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31/05/2023 | FRANCE | N°21/03539

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 31 mai 2023, 21/03539


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 31 MAI 2023



N° RG 21/03539

N° Portalis DBV3-V-B7F-U32P



AFFAIRE :



[N] [S]





C/

S.A. CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Novembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : E



N° RG : 19/00332



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL [H] [D]



la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 MAI 2023

N° RG 21/03539

N° Portalis DBV3-V-B7F-U32P

AFFAIRE :

[N] [S]

C/

S.A. CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Novembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : 19/00332

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL [H] [D]

la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [N] [S]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Avi BITTON de la SELARL AVI BITTON, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0339 substitué par Me Justine ROURE avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A. CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - N° du dossier 28921

Représentant : Me Philippe ROGEZ de la SELARL RACINE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L301substitué par Me Margaux SUCCURRO avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,

EXPOSE DU LITIGE

[N] [S] a été engagé par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (Cacib) suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 10 novembre 2009, avec une reprise d'ancienneté au 6 octobre 2008 suite à un contrat d'apprentissage, en qualité de 'analyste Moa' au sein de la direction 'global It and operations, finance referentiel and corporate It', statut cadre, niveau H, en référence aux dispositions de la convention collective nationale de la banque.

A compter du 27 août 2012, le salarié a été affecté à l'inspection générale de la société Cacib en qualité de 'inspecteur It'.

A compter du 1er janvier 2016, il a occupé les fonctions de chef de mission, statut cadre, niveau J.

Par lettre datée du 16 mai 2018, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 25 mai suivant.

Par lettre datée du 6 juin 2018, l'employeur a convoqué le salarié à un nouvel entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 15 juin suivant, reporté par l'employeur par lettre du 18 juin au 29 juin 2018.

Par lettre datée du 10 juillet 2018, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour faute avec dispense d'exécution du préavis de trois mois qui lui a été rémunéré.

Par lettre datée du 14 juillet 2018, le salarié a saisi la commission paritaire de la banque d'un recours à l'encontre de la décision de licenciement. Le 30 juillet 2018, des avis distincts de la délégation patronale et de la délégation syndicale de cette commission ont été rendus.

Le 15 mars 2019, [N] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de faire juger principalement que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et que la convention de forfait annuel en jours est privée d'effet et d'obtenir la condamnation de la société Cacib à lui payer diverses indemnités et rappel de salaire tant au titre de l'exécution que la rupture du contrat de travail.

Par jugement mis à disposition le 18 novembre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont :

- jugé que le licenciement est fondé sur 'des causes réelles et sérieuses',

- condamné la société Cacib à verser sans délai à [N] [S] les sommes suivantes :

* 6 666,67 euros bruts à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté [N] [S] de ses autres demandes,

- dit que les intérêts au taux légal seront calculés à compter de la date du prononcé du jugement en ce qu'ils portent sur des condamnations à caractère indemnitaire,

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement au-delà des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail, le salaire à retenir étant 6 666,67 euros,

- débouté la société Cacib de ses demandes reconventionnelles et condamné celle-ci aux dépens.

Le 3 décembre 2021, [N] [S] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 20 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, [N] [S] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses autres demandes, et statuant à nouveau, de :

- à titre principal, juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Cacib à lui payer les sommes suivantes :

* 66 666,70 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 6 389,58 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné ladite société à lui verser la somme de 6 666,67 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,

- en tout état de cause, condamner ladite société à lui payer les sommes suivantes :

* 15 364,86 euros à titre de rappel de salaire pour non-paiement des heures supplémentaires,

* 1 536,48 euros au titre des congés payés y afférent,

* 40 000 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

* 15 000 euros à titre d'indemnité pour exécution déloyale du forfait jour,

* 5 000 euros au titre des manquements relatifs à la durée du travail,

* 4 860 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et aux dépens, en ce compris les frais éventuels d'exécution, et dire que maître [H] [D] pourra les recouvrer directement, avec les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de l'acte introductif d'instance, et ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 18 mai 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Cacib demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement est fondé sur des causes réelles et sérieuses et a débouté [N] [S] de ses autres demandes, à titre incident, réformer le jugement en ses condamnations à paiement des sommes retenues, débouter [N] [S] de l'intégralité de ses demandes, à titre subsidiaire, s'il est jugé que la convention de forfait jours est inopposable à [N] [S], le condamner à lui rembourser la somme de 20 193,42 euros, en tout état de cause, condamner [N] [S] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 28 mars 2023.

MOTIVATION

Sur le bien-fondé du licenciement

Aux termes de la lettre de licenciement pour faute d'une longueur de six pages notifiée au salarié, la société reproche en substance à celui-ci :

- l'utilisation non-conforme du service 'Glide' à des fins personnelles, service de véhicules en auto-partage sur les campus de [Localité 4] et [Localité 5] du groupe Crédit Agricole, permettant des locations de véhicules à titre professionnel, en indiquant avoir été alertée le 2 mai 2018 par le département 'Property and Corporate Services' (Pcs) d'une utilisation non-conforme de ce service de sa part les 19 janvier, 26 janvier et 30 mars 2018, en précisant qu'à la suite des observations du salarié lors de l'entretien préalable du 25 mai et des vérifications complémentaires, le service 'Glide' a indiqué que s'agissant de la réservation du 26 janvier : 'il se pouvait que la clôture ait été effectuée manuellement par le service si vous aviez omis de le faire vous-même', mais qu'en revanche, ces investigations ont permis de découvrir l'utilisation par le salarié du service 'Glide' à 28 reprises, hors annulations, la lettre citant :

. 5 réservations faites sur un week-end, avec à titre d'exemples : le vendredi 23 février à 18h42, restitué le lundi 26 février à 9h27 et le vendredi 30 mars à 16h11, restitué le lundi 2 avril à 10h01 ;

. 6 réservations effectuées lors de la pause déjeuner, avec à titre d'exemples : le 23 février à 12h07 restitué le même jour à 14h20 et le 1er mars à 12h08 restitué le même jour à 15h06 ;

. 11 réservations réalisées en fin de journée pour un retour le lendemain, avec à titre d'exemples : le 27 mars à 17h31 restitué le 28 mars à 8h15, le 28 mars à 17h46 restitué le lundi 29 mars à 8h34 et le 2 avril à 10h02 restitué le 3 avril à 9h50 ;

. 6 réservations faites sur les heures de travail avec à titres d'exemples : le 18 janvier à 13h59 restitué à 19h25 et le 3 mai à 11h58 restitué à 21h26 ;

et mentionnant deux utilisations pour un kilométrage supérieur à 100 km, le vendredi 19 janvier à 18h05 restitué le lundi 22 janvier à 11h19 en ayant parcouru 163 km et le vendredi 23 février à 18h42 restitué le lundi 26 février à 9h27 en ayant parcouru 104 km ;

- l'utilisation de ses fonctions afin d'obtenir des informations sans rapport avec elles, en mentionnant l'envoi d'un courriel au département 'Pcs' le vendredi 7 mars 2018 afin d'obtenir des informations sur la politique de Crédit Agricole Cib à l'égard de ce service, la qualifiant de désavantageuse pour les collaborateurs de Crédit Agricole Cib, en utilisant son titre d'auditeur pour obtenir indûment des informations auprès d'un autre département de la banque, à des fins personnelles, et en critiquant la politique en vigueur dans l'entreprise.

Sur le respect du délai légal

Le salarié conclut à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en faisant valoir que l'employeur n'a pas respecté le délai légal d'un mois entre le premier entretien préalable et la notification du licenciement.

La société fait valoir que le délai légal entre l'entretien préalable et le licenciement a bien été respecté.

Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 1332-2 du code du travail, aucune sanction disciplinaire ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien préalable et celle-ci est motivée et notifiée au salarié.

Lorsqu'en raison de la révélation de faits fautifs nouveaux postérieurement à un entretien préalable, l'employeur adresse au salarié, dans le délai d'un mois à compter du premier entretien, une convocation à un nouvel entretien préalable, c'est à compter de la date de ce nouvel entretien que court le délai d'un mois qui lui est imparti pour notifier sa décision.

En l'espèce, il ressort des pièces produites aux débats que :

- par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 16 mai 2018, l'employeur a notifié au salarié sa convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé et tenu le 25 mai 2018 ;

- au cours de cet entretien, le salarié a indiqué que des données étaient erronées et a souhaité fournir des éléments qui ont été en possession de l'employeur le 30 mai 2018 ;

- l'employeur a considéré que les explications et éléments fournis par le salarié rendaient nécessaires de procéder à des investigations complémentaires ;

- à la suite des investigations complémentaires menées, l'employeur a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 6 juin 2018, notifié une nouvelle convocation au salarié pour un entretien préalable fixé au 15 juin 2018 ;

- l'employeur a, invoquant le non-respect des délais légaux en raison de 'l'acheminement par les services postaux', souhaité remettre au salarié une nouvelle convocation en mains propres le 15 juin 2018, ce que celui-ci a refusé ;

- par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 18 juin 2018, l'employeur a convoqué le salarié à un nouvel entretien préalable fixé et tenu au 29 juin 2018 ;

- par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 10 juillet 2018, signifiée par ailleurs par acte d'huissier du même jour, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour faute.

Il résulte de ce qui précède qu'eu égard aux investigations complémentaires diligentées par l'employeur pour tenir compte des explications du salarié sur les faits reprochés lors du premier entretien et à la découverte de faits fautifs nouveaux à l'occasion de ces dernières investigations, le délai légal d'un mois visé à l'article L. 1332-2 sus-cité a commencé à courir à compter de la date du nouvel entretien préalable, soit le 29 juin 2018. Il s'ensuit que le délai d'un mois entre la date de l'entretien préalable le 29 juin 2018 et le licenciement le 10 juillet 2018 a été respecté.

Ce moyen n'est pas fondé.

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

Le salarié fait valoir que les griefs sont imprécis en ce que chaque réservation reprochée n'est pas détaillée ; que certaines données sont erronées ; que les réservations, notamment sur la pause déjeuner, ont été faites conformément à la charte d'utilisation du service 'Glide' et dans le cadre de l'audit 'Gipp' qui lui a été confié de même que la demande d'information sur la politique de la société à l'égard du service 'Glide', incluant dans son périmètre le service 'Glide' ; qu'il a réalisé des tests dans ce cadre ; que ces réservations n'ont pas été faites à des fins personnelles ; que certains faits sont prescrits ; que le licenciement est disproportionné eu égard à ses excellents états de service ; que le jugement doit être infirmé sur ces points. Il réclame par conséquent un rappel au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société fait valoir que le service 'Glide' ne faisait pas partie du périmètre de la mission confiée au salarié définie et validée le 8 février 2018 ; que celui-ci a utilisé ses fonctions au sein de l'inspection générale pour obtenir des informations sans rapport avec ses attributions ; qu'elle n'a eu connaissance de son courriel du 7 mars 2018 que le 2 mai 2018 de sorte que les faits ne sont pas prescrits ; que le salarié a violé les règles du code éthique des inspecteurs ; qu'il a fait une utilisation non-conforme du service 'Glide' ; que malgré un courriel d'alerte de 'Glide' du 17 avril 2018, il a persisté dans ses manquements en louant des véhicules les 2 et 3 mai ; qu'il doit être débouté de toutes ses demandes au titre du licenciement et que le jugement doit être confirmé sur ces points.

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

Il ressort des pièces produites aux débats que :

- le salarié occupait un poste de chef de mission et à ce titre était chargé d'assurer des missions d'audit avec une équipe qu'il animait et encadrait et de contribuer à l'amélioration des méthodologies et processus de l'inspection générale, et qu'il était placé sous l'autorité hiérarchique d'un n+1, [Z] [G], superviseur - responsable audit informatique et d'une n+2, [R] [Y], directrice de l'équipe centrale inspection / 'head group internal audit unit' ;

- le salarié a été chargé d'une mission définie et validée le 8 février 2018 intitulée 'Gestion des infrastructures physiques parisiennes (incl. Psee Ca Immobilier)', mission s'inscrivant au plan d'audit dans le cadre de la revue périodique de la sécurité physique des locaux de la banque, mais également suite au déménagement vers [Localité 4], étant relevé que le périmètre de l'audit comprenait la gouvernance des prestations liées aux immeubles parisiens avec les 'Facilities Management à l'Immeuble' (Fmi) et la sécurité et la sûreté et excluait les 'Facilities Management à l'Occupant' (Fmo), ce qui excluait donc sans ambiguïté la prestation 'Glide' qui ne concerne pas des prestations liées à des immeubles mais à des biens mobiliers, les courriels produits par le salarié, émanant de lui-même et de personnes de son équipe, ne remettant pas en cause ce point ;

- le salarié a utilisé à de nombreuses reprises entre janvier et mai 2018 le service 'Glide' de manière non conforme à la charte d'utilisation de ce service ainsi qu'il ressort du tableau produit par la société en pièce 18, en particulier durant des fins de journées, des nuits et des fins de semaine alors que les véhicules ne pouvaient qu'être loués à des fins exclusivement professionnelles et ce, entre 9 heures et 19 heures ; il a, malgré une alerte auprès de lui du service 'Glide' du 17 avril 2018, en particulier loué un véhicule le 3 mai 2018 à 11h58 pour le restituer à 21h26 ;

- par demande écrite du 7 mars 2018, le salarié a cherché à obtenir auprès du département 'Pcs' des informations relatives à la politique de la société à l'égard du service 'Glide' en se présentant comme étant en intervention dans le cadre d'une mission d'audit de manière indue ; à cet égard, le moyen tiré de la prescription de certains faits n'est pas fondé en ce que la société justifie avoir que la direction a eu connaissance des faits du 7 mars 2018, seulement par un courriel du 2 mai 2018.

Le salarié ne justifie pas de l'origine des données contenues dans des tableaux figurant dans ses écritures pour contester les données de l'employeur, celui-ci se contentant d'alléguer des 'erreurs' de données.

Il admet cependant avoir utilisé le service 'Glide' notamment en fins de journées et de semaine, et de nuit, en arguant de 'tests' réalisés dans le cadre de l'audit dont il était chargé.

Or, d'une part, le service 'Glide' n'entrait pas dans le périmètre de l'audit confié au salarié et d'autre part, celui-ci ne justifie d'aucune sorte avoir informé sa hiérarchie des 'tests' en question, notamment lors des points organisés sur l'état d'avancement de la mission avec sa hiérarchie et ce, en méconnaissance de la méthodologie de l'audit, ce qui conduit à écarter son argumentation sur ce point.

Il résulte de tout ce qui précède que la matérialité des faits, qui sont précis, objectifs et vérifiés, objets du licenciement est établie.

Indépendamment de l'ancienneté et des bonnes évaluations professionnelles du salarié, au regard des fonctions de contrôle dévolues au salarié, membre de l'inspection générale de la banque, soumis à un code éthique, il convient de retenir que l'utilisation non-conforme d'un service de location de véhicules, réalisée de manière répétée et volontaire, à des fins non professionnelles, et l'utilisation de ses fonctions pour obtenir des informations sans rapport avec ces fonctions constituent une faute caractérisant une cause réelle et sérieuse de licenciement, sans qu'une disproportion entre la faute et la sanction puisse être retenue.

Le jugement qui a retenu l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement et a débouté le salarié de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de complément d'indemnité de licenciement, celui-ci ayant été rempli de ses droits au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement versée par la société en prenant, conformément aux dispositions conventionnelles applicables, comme salaire de référence le salaire de base annuel brut des douze derniers mois civils précédent la notification du licenciement, sera confirmé.

Sur la procédure de licenciement

La société conclut à la régularité de la procédure de licenciement, au débouté de la demande d'indemnité pour irrégularité de la procédure et à l'infirmation du jugement sur ce point.

Le salarié conclut à la confirmation du jugement sur ce point en faisant valoir que le délai légal entre la présentation de la lettre recommandée et l'entretien préalable n'a pas été respecté.

L'article L. 1232-2 du code civil dispose que :

'L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable.

La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation.

L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation'.

En l'espèce, il n'est pas contesté que tant la lettre de convocation à l'entretien préalable du 15 juin 2018, que celle portant convocation à l'entretien préalable du 29 juin 2018 n'ont pas été présentées au salarié au moins cinq jours ouvrables avant la date prévue de l'entretien, les 'difficultés d'acheminement' invoquées par la société ne justifiant pas le non-respect du délai légal de cinq jours.

Il convient de condamner la société à payer au salarié une somme de 2 000 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure, à défaut de justification d'un plus ample préjudice.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur le temps de travail

Sur l'opposabilité de la convention de forfait en jours

Le salarié fait valoir que le forfait annuel en jours lui est inopposable au motif que l'employeur n'a jamais contrôlé sa charge de travail et n'a pas organisé d'entretien annuel sur ce sujet.

La société fait valoir que chaque année était organisé un entretien au cours duquel était abordée la question du temps de travail et que le salarié n'a jamais émis de réserve sur ce sujet, ni plainte sur une surcharge de travail.

Aux termes de l'article L. 3121-65 du code du travail : 'A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes : (...)

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération'.

En l'espèce, la société ne justifie par aucune pièce avoir organisé, sur la période en litige, l'entretien annuel relatif à la charge de travail prévu par les dispositions mentionnées ci-dessus.

En conséquence, le salarié est fondé à soutenir que la convention de forfait annuel en jours incluse dans son contrat de travail est privée d'effet et que son temps de travail doit être décompté selon la durée légale pour la période en litige.

Sur les heures supplémentaires

En application notamment de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir qu'il a été obligé de réaliser des heures supplémentaires pour faire face à la charge de travail imposée, dont il demande le paiement.

Il produit de nombreux courriels professionnels pour démontrer son amplitude de travail accompagnés d'un décompte répertoriant les heures supplémentaires effectuées entre le 10 juillet 2015 et le 10 juillet 2018 en mentionnant les heures des premiers courriels horodatés et des derniers courriels horodatés chaque jour sur la période considérée.

Les éléments produits par le salarié sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que celui-ci prétend avoir accomplies afin de permettre à la société, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Critiquant la valeur probante des pièces produites par le salarié, la société conclut au débouté de la demande en faisant valoir qu'il n'a jamais été demandé au salarié d'effectuer des heures supplémentaires et que celui-ci a perçu une rémunération supérieure à celle qu'il aurait dû percevoir s'il avait été soumis à la durée légale du travail.

Ce faisant, la société ne justifie en aucune manière des heures de travail effectuées par le salarié sur la période considérée.

Au vu des éléments produits par les parties, la cour retient que le salarié a effectué des heures supplémentaires rendues nécessaires par les tâches qui lui ont été confiées en sa qualité de cadre et condamne la société à payer au salarié les sommes de 15 364,86 euros à titre d'heures supplémentaires et de 1 536,48 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur le non-respect des repos quotidiens

Le salarié forme une demande de dommages et intérêts en raison du non-respect des repos quotidiens sans cependant fournir aucun élément à la cour sur les dates auxquelles il n'aurait pu bénéficier de ses repos quotidiens.

Il ne ressort d'aucun élément produit aux débats que les repos quotidiens du salarié n'ont pas été respectés.

Le salarié sera débouté de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'exécution déloyale du forfait jours

Le salarié forme une demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en invoquant le fait qu'il n'a pas bénéficié de mesures de suivi de sa charge de travail.

Il ne justifie, ni même allègue aucun préjudice causé par l'exécution déloyale du contrat de travail.

Il sera débouté de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le travail dissimulé

Aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail : 'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales'.

En l'espèce, le salarié ne démontre en rien son allégation selon laquelle la mention sur ses bulletins de salaire d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli est intentionnelle.

Le salarié sera débouté de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande reconventionnelle de la société

La société demande la condamnation du salarié à lui rembourser la somme de 20 193,52 euros au titre de 73 jours de repos dont il a bénéficié dans le cadre du forfait annuel en jours privé d'effet.

Le salarié ne conclut pas sur cette demande.

Lorsque la convention de forfait à laquelle le salarié a été soumis est privée d'effet, pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait individuelle en jours, le paiement des jours de réduction de temps de travail accordés en exécution de la convention de forfait devient indû et l'employeur peut en réclamer le remboursement.

Il ressort des bulletins de paie produits aux débats que sur la période comprise entre le 10 juillet 2015 et le 10 juillet 2018, pendant laquelle la convention de forfait individuelle en jours du salarié est privée d'effet, 55 jours de réduction du temps de travail ont été accordés au salarié en exécution de la convention de forfait en jours.

Au regard de la valorisation d'une journée de repos du salarié sur la période considérée, sur la base des calculs de la société, celle-ci est par conséquent fondée à en réclamer le remboursement par le salarié à hauteur de 15 453,98 euros. Le salarié sera condamné au remboursement de cette somme à la société. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les intérêts au taux légal et leur capitalisation

Il y a lieu de rappeler que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Eu égard à la solution du litige, la société sera condamnée aux dépens d'appel, maître [H] [D] étant autorisé à les recouvrer directement, et la société devra payer au salarié la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement en ce qu'il statue sur l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, en ce qu'il déboute [N] [S] de ses demandes d'heures supplémentaires et congés payés afférents, en ce qu'il déboute la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (Cacib) de sa demande de remboursement au titre des jours de repos et en ce qu'il statue sur les intérêts et leur capitalisation,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

CONDAMNE la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (Cacib) à payer à [N] [S] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

DIT que la convention individuelle de forfait en jours est privée d'effet,

CONDAMNE la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (Cacib) à payer à [N] [S] les sommes suivantes :

* 15 364,86 euros à titre de rappel de salaire pour non-paiement d'heures supplémentaires,

* 1 536,48 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,

CONDAMNE [N] [S] à rembourser à la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (Cacib) la somme de 15 453,98 euros,

RAPPELLE que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (Cacib) de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt,

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (Cacib) aux dépens d'appel, maître [H] [D] étant autorisé à les recouvrer directement,

CONDAMNE la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (Cacib) à payer à [N] [S] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties des autres demandes,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03539
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;21.03539 ?
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