La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/06/2023 | FRANCE | N°22/03324

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 22 juin 2023, 22/03324


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80P



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 JUIN 2023



N° RG 22/03324 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VP3S



AFFAIRE :



[P] [N]





C/

S.A. BEL





Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 26 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-GERMAIN EN LAYE

N° Section : E

N° RG : F 21/00219



Copies e

xécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Dan ZERHAT



Me Thomas FERNANDEZ-BONI







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a ren...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80P

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 JUIN 2023

N° RG 22/03324 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VP3S

AFFAIRE :

[P] [N]

C/

S.A. BEL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 26 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-GERMAIN EN LAYE

N° Section : E

N° RG : F 21/00219

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Dan ZERHAT

Me Thomas FERNANDEZ-BONI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 25 mai 2023 et prorogé au 15 juin 2023 puis au 22 juin 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3] / EGYPTE

Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 22078181 - Représentant : Me Mohamed OMAR, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A. BEL

N° SIRET : 542 088 067

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Thomas FERNANDEZ-BONI de la SELARL NORTHERN LIGHTS, Constitué, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 393

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue en chambre du conseil le 14 Mars 2023, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

Vu le jugement rendu le 26 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye,

Vu la déclaration d'appel de M. [P] [N] du 2 novembre 2022,

Vu l'ordonnance d'assignation à jour fixe en date du 16 novembre 2022,

Vu les conclusions de M. [P] [N] du 2 novembre 2022,

Vu les conclusions de la société Bel du 17 janvier 2023,

Vu l'ordonnance d'incident en date du 16 février 2023.

EXPOSE DU LITIGE

La société anonyme Bel, dont le siège social est [Adresse 2] à [Localité 5], est spécialisée dans la fabrication de fromage. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective de l'industrie laitière du 20 mai 1955.

M. [P] [N], né le 30 avril 1989, a été engagé par contrat de travail à durée déterminée du 1er mai 2014, par la société Bel Egypte, en qualité de junior brand manager, contrat reconduit chaque année.

Le 18 avril 2019, la société Bel France a proposé à M. [N] de rejoindre le siège à [Localité 5] afin de renforcer ses équipes en sa qualité de chef de marque des plateformes portions et snacks.

Des démarches administratives ont été effectuées afin de permettre la venue en France de M. [N], lequel n'a cependant pas rejoint la société Bel en France.

Par lettre en date du 21 février 2021, la société Bel Egypte a noti'é à M. [N] son licenciement dans les termes suivants (traduction):

'Nous venons par la présente vous informer de la rupture de votre contrat de travail au sein de la société Bel Egypt Distribution, votre dernier jour de travail sera donc le dimanche 28 février 2021.

Conformément aux dispositions de la loi n°12 de l'an 2003 du code du travail égyptien, la société assurera tous vos droits légaux.

Veuillez-vous rendre au siège de la société entre le 28 février 2021 et le 04 mars 2021, pendant les horaires d'ouverture officiels soit de 09h à 17h, et ce a'n de finaliser la procédure précitée.'

Par ailleurs, après une convocation à un entretien préalable en date du 24 mars 2021 et un entretien par visio-conférence du 8 avril 2021, la société Bel France a notifié à M. [N] son 'licenciement pour faute grave à titre conservatoire' par lettre du 21 avril 2021[en français et en anglais] :

'Nous avons eu à déplorer, de votre part, des agissements qui nous ont conduits à vous convoquer à un entretien préalable fixé au 8 avril 2021.

Cet entretien, auquel vous vous êtes présenté seul, s'est déroulé, avec votre accord par visioconférence, compte tenu de votre éloignement géographique.

A titre purement conservatoire et en vue de préserver les intérêts de la société, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, pour les raisons ci-dessous exposées.

Vous avez intégré BEL Egypte le 1er mai 2014 en tant que junior brand manager poste [sic] par le biais d'un contrat à durée déterminée.

Cette relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

Dans le courant de l'année 2019, il vous a été proposé une mobilité interne au sein du groupe par la société BEL S.A., basée en France.

Cette proposition a été formalisée par Mme [A] [B] (DRH groupe et leviers de croissance), par courriel en date du 18 avril 2019, aux conditions suivantes :

- intégration au sein de la société BEL S.A. (France) en tant que chef des marques des plateformes portions et snacks Kiri, moyennant une rémunération annuelle brute de 50 000 euros assortie d'une part variable de 8%,

- prise effective du poste subordonnée à la nécessaire réalisation, en amont, de vos démarches d'immigration sur le territoire français, et à votre arrivée effective en France,

- versement d'une prime, au moment de votre prise de poste en France, venant combler le différentiel de salaire entre celui proposé en France et votre salaire perçu en Egypte, pour la période courant du 1er juillet 2019 à la prise effective de votre poste (à l'époque, prévue autour du 1er octobre 2019) : 6 750 euros.

L'ensemble des éléments susvisés, et la conclusion définitive du contrat de travail avec BEL S.A. (France) étant, bien entendu, conditionnés au succès de vos démarches d'immigration et de votre arrivée effective sur le territoire français.

Toutefois, force est de constater que :

- vous avez délibérément ralenti vos démarches d'immigration, ceci pour des raisons de convenance personnelle et alors même que notre société vous attendait dans le courant du mois de janvier 2020 (vous n'avez eu de cesse en effet d'annoncer une arrivée à la mi-mars alors que l'équipe basée sur place avait besoin de vous avant),

- en tout état de cause, vous n'êtes jamais venu sur le territoire français, si bien que la condition sine qua non à la conclusion de votre contrat de travail avec BEL S.A. (France) n'a jamais été remplie.

Ensuite, vous avez continué à exercer votre contrat de travail égyptien avec la société BEL Egypte dans des conditions parfaitement normales.

Au début de l'année 2021, un poste de « head of innovations » vous a été proposé par BEL Egypte, que vous avez indiqué accepter.

Cependant à cette occasion, vous êtes revenu sur votre prétendu contrat de travail français et les termes de l'accord passé avec BEL S.A. (France), par hypothèse obsolète.

Contre toute attente, vous avez en effet réclamé, par courriel en date du 20 janvier 2021 adressé à M. [H] (DRH stratégie et leviers de croissance du groupe), le bénéfice de la prime compensatoire susvisée, qui avait été conditionnée à la prise effective de votre poste en France.

A deux reprises par retours de courriel, M. [H] a dû vous signifier, malgré votre insistance, le refus de la société de procéder à un tel paiement pour la simple et bonne raison que votre contrat français, n'avait jamais été entériné.

A date, vous avez persisté dans votre demande en tentant de vous prévaloir (par le biais de votre conseil cette fois-ci), de l'existence d'un contrat de travail avec la société BEL S.A., en nous mettant en demeure de payer :

- un différentiel de salaire (entre votre salaire égyptien et celui proposé en France) sur 22 mois,

- le remboursement de frais prétendument liés à la préparation de votre venue en France (report de votre mariage, séance de psychiatrie...),

- les avantages auxquels vous auriez pu prétendre en France : aide au chômage, travail non compétitif,

- des dommages et intérêts divers et variés.

Soit une somme totale de 146 564 euros.

Votre position est inacceptable.

Nous sommes profondément choqués par la teneur de votre raisonnement qui, outre qu'il ne soutient aucune analyse sur le plan juridique témoigne d'une profonde déloyauté envers la société pour laquelle vous prétendez travailler.

Vous n'êtes pourtant pas sans ignorer les obligations de bonne foi et de loyauté sous-jacentes à tout contrat de travail.

Or, votre comportement s'inscrit en violation manifeste de ces obligations.

Cette lettre en date du 4 mars 2021 intervient comme par hasard quelques jours seulement après la rupture de votre unique contrat avec la société BEL Egypte en date du 28 février 2021.

Cela montre si besoin en était votre totale duplicité en nous indiquant pour la première fois que vous vous tenez à la disposition de la société BEL France ;

Une collaboration dans de telles conditions est impossible, compte tenu du peu d'égard que vous semblez accorder à la société, et plus largement, au groupe BEL.

Vous êtes manifestement animé d'une intention de battre monnaie au détriment de notre société alors qu'aucun contrat de travail n'a jamais été exécuté, et que vous n'avez jamais mis les pieds sur le sol français depuis notre proposition de collaboration.

Face à vos demandes ubuesques, et à votre position qui consiste à revendiquer l'existence d'un contrat de travail avec notre société, nous nous voyons contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, ce à titre conservatoire dans hypothèse où votre raisonnement venait par extraordinaire à prospérer devant une juridiction.

La présente lettre constituera, alors, la notification de votre licenciement, sans indemnités.

S'agissant d'un licenciement à titre conservatoire, nous considérons que vous n'êtes pas éligible à un quelconque solde de tout compte, ni document de fin de contrat.

Nous vous indiquons par la présente renoncer à l'application de toute clause de non-concurrence qui pourrait être reconnue par une juridiction à votre égard.

Par conséquent, aucune indemnité, au titre d'une quelconque obligation de non-concurrence, ne saurait vous être due.

Nous insistons à nouveau sur le fait que la présente mesure a un caractère purement conservatoire. Votre licenciement est prononcé dans l'unique but de sauvegarder les intérêts de la société dans l'hypothèse où, par extraordinaire, une quelconque juridiction viendrait à reconnaitre l'existence d'un contrat de travail nous liant.

En pareille hypothèse, cet éventuel contrat serait en tout état de cause rompu par la notification de ce courrier, et vous ne pourriez vous prévaloir de quelconque droits à notre encontre à compter de ce jour.

Pour autant, la présente mesure ne saurait valoir reconnaissance par la société d'une quelconque relation de travail avec vous, passée, présente ou à venir.'

Par requête reçue le 31 mai 2021, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de voir constater l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée entre la société Bel France et M. [N], à titre subsidiaire l'existence d'une relation de co-emploi, de voir dire et juger que le conseil de prud'hommes saisi est territorialement et matériellement compétent pour connaître du litige et de condamner la société Bel au versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Bel avait, quant à elle, demandé à ce que le conseil de prud'hommes se déclare matériellement et territorialement incompétent et sollicité la condamnation de M. [N] au paiement de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du premier président de la présente cour, en date du 22 juin 2021, et ordonnance modificative en date du 29 juin 2021, le dossier a été transféré au conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye.

Par jugement rendu le 26 septembre 2022, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye a :
- dit que les exceptions d'incompétence soulevées par la société Bel (France) sont recevables,

- s'est déclaré incompétent matériellement et territorialement pour connaître et statuer sur le litige opposant M. [N] à la société Bel (France),

- invité M. [N] à mieux se pourvoir,

- débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens.

Par déclaration du 2 novembre 2022, M. [P] [N] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance rendue le 16 novembre 2022, la cour d'appel de Versailles a autorisé M. [N] à assigner à jour fixe la société Bel le 14 mars 2023.

Par acte en date du 12 décembre 2022, M. [N] a fait assigner la société Bel devant la cour d'appel de Versailles pour ladite audience.

Par ordonnance du 16 février 2023, la cour d'appel de Versailles a :

- donné acte à M. [N] de son désistement de l'incident formé le 18 janvier 2023,

- déclaré par conséquent la juridiction dessaisie de l'incident,

- débouté la société Bel de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident seront à la charge de M. [N].

Aux termes de ses conclusions du 2 novembre 2022, M. [P] [N] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu en première instance par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en date du 26 septembre 2022 en ce qu'il s'est déclaré incompétent matériellement et territorialement pour connaître et statuer sur le litige opposant M. [P] [N] à la société Bel (France),

Statuant à nouveau,

- juger que la juridiction compétente matériellement et territorialement était le conseil de prud'hommes de Nanterre compétent pour connaître de l'entier litige opposant M. [P] [N] à la société Bel (France),

A titre principal

- constater l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée entre la société Bel France et M. [N],

A titre subsidiaire,

- constater l'existence d'une relation de co-emploi entre M. [N], Bel France et Bel Egypte,

En conséquence

- juger que le conseil de prud'hommes saisi est territorialement compétent pour connaître du litige porté par M. [N],

- juger que le conseil de prud'hommes est matériellement compétent pour connaître du litige porté par M. [N],

- ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir [sic],

- condamner la société Bel France à verser à M. [N] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société Bel France aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions du 17 janvier 2023, la société Bel demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye du 26 septembre 2022 en ce qu'il s'est déclaré territorialement et matériellement incompétent pour connaître du litige porté par M. [N],

- juger que le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye est incompétent matériellement et territorialement pour connaître du litige porté par M. [N],
- juger que le litige est soumis à la loi égyptienne,

- renvoyer M. [N] à mieux se pouvoir devant les juridictions compétentes égyptiennes,

-débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

-débouter M. [N] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens d'instance,

-condamner M. [N] à verser à la société Bel France la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [N] aux entiers dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l'audience et rappelées ci-dessus.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'appelant soutient que la loi française est applicable au rapport entre les parties, du fait de l'existence d'un contrat de travail entre lui et la société Bel France et qu'en conséquence, le conseil de prud'hommes est compétent.

L'intimée fait valoir au contraire, que la loi française est inapplicable en l'absence d'un contrat de travail de droit français signé, M. [N] n'ayant jamais exécuté de prestation de travail sur le sol français, que le seul contrat de travail existant est celui liant M. [N] à la société Bel Egypte, de sorte que la seule loi qui s'applique est la loi égyptienne.

En l'espèce, l'examen de la loi applicable au fond doit être précédé de celui portant sur l'existence ou non d'un contrat de travail, le Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 n'ayant vocation qu'à décider de la loi applicable à un contrat individuel de travail d'ores et déjà identifié entre les parties, son article 8 'contrats individuels de travail' retenant que 'le contrat individuel est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3.'

La compétence matérielle du conseil de prud'hommes est donc subordonnée à l'existence ou non d'un contrat de travail ou d'une relation salariale avec la société Bel France, ou à défaut comme le revendique M. [N] à l'existence d'un co-emploi entre d'une part la société française, la société égyptienne et M. [N].

1- sur la compétence matérielle du conseil de prud'hommes

Selon le premier alinéa de l'aticle L. 1411-1 du code du travail, 'le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.'

L'appelant soutient qu'une offre lui a été faite par la société Bel France qu'il a acceptée, qu'il a effectivement travaillé pour cette société jusqu'à l'obtention de son visa de travail, que le contrat de travail a été établi en juin 2019 et que la société Bel France ne lui a pas permis de venir en France à compter de mars 2020.

L'intimée fait valoir que M. [N] n'est jamais venu en France, que la trame de contrat a été rédigée pour faciliter les démarches d'immigration, que le contrat n'a jamais été signé ni exécuté, la situation sanitaire ayant entraîné l'annulation de sa venue, que M. [N] a toujours résidé en Egypte, était employé de Bel Egypte et a perçu un salaire égyptien.

- sur l'existence d'un contrat de travail

Il résulte du message adressé par la société Bel France à M. [N] du 18 avril 2019 qu'une offre a été faite mentionnant un salaire annuel + bonus 8%, et les avantages tels que l'assurance maladie, le transport 50%, participation aux bénéfices, vacances, plan épargne retraite. Il n'est indiqué ni l'intitulé de l'emploi qui serait occupé, ni la date de commencement d'activité, étant observé que M. [N] était salarié de la société Bel Egypte. Ce dernier a accepté par retour de message cette offre (pièces n° 5 appelant).

Il ne s'agissait en l'espèce que d'une offre et non d'une promesse d'embauche, au sens de l'article 1124 du code civil, au regard des éléments succincts qui y étaient contenus.

Si un contrat de travail a été formalisé par la société Bel France en date du 21 juin 2019 mentionnant tous les éléments de l'engagement, il s'agissait effectivement d'une trame non signée, indispensable afin d'effectuer les démarches administratives pour l'obtention d'une autorisation préfectorale de travail pour un travailleur étranger hors Union européenne.

En effet, il était mentionné un engagement à compter du 1er octobre 2019, date fictive au regard des démarches complexes à réaliser pour l'obtention de cette autorisation puis du visa, ainsi qu'à l'article 1 du contrat, l'indication que M. [N] attestait être actuellement titulaire d'un titre de séjour l'autorisant à séjourner et travailler en France, ce qui n'était pas le cas.

L'échange de messages en novembre et décembre 2019, suite à l'obtention de l'autorisation préfectorale de travail du 13 novembre 2019, démontre que M. [N], malgré la demande de la DRH, n'entendait pas arriver en France avant la mi-mars 2020 et ce pour des raisons personnelles (pièce n°36 appelant), étant observé qu'ayant obtenu son visa le 6 février 2020, il aurait pu effectuer le déplacement à compter de cette date, le premier confinement sanitaire en mars 2020 ayant rendu impossible sa venue programmée à sa demande mi-mars.

En conséquence, il n'est pas établi l'existence d'un contrat de travail conclu entre les parties.

- sur le lien de subordination

L'appelant soutient qu'il a travaillé effectivement pour la société Bel France pour la période à compter d'avril 2019, prenant ses ordres de la France, étant évalué par la société française et ayant effectué des déplacements en France.

L'intimée affirme au contraire l'absence de lien de subordination de M. [N] avec la société Bel France, le salarié résidant en Egypte, étant salarié de la société Bel Egypte et payé par celle-ci.

Il sera rappelé que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur.

Trois critères cumulatifs permettent de caractériser l'existence d'un contrat de travail, la réalisation d'une prestation de travail moyennant une rémunération sous la subordination d'un employeur.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

En l'espèce, il est établi par la production des bulletins de salaire que M. [N] a été rémunéré uniquement par la société Bel Egypte en monnaie égyptienne, notamment en 2019, 2020 et 2021 jusqu'à son licenciement par la société égyptienne en février 2021 (pièces n°6 intimée).

Aucun élément du dossier ne permet d'affirmer comme le fait l'appelant, que ce dernier était rémunéré par le groupe Bel, les bulletins de salaire produits par l'appelant (pièces n°14) apparaissant sur des messages émanant de son adresse électronique.

En outre, l'en-tête 'Bel-group Head office payroll group EGP' des bulletins de paie ne permet pas d'établir que la société Bel France rémunérait un salarié égyptien lié pendant la période revendiquée par un contrat de travail avec une société égyptienne, les parties et notamment l'appelant n'alléguant pas que ses bulletins de paie étaient formalisés différemment entre 2014 et 2019.

S'agissant de la prestation ainsi rémunérée par la société Bel Egypte, il apparait que dans le courant de l'année 2019, M. [N] qui résidait en Egypte, a effectué de courts séjours en France entre septembre et décembre 2019, était en relation avec le département marketing Kiri en France, ce qui s'explique dans la perspective d'une future relation de travail avec la société française et non par l'existence d'une relation salariale avec la société française.

Il en est de même des autres éléments produits par l'appelant tels que l'organigramme du département marketing Kiri de Bel France en juin 2019 mentionnant M. [N], la signature des messages électroniques de ce dernier à [Localité 5] à la même époque où effectivement la société Bel France avait l'intention de contracter avec lui.

Les attestations des deux anciens salariés de la société Bel France ne permettent pas d'établir non plus un lien de subordination entre la société française et M. [N], l'une d'elles affirmant qu'il lui avait été 'présenté par la direction en tant que membre de l'équipe Bel France plus précisément la marque Kiri' et que 'à ma connaissance il n'avait ni une implication dans des projets en relation avec son ancien poste en Egypte ni un lien de subordination avec la filiale égyptienne', alors même que cette dernière était bien l'employeur de M. [N] - qui résidait en Egypte - et le rémunérait.

Les échanges de messages de septembre 2019 à janvier 2020 entre M. [N], Mme [G] [E] du département marketing Kiri en France et [T] [O] DRH de la société Bel Egypte relatifs à des remboursements de frais et de réduction de salaire confirment qu'à l'époque M. [N] effectuait des déplacements à l'étranger pour son 'poste mondial' (message du 21 janvier 2020) et qu'une demande de retrait du collaborateur du 'systematic attendance system' [système de présence systématique] en Egypte était sollicitée mais était bien sous la subordination de son employeur égyptien qui contrôlait sa présence et déduisait ses absences (pièces n°18 appelant).

La pièce de l'appelant n°26 intitulée '2020 manager appraisal & development review for [P] [N]' [2020 évaluation du manager et évolution de carrière de [P] [N]] est insuffisante pour en déduire l'existence d'un lien de subordination avec la société Bel France.

En effet, le document est commun à l'ensemble des collaborateurs du groupe Bel et de ses filiales, est rempli par M. [N] en février 2021 pour une activité de 2020, les mentions émanant du groupe étant uniquement en italique, de sorte que les réponses avec les noms du manager et de la RH coordinatrice indiquant notamment '[G] [E]' et '[C] [S]', appartenant toutes les deux à la société Bel France, sont le fait de M. [N], de même que ses commentaires (pièce n°26 appelant).

Il sera en outre observé que suite à l'annulation de sa venue en France en mars 2020, aucune pièce ne permet d'établir l'existence d'une quelconque prestation qui aurait été exécutée par M. [N] pour la société Bel France et ce jusqu'en janvier 2021 lorsque la société Bel Egypte a proposé à M. [N] un nouveau poste de directeur de l'innovation.

Il résulte de l'ensemble de ces élements que la relation salariale entre M. [N] et la société Bel France n'est pas établie en l'absence d'une prestation exécutée pour cette dernière contre rémunération également à sa charge et d'un lien de subordination.

- sur l'existence d'une relation de co-emploi

L'appelant soutient à titre subsidiaire l'existence d'une relation de co-emploi entre lui, la société Bel France et la société Bel Egypte, justifiant la compétence du conseil de [Localité 4], car il travaillait dans les locaux de Bel Egypte pour le compte de la société Bel France, qu'il était placé sous l'autorité et la direction conjointe de Mme [E] sa directrice au sein de Bel France, de Mme [S] coordonnatrice des ressources humaines de Bel France et de M. [Z] coordinateur des ressources humaines Bel Egypte.

L'intimée fait valoir que M. [N] ne rapporte pas la preuve des faits qu'il allègue selon les règles probatoires du droit égyptien, qu'il a été payé selon les bulletins de paie égyptiens par la société bel Egypte et ce sur son compte égyptien.

Il sera observé préalablement que la société Bel Egypte n'est pas dans la cause.

En outre, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet d'établir que la société Bel France s'est immiscée de façon permanente dans la gestion économique et sociale de la société Bel Egypte.

Les échanges de messages rappelées ci-dessus (pièces n°18 appelant) ne démontrent pas que la société Bel France a ordonné à la société Bel Egypte de prendre des mesures salariales concernant M. [N].

S'agissant des notes de frais (pièces n°17 appelant), celles-ci correspondent à des frais de voiture de septembre 2019 et décembre 2019 pouvant correspondre - aucune explication n'étant fournie par l'appelant - à ses déplacements en France à une époque où effectivement la société Bel France envisageait une relation salariale avec M. [N].

De même, les échanges de messages (pièce n°17 appelant) sur la présence de M. [N] au bureau ou à domicile, les deux étant situés au Caire, ne permettent pas d'en déduire que Mme [E] validait ses vacances, ses horaires de travail, ses jours de présence et d'absence comme il l'affirme.

Il sera en outre rappelé que postérieurement à l'annulation de la venue en France de M. [N] mi-mars 2020 suite au confinement, aucun élément n'établit l'existence de prestations fournies par M. [N] à la société Bel France, les seuls messages produits (pièces n°9 intimée) étant des échanges sur un jour férié en Egypte en octobre 2020.

La situation de co-emploi n'est donc pas démontrée.

En conséquence, en l'absence d'un contrat de travail avec la société française, d'une relation salariale avec celle-ci ou d'un co-emploi, étant observé que l'appelant ne peut se prévaloir de la procédure de licenciement conservatoire du 21 avril 2021 engagée par la société Bel France aux fins de sauvegarder ses intérêts suite aux réclamations de M. [N], le conseil de prud'hommes de Saint Germain-en-Laye n'est pas compétent matériellement pour statuer sur les demandes de M. [N], de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner la compétence territoriale.

2- sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera confirmé sur les frais irrépétibles et infirmé sur les dépens.

M. [N] sera condamné à payer à la société Bel France la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

Il sera débouté de sa demande à ce titre et condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 26 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye sauf en ce qu'il a réservé les dépens,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Condamne M. [P] [N] à payer à la société Bel la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

Déboute M. [P] [N] de sa demande à ce titre,

Condamne M. [P] [N] aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 22/03324
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;22.03324 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award