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24/05/2023 | FRANCE | N°21/03162

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 24 mai 2023, 21/03162


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 24 MAI 2023



N° RG 21/03162

N° Portalis DBV3-V-B7F-UZXU



AFFAIRE :



[E] [S]





C/

S.A.S. LUXOTTICA FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Section : C

N° RG : 19/00176





Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELEURL CNE



Me Carole PENARD







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 24 MAI 2023

N° RG 21/03162

N° Portalis DBV3-V-B7F-UZXU

AFFAIRE :

[E] [S]

C/

S.A.S. LUXOTTICA FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Section : C

N° RG : 19/00176

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELEURL CNE

Me Carole PENARD

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [E] [S]

née le 30 Décembre 1983 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Christophe NEVOUET de la SELEURL CNE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0106

APPELANTE

****************

S.A.S. LUXOTTICA FRANCE

N° SIRET : 334 705 332

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentant : Me Carole PENARD, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de NICE, vestiaire : 497

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Avril 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [E] [S] a été engagée le 4 octobre 2016 par la société Luxottica suivant un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'attachée commerciale, niveau 4, échelon 1, avec le statut d'employée.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale de commerces de gros.

Par lettre du 23 janvier 2019, Mme [S] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 5 février 2019.

Par lettre du 22 février 2019, l'employeur a licencié la salariée pour faute, caractérisée par des anomalies dans la gestion de ses frais professionnels.

Contestant son licenciement, le 14 juin 2019, Mme [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Germain En Laye afin d'obtenir la condamnation de la société Luxottica au paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse et de diverses indemnités et sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement en date du 16 septembre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a :

- dit qu'il n'y a pas lieu de réouvrir les débats,

- dit et jugé que le licenciement de Mme [S] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Luxottica à payer à Mme [S] les sommes suivantes :

* 15 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 3 000 euros à titre d'indemnité d'occupation professionnelle de son domicile personnel,

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [S] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Luxottica de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Luxottica à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées à Mme [S], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé par le conseil, dans la limite de trois mois d'indemnités conformément à l'article L. 1235-4 du code du travail,

- rappelé que par application de l'article R. 1454-28 du code du travail l'exécution provisoire est de droit pour la remise de documents et pour les indemnités énoncées à l'article R. 1454-14 dans la limite de 9 mois de salaire et fixé pour ce faire la moyenne des 3 derniers mois de salaire à la somme de 4 877,66 euros bruts,

- condamné la société Luxottica à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 21 juin 2019 date de réception par le défendeur de la convocation à l'audience du bureau de conciliation, du prononcé pour le surplus,

- ordonné la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,

- condamné la société Luxottica aux éventuels dépens comprenant les frais d'exécution du présent jugement.

Le 25 octobre 2021, Mme [S] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 20 mars 2023, Mme [S] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'elle ne démontrait pas les faits de harcèlement moral et sexuel, qu'elle était mal fondée en sa demande de nullité du licenciement et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts de 31 600 euros au titre du harcèlement moral et sexuel, a limité l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 15 000 euros, l'a déboutée de ses demandes suivantes :

* 408,41 euros nets à titre de complément d'indemnité légale de licenciement,

* 3 375 euros bruts à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis,

* 337,50 euros bruts en paiement des congés payés afférents,

* 319,70 euros nets au titre du remboursement des notes de frais de janvier à février 2019,

* 129 419,23 euros bruts à titre de rappel des heures supplémentaires,

* 12 941,92 euros bruts en paiement des congés payés afférents,

* 41 399,69 euros nets à titre de dommages-intérêts pour privation du bénéfice des contreparties obligatoires en repos,

* 19 250 euros bruts de rappels de salaire au titre de la rémunération variable,

* 1 925 euros bruts en paiement des congés payés afférents,

* 3 000 euros nets à titre d'indemnité d'occupation professionnelle du domicile personnel,

* 5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

- a fixé son salaire moyen à la somme de 4 877,66 euros.

Statuant à nouveau :

- fixer son salaire moyen à la somme de 5 269,90 euros au titre des 3 derniers mois d'activité,

- juger à titre principal que son licenciement est nul, à titre subsidiaire, dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Luxottica à lui régler les sommes suivantes:

* 31 600 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

* 408,41 euros nets à titre de complément d'indemnité légale de licenciement,

* 3 375 euros bruts à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis,

* 337,50 euros bruts en paiement des congés payés afférents,

* 319,70 euros nets au titre du remboursement des notes de frais de janvier à février 2019,

* 31 600 euros nets à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

* 129 419,23 euros bruts à titre de rappel des heures supplémentaires,

* 12 941,92 euros brut en paiement des congés payés afférents,

* 41 399,69 euros nets à titre de dommages-intérêts pour privation du bénéfice des contreparties obligatoires en repos,

* 31 600 euros nets à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

* 19 250 euros bruts de rappels de salaire au titre de la rémunération variable,

* 1 925 euros bruts en paiement des congés payés afférents,

* 15 000 euros nets de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

* 7 500 euros nets à titre d'indemnité d'occupation professionnelle de son domicile personnel,

* 3 500 euros nets à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger la demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité recevable,

- débouter la société Luxottica de l'ensemble de ses demandes formées notamment à l'appui de son appel incident,

- dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal avec capitalisation des intérêts dans le cadre des dispositions des articles 1231-6 et suivants et 1343-2 du code civil,

- condamner la société aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais éventuels d'exécution provisoire.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 18 mars 2023, la société Luxottica demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [S] sans cause réelle et sérieuse, l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :

* 15 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 3 000 euros à titre d'indemnité d'occupation professionnelle de son domicile personnel,

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 code de procédure civile,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les harcèlements moral et sexuel invoqués par Mme [S] ne sont pas avérés et que la procédure de licenciement mise en 'uvre ainsi que la rupture qui s'en est suivie ne sauraient être jugés nulles, débouté Mme [S] des demandes de nullité du licenciement pour cause de harcèlements moral et sexuel, de dommages et intérêts pour harcèlement moral en plus de ceux sollicités au titre du licenciement, de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et contreparties en repos, d'indemnité relative au travail dissimulé, de complément d'indemnité de licenciement et de préavis, de rappel de salaire au titre des primes sur objectifs, de remboursement des notes de frais professionnels, de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- en tout état de cause, déclarer que Mme [S] n'est pas fondée à arguer d'un quelconque harcèlement moral et harcèlement sexuel, déclarer que le licenciement prononcé à l'encontre de Mme [S] ne saurait être jugé nul, ni sans cause réelle et sérieuse, étant bien au contraire parfaitement fondé et justifié, déclarer que la demande nouvelle de Mme [S] relative à une prétendue violation de l'obligation de sécurité au travail, formée en cause d'appel, est irrecevable et à titre subsidiaire non fondée dans son principe et dans son quantum, déclarer que, d'une manière générale, Mme [S] n'est pas fondée ni sur le principe, ni sur le quantum dans ses prétentions financières au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail,

- en conséquence, débouter Mme [S] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [S] au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 21 mars 2023.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de la demande au titre de l'obligation de sécurité

L'employeur indique que cette demande a été exprimée pour la première fois en voie de conclusions d'appel.

La salariée souligne que la demande s'articule sur les mêmes faits que ceux retenus pour le harcèlement moral, tend aux mêmes fins que la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral formulée en première instance.

Aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l'espèce, la demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est liée à l'exécution du contrat de travail de même que la demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral formulée en première instance.

La fin de non recevoir soulevée par l'employeur doit, par conséquent, être rejetée, cette demande n'étant pas nouvelle, puisque tendant aux mêmes fins que celle soumise au premier juge.

Sur le harcèlement moral et le harcèlement sexuel

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1, L. 1153-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la salariée invoque les faits suivants:

des brimades et un dénigrement de son supérieur hiérarchique M. [Z], une attitude déplacée et offensante,

la dénonciation du harcèlement à l'encontre de M. [Z],

un contexte de harcèlement moral au sein de l'entreprise,

des risques psychosociaux auxquels les salariés sont confrontés résultant du rapport d'expertise Aptéis.

S'agissant du fait 1), la salariée indique que son supérieur hiérarchique s'adressait à elle en l'appelant 'ma poule' ou 'ma biche' et a tenu à plusieurs reprises des propos dévalorisants ou dégradants devant l'équipe, en particulier, lui demandant de le remercier publiquement pour sa participation à un voyage au Maroc en juillet 2018, ou la traitant de 'petite salope' et la mettant en cause pour une relation extra-conjugale avec un autre salarié de la société lors d'une soirée organisée par la société fin août 2018.

Elle verse aux débats, deux attestations d'un collègue et d'une amie :

- M. [H], VRP, du 4 octobre 2020 indiquant que : 'j'ai été témoin des propos et du comportement déplacés du supérieur hiérarchique de [E] [S], M. [Z], qui n'a eu de cesse de la harceler en la dénigrant sans aucun motif et devant toute son équipe. A titre d'exemple, et lors d'un retour de voyage d'affaires à [Localité 8], M. [Z] a agressé verbalement et violemment [E] [S] à l'aéroport qui s'est effondrée devant moi. Dès lors qu'elle ne pouvait plus supporter une telle situation qui dégradait son état de santé, [E] [S] a été contrainte de dénoncer ces agissements auprès de la direction qui n'a eu d'autre choix que de procéder au remplacement de M. [Z] par M. [X]',

- Mme [K], amie responsable développement, du 25 février 2020 indiquant que : 'mon amie [E] [S] m'avait confié à plusieurs reprises que son manager [C] [Z] était dénigrant et lui manquait de respect. Effectivement j'ai pu m'en rendre compte lors d'une soirée Luxottica à laquelle j'assistais. [C] [Z] lui manquait ouvertement de respect et tenait des propos déplacés'.

Cependant, les deux attestations produites sont imprécises quant aux propos dénigrants ou déplacés qui auraient été tenus par le supérieur hiérarchique de la salariée, à défaut d'exemple ou de date quant aux propos allégués, à l'exception d'un seul fait précis relatif à des propos déplacés tenus lors d'un voyage au Maroc organisé par la société, visant à obtenir des remerciements en public de la salariée pour ce voyage. Ce fait doit donc être considéré comme matériellement avéré.

Elle produit également un échange de SMS en date du 25 septembre 2018 dans lequel elle sollicite un entretien en face à face avec son supérieur hiérarchique et souligne que son supérieur hiérarchique a fini par être licencié fin 2018 et a été remplacé par M. [X]. Cependant, cet échange ne permet pas d'établir de lien entre des propos déplacés ou dénigrants qui auraient été tenus par le supérieur hiérarchique et la demande d'entretien formulée par la salariée. En outre, la lettre de licenciement de M. [Z] fait état d'un motif de licenciement pour désaccord avec la stratégie de la société sans lien avec des agissements de harcèlement.

Il s'en déduit que le supérieur hiérarchique de la salariée a eu des propos déplacés à l'égard de la salariée lors d'un voyage au Maroc organisé par la société.

S'agissant du fait 2), la salariée ne saurait se prévaloir de ses propres agissements qui ne peuvent soutenir matériellement les agissements qu'elle considère avoir subis. Ce fait doit donc être écarté.

S'agissant des faits 3) et 4), la salariée invoque un contexte général au sein de l'entreprise ainsi que les résultats d'une expertise pour risque grave menée par le comité social et économique, cependant ces éléments de contexte ne peuvent constituer des éléments de fait à l'origine d'un harcèlement subi par la salariée. Ils ne peuvent donc être retenus.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la salariée ne présente pas de faits qui pris dans leur ensemble permettent de présumer un harcèlement sexuel.

Elle ne présente qu'un fait isolé relatif à des propos déplacés de son supérieur hiérarchique lors d'un voyage au Maroc organisé par la société, ce seul fait ne permettant pas de présumer un harcèlement moral à son encontre de la part de son supérieur hiérarchique.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.

Sur la validité du licenciement et ses conséquences

La salariée sollicite des dommages et intérêts pour licenciement nul au motif que celui-ci constitue une mesure en rétorsion de sa dénonciation du harcèlement moral et sexuel subi. La salariée indique avoir dénoncé des faits de harcèlement moral dès octobre 2018 auprès du directeur commercial, M. [T], et de la directrice des ressources humaines, Mme [I] et que son supérieur hiérarchique a été évincé de ses fonctions à la suite de cette dénonciation.

L'employeur conclut au débouté de la demande. Il fait valoir que la salariée n'a dénoncé des faits de harcèlement moral qu'après son licenciement et que son supérieur hiérarchique a été licencié pour un autre motif.

En l'espèce, il ne ressort pas de la lettre de licenciement qu'il soit reproché à la salariée d'avoir dénoncé des agissements de harcèlement à l'encontre de son supérieur hiérarchique.

En outre, il ressort du dossier que la salariée a effectivement dénoncé des faits de harcèlement moral à compter de sa lettre du 11 mars 2019, postérieure au licenciement, la salariée ne rapportant pas la preuve qu'elle a dénoncé des faits de harcèlement moral à compter d'octobre 2018 comme elle l'allègue, son supérieur hiérarchique ayant fait l'objet d'un licenciement pour un autre motif.

Il s'en déduit que le licenciement n'est pas une décision prise en rétorsion à la dénonciation par la salariée de faits de harcèlement subis.

Elle doit donc être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est libellée comme suit :

« [...]En ce qui concerne les motifs de cette mesure, il s'agit de ceux qui vous ont été exposés lors de l'entretien et qui sont rappelés ci-dessous :

Nous vous reprochons de graves anomalies dans la gestion de vos frais professionnels concernant, en particulier, vos frais déjeuner.

Dans le cadre d'un contrôle inopiné, votre nouveau responsable, Monsieur [D] [X], début janvier, a été interpellé par vos justificatifs de vos notes de frais du mois de décembre 2018 que vous avez rentrés dans le système de gestion de frais MTE (les photos servant de justificatif de paiement). En regardant plus attentivement, il s'est aperçu que deux noms de restaurants revenaient quasiment exclusivement, ce qui l'a amené à procéder à un contrôle plus détaillé.

Il s'avère notamment et sans être exhaustif que :

Monsieur [X] a découvert que sur les huit notes de frais concernant vos déjeuners, six d'entre elles ne concernaient que deux restaurants : le « SAS Déon » sis [Adresse 4]) et le « Saint Claude » sis [Adresse 2] (92).

En outre, il est apparu que les photos des notes de frais communiquées comportaient des modifications laissant manifestement à penser que certaines avaient été utilisées, à plusieurs reprises, pour justifier des repas à des dates différentes ou qu'elles ne correspondaient pas aux dates où les repas étaient supposés avoir été pris par vous.

Ainsi :

- En regardant de plus près les photos que vous nous avez communiquées à titre de justificatif, il s'est également aperçu que sur les trois notes de frais au nom de l'enseigne «SAS Déon », deux d'entre elles étaient strictement identiques (exceptées la date : une datée au 10 décembre et une autre au 19 décembre). D'ailleurs, sur ces deux photos, on peut facilement voir que la date initiale a été gommée.

Notre conviction a été confirmée lors de la transmission, par envoi du 7 février dernier, par vos soins, des justificatifs. Alors que vous auriez dû nous transmettre deux notes en original, vous n'avez bien entendu pas pu transmettre la note de frais du 10 décembre car vous avez utilisé cette même note en la modifiant afin de servir de justificatif pour votre repas du 19 décembre.

De ce fait, sur le document original utilisé pour le repas du 19 décembre, que vous nous avez communiqué, nous pouvons facilement voir que la date du 10 décembre initialement inscrite sur ce justificatif a été effacée et remplacée par celle du 19 toujours écrite au crayon papier.

Votre explication du 12 février dernier quant à la prétendue présence d'un justificatif en original daté du 10 décembre dans votre envoi du 7 février n'est pas crédible au regard de la modification manifestement opérée sur le document daté du 19.

Nous n'avons pas été davantage convaincus par vos explications du 21 février. Ainsi, après relance de notre part, vous nous avez finalement fourni un nouveau justificatif pour le repas du 10 décembre sous la forme d'un duplicata de facture nous expliquant que vous ne l'aviez pas produit avant dans la mesure où cette facturette concernant la prise de deux repas, vous aviez préféré demander au restaurateur une note manuscrite excluant l'invitation que vous aviez faite.

Outre le fait qu'il s'agisse d'une nouvelle explication par rapport à celle que vous nous aviez déjà donnée, fait étonnant, nous constatons que le montant (correspondant à deux repas, à savoir 2 cocas pour 8 euros et deux plats pour 14 euros chacun) ne peut en aucun cas correspondre à la demande de remboursement que vous nous avez faite et à la photo de la note manuscrite que vous nous aviez initialement communiquée. En effet, même si vous aviez divisé la note en deux, comme vous l'indiquez, au regard de cette nouvelle pièce, vous n'auriez pas pu fournir, en janvier dernier, une facture et une demande de remboursement pour un montant de 18,40 euros.

De fait, et si l'on s'en tient au duplicata que vous avez fourni le 21 février, le montant du remboursement ne pourrait être que de 18 euros.

Dès lors, il y a forcément à minima un des deux justificatifs fournis qui est faux.

- Quant à la troisième note de l'enseigne « SAS Déon » du 26 décembre, nous pouvons constater également que la date est écrite avec un stylo différent par rapport au corps de la note, ce qui laisse supposer que le repas n'a pas été pris à la date qui est mentionnée.

- Concernant les factures « Le Saint Claude », après étude attentive des photos, il s'avère que l'on voit nettement que la date du 17/12 a été modifiée (l'écriture de la date est différente du corps de la facture). Il en est de même pour la facture du 3/12 concernant ce même restaurant.

Les justificatifs originaux que vous avez fournis montrent bien d'une part que ces notes ont été écrites au crayon papier,ce qui est pour le moins surprenant, voire stupéfiant, pour un document sensé constituer un justificatif pour l'employeur mais également pour l'Urssaf en cas de contrôle, et que de surcroît on voit très visiblement que seules les dates ont été changées (des traces de dates antérieures demeurent visibles).

Face à ces découvertes, votre responsable n'a donc pas validé les notes en question.

Intrigué par ces anomalies, il a donc demandé à accéder à vos notes de frais des trois derniers mois précédant cette surprenante constatation et quelle ne fut pas sa surprise de constater d'autres incohérences toutes aussi avérées.

En effet, et comme nous avons pu l'évoquer lors de l'entretien, il s'avère notamment que :

- Sur le mois de septembre 2018 :

Vous avez déclaré dix notes de frais pour des déjeuners, dont sept concernaient déjà le restaurant « Saint Claude ».

Il s'avère en regardant en détail la photo, fournie par vos soins à titre de justificatif, que les sept notes en question sont strictement identiques, y compris la même mention d'une TVA fausse. Une nouvelle fois, seule la date a été modifiée, le même document ayant servi manifestement à plusieurs reprises. Dans ces conditions, à défaut de démonstration inverse de votre part que vous auriez pu nous apporter, ces sept notes (des 3/09, 07/09, 10/09, 13/09, 17/09, 24/09 et 28/09) sont à l'évidence de fausses notes de frais.

- Sur le mois d'octobre 2018 :

Vous avez déclaré onze notes de frais pour des déjeuners, dont cinq concernaient encore le restaurant le « Saint Claude ».

Il s'avère en regardant en détail la photo des justificatifs que quatre des cinq notes en question sont, une nouvelle fois, strictement identiques (notes des 1 er /10, 8/10, 12/10, 15/10, d'ailleurs même la TVA est fausse), seule la date a été modifiée. Il s'ensuit qu'il y a encore à l'évidence de fausses notes de frais, un même et unique document a servi à justifier cinq supposés repas pris par vous. Aucun élément contraire ne nous a été apporté par vous.

Toujours sur le mois d'octobre, nous constatons également une irrégularité sur la note de frais relative au repas que vous avez déclaré avoir pris le 31 octobre.

En effet, le justificatif à l'entête de « Le Saint (SAS Déon) » qui doit lui correspondre, ne comporte pas de date. A la place où elle devait figurer, vous avez volontairement masqué à l'aide d'un correcteur la date sur laquelle vous avez rajouté le commentaire « facture [E]». Par ailleurs, nous constatons que ce prétendu justificatif que vous nous avez fourni pour un repas supposé pris dans ce même restaurant le 7 novembre 2018.

Ces six notes sur le mois d'octobre sont donc sous toute vraisemblance de fausses notes de frais. D'ailleurs, pour six d'entre elles, il s'agit du même « modèle » que celui utilisé au mois de septembre. Là également, aucun élément contraire ne nous a été apporté de votre part.

- Sur le mois de novembre 2018

Vous avez déclaré dix notes de frais pour des déjeuners, dont six concernaient encore « SAS Déon ».

Il s'avère en regardant en détail la photo du justificatif fournie par vos soins, que quatre des six notes en question (manuscrites avec tampon) sont strictement identiques dans leur forme et dans leur contenu sauf la date. De fait, seule la date a été modifiée, ainsi que son positionnement (date en bas pour les factures du 5 et 30 novembre, et en haut pour les factures des 16, 21 et 26 novembre). A l'évidence, ces six notes sont de fausses notes de frais. Indépendamment du fait que ce modèle de note a également été utilisé au mois de décembre, il est très facile de voir qu'une date a été gommée en haut sur les six notes en question.

Outre ces éléments concordant concernant le contenu des notes de frais citées, nous sommes surpris que vous ayez choisi de déjeuner en semaine « hors de votre zone d'activité » (pour rappel votre zone s'étend sur les départements 14-27-50-60-61-76-93) et loin de votre domicile situé à [Localité 5].

En effet, le restaurant « SAS Déon » est situé [Adresse 4], dans le onzième arrondissement, soit à une heure de trajet de chez vous et encore plus loin de votre zone de travail.

Quant au restaurant le « Saint Claude », il se situe par contre [Adresse 11] à [Localité 7], soit à 30 minutes de chez vous et donc loin de votre zone de travail.

Les explications que vous avez fournies lors de l'entretien sur ce point ne nous ont pas convaincus et d'autant plus qu'à certaines dates correspondant aux notes de frais suspectes que vous nous avez remis vous étiez censée être en déplacement sur votre zone d'affectation. Ainsi par exemple le 19 décembre, vous déclarez une seule note de frais chez « Déon » ([Localité 10] centre), alors que cette journée-là vous étiez en déplacement dans le département 76.

Il semble que votre système perdure depuis un certain temps : il s'avère que vous n'hésitez pas à réutiliser les mêmes notes de frais plusieurs fois. Ainsi sur les trois derniers mois, vous avez demandé huit remboursements de note de frais identiques pour le « Saint Claude » et cinq pour « SAS Déon ».

Le préjudice s'élève sur les mois de septembre à décembre 2018 à 441,60 euros. Mais surtout, nous relevons que plus de 56 % de vos notes de frais pour les déjeuners dont vous avez demandé le remboursement sur la période citée sont à l'évidence fausses.

Nous vous reprochons un manquement à votre obligation de loyauté. En effet, vous avez fait preuve d'une particulière déloyauté à l'égard de la Société en communiquant des notes de frais ne correspondant à des frais professionnels destinés à vous restaurer sur le terrain.

De fait, il est démontré que les frais litigieux correspondent à des dépenses strictement personnelles, dont vous avez imposé ou tenté d'imposer la prise en charge à votre employeur.

Ainsi, outre le préjudice subi par cette dernière au titre des frais indûment réglés, votre comportement en soi totalement inacceptable, porte gravement atteinte au bon fonctionnement de l'entreprise, en ce qu'il a généré des pertes de temps considérables tant de la part de votre supérieur hiérarchique que du service comptabilité et RH pour vérifier la cohérence des justificatifs que vous nous avez remis.

Or, le paiement des frais professionnels repose nécessairement sur la confiance, la société Luxottica ne pouvant matériellement vérifier, pièces par pièces, frais par frais, la régularité de ceux-ci avec l'activité sur le terrain de ses 230 commerciaux.

Si Monsieur [X] n'avait pas été interpelé par les dernières photos que vous avez communiquées pour justifier vos frais du mois de décembre, nous n'aurions pas pu relever les incohérences par rapport à votre activité et les déjeuners dont vous avez sollicité la prise en charge.

Votre comportement à l'égard de la Société nous démontre l'impossibilité de pouvoir compter sur une collaboration loyale de votre part.

Lors de l'entretien préalable précité, les explications que vous avez données ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation.

Cette situation n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'entreprise et ne nous laisse donc pas d'autre alternative que de vous notifier par la présente votre licenciement. »

La salariée soutient que la majorité des faits sont prescrits. Elle conteste le caractère réel et sérieux du licenciement, les griefs étant dénués de toute réalité.

L'employeur fait valoir que les faits ne sont pas prescrits puisqu'il n'a eu connaissance des irrégularités dans toute leur ampleur qu'à la suite d'un contrôle inopiné. Il indique que les manquements professionnels sont graves, précis, objectifs et matériellement vérifiables, que la cause réelle et sérieuse de licenciement est établie.

Sur la prescription

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

En l'espèce, l'employeur a mené un contrôle inopiné sur les notes de frais de la salariée en janvier 2019 après remplacement de M. [Z] par M. [X]. Il n'a ainsi eu connaissance des faits dans toute leur ampleur qu'à compter de cette date, soit dans les deux mois de la convocation à entretien préalable à éventuel licenciement. Le moyen tiré de la prescription soulevé par la salariée doit donc être écarté.

Sur le fond

Sur le bien fondé du licenciement, si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

En l'espèce, la procédure interne de la société prévoyait un système déclaratif des notes de frais de la part du salarié, qui adressait les photographies des justificatifs dans le logiciel de la société et conservait les originaux.

Il ressort du procès-verbal d'huissier du 25 février 2019 versé aux débats que les constatations suivantes ont été faites sur les originaux des justificatifs de frais adressés par la salariée dans le cadre du contrôle de ses notes de frais :

- plusieurs factures pour les restaurants au nom commercial Le Saint Claude à [Localité 7] et Deon à [Localité 10] comportent une date inscrite au crayon à papier effaçable,

- sur une facture du restaurant Le Saint à [Localité 10], la date a été recouverte par du blanc correcteur et une mention manuscrite 'facture [E]',

- le justificatif original de la note de frais du 10 décembre 2018 n'a pas été communiqué par la salariée.

En outre, plusieurs de ces restaurants sont situés à proximité du domicile de la salariée, et le contrôle opéré a révélé des incohérences au regard de la zone d'activité, à titre d'exemple, le 19 décembre 2018, la salariée était en déplacement en Normandie et déclare une note de frais chez Déon à [Localité 10] au vu du procès-verbal d'huissier précité.

Il s'en déduit que plusieurs des notes de frais déclarées par la salariée correspondent à des faux, notamment en ce qu'un même original de note de frais a été utilisé à plusieurs reprises avec modification de la date par la salariée.

Par conséquent, le licenciement de la salariée est fondé sur une cause réelle et sérieuse constituée d'un manquement à son devoir de loyauté dans la déclaration de ses frais professionnels, au vu de plusieurs irrégularités matériellement vérifiées dans la déclaration de ses déjeuners au restaurant.

La salariée doit donc être déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement attaqué sera infirmé sur ce point.

Sur le remboursement des notes de frais

La salariée ayant déclaré des frais professionnels qu'elle n'avait pas engagés, doit être déboutée de sa demande en remboursement de notes de frais relatives à janvier et février 2019.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur les heures supplémentaires

La salariée indique que son forfait en heures est privé d'effet compte-tenu de la violation des stipulations contractuelles et des dispositions légales relatives au contrôle du temps de travail des salariés.

L'employeur fait valoir que la salariée bénéficiait d'un forfait en heures sur l'année compte-tenu de la nature itinérante de ses fonctions et de l'autonomie dont elle disposait dans l'organisation de son travail, qui était parfaitement valable.

Aux termes de l'article D. 3171-8 du code du travail, lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes :

1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ;

2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié.

Aux termes de l'article D. 3171-9 du code du travail, les dispositions de l'article D. 3171-8 ne sont pas applicables :

1° Aux salariés concernés par les conventions ou accords collectifs de travail prévoyant des conventions de forfait en heures lorsque ces conventions ou accords fixent les modalités de contrôle de la durée du travail ;

2° Aux salariés concernés par les conventions ou accords collectifs de branche étendus prévoyant une quantification préalablement déterminée du temps de travail reposant sur des critères objectifs et fixant les modalités de contrôle de la durée du travail.

En l'espèce, le contrat de travail de la salariée comprend une convention de forfait de 1 730 heures travaillées par an. Cette clause de forfait annuel en heures est autorisée par les dispositions de l'article 44 de la convention collective applicable.

Cependant, la convention collective ne prévoit pas de modalités spécifiques de contrôle de la durée du travail. Par conséquent, l'employeur doit contrôler la durée du travail de façon quotidienne et hebdomadaire conformément aux dispositions de l'article D. 3171-8 du code du travail.

Or, l'employeur ne justifie pas de l'existence de décompte quotidien ou hebdomadaire du temps de travail de la salariée. Par conséquent, l'employeur ne respectant pas les obligations légales destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en heures, la convention individuelle de forfait en heures est privée d'effet.

La salariée est donc fondée à solliciter le paiement des heures supplémentaires effectuées selon le droit commun sur la base de 151,67 heures par mois.

En application notamment de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

La salariée sollicite une somme de 129 419,23 euros au titre d'heures supplémentaires qu'elle aurait effectuées du 3 octobre 2016 au 22 février 2019, outre un montant de 12 941,92 euros au titre des congés payés afférents.

Elle produit un décompte journalier sur la période considérée faisant apparaître son heure de prise de poste tôt le matin généralement entre 7h et 9h, son heure de fin de poste généralement entre 17h et 21h, déduisant très ponctuellement une pause méridienne de 45 minutes à 2 heures, un nombre d'heures supplémentaires effectuées par jour, par semaine, par année. Elle calcule un montant annuel dû au titre des heures supplémentaires comme suit :

2016 : 6 268,08 euros

2017 : 41 004,93 euros

2018 : 74 516,34 euros

2019 : 7 629,88 euros.

La salariée verse également aux débats une attestation de son frère [J] [S] témoignant d'une charge de travail très importante de cette dernière. Elle indique qu'elle avait un secteur géographique étendu sur l'Île de France et la Normandie, impliquant des déplacements importants et produit le rapport du cabinet Aptéis concluant à des trajets routiers importants et des déplacements très conséquents. Elle ajoute qu'elle consacrait de nombreuses heures par semaine à l'accomplissement de tâches administratives. Elle précise qu'elle représentait la marque Ray-Ban solaire, dont les objectifs étaient 3 à 4 fois supérieurs à ceux des autres marques selon les secteurs. Elle pointe également une surcharge de travail des salariés de la société, laquelle est une problématique récurrente lors des réunions du comité social et économique.

Il s'en déduit que la salariée présente des éléments suffisamment précis quant aux heures supplémentaires non rémunérées qu'elle considère avoir accomplies de sorte que l'employeur est en mesure d'y répondre.

L'employeur produit une extraction du logiciel de saisie des visites et commandes pour l'année 2018 renseigné par la salariée faisant ressortir 771 rendez-vous sur l'année dont 710 en 'physique', évalue à 1h environ la durée moyenne d'un rendez-vous avec démarche de vente, et évalue le temps de travail à 1 520 heures de visite pour l'année 2018 sur le forfait heures en tenant compte des temps de trajet moyen et du travail administratif. Il indique que la salariée n'a jamais fait état d'heures supplémentaires avant son licenciement, que la demande est tardive et non fondée. Il critique le décompte produit par la salariée ainsi que l'attestation émanant de son frère et donc partiale, le procès-verbal du conseil social économique postérieur au licenciement, l'enquête menée par le comité social et économique, le rapport du cabinet Aptéis réalisé dans le cadre d'une expertise. Il conteste le temps évalué par la salariée concernant les temps de trajet très longs, l'heure de début de ses rendez-vous ou des réunions fixées, l'accomplissement de tâches administratives, notamment la rédaction de rapports de visites ou l'envoi de courriels, la mise en place d'actions commerciales ou l'implantation de nouveaux espaces de vente.

Après pesée des éléments produits par l'une et l'autre des parties, la cour a la conviction que la salariée a accompli des heures supplémentaires conformément aux missions qui lui étaient confiées sur la période considérée qu'elle évalue à la somme de 32 300 euros, outre 3 230 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur la contrepartie obligatoire au repos

Il n'est pas démontré que la salariée a accompli des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel de 220 heures. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour privation du bénéfice des contreparties obligatoires en repos.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le travail dissimulé

Aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'élément intentionnel du travail dissimulé n'étant pas établi, la salariée sera déboutée de sa demande d'indemnité à ce titre.

Le jugement attaqué sera confirmé sur ce point.

Sur l'occupation professionnelle du domicile personnel

La salariée indique qu'elle utilisait une partie de son domicile à des fins professionnelles sans être indemnisée, afin de rédiger des rapports de visite, effectuer ses inventaires, classer les nouveautés à répartir dans les marmottes et répondre aux courriels, stocker des produits de démonstrations, des brochures publicitaires, des dépliants, des collections.

L'employeur fait valoir qu'un commercial itinérant travaille nécessairement en dehors de tout établissement, que le travail administratif est effectué à domicile, le salarié étant équipé d'un Ipad, du travail administratif se faisant sur le terrain. Il précise que les commerciaux sont autorisés à laisser les valises contenant les montures dans leur véhicule et n'ont plus à les stocker à leur domicile.

Si un travailleur se trouve contraint de travailler, même partiellement à son domicile, l'employeur doit l'indemniser de cette sujétion particulière, ainsi que des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile.

C'est au salarié de prouver la réalité des frais exposés.

En l'espèce, si les fonctions de la salariée étaient par nature itinérantes et qu'une grande partie du travail était effectuée chez les clients, il n'en demeure pas moins qu'elle était contrainte de travailler partiellement à domicile pour terminer notamment son travail administratif de rapports de visite ou de reporting.

Ainsi, l'employeur produit un accord relatif à la négociation annuelle obligatoire au titre de l'année 2023, dans lequel il propose de mettre en place une indemnité d'occupation du domicile, précisant que les valises ne sont pas rentrées à domicile chaque soir.

Il sera alloué à la salariée une indemnité d'occupation de 900 euros pour la période salariée au titre de la sujétion particulière et des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur la rémunération variable

La salariée sollicite une somme de 19 250 euros au titre de la rémunération variable entre le quatrième trimestre 2016 et le premier trimestre 2019, outre 1 925 euros au titre des congés payés afférents.

Elle indique que les objectifs fixés unilatéralement par l'employeur ne sont pas réalisables, qu'ils varient dans des proportions importantes d'un trimestre à l'autre sans motif et que la totalité des primes sur objectifs doit lui être versée.

L'employeur conclut au rejet de la demande. Il fait valoir que les objectifs ont été communiqués à la salariée conformément à son contrat de travail et son avenant de 2018 et qu'ils étaient réalisables, que la salariée a ainsi été rémunérée en fonction des résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés.

Lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.

En l'espèce, le contrat de travail de la salariée prévoyait une rémunération fixe et une rémunération variable, cette dernière étant liée à l'atteinte d'objectifs quantitatifs et qualitatifs fixés trimestriellement par l'employeur, soit une prime pouvant atteindre un montant de 26 000 euros.

Par avenant du 1er octobre 2018, la rémunération variable a été composée d'une prime trimestrielle sur objectif quantitatif représentant 60 % du montant de la rémunération variable, d'une prime trimestrielle sur objectifs qualitatifs représentant 30 % du montant de la rémunération variable, d'une prime trimestrielle sur objectifs collectifs représentant 10 % du montant de la rémunération variable pouvant atteindre un montant global annuel de 22 500 euros.

Les objectifs ont bien été portés à la connaissance de la salariée en début de période par courrier et/ou par courriel.

Les objectifs fixés n'étaient pas irréalistes puisque à plusieurs reprises, les objectifs fixés ont été atteints à 100 % et même dépassés par la salariée.

Il s'en déduit que la demande de rappel de primes sur objectifs n'est pas fondée en ce que les objectifs fixés par l'employeur ont effectivement été portés à la connaissance de la salariée en début de période et qu'ils étaient réalisables. La salariée sera déboutée de sa demande de rappel de primes sur objectifs.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur les demandes de complément d'indemnités

La salariée qui a été dispensée de l'exécution de son préavis de deux mois sollicite un complément d'indemnité compensatrice de préavis au titre des primes trimestrielles sur objectifs quantitatifs et qualitatifs dont elle aurait été privée en mars et avril 2019.

L'employeur conclut au rejet de la demande.

En l'espèce, les primes litigieuses ne donnent pas lieu à attribution au prorata temporis au temps de présence. En outre, la demande d'attribution de prime n'est pas justifiée en l'absence d'atteinte des objectifs trimestriels.

Par conséquent, la salariée doit être déboutée de sa demande de complément d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.

La salariée sollicite un complément d'indemnité légale de licenciement, faisant valoir qu'elle était employée précédemment à son embauche par la société Techselle, et mise à disposition de son futur employeur.

L'employeur conclut au débouté de la demande.

Aux termes de l'article L. 1251-38 du code du travail, lorsque l'entreprise utilisatrice embauche, après une mission, un salarié mis à sa disposition par une entreprise de travail temporaire, la durée des missions accomplies au sein de cette entreprise au cours des trois mois précédant le recrutement est prise en compte pour le calcul de l'ancienneté du salarié.

Cette durée est déduite de la période d'essai éventuellement prévue dans le nouveau contrat de travail.

En l'espèce, la salarié n'était pas employée par une entreprise de travail temporaire préalablement à son embauche, mais par un prestataire. Il n'y a donc pas lieu de prendre en compte la période avant le recrutement pour le calcul de l'ancienneté, les dispositions citées n'étant pas applicables.

La demande de rappel d'indemnité légale doit donc être rejetée, l'ancienneté retenue par l'employeur étant fondée.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ces points.

Sur l'obligation de sécurité

La salariée indique que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant aucune mesure propre à prévenir et à faire cesser sa situation de souffrance au travail, pour lutter tant contre le harcèlement moral que contre la lourde charge de travail subie.

L'employeur conclut au débouté de la demande.

En l'espèce, la salariée n'a pas subi de faits de harcèlement moral.

En outre, la salariée ne caractérise pas de préjudice spécifique résultant des heures supplémentaires accomplies, leur absence de rémunération donnant lieu à condamnation à ce titre.

La salariée doit, par conséquent, être déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée pour les intérêts échus pour une année entière.

Sur les autres demandes

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société Luxottica succombant à la présente instance, en supportera les dépens d'appel. Elle sera également condamnée à payer à Mme [S] une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de Mme [E] [S] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Luxottica à payer à Mme [E] [S] les sommes suivantes:

15 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3 000 euros à titre d'indemnité d'occupation du domicile,

- débouté Mme [E] [S] de sa demande au titre d'heures supplémentaires et congés payés afférents,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Rejette la fin de non-recevoir formée par la société Luxottica au titre de la demande pour violation de l'obligation de sécurité,

Dit que le licenciement de Mme [E] [S] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute Mme [E] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute Mme [E] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,

Condamne la société Luxottica à payer à Mme [E] [S] les sommes suivantes :

32 300 euros au titre des heures supplémentaires,

3 230 euros au titre des congés payés afférents,

900 euros à titre d'indemnité d'occupation du domicile,

Dit que les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,

Condamne la société Luxottica aux dépens d'appel,

Condamne la société Luxottica à payer à Mme [E] [S] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03162
Date de la décision : 24/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-24;21.03162 ?
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