien au fait que la pratique litigieuse aboutissait à une insincérité des données comptables, ce que le salarié, directeur administratif et financier, ne pouvait ignorer. Ce fait, compte tenu des fonctions exercées par le salarié, rendait impossible son maintien dans l'entreprise.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a dit justifié le licenciement pour faute grave et en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes financières en lien avec la rupture.
Sur les demandes de dommages-intérêts
Le salarié demande une indemnité au titre de ses préjudices moral et financier, invoquant un licenciement vexatoire. Mais le salarié ne caractérisant pas en quoi son licenciement ' qui était justifié ' a été vexatoire, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ce chef de demande.
Le salarié demande en outre la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 4 128 euros brut au titre de rappel de salaire pour remise tardive du solde de tout compte et documents de fin de contrat. Il n'est pas contesté que ces documents, qui sont quérables et non portables, ont été adressés au salarié le 7 décembre 2018 ce qui n'est pas tardif s'agissant d'un licenciement prononcé le 19 novembre 2018. En outre, le salarié n'établit la réalité d'aucun préjudice de ce chef. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de cette demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, le salarié sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
Il conviendra de dire n'y avoir lieu à aucune condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais d'appel. Le jugement sera en outre confirmé en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
DIT n'y avoir lieu à aucune condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [W] aux dépens de première instance et d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente