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29/06/2023 | FRANCE | N°22/00175

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 29 juin 2023, 22/00175


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 59A



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 JUIN 2023





N° RG 22/00175 - N° Portalis DBV3-V-B7G-U6BX







AFFAIRE :



S.A.S. TPES



C/



S.A.R.L. CRECHE [5]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de Nanterre

N° Chambre : 3

N° RG : 2020F00309



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Christophe DEBRAY



Me Emmanuel MOREAU



TC NANTERRE











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 59A

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 22/00175 - N° Portalis DBV3-V-B7G-U6BX

AFFAIRE :

S.A.S. TPES

C/

S.A.R.L. CRECHE [5]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de Nanterre

N° Chambre : 3

N° RG : 2020F00309

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Christophe DEBRAY

Me Emmanuel MOREAU

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. TPES

RCS Nanterre n° 812 427 672

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me André FARACHE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1929

APPELANTE

****************

S.A.R.L. CRECHE [5]

RCS Bobigny n° 523 700 490

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Emmanuel MOREAU de la SCP MOREAU E. & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 147 et Me Florian MAYOR et Me Ariane OLIVE du cabinet SPARK Avocats, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R244

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

La société Tpes a une activité spécialisée dans l'accueil périscolaire et extrascolaire dans les écoles maternelles.

La société Crèche [5] a pour activité le conseil, la conception et l'exploitation d'espaces éducatifs de loisirs pour les enfants de 0 à 12 ans.

L'association Courteline est une association gérant des centres sociaux et des accueils périscolaires et extra-scolaires.

Jusqu'au mois de mai 2018, elle était titulaire de 3 des 7 lots de l'appel d'offres tri-annuel de la ville de [Localité 12] portant sur la gestion de deux centres sociaux et les accueils périscolaires liés à près de 30 écoles de la ville.

Dans le cadre du renouvellement de l'appel d'offres, la société Tpes a remplacé l'association Courteline pour la gestion des accueils périscolaires et extra scolaires du lot n°4 de la ville de [Localité 12], l'association Courteline conservant les lots 3 et 6.

Le 16 août 2018, l'association Courteline fait assigner la société Tpes devant le tribunal de grande instance de Nanterre, lui reprochant de ne pas avoir poursuivi l'exécution à compter du 1er septembre 2018 des contrats de travail des salariés attachés au lot n°4 de l'appel d'offre de l'agglomération de Tours, en application de l'article L.1224-1 du code du travail. Elle a sollicité sa condamnation au paiement de la somme de 139.668,47 € correspondant aux salaires et indemnités de fin de contrat qu'elle a versés aux salariés n'ayant pas bénéficié du transfert de leur contrat de travail.

Par jugement du 18 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Nanterre a déclaré l'association Courteline irrecevable à solliciter l'application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail et le transfert des contrats de travail.

L'association Courteline a interjeté appel de ce jugement. La procédure est actuellement pendante devant la cour d'appel de Paris.

Par acte sous seing privé du 28 décembre 2018, la société Tpes a cédé à la société Crèche [5] son fonds de commerce de loisirs périscolaires moyennant le prix de 150.000 €.

Dans le cadre de la procédure d'appel interjeté contre le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 18 décembre 2018, l'association Courteline a fait assigner en intervention forcée la société Crèche [5], par acte d'huissier du 7 novembre 2019, afin qu'elle soit tenue in solidum avec la société Tpes des conséquences d'une éventuelle condamnation.

Par acte d'huissier du 6 février 2021, la société Crèche [5] a fait assigner la société Tpes devant le tribunal de commerce de Nanterre, afin d'obtenir l'annulation de la cession du fonds de commerce intervenue le 28 décembre 2018, en prétendant avoir découvert le litige avec l'association Courteline concernant le transfert des contrats de travail des anciens salariés de cette dernière postérieurement à la vente.

Par jugement du 9 décembre 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Débouté la société Crèche [5] de sa demande d'annulation de la cession pour dol,

- Constaté que le consentement de la société Crèche [5] a été vicié suite à une erreur portant sur les qualités essentielles de la chose cédée,

- Prononcé la nullité de la cession intervenue en date du 28 décembre 2018, et remis les parties en l'état,

- Condamné la société Tpes à la restitution à la société Crèche [5] du prix de  130.000 €,

- Condamné la société Tpes à payer à la société Crèche [5] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit,

- Condamné la société Tpes aux dépens,

- Liquidé les dépens du greffe à la somme de 74,54 €, dont TVA 12,42 €.

Par déclaration du 10 janvier 2022, la société Tpes a interjeté appel du jugement.

Par ordonnance d'incident prononcée le 4 août 2022, le conseiller de la mise en état a :

- Dit n'y avoir lieu à radiation de l'instance,

- Dit n'y avoir lieu à paiement de frais irrépétibles,

- Dit que les dépens de l'incident suivront le sort de l'instance principale.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 23 janvier 2023, la société Tpes demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Crèche [5] de sa demande fondée sur le dol, de recevoir la société Tpes en ses conclusions, l'en dire bien fondée et y faisant droit :

A titre principal :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Crèche [5] de sa demande fondée sur le dol ;

- Infirmer ledit jugement pour le surplus, et statuant à nouveau :

- Débouter la société Crèche [5] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

A titre subsidiaire et surabondant,

- Juger que la procédure Courteline ne peut s'analyser en un élément déterminant du consentement de la société Crèche [5], ce qui exclut toute condamnation de la société Tpes, tant sur le fondement du dol que de l'erreur ou encore de la faute ;

- Juger que la prétendue ignorance de la procédure Courteline par la société Crèche [5] est une erreur inexcusable excluant toute nullité du contrat ;

- Juger que la société Crèche [5] sollicite à tort l'indemnisation d'une erreur sur la valeur de la prestation attendue excluant toute nullité du contrat ;

- Juger que la société Tpes n'a commis aucune faute précontractuelle ;

- Juger que la prétendue ignorance de la procédure Courteline ne présente aucun lien de causalité avec les préjudices allégués ;

par conséquent :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Crèche [5] de sa demande fondée sur le dol ;

- Infirmer ledit jugement sur tous les autres points, et statuant à nouveau :

- Débouter la société Crèche [5] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

En toutes hypothèses :

- Condamner la société Crèche [5] au versement de la somme de 84.260,55 € au profit de la société Tpes, en exécution du contrat,

- En tant que de besoin, enjoindre la société Crèche [5], sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter du lendemain du prononcé du jugement à intervenir (sic), d'ordonner au CIC de verser à la société Tpes la somme de 84.260, 55 € et à la société Crèche [5], la somme de 15.739, 45 €,

- Condamner la société Crèche [5] à payer à la société Tpes la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Crèche [5] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 31 octobre 2022, la société Crèche [5] demande à la cour de :

A titre principal :

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 décembre 2021, notamment en ce qu'il a :

- Constaté que le consentement de la société Crèche [5] a été vicié suite à une erreur portant sur les qualités essentielles de la chose cédée et prononcé par voie de conséquence la nullité de la cession intervenue le 28 décembre 2018 ;

- Ordonné la société Tpes à restituer à la société Crèche Attitude la somme de 130.000€ ;

En conséquence :

- Ordonner la libération de l'intégralité des sommes séquestrées, soit la somme de 100.000 €, au bénéfice de la société Crèche [5] ;

- Condamner la société Tpes à restituer à la société Crèche [5] le solde du prix de

cession, soit la somme de 30.000 € ;

- Condamner la société Tpes à payer à la société Crèche [5] la somme 193.260,47€ au titre des sommes indûment supportées par la société Crèche [5] du fait de la cession nulle (congés payés, indemnités de rupture') ;

A titre subsidiaire :

- Condamner la société Tpes à verser à la société Crèche [5] la somme globale de 343.260,47 € au titre des préjudices subis par cette dernière ;

En tout état de cause :

- Débouter la société Tpes de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Tpes à payer à la société Crèche [5] une somme de 20.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Tpes aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mars 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la nullité de la cession

Sur l'erreur sur les qualités essentielles de la prestation

La société Crèche [5] rappelle qu'en application des articles 1130 à 1136 du code civil, l'erreur de droit ou de fait est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation qui est due, qu'elle a été déterminante du consentement du cocontractant et qu'elle est excusable. Elle soutient que la composition et le volume de l'effectif du fonds étaient des éléments fondamentaux de son attractivité et de sa valorisation et donc de son consentement. Elle précise qu'aux termes de l'acte de cession, le nombre de salariés et la composition des effectifs avaient été expressément convenus de façon limitative et exhaustive.

Elle estime que l'erreur a été déterminante de son consentement, dès lors que l'acquisition d'un fonds de commerce, au prix de 130.000 euros, sur lequel pesait un risque social lié au transfert du marché public ne présentait pas d'intérêt pour elle dès lors qu'elle se retrouverait exposée:

- à une mise en cause par l'association Courteline, risque qui s'est réalisé puisque l'association l'a fait assigner en intervention forcée afin d'obtenir sa condamnation à lui verser une somme de 139.668,47 €, supérieure au prix de cession ;

- à une mise en cause par les salariés eux-mêmes, le risque de passif social étant alors plus de dix fois supérieur au prix payé ;

- à un risque relatif à sa réputation, alors qu'elle appartient à une société qui est un acteur reconnu du secteur de l'accueil de loisirs et de la petite enfance ; elle précise que ce risque s'est réalisé puisqu'elle a été citée publiquement dans la presse locale, caractérisant un préjudice d'image effectif.

Elle explique que l'insertion d'une clause d'indemnisation spécifique au titre de l'article L.1224-1 du code du travail est habituelle en cas de cession de fonds de commerce et qu'en l'espèce,

elle démontre la volonté délibérée du cédant de la tromper et en aucun cas, sa connaissance de la procédure engagée par l'association Courteline.

Elle conclut qu'elle n'aurait jamais acquis le fonds de commerce si elle avait eu connaissance de l'action engagée par l'association Courteline et du risque d'actions à son encontre de la part de salariés demandant, sur le fondement de l'article L.1224-1 du code du travail, leur réintégration au sein de ses effectifs.

Elle considère que l'erreur est excusable, rappelant avoir fait diligenter des audits préalablement à l'acquisition. Elle précise que l'accès complet à la dataroom comprenant les documents sociaux et notamment les contrats de travail, ne lui a été accordé qu'après la signature de l'action de cession, une fois les manoeuvres dolosives de la société Tpes consommées.

Elle conteste toute faute inexcusable, considérant que la simple insertion d'une mention incomplète et discrète au sein du préambule d'un seul document dissimulé parmi des centaines d'autres, sur une dataroom ouverte le 26 novembre 2018 soit un mois avant la signature de l'acte de cession, ne constitue pas une information précontractuelle satisfaisante. Elle souligne que l'accès aux documents relatifs aux ressources humaines, et donc aux contrats de travail, ne lui a été donné qu'après la signature de l'acte de cession. Elle rappelle avoir fait diligenter des audits dans le cadre desquels l'information relative à la procédure engagée par l'association Courteline ne lui a pas été communiquée. Elle considère que le vice de son consentement portant sur les qualités essentielles de la prestation justifie en application de l'article 1131 du code civil l'annulation de la vente. Subsidiairement, elle invoque un manquement de la société TPES à son obligation précontractuelle d'information au visa de l'article 1112-1 du code précité.

La société Tpes répond fait valoir que la procédure initiée par l'association Courteline à son encontre était de notoriété publique dès le 1er septembre 2018 et que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre a également été commenté dans la presse. Elle indique que la procédure initiée par l'association Courteline était expressément mentionnée dans les documents consultés par la société Crèche [5] lors de son audit de pré- acquisition notamment dans le contrat de travail d'un des salariés, M. [Y] ; elle se prévaut d'une faute inexcusable de l'acquéreur du fonds de commerce. Elle souligne que la société Crèche [5] a négocié une garantie de passif spécifique liée aux réclamations éventuelles de tous les anciens salariés qui seraient fondés sur l'article L.1224-1 du code du travail. Elle soutient que l'erreur prétendue sur une qualité du fonds de commerce ne peut fonder quelque action en nullité que ce soit à son égard, en application des articles 1133 et 1136 du code civil. Elle considère que la société Crèche [5] ne justifie d'aucun préjudice, puisque le risque ne s'est pas réalisé, le tribunal de grande instance de Nanterre ayant déclaré l'association Courteline irrecevable à se prévaloir des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail et aucun salarié n'ayant sollicité le transfert de son contrat de travail.

*****

Sur la nullité de l'acte de cession

L'article 1130 du code civil dispose que : 'L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné'.

En outre, l'article 1132 du code précité énonce que : 'L'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant'.

Enfin, l'article 1136 du même code précise que :' L'erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n'est pas une cause de nullité'.

En l'espèce, il ressort de l'acte du 28 décembre 2018 que la société Tpes a cédé à la société Crèche [5] " un fonds de commerce dont l'activité consiste en la gestion d'accueil de loisirs périscolaires et extrascolaires ", composé de différents éléments parmi lesquels " le bénéfice et la charge des contrats de travail des salariés attachés au fonds de commerce ".

Au regard de l'activité décrite, tenant en l'encadrement de jeunes enfants en dehors du temps scolaire, les effectifs constituent un élément essentiel du fonds de commerce.

Comme l'indique l'intimée, l'article 2.1de l'acte de cession stipule que figure à l'annexe 3 " la liste exhaustive des salariés transférés ".

La société Crèche [5] soutient ne pas avoir été informée de la procédure contentieuse engagée par l'association Courteline au titre du transfert des contrats de travail. Pour le contester, la société Tpes se prévaut d'articles de presse rapportant l'action en justice en question. Cependant, la cour constate que parmi les articles communiqués par l'appelante, seuls trois d'entre eux, datés des 6 juillet, 1er et 28 septembre 2018 évoquent le litige opposant l'association Courteline et la société Tpes concernant la poursuite des contrats de travail dans le cadre de la reprise du marché et l'action judiciaire de l'association. Les autres articles ne se rapportent qu'aux licenciements induits par la perte de marché. Au surplus, deux des trois articles mentionnant la procédure judiciaire sont issus de la presse régionale, tandis que le troisième a été publié sur le site de la ville de [Localité 12]. Ces éléments sont nettement insuffisants pour démontrer que la procédure judiciaire engagée par l'association Courteline contre la société Tpes était, comme le prétend cette dernière, de notoriété publique.

L'appelante se prévaut par ailleurs de l'insertion d'une clause de garantie du passif social. Il résulte effectivement de l'article 7-2 du contrat qu'elle s'est engagée à :

" indemniser à l'euro l'euro l'acquéreur du montant de tous salaires et indemnités de préavis de licenciement, et de toutes charges sociales y afférentes, que ce dernier viendrait à exposer pendant une durée de neuf (9) mois à compter de la date de réalisation dans l'hypothèse où i) une ou plusieurs personnes autres que celles listées en annexe trois viendraient à bénéficier des dispositions d'article L 1224-1 du code du travail et seraient transférées de ce fait à l'acquéreur, et ii) l'acquéreur ne souhaiterait pas conserver ce ou ces personnes dans ses effectifs ; dans ce cas l'acquéreur devra engager une procédure de licenciement dans les meilleurs délais. "

Toutefois, il ne peut être déduit de la seule insertion de cette clause, au demeurant habituelle dans les actes de cession de fonds de commerce, que la société Crèche [5] avait connaissance de la procédure judiciaire engagée par l'association Courteline, qui va bien au-delà du seul risque résultant de l'application de l'article L.1224-1 du code du travail inhérent à toute cession de fonds de commerce. La cour constate que la société Crèche [5] communique en pièce n°18 les différentes versions de la clause proposées par les parties au cours des négociations, cette pièce n'étant pas critiquée par l'appelante. Or, il en ressort que la société Tpes a entendu le 18 décembre 2020 supprimer purement et simplement la clause de garantie du passif social de 5 ans, cette clause n'ayant été réintégrée qu'à la demande de la société Crèche [5] mais pour une durée que la société Tpes a limitée à 9 mois, sans explication, dans la version du 21 décembre 2020 qui a été reprise dans l'acte de cession.

La société Tpes invoque la mention de la procédure judiciaire dans le contrat de travail de M. [Y] qui a été communiqué à la société Crèche [5] lors de la phase précontractuelle dans la dataroom.

La lecture de ce contrat de travail communiqué par l'appelante en pièce n°38 permet de constater qu'il est fait référence, dans les éléments de contexte, au contentieux judiciaire initié par l'association Courteline contre la société TPES : "Le salarié avait été embauché par l'association Courteline en CDI à la date du 08/09/2008, employeur pour lequel il travaillait comme Responsable AEMS (" Accueil Educatif du Matin et du Soirs " ) / TAP (" Temps d'Activite Periscolaire") sur lot n°4 de la ville de [Localité 12] dit [Adresse 11] (Ecoles [9], [4], [8], [10] et [13]).

Suite à la perte du marché public de gestion des ALSH et AEMS du lot n°4, et compte tenu notamment de l'organisation de l'association Courteline, la société TPES a estimé que les conditions du transfert automatique (L1224-1 du Code du Travail) et obligatoire des contrats de travail des salariés entre [U] et le nouveau délégataire n'étaient pas réunies. L'association Courteline estimait de son côté que l'article L1224-1 du code du travail s'appliquait. Elle a ainsi, le 16 aout 2018, intenté une action contre la société TPES devant le tribunal de grande instance de Nanterre (92), action qui est toujours pendante à la date des présentes ".

Cependant, comme le souligné l'intimée, ce seul contrat qui évoque le litige figure parmi les 63 contrats de travail qui ont été cédés avec le fonds de commerce aux termes de l'article 5.2.1 de l'acte de cession. En outre, il ressort des échanges de mails communiqués par la société Crèche [5] en pièce n°11 que cette dernière a demandé le 17 décembre 2018 l'accès "à tous les dossiers salariés", ce qui lui a été refusé par réponse du même jour de la société Tpes : "nous estimons que les dossiers personnels ne peuvent être débloqués en téléchargement avant la cession" ; seule une liste des contrats a été communiquée à la société Crèche [5] dans l'attente de la cession. Cet élément est confirmé par le courriel du 28 décembre 2018 de Mme [T], chargée des ressources humaines de la société Crèche [5], qui a écrit Mme [C], directrice adjointe des ressources humaines de la société Tpes : "TPES vient d'être signé. [B] a ouvert la dataroom. Je suis en train de télécharger tous les dossiers du personnel. Je vais donc avoir accès aux contrats des salariés".

Il résulte de ces éléments que la société Crèche [5] n'a pas eu accès à l'information figurant dans le contrat de travail de M. [Y] avant la réalisation de la cession.

La cour relève que la société Tpes, aux termes de l'article 5.2.1 de l'acte de cession, a déclaré sans la moindre réserve qu'à sa connaissance, rien ne s'oppose à la jouissance paisible du fonds, alors qu'à cette date, elle avait déjà été assignée devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Il apparaît ainsi qu'en n'ayant pas été informée de l'existence de la procédure judiciaire engagée par l'association Courteline afin d'obtenir la condamnation de la société Tpes à reprendre l'exécution des contrats travail attachés au fonds ou à défaut à assumer les conséquences de la rupture de ces contrats et à lui payer la somme de 347.575 € de dommages et intérêts, la société Crèche [5] a été induite en erreur sur les qualités substantielles du fonds de commerce cédé.

Cette erreur est déterminante du consentement au regard des demandes, très lourdes de conséquences, formulées par l'association Courteline, telles que rappelées supra. Il doit être souligné que l'association Courteline, après avoir interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 18 décembre 2018 ayant déclaré ses demandes irrecevables, a fait assigner en intervention forcée la société Crèche [5] devant la cour d'appel de Versailles le 7 novembre 2019, de sorte que cette dernière se trouve directement visée par les demandes, étant toutefois précisé que la demande indemnitaire a été réduite à la somme de 169.668,47 €. Si la société Crèche [5], dans son intérêt bien compris, a conclu devant la cour à l'irrecevabilité de l'action de l'association Courteline, il n'en demeure pas moins que des demandes lourdes de conséquences financières sont formulées à son encontre dans le cadre de cette instance toujours en cours et que rien ne démontre que si elles devaient aboutir, elles seraient couvertes par la garantie de passif social prévue à l'article 7.2 du contrat de cession qui a été limitée à 9 mois à l'initiative de la société Tpes.

Alors que l'intimée justifie avoir fait procéder à des audits de l'entreprise, dans le cadre desquels, pour les motifs précités, elle n'a pu accéder aux contrats de travail, l'erreur de la société Crèche [5] n'apparaît pas inexcusable.

Comme le soutient la société TPES, l'erreur sur la valeur n'est pas une cause de nullité. Cependant, l'article 1136 du code civil rappelle que le cocontractant ne doit pas " se tromper sur les qualités essentielles de la prestation ", ce qui est le cas en l'espèce puisque la société Crèche [5] a acquis un fonds de commerce dont l'un des éléments essentiels, les effectifs, est à l'origine d'une procédure judiciaire, à laquelle elle a été attraite, dans le cadre de laquelle il lui est demandé d'assumer la reprise des contrats de travail en cours lors du renouvellement du marché, à défaut de supporter les conséquences financières de la rupture de ces contrats et de payer une somme de près de 170.000 € de dommages et intérêts.

L'existence d'un préjudice pour la société Crèche [5] n'est pas contestable pour les motifs précités, au regard du trouble de jouissance du fonds commerce ainsi caractérisé et du risque financier encouru.

Enfin, le fait que la société Crèche [5] appartienne au groupe Sodexo est indifférent, dès lors qu'il ne peut en être déduit qu'elle aurait dû connaître l'existence de la procédure judiciaire en cause.

L'erreur est ainsi établie. Elle justifie, en application de l'article 1132 précité et par confirmation du jugement entrepris, l'annulation du contrat de cession conclu par les parties le 28 décembre 2020.

Sur les conséquences financières

Sur la restitution du prix de cession

Le contrat étant annulé, la société Tpes sera condamnée à restituer à la société Crèche [5] le prix de cession, soit la somme de 130.000 €. Les parties s'accordent à dire que la société Tpes n'a versé que 30.000 €, le solde, soit 100.000 €, étant séquestré auprès de la société CIC.

En conséquence, la société Tpes sera condamnée à régler à la société Crèche [5] la somme de 30.000 € et cette dernière sera autorisée à faire libérer par la société CIC, à son bénéfice, le séquestre portant sur la somme de 100.000 €. La demande tendant à voir ordonner la libération du séquestre ne peut prospérer, dès lors que la société CIC n'est pas partie à l'instance.

Sur la demande indemnitaire au titre des préjudices complémentaires

La société Crèche [5] sollicite une somme complémentaire de 193.260,47 € de dommages et intérêts décomposée comme suit :

- frais d'avocats : 43.549,99 €,

- frais de formalités : 4.281 €,

- frais afférents au paiement de collaborateurs travaillant sur la reprise, 74.690,03 €,

- la somme globale payée à Mme [H] : 35.000 €,

- les congés payés réglés aux salariés repris par la société Crèche [5] en lieu et place de la société Tpes : 35.739,45 €.

La cour constate que le tribunal de commerce a omis de statuer sur ces demandes.

Concernant les frais d'avocats, soit 43.549,99 euros, il doit être relevé que les honoraires exposés dans le cadre de la procédure judiciaire engagée par l'association Courteline relèvent des frais irrépétibles de cette instance et ne peuvent donc être indemnisés dans le cadre de la présente procédure. De surcroît, les frais d'avocats se rapportant à la transaction conclue avec Mme [H] ne seront pas retenus, dès lors que la société Crèche [5] ne justifie pas du refus de la société Tpes de prendre en charge les frais inhérents à la demande de cette dernière dans le cadre de la clause de garantie du passif social. Enfin, certaines factures ne comportent pas d'objet permettant de faire le lien avec la conclusion du contrat de cession litigieux. En conséquence, la société Tpes sera condamnée à payer à la société Crèche [5] une somme limitée à 20.546,24 € de dommages et intérêts au titre des honoraires d'avocats.

S'agissant des frais de formalités, la société Crèche [5] communique en pièce n°14 une facture du 4 avril 2019 portant sur des frais de publication d'une cession de fonds de commerce d'un montant de 4.281,25 €. Cependant, aucun élément probant ne démontre que l'acte de cession est celui qui a été conclu entre les parties le 28 décembre 2018.

En ce qui concerne les frais afférents au paiement de collaborateurs travaillant sur la reprise, la cour constate que la société Crèche [5] ne communique aucun élément probant corroborant les montants de salaire invoqués, de sorte que la demande indemnitaire ne peut aboutir.

S'agissant de la somme réglée à Mme [H], comme indiqué supra, dès lors que la société Crèche [5] ne justifie pas du refus de la société Tpes de prendre en charge cette somme dans le cadre de la clause de garantie du passif social, sa demande indemnitaire ne peut prospérer.

Enfin, concernant les congés payés réglés aux salariés repris par la société Crèche [5] en lieu et place de la société Tpes, cette dernière se reconnait redevable de la somme réclamée au titre de la clause de garantie du passif social. Elle sera donc condamnée au paiement de la somme de 35.739,45 €.

*

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Tpes doit être condamnée à payer à la société Crèche [5] la somme totale de 56.285,69 € au titre des préjudices complémentaires.

Sur la demande reconventionnelle en paiement de la société Tpes

La société Tpes demande à la cour de condamner la société Crèche [5] à lui verser une somme de 20.000 € au titre du complément de prix prévu au contrat en cas d'acceptation du transfert du contrat par la ville de [Localité 7]. Cependant, le contrat de cession étant annulé, la demande en paiement ne peut prospérer.

Par ailleurs, la société Tpes sollicite la libération du solde du prix de vente séquestré à son profit. Toutefois, à nouveau, l'annulation de la cession s'oppose à cette demande.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de la solution du litige, le jugement déféré sera confirmé des chefs des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Tpes, qui succombe, supportera les dépens et sera condamnée au paiement de la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par la société Crèche [5] dans le cadre de cette instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré, sauf en celle de ses dispositions relative à la restitution par la société Tpes de la somme de 130.000 €,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Tpes à payer à la société Crèche [5] la somme de 30.000 € au titre de la restitution du prix de la cession annulée ;

Autorise la société Crèche [5] à faire libérer par la société CIC, à son profit, la somme séquestrée de 100.000 € au titre du solde du prix de cession ;

Condamne la société Tpes à la société Crèche [5] la somme de 56.285,69 € de dommages et intérêts au titre des préjudices complémentaires ;

Déboute la société Tpes de sa demande reconventionnelle en paiement ;

Condamne la société Tpes aux dépens ;

Condamne la société Tpes à payer à la société Crèche [5] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 22/00175
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;22.00175 ?
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