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05/07/2023 | FRANCE | N°21/02208

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 05 juillet 2023, 21/02208


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 5 JUILLET 2023



N° RG 21/02208

N° Portalis DBV3-V-B7F-UT72



AFFAIRE :



[A] [Y]



Constitué/



Société ENVEA









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de POISSY

Section : E

N° RG : F 19/00098



Copi

es exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Christophe BÉHEULIÈRE



Me Jean-Charles BEDDOUK







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 5 JUILLET 2023

N° RG 21/02208

N° Portalis DBV3-V-B7F-UT72

AFFAIRE :

[A] [Y]

Constitué/

Société ENVEA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de POISSY

Section : E

N° RG : F 19/00098

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Christophe BÉHEULIÈRE

Me Jean-Charles BEDDOUK

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont la mise à disposition a été fixée au 14 juin 2023 puis prorogée au 5 juillet 2023,dans l'affaire entre :

Monsieur [A] [Y]

né le 20 juillet 1975 à [Localité 5]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Christophe BÉHEULIÈRE de la SARL VON B, Plaidant/ Constitué , avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2564

APPELANT

****************

Société ENVEA

N° SIRET : 313 997 223

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Jean-Charles BEDDOUK, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0631

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [Y] a été engagé en qualité de technicien, par contrat de travail à durée déterminée du 3 septembre 2007 puis par contrat à durée indéterminée en qualité de technicien service clients à compter du 1er février 2008 avec reprise d'ancienneté au 3 septembre 2007 par la société Envea, anciennement dénommée la société Environnement.

Cette société est spécialisée dans l'instrumentation scientifique et technique. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des industries métallurgiques des cadres.

Par avenant du 3 janvier 2011, le salarié a été promu au poste de responsable services et support.

Par lettre remise en main propre le 25 mai 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 5 juin 2018, avec mise à pied à titre conservatoire.

Il a été licencié par lettre du 14 juin 2018 pour faute grave dans les termes suivants:

« Entre le 18 et 23 mai 2018, vous vous êtes adressé par le biais de l'adresse mail de la délégation unique du personnel (DUP) à Mme [T] (membres de cette instance) et à travers plusieurs messages, vous avez remis en cause son travail et ses compétences au sein de la DUP et plus généralement ceux de l'ensemble des membres de cette instance et laisser sous-entendre que la direction de l'entreprise ne respecterait pas certains droits des salariés. L'adresse mail utilisée étant commune, vous avez mis Mme [T] en situation embarrassante et avait également blessé plusieurs autres salariés au regard des remarques désobligeantes que vous avez portées à leur encontre.

Le 23 mai 2018 afin d'éviter que la situation ne s'envenime davantage, Mme [T] s'est rendue à votre bureau pour échanger avec vous. Or, vous n'avez fait que de lui hurler dessus, la traitant même d'incompétente est d'incapable, et cela même alors que plusieurs autres salariés se trouvaient dans votre bureau. Ces derniers ont été témoins de la virulence de vos propos qui ont d'ailleurs mis Mme [T] dans une situation particulièrement gênante. Au surplus, vous avez réitéré vos propos dénigrants sur le non-respect par la direction de certains droits des salariés sans en dire davantage. L'agressivité verbale dont vous avez fait preuve à l'égard de Mme [T] l'a placée dans un niveau de stress tel, qu'il a été remarqué par plusieurs salariés de l'entreprise et ce pendant plusieurs jours.

À la suite de cet échange et s'étant senti menacée Mme [T] a choisi d'informer la direction et nous a transmis vos échanges. Ce même jour, vous avez donc eu un entretien avec Madame [D], responsable RH, et M. [P], directeur financier. Lors de celui-ci, sans nier l'altercation, vous n'avez pas souhaité vous exprimer sur les raisons de votre attitude et avait brutalement quitté l'entretien.

Le 24 mai 2018, la direction apprend en date du 16 mai 2018, vous vous êtes rassemblé avec plusieurs salariés au sein de l'open space du service back office afin de critiquer, dénigrer et remettre en cause la direction et le travail de la DUP ainsi que plusieurs représentants du personnel, dont Mme [T]. Une des personnes présentes a d'ailleurs fait part à son manager de sa gêne quant aux propos que vous avez tenus.

Vos outrances d'attitude, de langage ainsi que la violence verbale dont vous avez fait preuve à l'égard de collègues est inadmissible, tout comme les critiques et dénigrement tenu à l'encontre de la direction (avec laquelle vous avez refusé le dialogue) et des représentants du personnel. Au surplus votre statut de cadre vous impose un certain devoir de réserve et est totalement incompatible avec le dénigrement dont vous avez fait étalage.

Au cours de l'entretien du 5 juin 2018, vous n'avez pas nié ces faits semblant de ne pas en avoir mesuré la gravité.

L'ensemble de ces éléments sont constitutifs d'une faute grave et licencions pour ce motif. (') »

Le 11 avril 2019, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Poissy aux fins de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse, et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 15 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Poissy (section encadrement) a :

- dit que son licenciement pour faute grave par la société Envea (anciennement dénommée Environnement SA) est fondé,

- dit que l'attestation produite par la société Envea en pièce 11 est écartée des débats,

- condamné la société Envea à verser à M. [Y] avec intérêts légaux à compter du 25 Avril 2019, date de réception de la convocation pour le Bureau de Conciliation et d'orientation par la partie défenderesse, les sommes suivantes:

. 1 554,54 euros bruts à titre de rappel de salaires sur congés d'ancienneté,

. 155,45 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- rappelé que l'exécution est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l'article R.1454-14 alinéa 2 du code du travail,

- fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l'article R .1454-28 du code du travail à la somme de 4 514,05 euros bruts,

- condamné la société Envea à verser à M. [Y], la somme de :

. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [Y] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Envea de sa demande reconventionnelle.

- ordonné à la société Envea de délivrer les bulletins de salaire rectifiés, le solde de tout compte et l'attestation Pôle Emploi conformes au jugement, et ce, au plus tard dans les 15 jours à compter de la notification du présent jugement,

- condamné la société Envea aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d'exécution éventuels.

Par déclaration adressée au greffe le 7 juillet 2021, M. [Y] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [Y] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en formation paritaire du 15 juin 2021 en ce qu'il a fait droit au :

. rappel de salaire et de congés payés afférents sur congés d'ancienneté, avec intérêts légaux à compter du 25 avril 2019,

. accordé un article 700 du code de procédure civile de 500 euros,

. écarté la pièce adverse 11 des débats,

. débouté la société Envea de ses demandes reconventionnelles,

- infirmer pour le surplus le jugement du conseil de prud'hommes en formation paritaire du 15 juin 2021,

et statuant à nouveau,

- faire droit à l'ensemble ses demandes suivantes :

à titre principal,

- juger ses demandes recevables et bien fondées,

- juger que le licenciement est nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,

- juger que le licenciement présente un caractère vexatoire et déloyal, au regard des reproches mensongers qui lui sont faits, de son ancienneté et de son implication,

- condamner la société Envea à lui verser :

. 17 379,04 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 13 542,12 euros bruts à titre d'indemnité de préavis,

. 1 354,21 euros bruts à titre de congés payés sur préavis,

. 58 682,52 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul ou subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,

. 31 560 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié au caractère vexatoire du licenciement et manquement à l'obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi du contrat travail, ventilée de la manière suivante :

* 15 780 euros au titre du licenciement vexatoire,

* et 15 780 euros au titre de la violation par l'employeur de son obligation de loyauté,

. 2 843,54 euros bruts à titre de rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire,

. 284,35 euros bruts au titre des congés payés afférents,

. 1 554,54 euros bruts de rappel de salaires sur congés d'ancienneté,

. 155,45 euros bruts de congés payés sur de rappel de salaires sur congés d'ancienneté,

. 2 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral liés à la privation de ses congés d'ancienneté par la société Envea,

. 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'appel,

- ordonner :

. le tout assorti des intérêts légaux à compter de la saisine de la juridiction prud'homale, soit le 11 avril 2019,

. l'anatocisme,

. à la société Envea de lui remettre les bulletins de salaire, certificat de travail et attestation Pôle emploi conformes au jugement et à l'arrêt à venir,

. la condamnation aux entiers dépens et débours, comprenant en outre la totalité des frais d'exécution de la décision à intervenir dont les frais d'huissier.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Envea demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

. écarté des débats la pièce numéro 11 produite par la société Envea,

. condamné la société à payer à M. [Y] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et statuant à nouveau,

- recevoir l'attestation de M. [V],

- débouter M. [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Y] du surplus de ses demandes,

- condamner M. [Y] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [Y] aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur le rappel de salaire sur congés d'ancienneté

La cour relève que dans le dispositif de ses écritures, l'employeur n'a formé aucune demande d'annulation ni de réformation ou d'infirmation du chef du jugement portant sur le rappel de salaire sur congés d'ancienneté ni développé un moyen à ce titre dans la motivation de ses conclusions, mais a au contraire demandé la confirmation de ce chef de dispositif.

Il convient donc de confirmer le jugement de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour privation de ses congés d'ancienneté

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre de la privation de ses congés d'ancienneté le préjudice moral allégué n'étant pas établi.

Sur la rupture

Le salarié expose qu'il a interpellé des représentants du personnel sur ses droits à plusieurs reprises et qu'il a ainsi adopté une position estimée revendicative qui leur a déplu. Il explique que la véritable motivation du licenciement était en réalité pour la direction et les représentants du personnel, proches d'elle, de se séparer de lui immédiatement.

Le salarié indique que les reproches de l'employeur ne sont pas fondés et que l'atteinte à sa liberté d'expression est caractérisée alors qu'il n'a commis aucun abus dans l'usage de cette liberté d'expression.

Il affirme qu'il ne saurait être reproché à un salarié d'émettre un avis négatif sur le fonctionnement des institutions représentatives du personnel dans l'exercice de son mandat et que tout salarié doit pouvoir, sans risque de se le voir reprocher, s'exprimer auprès des représentants du personnel conformément au mandat qu'il leur donne.

Le salarié ajoute qu'à la suite de son licenciement, l'employeur a rétroactivement décidé d'appliquer enfin la règlementation relative aux congés d'ancienneté dont il a été privé et au sujet desquels il avait demandé des explications à la DUP.

L'employeur réplique que le salarié n'a pas été licencié pour avoir exercé abusivement sa liberté d'expression mais pour avoir dénigré les représentants du personnel, avoir eu un comportement excessif et agressif à l'égard de l'un d'eux et avoir quitté soudainement un entretien avec sa hiérarchie sans explication.

L'employeur soutient que le salarié affirme de manière péremptoire sans en justifier qu'il lui est reproché d'avoir revendiqué le paiement des jours de congés d'ancienneté prévus par la convention collective alors qu'à la lecture des courriels il n'évoque pas ce sujet.

L'employeur objecte que l'allégation de ce que la DUP serait ' particulièrement proche de la direction de l'entreprise et de la direction revêt un caractère péjoratif et ne repose sur aucune preuve.'.

**

Il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul.(Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871)

Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement. (Soc., 29 juin 2022, pourvoi n° 20-16.060, publié)

Seuls peuvent être sanctionnés, pour manquement aux obligations contractuelles, des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs tenus par le salarié c'est à dire lorsque la liberté d'expression dégénère en abus, le juge du fond devant caractériser cet abus (Soc., 23 septembre 2015, pourvoi n°14-14.021, Bull. 2015, V, n° 177)

Afin de déterminer si le licenciement a sanctionné un exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression, il convient d'examiner l'ensemble des motifs invoqués dans la lettre de licenciement.

Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 1235-2-1 du code du travail offrent à l'employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l'indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire. Ce n'est que lorsque l'employeur le lui demande que le juge examine si les autres motifs de licenciement invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l'indemnité versée au salarié qui n'est pas réintégré, dans le respect du plancher de six mois prévu par l'article L. 1235-3-1. (Soc., 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-15.533, publié)

Au cas présent, il revient à la cour d'examiner si le comportement du salarié, auquel sont reprochés des outrances d'attitude, de langage à l'égard des membres de la délégation unique du personnel (cf la DUP), une violence verbale à l'encontre de Mme [T] et le dénigrement de la direction et de la DUP, a dépassé le cadre de son droit à la libre expression dans l'entreprise.

S'il ressort des pièces du dossier que le salarié s'est interrogé sur la privation par l'employeur des trois jours de congés supplémentaires, cette question ne ressort pas des échanges ayant eu lieu entre le salarié et les membres de la DUP.

Toutefois, il n'est pas contesté que le fond du litige porte sur le désaccord entre les parties sur le droit à congés du salarié et qu'en définitive, l'employeur qui a licencié le salarié le 14 juin 2018, a annoncé le 4 septembre 2018 lors d'une réunion de la DUP qu'il ' a légitiment pris le temps d'approfondir le sujet et décide, qu'à compter du 1er janvier 2018, les salariés disposant du statut cadre se verront octroyer des congés d'ancienneté selon les conditions définies dans la convention collective des cadres de la métallurgie(...).'.

Le salarié a donc revendiqué l'application d'une disposition conventionnelle que l'employeur a ensuite appliquée avec retard en précisant que ' la direction attire votre attention sur le fait que cette contribution augmente de façon considérable la charge salariale supportée par l'entreprise.'( cf procès-verbal réunion du 4 septembre 2018).

.Sur les courriels adressés aux membres de la DUP, dont Mme [T]

Le salarié a réclamé à compter du 17 mai 2018 des informations par courriels auprès de membres de la DUP.

Mme [B], responsable des ressources humaines, atteste qu' ' en date du 17 mai 2018, M. [Y] a envoyé plusieurs e-mails très revendicatifs et coléreux. En tant que membre de la DUP, j'ai été particulièrement choquée de la teneur de ces propos envers les membres de la DUP, de plus certaines critiques portaient atteinte à la qualité de mon travail'.

Le ton employé par le salarié dans ces messages est revendicatif voire désagréable alors qu'il réclame notamment des informations relatives à l'accès à la convention collective applicable, au montant de l'intéressement par salarié pour l'année 2017 et ses conditions d'éligibilité, à l'existence d'accords d'entreprise et d'une prestation de conseil juridique pour la DUP.

Ainsi, le salarié écrit à Mme [T], secrétaire de la DUP, copie faite à la boîte structurelle ' du groupe de la DUP' le 23 mai 2018, ' l'absence de réponse fait passer mon sentiment d'impatience à de l'inquiétude'.

Néanmoins, le salarié s'est abstenu de tout propos excessif, injurieux ou diffamatoire dans le cadre des échanges de courriels y compris lorsqu'il indique dans un de ses messages adressés aux membres de la DUP qu'il entend saisir l'inspection du travail pour obtenir les informations réclamées.

L'employeur n'établit pas les outrances d'attitude et de langage allégués à l'égard des membres de la DUP dans les courriels du salarié.

.Sur les propos tenus sur l'open-space

L'employeur ne rapporte pas davantage la preuve d'un abus du salarié caractérisé par la tenue de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs lorsqu'il s'est adressé à d'autres salariés dans l'openspace de l'entreprise le 16 mai 2018 et dont il a été informé le 24 mai 2018.

En effet, M. [V], directeur du service client, atteste que le salarié a tenu ' une réunion improvisée à la tonalité véhémente et revendicatrice animée (...) Le sujet portait sur la récupération des journées d'ancienneté chez ENVEA. (...) Il ne m'est pas possible de reporter précisément les propos tenus par [C] [Y]. Ils étaient très critiques et désobligeants et déloyaux envers l'entreprise et ses dirigeants. (...) Enfin ne pouvant en reproduire le fond, je souhaite que l'on retienne la forme et l'intention de ces propos prononcés dans le cadre professionnel qui n'avaient pas leur place dans la bouche d'un manager appartenant à l'équipe de direction de la société devant d'autres collaborateurs et qui plus est devant un de ses subalternes'.

Cette attestation, pièce n° 11 communiquée par l'employeur, qui ne décrit pas précisément les termes utilisés par le salarié le 16 mai 2018 est impuissante, à elle seule, à établir la réalité des faits invoqués par le témoin. Si cette attestation est dépourvue de force probante, elle a été régulièrement communiquée et il n'y a pas lieu de l'écarter des débats, infirmant ainsi la décision des premiers juges à ce titre.

Enfin, aucun autre salarié n'atteste du déroulement des faits du 16 mai 2018.

Dès lors, le caractère excessif, diffamatoire ou injurieux des propos tenus par le salarié le 16 mai 2018 à l'encontre de la direction, la remise en cause de la DUP, ne sont pas établis.

. Sur les les faits intervenus le 23 mai 2018

Mme [T], relate que le 23 mai 2018 elle s'est rendue dans le bureau du salarié à la suite de l'envoi de ses courriels adressés à la DUP afin de s'expliquer avec lui, et que ce dernier lui a notamment dit que ' tu es la secrétaire, tu ne réponds pas aux mails, tu es une incapable. C'est de l'incompétence', le témoin précisant que 'A ce moment-là les personnes présentes dans la pièce la quittent.'.

Mme [T] explique que les échanges ont perduré et qu'à un moment, le salarié ' poursuit en me criant dessus : que fais-tu pour t'assurer que les droits des salariés sont respectés' Comment fais-tu pour défendre les droits des salariés '(...) Tu es la secrétaire, tu es incompétente'.

Il ressort ensuite de la longue attestation de Mme [T] que le salarié a conservé un ton agressif et lui a répété à nouveau qu'elle était 'incompétente' mais encore ' tu nous enfumes' ou que les membres de la DUP ont été ' nuls', le salarié se levant à un moment de son bureau et s'approchant d'elle de sorte que 'par prudence du fait de la violence du ton, je me suis reculée doucement pour être dos à la porte'.

Mme [T] conclut son témoignage en indiquant qu'elle a ' ressenti de fortes palpitations cardiaques pendant toute l'après-midi' et qu'elle a ' souffert d'intenses douleurs abdominales avec des nausées et des vomissements' dans les jours suivant, invoquant des ' difficultés à me remettre physiquement et psychologiquement de cette épreuve.'.

Mme [D], responsable des ressources humaines, témoigne que Mme [T] l'a alertée le 23 mai 2018 et que la salariée ' était tremblante et très choquée de l'attitude de M. [Y]'.

Mme [B], responsable administrative du personnel et membre de la DUP, atteste que le salarié ' a malmené verbalement' Mme [T] qui s'est plainte de palpitations cardiaques.

L'employeur établit ainsi que le salarié a fait preuve de violence verbale à l'encontre d'une autre salariée, certes membres de la DUP, mais cette circonstance ne lui donnait pas le droit de l'injurier.

Ce grief, qui ne lui reproche pas un abus de liberté d'expression mais un comportement verbalement violent, est établi.

En définitive, deux des griefs invoqués par l'employeur portent ainsi atteinte à la liberté d'expression du salarié, qui est une liberté fondamentale, de sorte que, par voie d'infirmation du jugement, la nullité du licenciement sera retenue.

Sur les conséquences du licenciement nul

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, Le salarié victime d'un licenciement nul qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnisation qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire.

Les parties s'opposent sur le calcul du salaire mensuel moyen brut du salarié lequel indique qu'il a perçu la somme de 4 514,04 euros, l'employeur retenant une moyenne de 4 031,96 euros.

Les bulletins de salaire ne sont pas versés aux débats mais les revenus du salarié sont mentionnés dans l'attestation Pôle Emploi communiquée par l'employeur au titre des salaires des six derniers mois permet de calculer un salaire mensuel brut de 4 680,81 euros.

Dans la limite de la demande, le salarié de référence est fixé à 4 524,04 euros.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié (10 ans), de son niveau de rémunération, de son âge lors de la rupture (42 ans), de ce qu'il a perçu des allocations Pôle Emploi de septembre 2018 à février 2019, et de ce qu'il indique avoir retrouvé un travail sans justifier du montant de ses revenus, il conviendra d'évaluer le préjudice résultant de la perte de son emploi à 45 000 euros, somme au paiement de laquelle la société sera condamnée.

Le salarié peut également prétendre au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement et d'un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, dont les modalités de calcul ne sont pas discutées par l'employeur.

Par conséquent, l'employeur est condamné à verser au salarié les sommes de 13 542,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 354,21 euros de congés payés afférents, de 17 379,04 euros à titre d'indemnité légale de licenciement et de 2 843,54 euros à titre du rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, outre 284,35 euros de congés payés afférents.

Sur le licenciement vexatoire et le manquement de l'employeur à son obligation de loyauté

Le salarié se prévaut d'un préjudice distinct de celui réparé par l'indemnité pour licenciement nul en ayant été victime de mesures vexatoires et déloyales dans l'exécution du contrat de travail et à l'occasion du licenciement, l'employeur utilisant des échanges intervenus avec les représentants du personnel.

L'employeur s'oppose aux demandes du salarié qui ne justifie pas d'un préjudice.

. Sur la violation par l'employeur de son obligation de loyauté

Il a été précédemment établi que l'employeur a été saisi par Mme [T], représentante du personnel, du comportement du salarié lequel a été considéré comme verbalement violent à l'encontre de cette salariée.

En outre, le salarié communique les courriels adressés aux membres de la DUP mais qu'il a également adressés en copie à la responsable des ressources humaines, Mme [D], de sorte qu'il ne peut pas reprocher à l'employeur d'avoir utilisé des messages adressés uniquement par le salarié à des représentants du personnel, ce qui n'est pas le cas.

Le manquement de l'employeur n'est pas établi par le salarié.

.Sur le licenciement vexatoire

Le salarié ne justifie pas de circonstances autres que celles indemnisées au titre de la rupture du contrat de travail en raison du préjudice moral pour licenciement vexatoire .

Dès lors, le salarié sera débouté de ses demandes de dommages-intérêts et le jugement sera confirmé de ces chefs.

Sur la remise des documents

Il convient d'enjoindre à l'employeur de remettre au salarié un certificat de travail, une attestation Pôle emploi, une attestation Pôle Emploi et des bulletins de paie rectifiés conformes à la présente décision.

Sur les intérêts

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l=employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu=ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Y ajoutant, l'employeur sera également condamné aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu'il condamne la société Envea à verser à M. [Y] les sommes de 1 554,54 euros bruts à titre de rappel de salaires sur congés d'ancienneté, outre 155,45 euros bruts à titre de congés payés afférents, déboute M. [Y] de ses demandes de dommages-intérêts pour privation de ses congés d'ancienneté, pour exécution déloyale du contrat et violation par l'employeur de son obligation de loyauté, et en ce qu'il condamne la société Envea à verser à M. [Y] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre,

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT le licenciement nul pour violation de la liberté d'expression de M. [Y],

CONDAMNE en conséquence la société Envea à verser à M. [Y] les sommes suivantes:

. 45 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

. 17 379,04 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

. 13 542,12 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et 1 354,21 euros de congés payés sur préavis,

. 2 843,54 euros au titre du rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, outre 284,35 euros de congés payés afférents,

ORDONNE à la société Envea à remettre à M. [Y] les bulletins de paie rectifiés, le certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi conformes à la présente décision,

DITque les intérêts au taux légal sur les créances indemnitaires courront à compter du prononcé de la présente décision, et à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation à comparaître à l'audience de conciliation pour les créances salariales,

ORDONNEla capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Envea aux dépens de première instance et d'appel, et à verser à M. [Y] une indemnité de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine Mouret, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02208
Date de la décision : 05/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-05;21.02208 ?
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