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08/06/2023 | FRANCE | N°21/01568

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 08 juin 2023, 21/01568


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 08 JUIN 2023



N° RG 21/01568 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UQ3G



AFFAIRE :



[Y] [S]



C/



[J] [R] [I]



[M] [F]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Avril 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : AD

N° RG

: F20/00185



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Ondine CARRO



Me Anne FICHOT de la SCP PIGOT SEGOND - ASSOCIES







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 JUIN 2023

N° RG 21/01568 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-UQ3G

AFFAIRE :

[Y] [S]

C/

[J] [R] [I]

[M] [F]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Avril 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : AD

N° RG : F20/00185

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Ondine CARRO

Me Anne FICHOT de la SCP PIGOT SEGOND - ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [Y] [S]

née le 06 Mai 1994 à [Localité 6] (TUNISIE)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Ondine CARRO, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C212

Représentant : Me Acher KRIEF, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03

APPELANTE

****************

Madame [J] [R] [I]

née le 01 Juin 1967 à [Localité 4] (VENEZUELA)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Anne FICHOT de la SCP PIGOT SEGOND - ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: P0172

Monsieur [M] [F]

né le 03 Mars 1977 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Anne FICHOT de la SCP PIGOT SEGOND - ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: P0172

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Madame Régine CAPRA, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 1er février 2017, Madame [Y] [S] a été engagée par Monsieur [M] [F] et Madame [J] [R] [I] en tant que « garde d'enfants à domicile ». Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des particuliers employeurs.

Par courrier recommandé du 29 juillet 2019, Madame [S] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Au cours des mois de septembre et d'octobre suivants, elle a été successivement convoquée à deux entretiens préalables à licenciement avant de recevoir notification d'un licenciement pour faute grave par courrier recommandé du 21 octobre 2019.

Par requête reçue au greffe le 4 février 2020, Madame [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de voir dire que sa prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'obtenir le versement de diverses sommes notamment au titre d'un harcèlement moral.

Par jugement du 27 avril 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :    

Débouté Madame [Y] [S] de l'ensemble de ses demandes ;

Condamné Madame [Y] [S] à verser la somme de 500 euros aux deux défendeurs ensemble, Madame [J] [R] [I] et Monsieur [M] [F], au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté Madame [J] [R] [I] et Monsieur [M] [F] de leurs demandes ;

Mis à la charge de chacune des parties ses propres dépens de la présente instance.

Par déclaration au greffe du 26 mai 2021, Madame [S] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 1er février 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Madame [S] demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 27 avril 2021, pour ce qu'il l'a déboutée de ses demandes ;

le confirmer en ce qu'il a débouté Madame [R] [I] et Monsieur [F] de leurs demandes;

et statuant de nouveau :

- juger recevables, régulières et bien fondées l'ensemble de ses demandes ;

- juger la déclaration d'appel formée à titre incident par les consorts [R] [I] - [F]

totalement mal fondée ;

et en conséquence,

sur l'exécution de son contrat de travail

*à titre principal :

- constater qu'elle a subi des faits démontrant un harcèlement moral de la part des consorts [R] [I] - [F] ;

- constater qu'elle a été prélevée de commissions bancaires du fait du retard dans le paiement dans le salaire par les consorts [R] [I] - [F] ;

- constater qu'elle a effectué un grand nombre d'heures supplémentaires qui n'ont pas été réglées par les consorts [R] [I] - [F] ;

- constater que les consorts [R] [I] - [F] ont dissimulé une partie de son activité salariée;

et par conséquent,

- condamner à ce titre les consorts [R] [I] - [F] à lui verser la somme de 3 564,42 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, somme nette de tous prélèvements sociaux ;

- condamner les consorts [R] [I] - [F] à lui verser la somme de 120 euros au titre de ses frais d'interventions bancaires du fait des retards de paiement dans son salaire ;

- condamner les consorts [R] [I] - [F] à lui verser les sommes de :

33 439,80 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires ;

3 343,98 euros au titre des congés payés afférents ;

7 128,84 euros nette de tous prélèvements sociaux à titre d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé ;

1 200 euros correspondant au paiement de la prise en charge forfaitaire contractuelle de ses frais de transport pour la durée du contrat de travail ;

*à titre subsidiaire :

- constater que le contrat de travail a été exécuté de mauvaise foi par les consorts [R] [I] ' [F] ;

et par conséquent,

- condamner les intimés à lui verser une indemnité de 3 564,42 euros en réparation de son préjudice, sommes nettes de tous prélèvements sociaux ;

sur la rupture de son contrat de travail

- constater que les manquements qu'elle invoque sont suffisamment nombreux et graves pour justifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail ;

- constater que le licenciement pour faute grave qui lui a été notifié est non avenu ;

*à titre principal :

- juger que la prise d'acte de la rupture aux torts exclusifs de l'employeur doit produire les effets d'un licenciement nul ;

*à titre subsidiaire :

- juger que la prise d'acte de la rupture aux torts exclusifs de l'employeur doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

et par conséquent,

- condamner les consorts [R] [I] - [F] à lui verser une indemnité pour rupture abusive à hauteur de 7 128,84 euros bruts ;

- condamner les consorts [R] [I] - [F] à lui verser une indemnité de licenciement de 297,04 euros ;

- condamner les consorts [R] [I] - [F] à lui verser une indemnité compensatrice de préavis, à hauteur de deux mois de salaire, soit la somme de 2 376,28 euros ;

- condamner les consorts [R] [I] - [F] à lui verser la somme de 237,63 euros au titre des congés payés afférents ;

- ordonner aux consorts [R] [I] - [F] la remise à Madame [S] de son certificat de travail, attestation de fin de contrat et reçu pour solde de tout compte dans les 8 jours de la décision à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

*en tout état de cause :

- débouter les consorts [R] [I] - [F] de leur appel incident ;

- débouter les consorts [R] [I] - [F] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- la dispenser de participer aux frais de l'instance ;

- condamner les consorts [R] [I] - [F] à la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les consorts [R] [I] - [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Carro.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 23 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Madame [R] [I] et Monsieur [F] demandent à la cour de :

- les recevoir en leur constitution d'intimés et en leurs écritures ;

les disant bien fondées,

confirmer le jugement rendu le 27 avril 2021 en toutes ses dispositions ;

infirmer le jugement uniquement en ce qu'il n'a pas condamné Madame [S] à verser la somme de 919,22 euros au titre du non-respect du préavis de démission ;

subsidiairement,

- dire et juger le licenciement pour faute grave notifié le 21 octobre 2019 fondé ;

en tout état de cause,

- condamner Madame [S] à verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 27 février 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les heures supplémentaires

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Si les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, et

s'il résulte de la combinaison des articles L. 3123-14 et L. 7221-2 du code du travail que les dispositions de ce code relatives au travail à temps partiel ne leur sont pas applicables, notamment quant à la nécessité pour l'employeur de répartir le temps partiel du salarié, il n'en va pas de même de celles de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la preuve de l'existence ou du nombre des heures effectuées.

En l'espèce, la convention collective des salariés du particulier employeur est applicable au contrat de travail, lequel prévoit notamment que : le temps de travail est de 119 heures mensuelles avec une répartition « librement déterminée par l'employeur » et qui « pourra être modifiée sans que cela n'implique de modifications du contrat de travail, ce que la salariée accepte expressément » ; « la salariée attendra le retour de l'employeur (ou de toute autre personne expressément mandatée par eux) retenus par des circonstances exceptionnelles afin de ne pas laisser l'enfant seul ».

A l'appui de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, la salariée invoque des horaires débutant à 8h/8h30 et se terminant à 18h/19h, excédant 40 heures de travail hebdomadaires, selon un décompte détaillant les horaires quotidiens qu'elle estime avoir réalisés semaine civile par semaine civile, qui constitue un élément suffisamment précis quant aux heures qu'elle prétend avoir accomplies, afin de permettre aux employeurs, qui assurent le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre en produisant leurs propres éléments, à l'exclusion de photocopies d'extraits d'un carnet de notes comportant des mentions disparates, partiellement intelligibles et incomplètes sur des horaires et activités. De même, une vingtaine de Sms échangés entre les intéressées sur plusieurs mois et des photographies montrant, ensemble ou séparément, un enfant et des adultes, posant, dans un contexte manifestement détendu et convivial, dans des locaux d'habitation ou à l'extérieur, certaines d'entre elles ayant été prises dans une station de ski, ne permettent pas d'établir l'exécution d'un travail, notamment des tâches ménagères, au-delà des fonctions contractuelles de garde d'enfant à domicile devant consister à surveiller, préparer le repas, nourrir, changer et laver l'enfant, l'accompagner, le promener quotidiennement, le faire jouer, le faire dormir, entretenir et ranger des pièces utilisées par l'enfant au cours de la journée de travail ainsi que du matériel mis à sa disposition, assurer l'entretien de son linge et faire de petites courses liées aux besoins de l'emploi. A cet égard, l'attestation de Madame [K] est insuffisamment circonstanciée en ce que celle-ci indique, en relayant pour l'essentiel les confidences de son amie :

« Je connais Melle [Y] [S] depuis Avril 2017, on se voyait presque tous les jours avec les enfants que je gardais et Melle [Y] [S] avec l'enfant [L], on allait au parc, bibliothèque et maison ouverte ensemble matin et après-midi. On a même organisé des pique-nique avec les enfants que je gardais et [L] et Melle [Y] [S]. J'ai reçu chez moi Melle [Y] [S] pendant 2 mois car elle avait un problème de logement, elle rentrait chaque soir à peu près en retard, elle rentrait triste et plusieurs fois en pleurs, le matin on sortait des fois ensemble et des fois elle sortait plutôt que moi, elle me disait c'est pour accompagner

[L] à la crèche (le matin). Melle [Y] [S] était très triste, elle me racontait toujours que ses patrons lui demandent de faire toujours plus elle faisait le ménage, la cuisine pour toute la famille pas que pour [L], aller chercher du courrier et colis à la poste faire les courses'.ex J'ai emmené Melle [Y] [S] chez mon médecin traitant car elle était très mal sur le plan psychologique et aussi physique, le médecin l'a mise sous traitement de dépression pendant plusieurs mois, elle lui a même fait des arrêts maladie mais Melle [Y] [S] avait peur d'arrêter le travail. »

Au vu des éléments fournis par la salariée, les employeurs répliquent :

*que les horaires de la salariée étaient les suivants :

- Lundi : 9h30 - 17h30 = 8 heures ' 1 heure sur la base du calcul des heures de présence responsable convertis en heures de travail effectives = 7 heures - Mardi : 8h45 à 9 h et de 11h30 ' 17h30 = 6h15 - 1h de présence responsable = 5h15 - Mercredi : 9h30 ' 17h30 = 8 heures ' 1h de présence responsable = 7 heures - Jeudi : 8h45 à 9h et de 11h30 ' 17h30 = 6h15 ' 1h de présence responsable = 5h15 - Vendredi : 9h45 ' 12h puis 16h20 ' 18h20 = 4h15 ' 1h15 durant laquelle [J] était à son cours de peinture = 3 heures Moyenne totale par semaine : 27h30 Moyenne totale par mois : 118 heures ;

*que ces horaires ne tiennent pas compte du fait que Madame [R] [I] a effectué certaines semaines deux jours en télétravail ou a pris un Rtt, ni du fait qu'il arrivait à l'enfant de rester toute une journée à la crèche ;

*que les heures de présence responsable n'y sont pas mentionnées quand l'enfant dormait, alors que ces heures ne doivent être comptabilisées qu'à hauteur de 2/3 d'une heure de travail effectif ;

*que les congés pris par la salariée ne sont pas non plus pris en compte, soit, selon les bulletins de paie, 33 jours en 2017 d'août à septembre et en décembre, 37 jours en 2018 en janvier, mai, août et décembre, et 15 jours en 2019 aux mois de janvier, mars, mai et juillet ;

*que leurs propres bulletins de paie attestent de l'absence de congés leur ayant permis de se déplacer dans une station de ski, laquelle était fermée du 8 au 20 octobre 2018, alors que la salariée allègue avoir effectué en ce lieu 159,90 heures sur la première semaine et 143,90 heures sur la seconde ; qu'il en est de même pour un déplacement prétendu en mars 2018 ; que si du fait de leurs relations amicales, que démontre la teneur des échanges par Sms, la salariée les a accompagnés en vacances une fois aux sports d'hiver et à deux reprises dans la Somme, elle n'a jamais travaillé en leur présence, étant tout de même rémunérée de ses heures normales ;

*que lorsque l'enfant était à la crèche, tel qu'attesté par les factures de celle-ci, à compter de septembre 2018, la salariée n'effectuait aucun travail, ce d'autant qu'il arrivait à l'enfant de rester à la crèche au-delà d'une matinée ;

*que plus généralement, la salariée n'effectuait aucune prestation au-delà de celles mentionnées dans son contrat de travail, ne travaillant jamais de nuit.

Il résulte des éléments fournis de part et d'autre que la salariée n'a accompli aucun travail ni au-delà des fonctions contractuellement définies, ni en déplacement, ni de nuit, et qu'en tenant compte de ses congés, des heures de présence responsable et de temps de crèche au cours desquels elle n'effectuait aucun travail, il n'y a lieu de faire droit à sa demande en paiement d'heures supplémentaires que pour un montant de 8 286,75 euros bruts, outre 828,68 euros bruts de congés payés afférents.

Sur les frais de transport

Si l'article 6 du contrat de travail dont se prévaut la salariée mentionne que l'employeur doit lui verser mensuellement la somme forfaitaire de 40 euros au titre de frais de transport, payable en fin de mois, l'employeur fait valoir à juste titre que cette somme a été payée chaque mois tel que cela ressort en effet des bulletins de paie et des relevés bancaires de la salariée.

La demande en paiement de ces montants mensuels sera donc en voie de rejet.

Sur les frais bancaires liés à des retards de paiement du salaire

C'est également à juste raison que l'employeur fait valoir la carence probatoire de la salariée qui lui réclame le paiement d'une somme de 120 euros au titre de frais bancaires en référence à un document récapitulatif de commissions d'intervention pour l'année 2018 dont le lien avec des retards dans le paiement du salaire par chèque ou par virement, n'est pas établi.

Ainsi, il y a lieu de débouter la salariée de cette demande.

Sur le harcèlement moral

Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments de fait présentés par le salarié laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il

revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui de sa demande au titre du harcèlement moral, la salariée invoque des éléments de faits non matériellement établis au vu des éléments produits aux débats, dont l'attestation précitée de son amie, s'agissant :

- d'un état de soumission et de dépendance vis-à-vis de ses employeurs en ce que Madame [R] [I] lui rappelait constamment sa qualité d'avocate, le fait qu'elle connaissait mieux la loi et qu'elle ne pourrait pas travailler ailleurs étant donné qu'elle n'avait même pas le Cap petite enfance ;

- de tâches ménagères imposées par ses employeurs qui l'avaient engagée pour garder leur enfant ;

- de l'exécution d'un travail lors de déplacements, le week-end ou lors de jours fériés, au sein de la résidence secondaire des employeurs et au cours de voyages ;

- d'un refus de la prise en charge d'une formation en vue d'obtenir le certificat d'aptitude professionnelle de la « petite enfance » qu'elle avait proposé d'effectuer en dehors de ses heures de travail ;

- d'appels téléphoniques « réguliers » de Madame [R] [I] sur son téléphone mobile au vu d'une vingtaine d'appels téléphoniques et d'échanges de Sms entre les intéressées sur plusieurs mois et à des moments de la journée ne révélant aucune anomalie ;

- du renouvellement oral de la période d'essai.

En tenant compte d'ordonnances médicales établies à compter du mois de décembre 2018 lui prescrivant notamment des antidépresseurs, les éléments de fait présentés par la salariée qui considérés ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral, sont les suivants :

- une période d'essai initiale de deux mois, soit le double de la durée maximum conventionnelle;

- des retards récurrents dans le paiement du salaire représentant plus de la moitié des mois travaillés, de tels retards pouvant excéder une semaine ;

- des horaires contractuellement non répartis et des dépassements d'horaires non rémunérés.

Les employeurs ne prouvent pas que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que leurs décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement en indiquant que :

- le fait de doubler la durée maximum de la période d'essai n'aurait aucun caractère de gravité ;

- les retards dans le paiement du salaire s'expliquent pas des délais d'encaissement de chèques après remise à la banque par l'intéressée ainsi que par l'utilisation du Cesu ; alors que le caractère récurrent des retards pouvant aller jusqu'à plusieurs jours voire plusieurs semaines, ne peut être justifié, ni par le fait qu'il existe un délai entre la date de remise du chèque, nullement démontrée, à la salariée, et son encaissement par celle-ci, ni par la circonstance que des paiements auraient été réalisés en deux fois en raison de contraintes inhérentes à des virements via le Cesu quand ces

paiements en deux fois n'ont pas tous résulté d'un recours au Cesu qui en lui-même n'est pas de nature à justifier ces anomalies temporelles ;

- l'absence de dépassements d'horaires, lesquels horaires étaient réguliers ; alors que l'existence d'heures supplémentaires, lesquelles ont été accomplies de manière récurrente dans le cadre d'horaires non réguliers, a été partiellement retenue par la cour.

Il en résulte l'existence d'un harcèlement moral subi par la salariée à laquelle sera allouée la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur la prise d'acte de la rupture

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués empêchaient la poursuite du contrat de travail, ou d'un licenciement nul, le cas échéant, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.

Le salarié a la charge de la preuve des manquements qu'il invoque et peut faire état de faits qui ne sont pas mentionnés dans le courrier de prise d'acte qui, contrairement à la lettre de licenciement, ne fixe pas les limites du litige.

La prise d'acte intervenue en raison d'un harcèlement moral produit les effets d'un licenciement nul.

La salariée invoque à juste titre, nonobstant le fait que les employeurs auraient été en vacances, la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par lettre datée du 29 juillet 2019 adressée aux employeurs au moyen d'un pli recommandé dont l'avis de réception confirme que ces derniers en ont été avisés. Le licenciement postérieur est non avenu puisque rupture sur rupture ne vaut.

Le harcèlement moral étant établi, la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul en application, ensemble, des articles L. 1153-1 et L. 1153-4 du code du travail.

Il y aura donc lieu de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul à la date du 29 juillet 2019.

Sur l'indemnité pour licenciement nul

En application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, et au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour quant au préjudice subi, il y a lieu de faire droit à la demande

d'indemnité pour licenciement nul pour un montant, s'exprimant nécessairement en net, de 7 128,84 euros.

Sur l'indemnité de licenciement

En vertu de l'article 3 de la convention collective applicable, et au vu des éléments de calcul, il sera alloué à la salariée, dont le salaire de référence mensuel est de 1 188,14 euros bruts et dont l'ancienneté est de deux ans et six mois, une indemnité de licenciement d'un montant net de 297,04 euros.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Compte tenu d'une ancienneté supérieure à deux ans, le préavis est d'une durée de deux mois. En application des article L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, l'indemnité compensatrice de préavis, devant correspondre à la rémunération brute que la salariée aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période de préavis, est égale à 2 376,28 euros bruts, somme que les employeurs seront condamnés à lui payer, outre 237,63 euros bruts de congés payés afférents.

Sur le travail dissimulé

La salariée soutient qu'une partie de son activité a été intentionnellement dissimulée, ce qui caractériserait un travail dissimulé au sens de l'article L. 8221-5 du code du travail, ce que contestent les employeurs.

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5, 2°, du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué. Les juges du fond apprécient souverainement l'existence d'une telle intention.

Il résulte des éléments soumis à l'appréciation de la cour que la salariée ne rapporte pas la preuve d'un comportement intentionnel des employeurs quant à la dissimulation des heures supplémentaires dont le volume et la durée de réalisation, tels que réduits par la cour, n'apparaissent pas significatifs à cet égard, alors de surcroît que l'employeur n'est pas utilement contredit lorsqu'il affirme que la salariée n'a jamais rien réclamé à ce titre.

Il y a donc lieu de débouter la salariée de sa demande en paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Sur la remise de documents

Vu ce qui précède, la demande de remise de documents conformes est justifiée. Il y est fait droit comme indiqué au dispositif. Le prononcé d'une astreinte n'est pas nécessaire eu égard aux éléments de la cause.

Sur la demande reconventionnelle

Dès lors que la prise d'acte ne produit pas les effets d'une démission mais ceux d'un licenciement nul, les employeurs doivent être déboutés de leur demande d'indemnisation au titre d'un préavis non effectué.

Sur les frais irrépétibles

En équité, il ne sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile qu'au profit de la salariée à laquelle est allouée la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Sur les dépens

La charge des entiers dépens de première instance et d'appel doit être supportée par les employeurs, parties succombantes pour l'essentiel. Il convient de dire que les dépens d'appel pourront être recouvrés par Me Ondine Carro, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne Monsieur [M] [F] et Madame [J] [R] [I] à payer à Madame [Y] [S] les sommes suivantes:

- 8 286,75 euros bruts au titre d'un rappel de salaire relatif à des heures supplémentaires,

- 828,68 euros bruts de congés payés afférents ;

Dit que Madame [Y] [S] a subi un harcèlement moral ;

Condamne Monsieur [M] [F] et Madame [J] [R] [I] à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Madame [Y] [S] produit les effets d'un licenciement nul à la date du 29 juillet 2019 ;

Condamne Monsieur [M] [F] et Madame [J] [R] [I] à payer à Madame [Y] [S] les sommes suivantes :

- 7 128,84 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 297,04 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

- 2 376,28 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 237,63 euros bruts de congés payés afférents ;

Condamne Monsieur [M] [F] et Madame [J] [R] [I] à remettre à Madame [Y] [S] un certificat de travail, une attestation de fin de contrat et un reçu pour solde de tout compte conformes au présent arrêt ;

Condamne Monsieur [M] [F] et Madame [J] [R] [I] à payer à Madame [Y] [S] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties pour le surplus.

Condamne Monsieur [M] [F] et Madame [J] [R] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel, et dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés par Me Ondine Carro, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01568
Date de la décision : 08/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-08;21.01568 ?
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