COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 28 JUIN 2023
N° RG 21/03286
N° Portalis DBV3-V-B7F-U2IC
AFFAIRE :
[E] [N] [K]
C/
S.A.S. OPEL FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : I
N° RG : F19/02141
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Maroi BEN AMMAR
la SELAS BRL AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [E] [N] [K]
[Adresse 1]
[Localité 3] / FRANCE
Représentant : Me Maroi BEN AMMAR, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
****************
S.A.S. OPEL FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Jean D'ALEMAN de la SELAS BRL AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0305 - N° du dossier 190566
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,
EXPOSE DU LITIGE
Filiale du groupe PSA, désormais Stellantis, la société Opel France exerce en France une activité de commercialisation de véhicules et de gestion de services, pièces et accessoires après-vente de la marque Opel.
[E] [N] [K] a été engagé par la société Opel France suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2008. Il occupait en dernier lieu le poste de magasinier cariste, statut ouvrier, niveau IV, échelon 1, coefficient 255, sur le site de [Localité 5].
Lors d'une première réunion d'information tenue le 27 avril 2018, la société Opel France a présenté au comité d'entreprise un projet de restructuration afin de sauvegarder sa compétitivité prévoyant notamment le transfert partiel des activités logistiques Opel et Psa sur le seul site de [Localité 7], impliquant le transfert de 69 emplois pour motif économique.
A l'issue de six réunions tenues avec les organisations syndicales, la société a présenté un plan de sauvegarde de l'emploi unilatéral qui a été homologué par la Direccte le 2 août 2018.
Par lettre datée du 24 octobre 2018, la société Opel France a notifié au salarié son licenciement pour motif économique.
Celui-ci a adhéré au congé de reclassement économique.
Le 9 août 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin de contester le bien-fondé de son licenciement et d'obtenir la condamnation de la société Opel France à lui payer une indemnité au titre du licenciement qu'il estime dénué de cause réelle et sérieuse.
Par jugement mis à disposition le 6 octobre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont débouté le salarié de toutes ses demandes, ont débouté la société Opel France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ont condamné le salarié aux dépens.
Le 4 novembre 2021, le salarié a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 18 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, le salarié demande à la cour d'infirmer le jugement, de juger l'absence de motif économique et l'inexécution de l'obligation de reclassement individuel et de condamner la société Opel France à lui verser les sommes de 20 254 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, et assortir les condamnations des intérêts au taux légal avec capitalisation.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 21 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Opel France demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes et de condamner celui-ci au versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 16 mai 2023.
MOTIFS
Sur le bien fondé du licenciement
La lettre de licenciement pour motif économique notifiée au salarié expose en substance que la société Opel France se trouve confrontée au niveau européen à la baisse continue du marché automobile et la chute des résultats de la marque Opel en France depuis plus de quinze ans, aggravée par le choix du Royaume-Uni, deuxième plus gros marché de la marque en Europe, de quitter l'Union Européenne, que la mise aux normes européennes en matière de CO2 va nécessiter des investissements obligatoires qui vont encore détériorer la situation économique, que ces résultats alarmants ont fait apparaître la nécessité de s'adapter aux données du marché, ce qui s'est traduit par le rachat de la marque par Psa en 2017 et la mise en oeuvre d'un nouveau plan de redressement dénommé 'Pace' lancé en novembre 2017 avec pour objectif un retour à l'équilibre à l'horizon 2020, qu'en France, la marque Opel connaît les mêmes difficultés qu'en Europe avec une baisse constante des volumes après-vente depuis plusieurs années, des canaux de distribution dominés par les marques françaises, un changement des français quant à leurs habitudes et leur rapport aux véhicules (location longue durée, Uber, services partagés, choix de véhicules hybrides ou électriques), que l'activité après-vente d'Opel souffre de difficultés structurelles et sociétales avec une baisse constante du marché global après-vente induisant une baisse persistante du volume d'activité de l'entrepôt de pièces de rechanges (Cdpr) situé à [Localité 5], que le parc roulant des véhicules de la marque Opel est en constante diminution (- 4,3 % en 2017) en raison notamment de la baisse des immatriculations de véhicules neufs, du vieillissement du parc roulant et de la diminution du kilométrage effectué, qu'on assiste en parallèle à une baisse du nombre d'opérateurs représentant la marque Opel au niveau du réseau de réparateurs agréés secondaires, que par ailleurs les habitudes des consommateurs liées à l'entretien et la réparation de leurs véhicules changent et la concurrence a elle aussi investi le marché après-vente, qu'en conclusion, les conditions du marché se sont durcies au cours des dernières années et vont persister, contraignant Opel France à adapter son organisation aux contraintes du marché afin de consolider la présence de la marque et sauvegarder sa compétitivité, que compte tenu de ces circonstances, 'la société Opel France a dû présenter un plan de réorganisation de l'activité de gestion des pièces de rechanges d'Opel impliquant son transfert sur le site de [Localité 7] afin de sauvegarder sa compétitivité', la lettre se poursuivant ainsi : 'Afin d'optimiser les coûts et faciliter les synergies au sein du groupe Psa, il a été décidé de fusionner les activités logistiques Opel / Psa sur un seul et unique site, celui de [Localité 7] et d'utiliser les infrastructures logistiques Psa en terme de stockage et de transport de pièces. Au travers de cette réorganisation indispensable à la pérennité de l'après-vente Opel et de l'entreprise dans sa globalité il s'agit simultanément de diminuer les coûts de structure, optimiser les fonctions support, les coûts de transports et anticiper l'augmentation de pièces communes aux marques Opel et Peugeot, Citroën, Ds. La mise en oeuvre de ce plan doit entraîner malheureusement à terme la suppression du poste de magasinier cariste que vous occupez au sein du site de [Localité 5] (...)'.
Le salarié conclut à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement en invoquant :
- l'absence de motif économique valable de rupture en faisant valoir que la société a tenté de manière frauduleuse de biaiser le périmètre d'appréciation de la menace sur la sauvegarde de la compétitivité, qu'elle n'apporte aucun élément sur la sauvegarde de la compétitivité au sein du secteur des pièces de rechange du groupe Psa, pas plus qu'au niveau de la division automobile ;
- un manquement de l'employeur à son obligation individuelle de reclassement en, notamment, ne lui proposant pas de manière précise de poste de reclassement.
La société conclut au caractère réel et sérieux du licenciement en répliquant que :
- le motif économique du licenciement doit s'apprécier sur le secteur d'activité des pièces propres à la marque automobile allemande Opel et que sur ce secteur, le contexte économique a nécessité la réorganisation intervenue afin de sauvegarder sa compétitivité, que le moyen n'est pas fondé ;
- elle a satisfait à son obligation de reclassement en proposant au salarié des postes de reclassement satisfaisant aux exigences légales.
L'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige dispose que :
'Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques (...)
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d'activité de l'entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants'.
L'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que :
'Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises'.
Il ressort de l'article D. 1233-2-1 du code du travail que pour l'application de l'article L. 1233-4 sus-mentionné, les offres de reclassement écrites précisent l'intitulé du poste et son descriptif, le nom de l'employeur, la nature du contrat de travail, la localisation du poste, le niveau de rémunération et la classification du poste.
Il incombe à l'employeur de prouver qu'il n'a pu reclasser le salarié.
En l'espèce, l'employeur a, par lettre datée du 27 septembre 2018, proposé au salarié trois postes de reclassement de cariste et de préparateur de commandes sur le site de [Localité 7] et de magasinier sur le site de 'Peab [Localité 6]', en indiquant pour chacun des postes : 'il s'agit du poste d'ouvrier correspondant à vos qualifications professionnelles et à votre statut' et lui a communiqué une liste de postes de reclassement estimés par l'employeur compatibles avec ses qualifications professionnelles.
Force est de constater que tant les trois offres de reclassement que la liste de postes de reclassement ne comportent aucune indication sur la rémunération du poste et sa classification, ni, à l'exception du poste de magasinier, sur la nature du contrat de travail, ni, s'agissant de la liste de postes, le nom de l'employeur, de sorte qu'elles ne remplissent pas le critère de précision exigé par la loi.
L'employeur indique dans ses écritures que : 'la rémunération octroyée était maintenue conformément aux engagements pris dans le cadre du Pse', en renvoyant aux pièces produites aux débats en A (Pse) et E (livret de communication des mesures d'accompagnement du Pse), sans toutefois que cette allégation résulte du courrier du 27 septembre 2018 ou de tout autre pièce adressée au salarié dans le cadre de l'obligation individuelle de reclassement fondée sur l'article L. 1233-4 du code du travail.
Dans ces conditions, il ne peut être retenu que l'employeur a satisfait à son obligation individuelle de reclassement du salarié.
Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner d'autre moyen, il s'ensuit que le licenciement n'est pas justifié par une cause réelle et sérieuse.
En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, le salarié qui ne demande pas sa réintégration dans l'entreprise a droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont le montant est compris, eu égard à son ancienneté de dix années complètes, entre trois mois et dix mois de salaire brut.
Le salaire mensuel moyen brut s'élevait à 1 923 euros.
S'agissant de sa situation professionnelle postérieurement au licenciement, le salarié, né en 1978, ne donne aucune indication et produit un bilan au 31 décembre 2020 d'une société '[K]' sans l'accompagner d'explication.
Il convient de fixer l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 12 000 euros que la société sera condamnée à payer au salarié.
Cette somme produira des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.
Le jugement sera infirmé sur ces dispositions.
Sur le remboursement des indemnités chômage à Pôle emploi
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société aux organismes concernés, des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié du jour du licenciement au jour du présent arrêt et ce, dans la limite de six mois d'indemnités.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement sera infirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société sera condamnée aux dépens exposés en première instance et en appel et à payer au salarié la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Opel France à payer à [E] [N] [K] la somme de 12 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts,
ORDONNE le remboursement par la société Opel France aux organismes concernés des indemnités de chômage éventuellement versées à [E] [N] [K] du jour du licenciement au jour du présent arrêt et ce, dans la limite de six mois d'indemnités,
CONDAMNE la société Opel France à payer à [E] [N] [K] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Opel France aux entiers dépens de l'instance,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,