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29/06/2023 | FRANCE | N°21/01417

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 29 juin 2023, 21/01417


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 JUIN 2023



N° RG 21/01417 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UP4X



AFFAIRE :



[I] [E]



C/



S.A.S. ELLIT





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Février 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : F19/01469








r>Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Monsieur [O] [P]



Me Najette LABBAS







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suiv...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 21/01417 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UP4X

AFFAIRE :

[I] [E]

C/

S.A.S. ELLIT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Février 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : F19/01469

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Monsieur [O] [P]

Me Najette LABBAS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 22 juin 2023 et prorogé au 29 juin 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [E]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : M. [O] [P] (Délégué syndical ouvrier) substitué par Monsieur [T] [H], délégué syndical muni d'un pouvoir

APPELANT

****************

S.A.S. ELLIT

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Najette LABBAS de la SELEURL Cabinet Najette LABBAS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0319

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

La société Ellit, dont le siège social est situé [Adresse 2], dans le département des Hauts-de-Seine, est spécialisée dans les travaux d'étanchéité. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective du bâtiment de la région parisienne.

M. [I] [E], né le 1er août 1964, a été engagé par la société Ellit selon contrat de travail à durée déterminée (CDD) pour pallier un accroissement temporaire d'activité, d'une durée d'un an à compter du 1er août 2017, en qualité de man'uvre, statut étancheur, qualification O.E., niveau 1 position 1, pour une rémunération mensuelle brute de 2 339,99 euros et une durée hebdomadaire de travail de 39 heures.

Il a été affecté sur le chantier Frères Lumières à [Localité 4].

Le 20 juin 2018, il a été affecté sur le chantier de la société Tishman Speyer à La Défense, qu'il a quitté en invoquant le fait qu'il était placé dans une situation dangereuse.

Le 21 juin 2018, M. [E] a souhaité reprendre le travail sur son ancienne affectation mais il n'a pas été admis à pénétrer sur le site.

Le 22 juin 2018, il a été placé en arrêt de travail pour maladie pour les 21 et 22 juin 2018. Son arrêt a été prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 31 juillet 2018.

Par courrier en date du 20 juin 2018, la société Ellit a convoqué M. [E] à un entretien préalable prévu le 2 juillet 2018. Le courrier a été retourné avec la mention « pli avisé mais non réclamé ».

Par courrier en date du 12 juillet 2018, la société Ellit a convoqué une nouvelle fois M. [E] à un entretien préalable prévu le 24 juillet 2018. Le courrier a été retourné avec la mention « destinataire inconnu à l'adresse ».

Par courrier en date du 27 juillet 2018, la société Ellit a notifié à M. [E] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

'Par lettre recommandée en date du 20 juin 2018 nous vous avons convoqué à un entretien avec mise à pied conservatoire préalable à un éventuel licenciement fixé le 2 juillet 2018. Toutefois, vous n'avez pas réceptionné ce courrier et ne vous êtes pas présenté à cet entretien, sans motif ni excuse. Nous avons eu le retour de ce courrier avec la mention « pli avisé et non réclamé ».

Nous vous avons alors adressé un courrier RAR en date du 12 juillet 2018 pour vous convoquer à un second entretien avec mise à pied conservatoire préalable à un éventuel licenciement fixé le 24 juillet 2018, entretien pour lequel vous ne vous êtes pas présenté, là encore sans motif ni excuse. Ce courrier nous a également été retourné avec la mention « n'habite plus à cette adresse ».

Votre absence à ces entretiens ne nous a pas permis de recueillir vos explications et nous n'avons pas modifié notre appréciation au sujet de la gravité des faits qui vous sont reprochés.

Nous vous notifions votre licenciement pour les motifs suivants :

Le 20 juin 2018 sur le chantier du client Tishman Speyer à La Défense auquel vous avez été affecté pour la semaine, en présence du conducteur de travaux, Monsieur [N], du client et d'autres représentants de sociétés sous-traitantes, vous avez eu un comportement insultant et irrespectueux.

En effet, vous avez refusé de travailler au motif que les normes de sécurité du chantier n'étaient pas conformes et respectées et qu'en conséquence « votre vie était mise en danger ».

M. [N], conducteur de travaux, vous a alors indiqué que le chantier était totalement sécurisé et vous a demandé de reprendre votre poste.

Au lieu de présenter vos inquiétudes calmement à votre supérieur, vous vous êtes mis à hurler et l'injurier. Puis vous l'avez menacé.

Il vous a demandé de vous reprendre mais vous avez refusé et avez continué à crier et menacer.

Vous ne vous êtes pas calmé malgré les demandes répétées de votre supérieur. Cette situation a eu lieu en présence de témoins.

A 12h30, vous avez ensuite quitté votre poste de travail sans autorisation ni même avoir prévenu votre responsable de chantier.

Puis, le 21 juin 2018 à 14h, vous vous êtes présenté sur le chantier de Bouygues à [Localité 4]

[Localité 4], auquel vous n'étiez pas affecté, pour travailler sans que personne n'en soit avisé. En conséquence, l'accès du chantier vous a été refusé.

Enfin, nous sommes restés sans nouvelles jusqu'à la réception de votre arrêt maladie le 21 juin 2018, reçu le 25 juin 2018.

Nous ne pouvons pas tolérer un tel comportement à l'égard de votre supérieur. Au surplus, cette attitude qui a eu lieu sur le chantier en présence d'autres sociétés sous-traitantes nuit à l'image et à la réputation de notre société. Il est impérieux de travailler dans le respect de l'autre et la politesse.

Au surplus, vous ne pouvez décider seul de vos affectations, du site où travailler. Nous sommes tenus par une organisation, des délais et ne pouvons tolérer votre attitude d'aller à l'encontre de votre hiérarchie qui plus est injustifiée.

Face à la gravité de la situation, nous avons été contraints de vous mettre à pied à titre conservatoire à compter du 20 juin 2018 tout en vous convoquant à l'entretien préalable à un éventuel licenciement.

L'ensemble de ces éléments traduit une importante mauvaise volonté de votre part.

Ainsi, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

La rupture de votre contrat, sans indemnité de préavis ni de licenciement, prend effet à compter de la date de cette lettre soit le 27 juillet 2018.

Nous vous signalons à cet égard qu'en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé.'

Le courrier a été retourné avec la mention « pli avisé mais non réclamé ».

Le 2 octobre 2018, M. [E] a demandé par courrier recommandé avec accusé de réception à la société Ellit ses bulletins de paie des mois de juin et juillet 2018 et son indemnité de précarité.

Sans réponse de son employeur, par requête du 18 octobre 2018, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en sa formation de référé aux fins d'obtenir son indemnité de précarité et ses bulletins de paie.

Par courrier daté du 11 octobre 2018 reçu le 23 octobre 2018, la société Ellit a refusé de lui verser une indemnité de précarité en raison du licenciement pour faute grave intervenu et lui a adressé les bulletins de paie réclamés, soulignant les avoir déjà remis.

M. [E] s'est désisté de son instance, ce dont le conseil de prud'hommes a pris acte par ordonnance du 18 janvier 2019.

Par requête reçue au greffe le 12 juin 2019, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de condamnation de la société Ellit à lui verser les diverses sommes à caractère indemnitaire et/ou salarial suivantes :

- paiement de la journée du 20 juin 2018 : 111,46 euros,

- paiement de l'indemnité de précarité de CDD : 3 050,75 euros,

- congés payés sur indemnité de précarité : 305,08 euros,

- dommages-intérêts pour rupture anticipée du CDD : 3 119,99 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 100 euros.

La société Ellit avait, quant à elle, sollicité le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 17 février 2021, la section industrie du conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [E] à verser à la société Ellit la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [E] aux dépens.

M. [E] a interjeté appel de la décision par déclaration du 21 avril 2021.

Par conclusions remises au greffe le 8 juillet 2021, M. [I] [E], représenté par M. [O] [P], défenseur syndical, en substance, dit que le licenciement pour faute grave n'est pas justifié et demande paiement des sommes suivantes :

- journée du 20 juin 2018 : 111,46 euros,

- indemnité de rupture prévue par l'article L. 1243-4 du code du travail : 3 119,99 euros,

- indemnité de précarité prévue par l'article L. 1243-8 du code du travail : 3 050,75 euros,

- indemnité de congés payés sur l'indemnité de rupture : 305,08 euros

- article 700 du code de procédure civile : 200 euros.

Par conclusions adressées par voie électronique le 6 octobre 2021, la société Ellit demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 17 février 2021 ce qu'il a :

. débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes,

. condamné M. [E] à payer à la société Ellit Ia somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En conséquence,

- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

En tout état de cause

- condamner M. [E] à payer à la société Ellit la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la présente procédure d'appel.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 8 mars 2023, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 14 avril 2023.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le licenciement

M. [E] soutient que la preuve n'est pas rapportée qu'il a commis une faute grave justifiant son licenciement. Il relate que sur le toit du chantier Tishman Speyer, il a constaté la présence d'importantes antennes et les difficultés à faire le travail seul sur ce site encombré de diverses installations ; que n'obtenant pas de garanties sur l'innocuité des antennes et sur l'aménagement du chantier, il a fait valoir son droit de retrait ; que son responsable a refusé de répondre à ses questions et lui a ordonné de partir.

La société Ellit répond que le 20 juin 2018, M. [E] s'est comporté de manière irrespectueuse, insultante et menaçante envers son supérieur hiérarchique sur le chantier sur lequel il était affecté, ce qui constitue une faute grave.

L'article L. 1243-1 alinéa 1er du code du travail dispose que 'Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.'

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie son départ immédiat. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement.

En l'espèce, la lettre de licenciement formule trois griefs à l'encontre de M. [E].

- sur le comportement insultant et menaçant du salarié

La lettre de licenciement reproche à M. [E] d'avoir eu un comportement insultant et menaçant en présence de son supérieur, M. [N], conducteur de travaux, du client et d'autres représentants de sociétés sous-traitantes, en se mettant à hurler et à injurier M. [N] et en le menaçant.

M. [E] nie totalement avoir insulté ou menacé M. [N] et souligne que l'agression violente qu'il a subie au siège de la société montre que la violence n'était pas de son côté.

Le 16 août 2018, M. [E] a déposé plainte au commissariat de police d'[Localité 3] contre M. [W] [S], conducteur de travaux de la société Ellit, pour violence ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas 8 jours, relatant que ce dernier l'a frappé lorsqu'il s'était rendu le jour-même au siège de la société Ellit afin de récupérer sa fiche de paye (pièce 10). Il n'indique pas quelles suites ont été données à cette plainte.

L'employeur justifie le comportement du salarié et la matérialité du grief par une attestation établie par M. [N] qui relate que :

'Le 20 juin 2018, M. [E] affecté au chantier Tishman Speyer (La Défense) a refusé de travailler sur site indiquant que sa vie était mise en danger.

Je lui explique que l'ensemble des normes de sécurité sont mises en place mais M. [E] refuse toute explication, hurle sur chantier et quitte son poste.

M. [E] me laisse des messages vocaux menaçants, m'insulte et décide par lui-même de son poste d'affectation.

Après plusieurs rappels et tentative de raisonner ce dernier, j'indique à M. [E] de reprendre son poste.

Dans l'après-midi, le client Tishman Speyer m'indique que M. [E] a quitté son poste.

Le lendemain, notre client Bouygues m'indique que M. [E] se présente sur le chantier de [Localité 4][Localité 4] et ce à 14 h !! L'accès lui a été refusé et malgré nos rappels à l'ordre M. [E] s'est mis tout simplement en arrêt maladie.

Ceci n'étant pas le 1er rappel à l'ordre (nous avons tenté de rappeler à l'ordre M. en douceur et de manière verbale).

Je passe outre les insultes personnelles visant mère et autre.

J'ai alors passé les éléments au gérant M. [B], mes rappels à l'ordre étant infructueux et les insultes épuisantes.' (pièce 8).

- sur l'abandon de poste

La lettre de licenciement reproche à M. [E] d'avoir quitté à 12 h 30 le chantier de la société Tishman Speyer sans autorisation et sans prévenir le responsable de chantier et de s'être présenté le lendemain à 14 heures sur le chantier Bouygues de [Localité 4] sur lequel il n'était pas affecté, de sorte que son accès lui a été refusé.

M. [E] soutient qu'il n'a pas fait un abandon de poste mais a simplement exercé son droit de retrait en raison de la présence d'antennes puissantes sur le toit de la tour Tishman ; qu'il a alerté son employeur sur cette situation dont il avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa santé, d'autant que les travaux à réaliser se trouvaient à proximité de cette installation et que le contrat d'entretien ne mentionne ni la présence des antennes ni les mesures à prendre pour la sécurité des salariés.

La société Ellit répond qu'elle respecte parfaitement les normes de sécurité, que M. [E] intervenait dans le cadre de l'entretien de terrasses qui ne sont pas situées à proximité des antennes, dont le périmètre est parfaitement limité.

L'article L. 4131-1 du code du travail dispose que 'Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d'une telle situation.

L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection.'

L'article L. 4131-3 du code du travail dispose que 'Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.'

Le danger grave et imminent s'apprécie au regard du salarié, de ses connaissances et de son expérience ; il s'agit du danger qui est susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou une incapacité permanente ou temporaire prolongée, dans un délai rapproché, ou de nuisances aigues.

L'employeur doit être immédiatement informé du droit de retrait, sans formalisme.

Lorsque les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies, le salarié s'expose à une retenue sur salaire, peu important qu'il reste à la disposition de l'employeur, et le cas échéant à une sanction disciplinaire.

Il convient d'examiner si l'exercice de son droit de retrait par M. [E] le 20 juin 2018 était fondé.

En l'espèce, M. [E] a été affecté sur le site de la tour Tishman Speyer à La Défense dans le cadre de l'exécution d'un contrat d'entretien de toiture-terrasse signé avec la société Ellit, qui concernait la révision bisannuelle des surfaces et ouvrages d'étanchéité, le nettoyage et le désherbage, la descente des détritus et menus objets de la 'terrasse inaccessible gravillons' et de la 'terrasse jardin' (pièce 10 de la société).

M. [E] fait valoir que la présence d'antennes puissantes sur le toit de la tour constitue un danger grave et imminent puisque leurs rayonnements électromagnétiques sont classés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme cancérigènes possibles, qu'il devait intervenir à proximité et qu'aucune garantie ne lui a été fournie sur les protections mises en place contre ces rayonnements. Il soutient qu'il n'y avait aucun balisage posé le 20 juin 2018.

Il produit en pièce 4 deux photographies qui montrent pour l'une la présence d'antennes posées sur un platelage en hauteur sur une zone gravillonnée du toit terrasse de la tour et pour l'autre un sol proche de canalisations et d'une barre de fer, sans lien avec les antennes et qui ne montre pas un encombrement dangereux du lieu de travail.

Il est justifié par l'attestation de M. [N] que M. [E] a interpellé son supérieur hiérarchique et a refusé de travailler sur le site en invoquant le fait que sa vie était mise en danger. Il a quitté son poste malgré les assurances de son employeur sur la mise en place des mesures de sécurité. M. [E] a donc exercé son droit de retrait.

La société Ellit produit une attestation sur l'honneur de la société Tishman Speyer indiquant que 'Les interventions et travaux d'entretien peuvent être réalisés en respectant les mesures mises en place. Les rayonnements électromagnétiques sont émis au sommet des antennes qui sont par ailleurs sur un platelage accessible uniquement à l'opérateur Bouygues Telecom. Par conséquent un rayon de sécurité est délimité permettant ainsi les interventions d'entretiens courantes.' (pièce 15). Elle produit également des photographies montrant deux panneaux signalant la présence d'antennes et l'interdiction de pénétrer dans le périmètre matérialisé près des antennes ainsi que des zones balisées au pied des antennes (pièces 11 à 14).

Dans ces conditions, le droit de retrait de M. [E] n'étant pas justifié, le grief est établi.

Par ailleurs, l'employeur était fondé à retenir le paiement du salaire du 20 juin 2018. La décision de première instance sera dès lors confirmée en ce qu'elle a débouté M. [E] de sa demande en paiement de la somme de 111,46 euros au titre de la journée du 20 juin 2018.

- sur l'absence de nouvelles durant plusieurs jours

La lettre de licenciement reproche au salarié d'avoir laissé son employeur sans nouvelles du 21 juin 2018 à 14 heures lorsqu'il s'est présenté sur son ancien chantier à [Localité 4] au 25 juin 2018, date à laquelle l'arrêt de travail du 21 juin a été reçu.

M. [E] fait valoir qu'il ne peut être tenu pour responsable de la grève de la Poste qui sévissait à cette époque, qu'il a averti son employeur de son arrêt par téléphone et qu'en tout état de cause il a été mis à pied verbalement le 20 juin 2018.

M. [E] a quitté son poste de travail à La défense le 20 juin 2018. Le lendemain 21 juin 2018 il s'est présenté à son ancien chantier mais n'a pas été admis à y travailler. Il s'est vu prescrire un arrêt de travail le 22 juin 2018 pour les journées des 21 et 22 juin 2018. Son arrêt de travail a été prolongé le 23 juin 2018 jusqu'au 26 juin 2018.

Il n'est pas établi que M. [E] a prévenu son employeur de son absence pour maladie dans les meilleurs délais avant le 25 juin, date à laquelle l'employeur indique avoir reçu l'arrêt de maladie, quand bien même il existait une grève de la Poste à cette époque. Il ne justifie pas d'un avertissement par téléphone alors qu'il produit un échange de SMS du lundi 25 juin 2018 pour s'assurer de la présence d'un interlocuteur au bureau pour un rendez-vous le jour-même à 18 h (pièce 8).

M. [E] ne peut justifier le fait qu'il n'a pas prévenu son employeur de son absence par la mise à pied qui lui a été notifiée. Il n'est en effet pas établi qu'une mise à pied verbale a été notifiée à M. [E] le 20 juin 2018 puisqu'au contraire son employeur lui a demandé de continuer son travail sur le site et que le salarié a quitté les lieux de lui-même à 12 h 30, pour se présenter à son ancien chantier le lendemain. Une mise à pied a été notifiée par courrier du 20 juin 2018 que le salarié n'a cependant pas retirée.

Le grief est en conséquence établi.

M. [E] a ainsi commis un ensemble de faits qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie son départ immédiat. Le licenciement pour faute grave de M. [E] est en conséquence justifié.

L'article L. 1243-4 du code du travail prévoit que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.

Il ressort de l'article L. 1243-8 du code du travail que le salarié perçoit une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation lorsqu'à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée.

L'article L. 1243-10 4 du code du travail prévoit cependant que l'indemnité de fin de contrat n'est pas due en cas de rupture anticipée du contrat due à l'initiative du salarié, à sa faute grave ou à un cas de force majeure.

Le licenciement pour faute grave de M. [E] étant bien fondé, le salarié doit être débouté de sa demande d'indemnité de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée et de sa demande d'indemnité de précarité et des congés payés afférents, fondées sur les dispositions susvisées, par confirmation de la décision entreprise.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

M. [E] sera condamné aux dépens d'appel et devra payer la somme de 500 euros à la société Ellit sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa demande du même chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 17 février 2021,

Y ajoutant

Condamne M. [I] [E] aux dépens,

Condamne M. [I] [E] à payer à la société Ellit une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [I] [E] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01417
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;21.01417 ?
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