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22/06/2023 | FRANCE | N°22/00558

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 22 juin 2023, 22/00558


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 39H



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 JUIN 2023



N° RG 22/00558 - N° Portalis DBV3-V-B7G-U7CM







AFFAIRE :



[C] [B]



C/



[S] [T]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Juin 2021 par le TJ de Versailles

N° Chambre : 2

N° RG : 16/07386



Expéditions exécutoires

Expéditionsr>
Copies

délivrées le :

à :



Me Sébastien CROMBEZ



Me [M] [U]



TJ VERSAILLES











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 JUIN 2023

N° RG 22/00558 - N° Portalis DBV3-V-B7G-U7CM

AFFAIRE :

[C] [B]

C/

[S] [T]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Juin 2021 par le TJ de Versailles

N° Chambre : 2

N° RG : 16/07386

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Sébastien CROMBEZ

Me [M] [U]

TJ VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [C] [B]

né le 02 Mai 1949 à [Localité 5] (51)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Sébastien CROMBEZ, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 461

APPELANT

****************

Madame [S] [T]

née le 24 Mars 1957 à [Localité 6]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Clément GAMBIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 589 et Me Eric BOULANGER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C574

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

M.[B], ingénieur de formation, a exercé des fonctions de dirigeant d'une société spécialisée dans I'intelligence économique pendant près de 15 ans. Il s'est par la suite doté d'une formation juridique et s'est inscrit au répertoire des entreprises comme travailleur indépendant en qualité de conseil pour les affaires et autres conseils en gestion au mois de février 2008.

Mme [T] est avocate au barreau de Paris et intervient notamment dans le domaine des nouvelles technologies et de la maintenance industrielle.

M. [B] et Mme [T] ont entretenu des relations personnelles de longue date.

En 2007, Mme [T] a rejoint le cabinet Granrut Avocats en qualité d'associée, y apportant sa propre clientèle.

Elle a, dès 2008, confié à M. [B], dans le cadre d'une sous-traitance, un certain nombre de prestations "technico-juridiques" moyennant une rémunération correspondant à 80% du montant des honoraires facturés par le cabinet auprès du client. Parmi les clients de Mme [T] figurait la société Vinci Energies.

Au mois de juillet 2009, Mme [T] a quitté le cabinet Granrut Avocats pour créer sa propre structure et poursuivre son activité avec ses trois collaborateurs, ainsi que M.[B] dans la perspective d'une association ultérieure, ce dernier ayant alors pour projet de devenir avocat. A la fin de l'année 2010, la candidature de M.[B] a été rejetée par une décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris.

Par contrat de travail du 1er février 2011 à durée indéterminée et à plein temps, Mme [T] a engagé M.[B] en qualité de juriste.

Par ailleurs, le 16 mars 2011, les parties ont conclu un accord de coopération ayant pour objet de mettre en place des 'sous-traitances croisées'.

Soutenant avoir eu, le 16 novembre 2011, un entretien téléphonique avec M. [V], son interlocuteur au sein de la société Vinci Energies, son client historique, lui ayant révélé que M. [B] avait, à son insu, adressé à l'entreprise une convention en son nom, ainsi qu'une facture de prestations effectuées sur le dossier Vinci Energie/Elutions et Auchan alors qu'il intervenait dans cette affaire en tant que salarié de son cabinet, Mme [T] a dénoncé le contrat de coopération la liant à M.[B] à effet au 31 décembre 2011 et a convoqué ce dernier, le 25 novembre 2011, à un entretien préalable à son licenciement

Le 28 novembre 2011, la société Vinci Energies a sollicité par mail des éclaircissements concernant les modalités d'intervention de Mme [T] de de M. [B] dans le cadre de la défense de ses intérêts dans le litige d'envergure l'opposant à la société Elutions et au groupe Auchan.

Par courrier du 30 novembre 2011, Mme [T] a répondu à la société Vinci Energies que M. [B] n'intervenait dans le dossier Elutions / Auchan que dans le cadre de son contrat de travail le liant à elle et qu'il ne pouvait en aucun cas lui adresser des factures à titre personnel : " Je vous confirme que M. [C] [B] est l'un de mes collaborateurs, juriste salarié à temps plein depuis le 1er février 2011 ('). M. [B] intervient donc dans ce cadre et il n'y a lieu ni de conclure de convention séparée pour le dossier Vinci Energies / Elutions et Auchan, ni de lui payer des factures. Il est rémunéré par mes soins et d'ailleurs, son obstination à ne pas me communiquer ses relevés de temps m'empêche de vous facturer les prestations qu'il a exécutées au cours de cette année".

A la suite de ce courrier, la société Vinci Energies a mis fin au mandat consenti à Me [T] pour la défense de ses intérêts dans le dossier Elutions. L'entreprise a ensuite également rompu toute relation commerciale avec M.[B].

Le licenciement de ce dernier lui a été notifié pour faute grave le 29 décembre 2011.

Plusieurs instances ont été engagées par M.[B].

Il a tout d'abord contesté son licenciement devant le conseil de prud'hommes de Paris qui, par un jugement du 21 octobre 2013, après avoir retenu que le licenciement litigieux reposait sur une cause réelle et sérieuse, l'a débouté de ses demandes. Par un arrêt du 12 janvier 2017, la cour d'appel de Paris a confirmé ce jugement dans toutes ses dispositions et a débouté M.[B] de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail. Le pourvoi en cassation formé par M.[B] contre cette décision a donné lieu à un arrêt de rejet du 21 novembre 2018.

Par ailleurs, il a introduit, à l'encontre de la société Vinci Energies, devant le tribunal de commerce de Paris, une action en paiement d'honoraires et de dommages et intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies. Par jugement du 10 juin 2015, ce tribunal a débouté M.[B] de son action en paiement mais a condamné la société Vinci Energies à lui verser la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations

commerciales. Sur l'appel de M.[B] et par un arrêt du 10 janvier 2018, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M.[B] de sa demande en paiement de sa facture n°12/08/199 de 114.727,85 €.

Par acte d'huissier en date du 8 août 2016, M.[B], a fait assigner Mme [T] devant le tribunal judiciaire de Versailles.

Par jugement du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- Débouté M.[B] de ses demandes indemnitaires ;

- Condamné M.[B] à verser à Mme [T] la somme de 118.037,10 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en lien avec le détournement de sa clientèle, et dit que cette somme sera augmentée des intérêts aux taux légal à compter du jugement,

- Condamné M.[B] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me [U];

- Condamné M.[B] à verser à Mme [T] la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 26 janvier 2022, M.[B] a interjeté appel du jugement.

Par ordonnance du 4 août 2022, le conseiller de la mise en état de la 12ème chambre de la cour d'appel de Versailles :

- S'est déclaré incompétent pour statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par M.[B],

- A condamné M.[B] à payer à Mme [T] une somme de 1.000 € au titre de ses frais irrépétibles,

- A condamne M. [B] aux dépens de l'incident dont distraction.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 12 avril 2023, M.[B] demande à la cour de :

- Recevoir M.[B] en son appel et le juger bien fondé ;

Y faisant droit :

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Versailles en ce qu'il a :

/ Débouté M.[B] de ses demandes indemnitaires ;

/ Condamné M.[B] à verser à Mme [T] la somme de 118.037,10 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en lien avec le détournement de sa clientèle, et dit que cette somme sera augmentée des intérêts où taux légal à compter du présent jugement ;

/ Condamné M.[B] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me [U];

/ Condamné M.[B] à verser à Mme [T] la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

/ Débouté M.[B] du surplus de ses demandes.

Et statuant à nouveau :

- Juger Me [T] irrecevable en sa demande de dommages et intérêts à l'encontre M.[B] ou, à titre subsidiaire, l'en débouter, et à titre infiniment subsidiaire, limiter la condamnation de M.[B] à 21.185,26 € ;

En tout état de cause,

- Débouter Me [T] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner Me [T] à payer à M.[B] la somme de 270.000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation des préjudices subis ;

- Condamner Me [T] à payer à M.[B], pour la première instance, la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance ;

- Condamner Me [T] aux dépens de la première instance ;

- Condamner Me [T] à payer à M.[B], pour l'instance d'appel, la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel ;

- Condamner Me [T] aux dépens de l'instance d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 28 avril 2023, Mme [T] demande à la cour de :

- Déclarer recevable et bien-fondée Mme [T] dans l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions et d'y faire droit.

En conséquence :

- Juger M.[B] irrecevable en ses demandes d'irrecevabilité et en tout état de cause, l'en  débouter ;

- Débouter M.[B] de toutes ses demandes ;

- Confirmer le jugement entrepris en son intégralité.

Y ajoutant :

- Condamner M.[B] à payer à Mme [T] la somme de 50.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner M.[B] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Gambin, avocat au barreau de Versailles, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le11 mai 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les fins de non-recevoir

A titre liminaire, Mme [T] soulève l'irrecevabilité des fins de non-recevoir qui n'ont pas été soulevées en première instance.

L'article 564 du code de procédure civile dispose que : 'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.

Les fins de non-recevoir soulevées par M. [B] en appel n'ont effectivement pas été soumises aux premiers juges.

Cependant, l'article 123 du code précité énonce que : 'Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt '.

Aussi, comme le soutient exactement l'appelant, les fins de non-recevoir peuvent, en application de ces dispositions, être invoquées en tout état de cause, y compris pour la première fois en cause d'appel.

Elles sont donc recevables.

- Sur l'autorité de la chose jugée

M. [B] soulève l'irrecevabilité de la demande indemnitaire formulée par Mme [T] au titre du détournement de clients allégué qui lui aurait causé une perte de revenus, considérant que nonobstant le changement de fondement de la demande dans le cadre de la présente instance, elle a déjà été tranchée définitivement par l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris dans le cadre du contentieux prudhommal le 12 décembre 2017. M. [B] soutient qu'il existe une identité de parties et conteste l'existence d'une circonstance nouvelle telle qu'invoquée par l'intimée, expliquant que la facture qu'il a adressée à la société Vinci Energies existait déjà dans le contentieux prudhommal.

Mme [T] conclut au rejet de la fin de non-recevoir, contestant l'identité de parties. Elle explique que dans le cadre de l'instance prudhommale, M. [B] était pris en qualité de salarié, alors qu'en l'espèce, il est pris en qualité de conseil indépendant. Elle considère par ailleurs que les causes sont distinctes, dès lors que devant la cour d'appel de Paris, elle demandait la condamnation du salarié au titre de la violation de son contrat de travail sur le fondement de la responsabilité contractuelle de l'ancien article 1147 du code civil et du non-respect de l'obligation de bonne foi, alors que dans le cadre de la présente instance, elle demande la condamnation de M. [B] en sa qualité de conseil, sur le fondement de l'ancien article 1382 du code civil, pour le détournement frauduleux de sa clientèle et la concurrence déloyale. Elle souligne que la cour d'appel de Paris a rejeté sa demande en considération de l'instance engagée au titre du détournement de clientèle et de la concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de Versailles. Elle ajoute qu'en tout état de cause, sa demande est recevable au regard de l'élément nouveau constitué par l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 10 janvier 2018, par lequel elle a découvert que M. [B] avait été payé de deux factures par la société Vinci Energies dans le cadre des dossiers Elutions et Auchan, alors que la somme allouée, soit 114.727,85 € lui revenait.

*****

L'article 480 du code civil dispose que " le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. "

Par ailleurs, aux termes de l'article 1355 du code précité, " L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. "

Il ressort de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 12 janvier 2017 dans le cadre du contentieux prudhommal ayant opposé les parties et des conclusions signifiées par ces dernières au cours de cette instance que Mme [T] a sollicité la condamnation de M. [B] au paiement de la somme de 96.400 € en réparation du préjudice causé par le détournement du client Vinci Energies. Cette demande est donc identique à celle présentée dans le cadre de la présente instance. La qualité de M. [B] dans les deux instances (salarié d'une part, conseil indépendant d'autre part) est sans effet sur l'identité de parties, de cause et d'objet. En revanche, comme le relève à juste titre Mme [T], il résulte de la lecture de l'arrêt du 12 janvier 2017 que la cour n'a pas tranché au fond la demande indemnitaire puisqu'elle a relevé l'existence d'une instance relative au détournement de clientèle et à la concurrence déloyale reprochés à M. [B] devant le tribunal de grande instance de Versailles (et non de Paris comme indiqué par erreur) et a conclu que la " demande est rejetée en l'état " (souligné par la cour). Il apparaît ainsi que la cour a entendu laisser la demande indemnitaire formulée par Mme [T] à l'appréciation des juges saisis de l'instance relative au détournement de clientèle et à la concurrence déloyale reprochés à M. [B], soit au tribunal judiciaire de Versailles dans le cadre d'une instance ayant abouti au jugement déféré. Dans ces circonstances, il ne peut être considéré que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 janvier 2017 est revêtu de l'autorité de la chose jugée relativement à la demande indemnitaire formulée par Mme [T] en réparation du préjudice qu'elle soutient avoir subi du fait du détournement de clientèle.

La fin de non-recevoir est par conséquent écartée.

- Sur la prescription

M. [B] fait valoir que la demande indemnitaire a été formulée par Mme [T] pour la première fois par conclusions signifiées le 10 septembre 2018, alors qu'elle était en mesure d'exercer son action depuis 2011, lors des faits, et à tout le moins depuis le 24 juin 2013, date des conclusions par lesquelles elle a formé sa demande devant la juridiction prudhommale, soit au-delà du délai de 5 ans prévu par l'article 2224 du code civil.

Mme [T] indique n'avoir eu connaissance du paiement des factures des 18 janvier et 1er août 2012 adressées par M. [B] en sa qualité de conseil indépendant à la société Vinci Energies que le 13 novembre 2018. Elle considère que la demande formulée devant le conseil de prud'hommes a interrompu la prescription.

*****

L'article 2224 du code civil dispose que " les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer et d'intenter une action en réparation du préjudice ".

Il ressort du courrier que Mme [T] a adressé à la société Vinci Energies le 30 novembre 2011 afin de clarifier la répartition des missions entre elle et M. [B] dans la gestion du dossier Elutions / Auchan, qu'elle a précisé avoir découvert, à l'occasion du courrier de la société Vinci Energies du 28 novembre 2011, le devis émis par son salarié à destination de la société Vinci Energies. Il apparaît ainsi qu'à compter de cette date, Mme [T] avait connaissance du fait de détournement de clientèle qu'elle reproche à M. [B]. La cour constate que par la formulation de sa demande indemnitaire à ce titre devant le conseil de prudhommes par conclusions du 24 juin 2013, Mme [T] a interrompu, dans le délai imparti, la prescription quinquennale de l'article 2224 précité. L'effet interruptif de cette demande a perduré jusqu'à l'extinction de l'instance, c'est-à-dire jusqu'au jugement rendu le 21 octobre 2013. Mme [T] a ensuite renouvelé sa demande devant la cour d'appel de Paris le 16 décembre 2013 à la suite de l'appel interjeté contre le jugement précité, l'effet interruptif de cette demande ayant, à nouveau, perduré jusqu'à l'extinction de l'instance le 12 janvier 2017, lorsque l'arrêt a été rendu, laissant à l'appréciation du tribunal judiciaire de Versailles l'examen de la demande indemnitaire de Mme [T].

Dans ces conditions, la demande indemnitaire présentée par Mme [T] devant le tribunal judiciaire de Versailles par conclusions du 5 septembre 2018, puis devant la cour dans le cadre de la présente instance par conclusions du 21 juillet 2022 ne saurait être considérée comme étant prescrite.

La fin de non-recevoir doit donc être rejetée.

Sur les demandes indemnitaires

- Sur la demande principale de M. [B]

M. [B] soutient que chacune des parties disposait de relations commerciales directes avec la société Vinci Energies et que cette dernière appartenait donc à leur portefeuille commun de clientèle.

Il explique que les lettres adressées par les parties à la société Vinci Energies le 19 septembre 2011 clarifient la répartition des tâches et des responsabilités entre elles. Il indique ainsi que Mme [T] était chargée des prestations correspondant au métier d'avocat et que lui assurait les tâches d'assistant au maître d'ouvrage, apportant son expertise en matière de stratégie du dossier et développements techniques notamment. Il considère qu'au regard de la responsabilité qui lui incombait, il ne peut être considéré qu'il est intervenu dans le cadre du contrat de travail qui le liait à Mme [T]. Il affirme qu'il entretenait une relation contractuelle directe avec la société Vinci Energies et notamment M. [X], directeur général adjoint, avant sa collaboration avec Mme [T]. Il ajoute qu'il a réalisé diverses prestations qui ont amené la société Vinci Energies à lui demander le 6 juillet 2010 l'établissement d'un devis qui a été accepté le 19 juillet 2010. M. [B] considère qu'en adressant à la société Vinci Energies un courrier le 30 novembre 2011 dans lequel elle a affirmé qu'il avait toujours travaillé sur le dossier Elutions comme salarié de son cabinet et qu'il ne pouvait émettre aucune facture à son nom, Mme [T] a commis une faute à l'origine de la perte du client Vinci Energies, alors qu'il précise n'être jamais intervenu pour cette dernière dans le cadre de son contrat de travail. Il ajoute que Mme [T] a ensuite pris l'initiative d'expliquer personnellement à la clientèle commune sa version de la situation pour justifier la fin de la collaboration, ce qui a amené les clients à se détourner de lui par prudence. Il explique que Mme [T] l'a empêché d'accéder à la profession d'avocat, qui lui aurait permis de poursuivre une activité économique jusqu'à ses 70 ans. Il réclame, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, une somme de 270.000 € en réparation de son préjudice matériel et moral.

Mme [T] conteste l'existence de la cotraitance et de l'association de fait invoquées par M. [B], expliquant que ce dernier a travaillé exclusivement pour ses clients à elle, en tant que sous-traitant puis de salarié, et qu'il n'a jamais existé de clientèle commune. Elle explique avoir soutenu la candidature de M. [B] à l'avocature sans obligation de résultat, cette candidature n'ayant pu aboutir en raison d'une expérience insuffisante de M. [B] en tant que juriste d'entreprise. Elle souligne que la convention de coopération conclue par les parties le 16 mars 2011 interdisait à M. [B] de détourner ses clients, alors que ce dernier a facturé à la société Vinci Energies, dans le cadre d'une convention d'honoraires à son nom, sans l'en informer, non pas des prestations techniques et d'assistant à maîtrise d'ouvrage, mais des prestations de nature juridique et contentieuse concernant les dossiers Elutions et Auchan, qui lui avaient été confiées par la société Vinci Energies, M. [B] n'étant intervenu dans la gestion de ce dossier que dans le cadre de son contrat de travail. Elle soutient que M. [B] ne démontre pas l'existence de relations antérieures au litige avec la société Vinci Energies, ni que cette dernière lui aurait confié une quelconque mission entre 2008 et le 6 octobre 2011, date de la première facture émise par M. [B]. Elle souligne que l'arrêt de la cour d'appel de Paris ayant condamné la société Vinci Energies à régler à M. [B] ses factures n'a pas autorité de chose jugée à son égard, dès lors qu'elle n'a pas été partie à cette instance qui lui a été dissimulée. Elle ajoute que les prestations facturées par M. [B] n'ont pu être exécutées dans le cadre de la convention de coopération conclue par les parties le 16 mars 2011 en l'absence de tout accord particulier concernant la société Vinci Energies. Elle rappelle que les prestations facturées sont d'ordre juridique et non technique. Elle conteste le préjudice invoqué par M. [B] dès lors qu'il apparaît que ce dernier a continué à travailler avec la société Vinci Energie jusqu'au mois de mars 2012, soit quatre mois après l'envoi de son courrier du 30 novembre 2011.

*****

Il ressort des éléments de la procédure que les parties ont entretenu, de longue date, des relations professionnelles dont la nature a varié.

Ainsi, de 2008 à 2009, alors que Mme [T] était associée de la SCP Granrut Avocats, M. [B] collaborait en qualité de sous-traitant de la SCP, la répartition de la facturation s'opérant de la manière suivante : 20 % pour la SCP et 80 % pour M. [B] (cf pièce n°4 de l'appelant).

En 2009, Mme [T] a quitté la SCP Granrut Avocats et il ressort des pièces produites que jusqu'en 2011, les parties ont maintenu le régime de l'intervention de M. [B] dans le cadre d'une sous-traitance au profit, non plus de la SCP, mais de Mme [T].

Le 1er février 2011, Mme [T] a engagé M. [B] dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en tant que juriste. Par ailleurs, le 16 mars 2011, les parties ont conclu un accord de coopération à durée déterminée jusqu'au 31 décembre 2011, aux termes duquel elles ont acté leur domaine d'intervention propre (les prestations à caractère purement juridique à Mme [T] et les prestations de conseil technico-juridique à M. [B]) et leur volonté, s'agissant de la clientèle future, de coopérer sur leurs dossiers respectifs dans le cadre d'une " sous-traitance croisée ". Si les parties s'accordent à dire que cet acte n'a jamais été appliqué, il n'en demeure pas moins qu'au regard des termes de cet accord, il était possible à M. [B] de poursuivre son activité indépendante de conseil en marge de son activité salariée au profit de Mme [T].

C'est dans ce contexte que M. [B] soutient être intervenu en qualité de conseil indépendant auprès de la société Vinci Energies, affirmant avoir noué une relation contractuelle individuelle et directe avec cette société bien avant la signature de la convention de mars 2011 et du contrat de travail et concernant des dossiers autres que le dossier Elutions / Auchan.

Comme l'ont relevé les premiers juges, Mme [T] communique des notes d'honoraires, des courriers et des échanges de mails (pièces de l'intimée n°4 à 9, 11 à 19, 44 et 61) qui établissent qu'elle était l'avocat de la société Vinci Energies depuis 2005, tout d'abord en tant que collaboratrice de Me [I], puis en tant qu'associée de la SCP Granrut Avocats et enfin, à titre personnel après avoir quitté ce cabinet.

M. [B], quant à lui, ne produit aucun contrat conclu avec la société Vinci Energies. Afin de justifier d'une relation contractuelle individuelle antérieure au litige avec la société Vinci Energies, il produit en pièces n°94 à 96, des échanges de courriels datés de 2009 à 2010 se rapportant à des dossiers autres que le dossier Elutions / Auchan. Si ces pièces établissent certes la collaboration de M. [B] avec la société Vinci Energies à cette période, elles ne suffisent pas de démontrer que ces échanges sont intervenus dans le cadre d'une relation contractuelle personnelle, exclusive de Mme [T], alors qu'à cette période, les parties collaboraient depuis 2008 dans le cadre d'une sous-traitance et la société Vinci Energies était le client de Me [T] depuis au moins 4 années. D'ailleurs, les mails produits en pièces n°94, 95 et 97 sont adressés par le client à Mme [T].

De même, les autres pièces communiquées (n°98 à 108) établissent que M. [B] a effectivement travaillé sur le dossier Elutions / Auchan. Toutefois, à nouveau, le simple fait que Mme [T] ne soit pas en copie de ces échanges de mails intervenus entre janvier et mai 2010 ne permet pas de démontrer que M. [B] a exécuté des prestations au titre de son activité indépendante de conseil, dans le cadre d'une relation contractuelle personnelle, alors que l'intimée justifie que la société Vinci Energies était son client depuis 2005, qu'il se déduit du mail du 24 février 2010 que la société Vinci Energies, après avoir reçu un courrier recommandé de la société Elutions, a officiellement confié à Mme [T] exclusivement la charge de ce dossier et que les parties travaillaient ensemble depuis 2008 dans le cadre de prestations de sous-traitance. Il doit être souligné que par mail du 11 novembre 2010, Mme [T] évoque explicitement " mon " client sans contestation de la part de M. [B] ( " ' Dans ce dossier, il me manque toujours (') le courrier ou le courriel de mon client me mandatant personnellement pour faire appel de l'ordonnance. "), alors que Mme [T] a immédiatement contesté les termes du courriel de M. [B] du 17 novembre 2011 dans lequel il désigne le dossier Elutions comme étant son dossier (" Ce courriel est inacceptable et tu n'as pas le droit d'agir ainsi. Vinci Energies m'a confié ce dossier en tant qu'avocat et tu n'es pas habilité ni à te substituer à moi, ni à me donner des ordres ").

En outre, la cour constate que M. [B] ne justifie d'aucune facture réglée par la société Vinci Energies au titre de prestations qu'il aurait accomplies dans le cadre de son activité indépendante de conseil. Sur ce point, les premiers juges ont pertinemment relevé que M. [B] a été invité par ordonnance du juge de la mise en état à produire l'ensemble de sa comptabilité au titre de son activité indépendante pour les années 2008 à 2012 outre les factures émises à l'égard des sociétés Vinci Energies et Degremont. Or, l'appelant n'a communiqué que trois factures, correspondant à celles dont il a réclamé le paiement dans le cadre de la procédure contentieuse qu'il a engagée contre la société Vinci Energies devant le tribunal de commerce de Paris le 13 juin 2013. Elles sont datées des 6 octobre 2011, 18 janvier 2012 et 1er août 2012. Dès lors qu'elles sont postérieures à la naissance du litige et contestées par Mme [T] qui en réclame le remboursement au travers de sa demande indemnitaire, elles ne permettent pas de rapporter la preuve de la relation contractuelle alléguée avec la société Vinci Energies.

M. [B] se prévaut en pièce n°37 d'un devis chiffrant diverses prestations dans le cadre de l'affaire Opteor/Elutions. Cependant, ce devis est établi sur un document vierge de toute entête et porte une signature précédée de la mention 'Ok M. [W] le 19/07/10 " qu'il n'est pas possible d'authentifier en l'absence de tout tampon de la société Vinci Energies. En outre, il n'est pas établi que ce devis, dont la transmission à la société Vinci Energies n'est pas démontrée, a donné lieu à l'émission d'une facture réglée par la société Vinci Energie, dès lors que la facture n°11/10/115 ne comporte pas de référence à un devis et qu'elle se rapporte d'après les pièces produites par M. [B] à une " convention modifiée " (pièces n°54 et 116), qui apparaît correspondre au devis précité, mais auquel des modifications ont été apportées et qui a suscité des interrogations de la société Vinci Energies concernant la répartition des interventions de chacune des parties, puis à la dénonciation par Mme [T] du détournement de clientèle reproché à M. [B]. Il ressort en outre du devis modifié communiqué par l'appelant à la société Vinci Energies le 21 octobre 2011 qu'il a fait mention de deux factures réglées à Mme [T], ce qui apparaît incompatible avec les dires de M. [B] selon lesquels il est intervenu de manière directe et autonome dans le dossier Elutions / Auchan. Le courrier par lequel la société Vinci Energies s'est étonnée de la transmission par M. [B] d'un projet de convention contredit encore la thèse de l'appelant. En effet, par mail du 28 novembre 2011, le client a demandé à Mme [T] et elle seule, s'il convenait au regard du projet d'acte transmis par M. [B] de " faire une convention spécifique pour ce dossier ". Cette interrogation, qui n'aurait pas lieu d'être s'il existait une relation contractuelle particulière avec M. [B], établit que le dossier Elutions / Auchan était bien celui de Mme [T]. En conséquence, ces éléments ne permettent pas de démontrer l'existence d'une relation contractuelle individuelle de l'appelant avec la société Vinci Energies dans le cadre de ce dossier.

Les courriers que les parties ont adressés à la société Vinci Energies le 19 septembre 2011 ne permettent pas davantage de corroborer la thèse de M. [B]. En effet, elles définissent la répartition des " responsabilités ", comprises, à la lecture de ces pièces, comme les champs d'intervention de chacune d'elles, selon des modalités conformes à l'organisation de leurs relations depuis 2008, à savoir que la partie purement juridique incombe à Mme [T], tandis que M. [B] gère les questions d'ordre " technico-juridiques ". Ces lettres n'évoquent en revanche pas l'existence de prestations accomplies par M. [B] au titre de son activité indépendante de conseil en accord avec la société Vinci Energies, étant rappelé qu'à la date de rédaction de ces lettres, M. [B] était salarié de Mme [T] et que l'intégralité des factures payées par la société Vinci Energies étaient réglées à cette dernière.

La cour constate que M. [B] ne justifie pas avoir réagi à réception du courriel de Mme [T] du 8 novembre 2011 lui demandant de lui transmettre ses fiches de temps concernant le dossier Elutions / Auchan, alors qu'il prétend être intervenu dans ce dossier depuis 2010 au titre de son activité indépendante de conseil.

Si la société Vinci Energies a effectivement été condamnée par la cour d'appel de Paris au paiement des trois factures précitées par arrêt du 10 janvier 2018, aucun élément probant ne peut être tiré de cette décision, qui n'est pas opposable à Mme [T], dès lors que cette dernière n'a pas été partie à l'instance. La cour constate à la lecture de l'arrêt que M. [B] n'a pas fait état du contrat de travail l'ayant lié à Mme [T], qui permet pourtant d'apporter un éclairage déterminant au contexte dans lequel les prestations ont été exécutées par M. [B] dans le dossier Elutions / Auchan.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, les premiers juges ont à juste titre considéré que Mme [T], après avoir découvert par le courriel de la société Vinci Energies du 28 novembre 2011 l'existence d'un projet de convention et d'une facture établis par M. [B] dans le dossier Elutions / Auchan, a légitimement écrit à son client le 30 novembre 2011 pour clarifier la nature exacte des relations contractuelles des parties en ces termes : " Je vous confirme que M. [C] [B] est l'un de mes collaborateurs, juriste salarié à temps plein depuis le 1er février 2011 ('). M. [B] intervient donc dans ce cadre et il n'y a lieu ni de conclure de convention séparée pour le dossier Vinci Energies / Elutions et Auchan, ni de lui payer des factures. Il est rémunéré par mes soins et d'ailleurs, son obstination à ne pas me communiquer ses relevés de temps m'empêche de vous facturer les prestations qu'il a exécutées au cours de cette année".

Enfin, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont écarté les fautes invoquées par M. [B] au titre du dénigrement auquel se serait livré Mme [T] à l'égard de leurs clients communs et de son impossibilité d'accéder à la profession d'avocat. En effet, d'une part, aucune pièce probante ne permet de démontrer le dénigrement allégué. Par ailleurs, au regard du détournement de clientèle et de la déloyauté caractérisés, il était légitime pour Mme [T] de retirer les lettres de recommandation qu'elle avait pu rédiger à destination du Conseil de l'Ordre afin de soutenir la candidature de M. [B] à la profession d'avocat.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [B] de sa demande indemnitaire.

Sur la demande reconventionnelle de Mme [T]

Mme [T] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné M. [B] au remboursement de la somme de 118.037,10 € HT au titre des factures des 6 octobre 2011, 18 janvier 2012 et 1er août 2012 réglées par le client Vinci Energies dans le dossier Elutions / Auchan, qui, selon elle, aurait dû lui revenir. Elle conteste avoir reçu le paiement de la facture du 6 octobre 2011 d'un montant de 12.099,65 € HT et soutient que la preuve de ce règlement n'est pas rapportée. Elle conclut au rejet de la minoration de sa créance invoquée par M. [B], considérant qu'il n'a aucun droit sur les sommes facturées, dès lors que pour la première facture il était son salarié et que pour les trois factures, elles portent sur des prestations essentiellement juridiques et judiciaires qui lui avaient été confiées par son client, la société Vinci Energies. Elle considère que les frais d'un montant de 110,75 € HT doivent lui être alloués au titre de la perte de chance de conserver son client.

M. [B] répond qu'il disposait d'une relation commerciale directe avec la société Vinci Energies et que Mme [T] n'apporte aucune preuve du détournement de ce client. Il soutient qu'il n'y a jamais eu de clause de restriction de démarchage ou de concurrence entre les parties qui exerçaient des métiers différents et ne pouvaient donc se concurrencer. Il ajoute que l'intimée ne justifie d'aucun acte de concurrence déloyale ayant entraîné pour elle un préjudice. Il souligne que la facture du 6 octobre 2011 d'un montant de 12.099,65 € HT a été payée à Mme [T] par la société Vinci Energies, de sorte qu'il ne peut en être tenu compte dans l'indemnisation sollicitée. Il estime par ailleurs que les deux autres factures ne pourraient relever que du régime de cotraitance, de sorte que seuls 20 % de leur montant pourraient revenir à Mme [T]. Il considère donc qu'en tout état de cause, la demande indemnitaire de l'intimée doit être ramenée à la somme de 21.185,26 €.

*****

Pour les motifs précités, il est établi que la société Vinci Energies était le client de Mme [T] depuis 2005, alors que M. [B], sous-traitant puis salarié de Mme [T], ne justifie d'aucune relation contractuelle personnelle avec la société Vinci Energies.

Or, il ressort du projet de convention établi par M. [B] et transmis par ce dernier à la société Vinci Energies qu'il a tenté de détourner ce client à son seul profit. En effet, si l'objet du projet de convention est de " fixer les conditions dans lesquelles M. [B] intervient au profit du groupe Vinci Energies pour réaliser des prestations d'accompagnement à caractère technico-juridique et juridique ", conformément à son domaine de compétence, il est toutefois précisé au paragraphe II relatif aux conditions d'intervention que " ' C'est M. [B] qui est responsable de toutes interventions ('). Dans le cas où il estimerait nécessaire de faire appel à un spécialiste de quelque nature que ce soit (technicien particulier, avocat '), il s'engage à en assurer le contrôle et la direction ' ".

Il ressort de ce projet de contrat que M. [B] entendait devenir le seul interlocuteur de la société Vinci Energies et que s'il s'avérait nécessaire de recourir à un avocat, il en assurerait le contrôle et la direction. Mme [T] était ainsi totalement évincée. Elle n'apparaît d'ailleurs pas destinataire, ne serait-ce qu'en copie, du mail d'envoi de ce projet de convention à la société Vinci Energies.

A la transmission de ce projet d'acte était également jointe la facture n°11/10/115 établie au nom de M. [B], d'un montant de 14.471,17 € TTC (12.099,65 € HT) au titre des prestations suivantes:

" Dernière mise en demeure. Suivi et recadrage procédure.

Analyse des conclusions Auchan.

Préparation des conclusions 3 en réponse à Auchan.

Vérification mandats VE. Bordereau de pièces ".

Ces prestations sont purement juridiques et incombaient, pour les motifs précités à Mme [T].

La cour constate que deux autres factures ont été émises les 18 janvier 2012 (n°12/01/117) et 1er août 2012 (n°12/08/119) par M. [B] à destination de la société Vinci Energies qui était le client de Mme [T], à concurrence de 10.011,15 € HT (11.973,33 € TTC) et 95.926,30 € HT (114.727,85 € TTC). Elles comportent au demeurant elles aussi des prestations juridiques relevant de la compétence de Mme [T] puisqu'elles visent la préparation de conclusions n°4, la rédaction d'un projet d'assignation en référé et de conclusions au fond.

Comme l'ont à juste titre relevé les premiers juges, ces pièces caractérisent non seulement un détournement de clientèle, mais également la déloyauté de M. [B] au regard tant du contrat de travail qui le liait à Mme [T], que de l'accord de coopération du 16 mars 2011 qui précisait que chacune des parties s'engageait à respecter le portefeuille de clientèle de l'autre.

Cette analyse a été partagée par les juridictions qui ont statué dans le cadre du contentieux prudhommal ayant opposé les parties. Tant le jugement du conseil de prudhomme de Paris du 21 octobre 2013, que l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris du 12 janvier 2017 ont relevé le comportement déloyal de M. [B] à l'égard de son employeur, ce dernier ayant usé de man'uvres jugées dolosives pour l'évincer et facturer le client directement.

Le détournement de clientèle est ainsi établi.

Par arrêt du 10 janvier 2018, la cour d'appel de Paris a condamné la société Vinci Energies à payer à M. [B] la somme de 114.727,85 € TTC (95.926,30 € HT) au titre de la facture n°12/08/119.

M. [B] ne conteste pas avoir reçu paiement des 3 factures précitées, alors qu'intervenant dans le cadre de son contrat de travail, ces prestations auraient dû être payées à Mme [T].

Pour le même motif, il n'y a pas lieu d'appliquer le régime de co-traitance invoqué par l'appelant, prévoyant une répartition des honoraires à concurrence de 80 % pour M. [B] et 20 % par Mme [T].

Si M. [B] soutient que Mme [T] a exigé de la part de la société Vinci Energie d'être réglée de la facture du 6 octobre 2011 avant de transmettre le dossier au nouveau conseil de cette société, il ne produit au soutien de ses dires aucun élément de preuve.

Enfin, M. [B] entend voir déduire des factures une somme totale de 110,75 € HT au titre de frais, sans toutefois produire le moindre élément explicatif et justificatif légitimant sa demande.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [B] à payer à Mme [T] la somme de 118.037,10 €, avec intérêts au taux légal à compter du jugement en raison de la nature indemnitaire de la somme allouée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Au regard de la solution du litige, le jugement déféré sera confirmé des chefs des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [B], qui succombe, supportera les dépens dont distraction et sera condamné à payer à Mme [T] une somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernières en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Rejette les fins de non-recevoir tirées de l'autorité de la chose jugée et de la prescription ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Condamne M. [C] [B] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me [M] [U];

Condamne M. [C] [B] à payer à Mme [S] [T] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 22/00558
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;22.00558 ?
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