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29/06/2023 | FRANCE | N°21/00262

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 29 juin 2023, 21/00262


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 JUIN 2023



N° RG 21/00262 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UIWG



AFFAIRE :



S.A.S. KEONYS



C/



[E] [D]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 17/00421



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Florence BONA de

l' AARPI BJF



Me Hervé TOURNIQUET







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 21/00262 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UIWG

AFFAIRE :

S.A.S. KEONYS

C/

[E] [D]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 17/00421

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Florence BONA de

l' AARPI BJF

Me Hervé TOURNIQUET

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. KEONYS

N° SIRET : 504 725 730

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Florence BONA de l'AARPI BJF, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1099, substitué à l'audience par Me Stéphanie PAILLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0536

APPELANTE

****************

Madame [E] [D]

née le 20 Octobre 1977 à [Localité 8] (MAROC)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Hervé TOURNIQUET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1883

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Madame Régine CAPRA, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, en présence de M. LAKHTIB Nabil, greffier

Par contrat de travail à durée indéterminée du 23 avril 2012, Madame [E] [D] a été engagée par la société Keonys en qualité d'ingénieur technico-commercial. Elle a occupé en dernier lieu les fonctions de responsable support clients. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Par courrier recommandé du 18 mai 2016, Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable qui s'est tenu le 26 mai 2016 et qui a été suivi de son licenciement pour motif économique par lettre recommandée avec avis de réception du 8 juin 2016, son contrat de travail ayant été rompu le 22 juin 2016 à la suite de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle.

Par requête reçue au greffe le 24 février 2017, Mme [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin de contester la légitimité de son licenciement, et d'obtenir le versement de diverses sommes.

Par jugement de départage du 10 décembre 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :    

Dit que la clause de réversibilité prévue à l'article 5-13 du contrat de travail de Madame [E] [D] était nulle ;

Dit que le licenciement de [E] [D] était sans cause réelle et sérieuse ;

Fixé la moyenne mensuelle brute des salaires à la somme de 6 449,7 euros ;

Condamné la société Keonys à verser à [E] [D] les sommes de :

638,035 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, comme majorée des intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2016 ;

50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d'indemnité de licenciement produiront intérêts au taux légal à compter de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation, et que les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du présent jugement conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil ;

Ordonné l'exécution provisoire ;

Condamné la société Keonys à verser à Mme [E] [D] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;

Condamné la société Keonys aux dépens.

Par déclaration au greffe du 21 janvier 2021, la SAS Keonys a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 19 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société Keonys demande à la cour de :

au principal

« infirmer le jugement prud'homal en ce qu'il a » 

En conséquence, dire et juger que le licenciement de Madame [D] pour motif économique est fondé sur un motif réel et sérieux. 

- débouter Madame [D] de toutes ses demandes,

au subsidiaire,

infirmer le jugement prud'homal en ce qu'il a condamné la société Keonys à indemniser Madame [D] pour un montant de 50 000 euros et ramener cette indemnisation au montant « de € brut » ;

- en conséquence, ordonner à Madame [D] de rembourser le trop versé par la société Keonys, soit la somme de 38 694 euros brut en exécution provisoire du jugement prud'homal partiellement infirmé ;

- condamner Madame [D] au paiement de la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 1er février 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Madame [D] demande à la cour de :

- débouter la société Keonys de son appel et de l'intégralité de ses demandes

en conséquence,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

Dit nulle la clause de réversibilité prévue à l'article 5-13 du contrat de travail de Mme [D]

Dit que la procédure de consultation des représentants du personnel n'a pas été régulière

Dit le licenciement de Mme [D] dépourvu de motif réel et sérieux

Dire et juger Mme [D] recevable et bien fondé en son appel incident et, y faisant droit,

infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [D] de sa demande au titre de l'article L 1235-12 du code du travail ;

Condamner la société Keonys à lui verser la somme de 9 056 euros au titre d'indemnité pour violation de la procédure collective de licenciement ;

réformer le jugement pour le surplus ;

- condamner la société Keonys à lui verser la somme de 2 940,26 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement, somme majorée des intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2016 ;

- condamner la société Keonys à lui verser la somme de 135 840 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- dire et juger que ces condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation ;

- condamner la société Keonys à verser à Mme [D] la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 février 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

La salariée soutient que son licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison :

- du caractère nul, illicite, à tout le moins inopposable, de la clause de réversibilité stipulée à l'article 5-3 du contrat de travail invoquée tant dans la lettre de proposition de modification de contrat du 11 mars 2016 qu'au sein de la lettre de licenciement ; du recours à cette clause, à la supposer licite et opposable, non dicté par l'intérêt de l'entreprise, en violation des dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail ;

- du non-respect des procédures de consultation des représentants du personnel pour les « petits licenciements collectifs pour motif économique » dès lors que le comité d'entreprise n'a pu rendre aucun avis utile faute de processus complet de consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail dont la dernière réunion n'a pas précédé la proposition de modification du contrat de travail ;

- de l'insuffisance et du caractère non réel et sérieux du motif économique énoncé dans la lettre de licenciement en ce que ne peuvent prospérer les moyens critiquant l'analyse du premier juge sur l'absence de motif économique au soutien de la proposition de mettre fin à son télétravail en dépit de réelles difficultés économiques justifiant le transfert du call center, dès lors qu'il ne suffit pas que les difficultés économiques soient établies puisqu'il doit exister un rapport de cause à effet entre ces difficultés et l'objet de la proposition de modification du contrat de travail, alors qu'outre le fait que la recentralisation de l'activité de call center au siège social n'a pas été réelle, il n'est pas expliqué en quoi celle-ci induisait la suppression de deux jours de télétravail ;

- subsidiairement, du défaut de consultation préalable de la commission territoriale de l'emploi pour rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise, ainsi que de l'absence de recherches de reclassement actives, sérieuses, loyales et personnalisées.

La société fait valoir que :

- la salariée argue de l'imprécision de la clause de réversibilité alors que lors de la conclusion du contrat de travail, elle n'a pas demandé que les modalités de la réversibilité soient précisées ; l'arrêt du télétravail ne lui a pas été imposé par la mise en 'uvre de la clause mais s'est inscrit dans le cadre d'un licenciement pour motif économique ;

- le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ont été informés et consultés dans le cadre des obligations légales prévues pour les licenciements économiques collectifs de neuf salariés, dès lors que le premier a été réuni les 12, 19 et 26 février 2016 et a disposé de toutes les informations utiles et du temps nécessaire pour rendre un avis utile, et que le second, dont la consultation n'était pas obligatoire, a été réuni de manière extraordinaire le 18 février 2016 au sujet de la réorganisation envisagée ainsi que sur son impact en termes de conditions de travail, en disposant de la note d'information qui avait été remise au

comité d'entreprise ;

- le licenciement repose sur un motif économique réel et sérieux puisque la modification, refusée par la salariée, de son contrat de travail par mutation géographique, qui s'inscrit dans le cadre du transfert du service « call center » situé à [Localité 4], au siège social situé à [Localité 7], a pour cause des difficultés économiques que démontrent les documents comptables et qu'explicitent les documents d'information et de consultation adressés aux représentants du personnel ; la réorganisation concernée visait à améliorer une situation comptable dégradée et à sauvegarder la compétitivité de la société par une réduction des coûts de structures et une rationalisation des moyens, ainsi que par la création d'une nouvelle offre du support en créant des synergies entre les différentes équipes techniques et en appréhendant mieux les besoins des clients, ce qui induisait la présence de la responsable du call center dans ce service technique élargi devant fonctionner en synergie et complémentarité grâce au rapprochement des équipes de vente et de call center pour présenter au client une offre de service globale, ce qui nécessitait une disponibilité permanente in situ, rendue possible par la vacance de bureaux au siège social, de la responsable du call center ;

- la commission territoriale de l'emploi ne devait pas être obligatoirement saisie dès lors que le licenciement ne concernait que neuf salariés ; elle a respecté son obligation de reclassement ; entre le 8 avril et le 8 juin 2016, elle n'a pas disposé de poste disponible correspondant aux compétences de la salariée sur l'ensemble du périmètre de reclassement tel que cela ressort des registres du personnel ; aucun site ne disposait de poste en télétravail y compris dans ses filiales implantées à l'étranger auxquelles la salariée a souhaité voir ses recherches élargies ; un courrier a été adressé au groupe des Industries Métallurgie afin de la faire figurer parmi la liste des salariés en recherche en reclassement.

Sur ce :

L'article L.1222-6 du code du travail dispose que lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L.1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La

lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus et, à défaut de réponse dans ce délai, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.

Selon l'article L. Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, constitue un licenciement économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à une cessation d'activité.

Lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, la réorganisation peut constituer un motif économique de licenciement si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.

En cas de litige sur le caractère réel et sérieux du licenciement économique, le juge doit vérifier, au vu des éléments fournis par l'employeur, la réalité de la cause économique, mais aussi la réalité de la suppression ou transformation de l'emploi ou de la modification du contrat de travail du salarié ainsi que le lien de causalité entre la cause économique et celle-ci.

Par lettre du 11 mars 2016 mentionnant en objet : « Proposition de modification de votre contrat de travail pour motif économique », l'employeur a soumis à l'acceptation de la salariée, avec le bénéfice d'un délai de réflexion de six semaines à compter de la réception de la lettre, sa proposition d'une modification du contrat de travail par mutation du site de [Localité 4] vers celui de [Localité 7] en raison d'une réorganisation par transfert du « call center » au siège social à la suite de difficultés économiques en 2013 et 2014 affectant ses résultats, sa trésorerie, un recul des ventes, une stagnation de la maintenance, imposant une réduction des coûts d'exploitation pour sauvegarder sa compétitivité et sa pérennité.

Cette lettre précise que le poste de la salariée, dont l'erreur dans le libellé est sans incidence à cet égard, est transféré à [Localité 7] avec révision de sa rémunération, aux conditions suivantes :

« - Lieu de travail effectif : locaux de la société, situés [Adresse 2] : votre clause de contrat de télétravail pendulaire sera rendue caduque à la date de la mutation effective selon le principe de réversibilité inscrit dans la clause 5-13 de votre contrat de travail signé le 23 avril 2012. ».

Cadre au forfait jour de 216 jours

Position II Coefficient 120 de la Convention Collective Nationale des Ingénieurs et cadre de la Métallurgie,

Augmentation de votre rémunération fixe de base à 69 646€ brut annuelle'

Il est également constant qu'à la date du 15 avril 2016, la salariée a expressément refusé la proposition de modification de son contrat de travail.

La lettre de licenciement du 18 mai 2016 intitulée « Notification de licenciement pour motif économique », énonce le motif qui suit :

« 'L'exercice 2014 de la société KEONYS s'était soldé par une importante perte nette de 2.075 K€ pour un chiffre d'affaires de 45,2 M€. Ce résultat déficitaire est survenu après une année 2013 en déséquilibre pour un montant de -24K€ pour un CA de 46,3 M€.

Parallèlement, la situation de la trésorerie s'est fortement détériorée, 1 million d'euros de trésorerie ayant été consommé sur les exercices 2013 et 2014.

Pour l'année 2015, malgré un chiffre d'affaires estimé à 46,6M€, le résultat d'exploitation (hors CIR) est estimé déficitaire à -700 K€ pour un résultat net négatif estimé -300 K€.

La progression du revenu Services, à hauteur de 20% sur la partie consulting et la croissance de nos ventes sur la partie Simulation n'ont pas pu compenser le recul des ventes de software (PLC), la stagnation de la maintenance (ALC) qui y est associée et le recul des ventes de matériel informatique « Hardware ».

En effet, le faible taux de marge alloué par notre partenaire principal Dassault, notamment sur nos ventes liées à la simulation (27,2% en FY15), entraîne une baisse du niveau de la rentabilité, alors même que l'arrivée de nouvelles technologies et de nouveaux logiciels sur le marché nécessitent des investissements, notamment la formation des équipes.

La réorganisation engagée sur l'année 2015, avec notamment des départs non remplacés dans les fonctions support et commercial a permis un premier allègement des coûts structurels, mais s'avère insuffisante à restaurer la compétitivité de la société.

Pour l'année 2016, à coût d'exploitation inchangé, le résultat net de l'année 2016 tel que défini au budget est à peine à l'équilibre, étant précisé que les prévisions de chiffre d'affaires de l'activité Services sur le premier trimestre 2016 sont en dessous du budget prévisionnel.

En l'état actuel et sans nouvelle mesure de réorganisation, l'équilibre financier nécessaire à assurer la pérennité de l'entreprise et à l'indispensable reconstitution de ses capitaux propres ne sera pas assuré.

Les constats ci-dessus imposent à la société plusieurs mesures de réduction des coûts d'exploitation pour sauvegarder sa compétitivité et donc sa pérennité.

C'est dans ce contexte qu'a été décidée la fermeture du call center situé à [Localité 4], duquel vous êtes le manager en qualité de Responsable Support Clients, et sa relocalisation sur le site de [Localité 7] (incluant la réversibilité de votre clause de télétravail entraînant votre relocalisation physique à [Localité 7] à plein temps), afin de déployer une nouvelle offre de Support Clients sur le site de [Localité 7].

Dans le cadre de ce transfert, nous vous avons proposé une mutation sur le site de [Localité 7] par

courrier du 11 mars 2016, proposition que vous avez refusée par courrier du 15 avril 2016 reçu dans nos locaux le 18 avril 2016.

La recherche de possibilité de reclassement au sein de la société et du groupe KEONYS même à l'étranger selon vos souhaits, sur un emploi disponible relevant de la même catégorie que celui que vous occupez (ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente ou à défaut sur un emploi d'une catégorie inférieure) s'avère infructueuse. Dès lors, votre reclassement au sein de la société et du groupe KEONYS apparaît impossible.

En cas de refus du contrat de sécurisation professionnelle, la date de 1ère présentation de cette lettre fixe le point de départ de votre préavis conventionnel de 3 mois, étant précisé que vous êtes dispensée d'activité pendant toute la durée de ce préavis qui vous sera payé comme si vous aviez travaillé à échéance normale de paye' »

Le contrat de travail mentionne que la salariée a été engagée en tant qu'ingénieur technico- commercial, position II, indice 114, selon un forfait annuel de 216 jours de travail, moyennant une rémunération fixe forfaitaire annuelle brute de 63 000 euros.

L'article 2 de ce contrat de travail mentionne que la salariée exerce ses fonctions à [Localité 6] (92), que son lieu de travail n'est pas un élément déterminant de son engagement au sein de la société, qu'en fonction de l'évolution de ses activités, de son organisation et plus généralement de ses impératifs de fonctionnement, le transfert du lieu de travail peut être décidé par l'employeur à tout endroit situé en Région Ile de France ou dans tout autre établissement, existant ou futur, implanté sur le territoire de la France métropolitaine, de la Belgique et des Pays-Bas, qu'un tel transfert ne constituera pas une modification des conditions essentielles du contrat de travail, la clause énumérant les établissements implantés en France métropolitaine et à l'étranger.

Son article 5 prévoit que la salariée exercera ses fonctions dans le cadre du télétravail pendulaire selon les modalités énoncées aux articles suivants, dont l'article 5.2.2 selon lequel la salariée peut exercer ses fonctions à son domicile personnel, situé [Adresse 3] à [Localité 5] au maximum 2 jours par semaine, l'article 5-13 stipulant : « la décision de passer au télétravail est réversible au cours de l'exécution du présent contrat ».

Il ressort des éléments soumis à l'appréciation de la cour que lors de la procédure de licenciement, la salariée exerçait ses fonctions de responsable support clients deux jours par semaine au centre d'appel de [Localité 4] et deux autres jours en télétravail depuis son domicile à [Localité 5].

Selon l'article L. 1222-9 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2012-387 du 22 mars 2012,

« Sans préjudice de l'application, s'il y a lieu, des dispositions du présent code protégeant les travailleurs à domicile, le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de

l'information et de la communication dans le cadre d'un contrat de travail ou d'un avenant à celui-ci.

Le télétravailleur désigne toute personne salariée de l'entreprise qui effectue, soit dès l'embauche, soit ultérieurement, du télétravail tel que défini au premier alinéa.

Le refus d'accepter un poste de télétravailleur n'est pas un motif de rupture du contrat de travail.

Le contrat de travail ou son avenant précise les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail.

A défaut d'accord collectif applicable, le contrat de travail ou son avenant précise les modalités de contrôle du temps de travail. »

S'il résulte de l'ensemble de ce qui précède, notamment d'une rédaction trop imprécise de la clause de réversibilité qui la rend inopposable, à défaut de pouvoir être déclarée nulle faute de caractérisation, notamment, d'une atteinte au droit de la salariée à une vie personnelle et familiale non justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, le jugement entrepris devant dès lors être infirmé en ce qu'il dit nulle celle clause, que l'employeur ne pouvait s'en prévaloir pour licencier la salariée et que l'accord de celle-ci était dès lors requis pour la suppression du télétravail dont elle bénéficiait en partie, il ne peut en être déduit le caractère injustifié du licenciement dont la salariée n'indique pas que son motif serait en définitive de nature disciplinaire en ce qu'il serait consécutif à son refus d'une décision unilatérale de l'employeur de mettre un terme au télétravail.

Si la salariée affirme que la cour doit tirer les conséquences sur la licéité du licenciement de la nullité, de l'inopposabilité ou de l'usage abusif de la clause de réversibilité, elle s'abstient de toute démonstration pertinente à cette fin en se bornant à prétendre que l'employeur ne pouvait invoquer une telle clause pour justifier la proposition de modification de contrat et le licenciement subséquent.

Si elle se réfère à la décision du premier juge, force est d'observer que celui-ci, après avoir constaté qu'elle-même ne contestait pas les difficultés économiques mentionnées dans la lettre de licenciement et que ces difficultés étaient étayées par les pièces produites en défense, a considéré que le télétravail était un élément essentiel du contrat de travail par suite de la nullité de la clause de réversibilité et que l'employeur ne justifiait pas de la cause économique de la suppression du télétravail objet de sa proposition.

Or, si la salariée a été licenciée par la société pour un motif économique en application des dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail tenant au refus de celle-ci d'une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail résultant d'une réorganisation en raison de difficultés économiques et de la nécessité de sauvegarder sa compétitivité, seule la modification de son lieu de travail, dès lors considéré comme élément essentiel du contrat de travail nonobstant l'existence d'une clause de mobilité non mise en 'uvre, situé en dernier lieu sur le site lillois de

la société, était dans le champ de la proposition soumise à son acceptation puisqu'elle n'était invitée à prendre position que sur une mutation géographique consécutive à une réorganisation consistant à relocaliser le « call center » au siège social de la société, la nature et l'importance de cette réorganisation eussent-elles entraîné un changement du mode d'organisation du travail à l'origine de l'invocation, fut-ce à tort, d'une clause de réversibilité inopposable.

Ainsi, pour justifier le motif économique du licenciement, l'employeur n'a envisagé d'autre refus de la salariée que celui portant sur sa mutation géographique : « Dans le cadre de ce transfert, nous vous avons proposé une mutation sur le site de [Localité 7] par courrier du 11 mars 2016, proposition que vous avez refusée par courrier du 15 avril 2016 reçu dans nos locaux le 18 avril 2016. »

En tout état de cause, il ressort des éléments, notamment de nature comptable, soumis à l'appréciation de la cour et que la salariée ne conteste pas utilement, que le chiffre d'affaire a quasiment stagné entre 2014 et 2016, que l'exercice clos le 31 décembre 2014 a révélé une perte nette de 2.075 k€, que la trésorerie s'est dégradée et que le résultat d'exploitation a été déficitaire à partir de l'exercice 2014, que les ventes de marchandises étaient également en baisse en 2015 et qu'au surplus les capitaux propres étaient négatifs en 2014 et 2015 ; en considération de ces éléments, l'employeur a pu estimer que le retour à l'équilibre financier, la reconstitution des capitaux propres et la sauvegarde de la compétitivité comme de la pérennité de l'entreprise considérée dans toutes ses composantes, devaient passer par une réorganisation consistant en un transfert des services lillois vers le siège social qui non seulement engendrait une réduction des coûts liés notamment à la location de locaux et à une rationalisation des moyens en utilisant des bureaux vacants au siège social, mais également visait à créer des synergies en vue d'une offre de service globale, entre les différentes équipes des ventes et du call center rassemblées en un lieu unique, objectifs à la concrétisation desquels devenaient essentielles la disponibilité du personnel concerné et la gestion des responsables sur un même site, toutes décisions de nature à remettre en cause le mode d'organisation du travail mis en place jusqu'alors pour la responsable support clients consistant à travailler deux jours en présentiel et deux jours en télétravail.

Il est également observé que les documents d'information et de consultation des représentants du personnel mettent en évidence l'importance du projet de réorganisation des services de l'ensemble de la structure Keonys qui pouvait conduire à envisager jusqu'à 9 licenciements et qui concernait les services « finance », « généraux », « marketing », « call center » et « sales opérations ».

Si la salariée conteste le caractère effectif de la réorganisation projetée, elle n'en justifie pas par la seule production de profils Linkedin et Viadeo, complétés d'un organigramme ne comportant aucun élément d'authentification et sans date certaine, dès lors qu'il ne peut en être déduit l'exercice effectif hors du site de [Localité 7] d'une activité concernée par la relocalisation.

Par ailleurs, l'employeur justifie avoir, préalablement à l'engagement de la procédure de proposition de modification de son contrat de travail pour motif économique, informé et consulté

le comité d'entreprise lors de trois réunions datées des 12, 19 et 26 février 2016, satisfaisant aux obligations édictées par les articles L. 1233-8 et suivants du code du travail.

La procédure suivie étant conforme aux dispositions légales, sans que la salariée puisse se prévaloir du refus du comité d'entreprise de donner son avis tant que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne se serait pas prononcé sur ce projet.

Enfin, selon l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015,

« Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ».

Il en résulte que cette recherche de possibilités de reclassement doit être réalisée par l'employeur, si la société fait partie d'un groupe, auprès des autres sociétés de ce groupe dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

Si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.

D'une part, si l'article 28 de l'accord national sur l'emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987 impose à l'employeur qui envisage de prononcer des licenciements pour motif économique de rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise, en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi, et si le non-respect de ces dispositions par l'employeur constitue un manquement à son obligation de reclassement et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, l'obligation de saisir cette commission ne concerne que les projets de licenciement collectif pour motif économique de plus de 10 salariés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

D'autre part, au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour, le périmètre du groupe de reclassement était composé des structures françaises, belge, allemande et néerlandaise de la société Keonys. Si la salariée reproche à l'employeur de ne pas justifier d'une démarche concrète aux fins

de recherches de reclassement, elle ne conteste pas l'absence de poste disponible pouvant lui être proposé au vu des différents registres du personnel sur la période concomitante au reclassement. Enfin, si le courrier recommandé avec demande d'avis de réception destiné au Groupe des industries métallurgiques (CREFP) n'a précédé que d'un jour la tenue de l'entretien préalable, cette seule chronologie ne suffit pas à caractériser le caractère non-sérieux ou déloyal des recherches de reclassement alors que l'employeur, qui n'y était pas tenu, a vainement tenté un reclassement externe de six salariés, dont Mme [D], concernés par le licenciement pour motif économique collectif.

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le licenciement de la salariée est bien pourvu d'un motif économique réel et sérieux et que l'employeur a respecté son obligation de reclassement.

La salariée sera donc déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, le jugement est infirmé de ces chefs.

Sur l'indemnité pour violation de la procédure collective de licenciement

Au vu de ce qui précède, la salariée doit être déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité au titre d'une violation de la procédure collective de licenciement et d'un préjudice qui ne sont pas établis.

Le jugement entrepris sera, dès lors, confirmé sur ce chef.

Sur le reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement

Pour infirmation du jugement entrepris, la salariée soutient que le premier juge a pris en compte la moyenne mensuelle des douze derniers mois alors que l'article 29 de la convention collective applicable permettait un calcul plus favorable sur les trois derniers mois.

Il résulte de l'article 19 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, modifié par avenant du 21 juin 2010, que l'ingénieur ou cadre, licencié sans avoir commis une faute grave, a droit à une indemnité de licenciement distincte du préavis ; que le taux de cette indemnité de licenciement est égal à 1/5 de mois par année d'ancienneté pour la tranche de 1 à 7 ans d'ancienneté ; que pour le calcul de l'indemnité de licenciement, l'ancienneté et, le cas échéant, les conditions d'âge de l'ingénieur ou cadre sont appréciées à la date de fin du préavis, exécuté ou non, que toutefois, la première année d'ancienneté, qui ouvre le droit à l'indemnité de licenciement, est appréciée à la date d'envoi de la lettre de notification du licenciement ; que l'indemnité de licenciement est calculée sur la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels, dont l'ingénieur ou cadre a bénéficié au cours de ses 12 derniers mois précédant la notification du

licenciement ; que, toutefois, si, à la date de fin du préavis, exécuté ou non, l'ancienneté de l'ingénieur ou cadre est inférieure à 8 années, l'indemnité de licenciement pourra être calculée sur la moyenne des 3 derniers mois si cette formule est plus avantageuse pour l'intéressé ; que dans ce cas, toute prime ou gratification à périodicité supérieure au mois, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

Il ressort des éléments soumis à l'appréciation de la cour, dont les bulletins de salaire, qu'en application des dispositions conventionnelles, la moyenne mensuelle calculée sur les trois derniers mois n'est pas supérieure à celle retenue par le jugement entrepris qui sera donc confirmé de ce chef.

Sur le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire

Il n'appartient pas à la cour de condamner une partie à la restitution de sommes versées au titre de l'exécution provisoire dès lors que cette restitution résulte de plein droit de l'arrêt qu'elle prononce.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

La salariée, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.

En équité, le jugement de première instance sera confirmé quant aux frais irrépétibles exposés en première instance et les parties seront déboutées de leurs demandes formées de ces chefs en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Dit que la clause de réversibilité n'est pas nulle mais inopposable ;

Dit réel et sérieux le motif économique du licenciement de Madame [E] [D] ;

Dit que la société Keonys a respecté son obligation de reclassement ;

en conséquence,

Déboute Madame [E] [D] de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Confirme, dans les limites de l'appel, les dispositions non contraires du jugement entrepris ;

Y ajoutant :

Déboute la société Keonys de sa demande de remboursement de sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris ;

Déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne Madame [E] [D] aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier , Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 21/00262
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;21.00262 ?
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