La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/05/2023 | FRANCE | N°22/00030

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 17 mai 2023, 22/00030


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 MAI 2023



N° RG 22/00030

N° Portalis DBV3-V-B7G-U5US



AFFAIRE :



[W] [T]





C/

ASSOCIATION INTERPROFESSIONNELLE DES CENTRES MEDICAUX ET SOCIAUX DE SANTE AU TRAVAIL (ACMS)









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NAN

TERRE

N° Section : E

N° RG : F 18/03254



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Simon OVADIA



la SELAS BARTHELEMY AVOCATS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 MAI 2023

N° RG 22/00030

N° Portalis DBV3-V-B7G-U5US

AFFAIRE :

[W] [T]

C/

ASSOCIATION INTERPROFESSIONNELLE DES CENTRES MEDICAUX ET SOCIAUX DE SANTE AU TRAVAIL (ACMS)

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F 18/03254

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Simon OVADIA

la SELAS BARTHELEMY AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [W] [T]

né le 09 Décembre 1973 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Simon OVADIA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1007

APPELANT

****************

ASSOCIATION INTERPROFESSIONNELLE DES CENTRES MEDICAUX ET SOCIAUX DE SANTE AU TRAVAIL (ACMS)

N° SIRET : 775 728 223

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Jérôme ARTZ de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0097, substitué par Maître Gautier KERTUDO, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 31 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,

EXPOSE DU LITIGE

M. [W] [T] a été engagé par l'Association interprofessionnelle des Centres Médicaux et Sociaux de santé au travail (ci-après dénommée ACMS) suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2001, avec reprise d'ancienneté au 1er octobre 1999, en qualité d'analyste junior, groupe 3, niveau 4, coefficient 245.

En dernier lieu, M. [T] exerçait depuis le 28 mars 2014 les fonctions de chef de projet informatique et administrateur de base de données.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des personnels des services interentreprises de médecine du travail.

A compter du 18 septembre 2017, le salarié a fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie renouvelés.

Par lettre du 5 juin 2018, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 26 juin 2018.

Par lettre du 13 juillet 2018, l'employeur a licencié le salarié pour cause réelle et sérieuse.

Le 12 décembre 2018, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin d'obtenir la condamnation de l'ACMS au paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, pour violation de l'obligation de prévention et pour harcèlement moral.

Par jugement en date du 23 novembre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a dit que le licenciement de M. [T] était justifié, qu'il n'a pas subi de harcèlement moral, et par conséquent n'a fait droit à aucune de ses demandes, n'a pas fait droit à la demande de l'ACMS et a mis les entiers dépens à la charge de M. [T].

Le 3 janvier 2022, M. [T] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 2 mars 2023, M. [T] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

- dire son licenciement nul pour harcèlement moral, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse,

- en tout état de cause, condamner l'ACMS à lui payer les sommes suivantes :

* 115 000 euros à titre d'indemnité pour perte d'emploi,

* 10 000 euros à titre d'indemnité pour violation de l'obligation de prévention,

* 20 000 euros à titre d'indemnité pour souffrances subies du fait du harcèlement moral,

* 5 554 euros au titre des congés-payés pour la période 2017-2018,

le tout avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,

- condamner l'ACMS à lui payer les sommes suivantes:

* 10 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile de première instance,

* 4 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile d'appel,

- condamner l'ACMS aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 20 mars 2023, l'ACMS demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [T] est justifié, que celui-ci n'a subi aucun harcèlement moral, qu'il n'a fait droit à aucune de ses demandes et en ce qu'il l'a condamné aux entiers dépens,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 code de procédure civile,

- par conséquent, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, et le condamner au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 21 mars 2023.

MOTIVATION

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le salarié invoque les faits suivants à l'encontre de son supérieur hiérarchique M. [I] ainsi que de la responsable des ressources humaines Mme [F] :

une mise à l'écart,

l'absence de réponse de M. [I] sur ses demandes d'obtention du statut de cadre intermédiaire,

un manque d'équité,

le reproche injustifié de manque de bienveillance,

une convocation implicite inappropriée à un entretien par M. [I],

une attitude inappropriée de M. [I] lors de l'entretien du 10 juillet 2017,

la dégradation de l'attitude de sa hiérarchie depuis cet entretien,

la confirmation de l'attitude inappropriée de la hiérarchie dans des documents émanant de l'ACMS,

la poursuite de sa mise à l'écart pendant son arrêt maladie,

la suppression de sa messagerie professionnelle sans avertissement,

la dénonciation de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral,

la réponse inappropriée de l'ACMS évoquant un licenciement et comprenant plusieurs reproches infondés,

la reconnaissance par l'ACMS de l'existence d'une situation dégradée,

le retard pris par l'ACSM à entreprendre une enquête interne et à alerter le CHSCT,

la persistance de la directrice des ressources humaines dans une attitude inappropriée,

la mise en place d'une enquête interne tardive, partiale et dépourvue d'objectivité dont le rapport ne lui a pas été communiqué,

le licenciement constituant en réalité une mesure de rétorsion,

des arrêts de travail.

S'agissant du fait 1), le salarié invoque un projet 'Iron Mountain' dont il a été chargé initialement puis déchargé, cette chronologie n'étant pas contestée par l'employeur, ainsi que des déjeuners fréquents entre son responsable hiérarchique et d'autres chefs de projet dont il était exclu et produit des notes d'entretien de Mme [J] du 13 novembre 2017, membre du CHSCT, suite à une enquête et restitution du 19 juillet 2017 mentionnant des 'repas récurrents en petit comité', lesquels 'doivent répondre à une logique managériale afin d'éviter de générer des sentiments d'iniquité'. Ce fait est donc avéré.

S'agissant du fait 2), le salarié produit plusieurs courriels du 5 mars 2014, du 25 septembre 2014, du 14 janvier 2016 faisant part de son intérêt pour accéder au statut de cadre intermédiaire suite à une proposition de son supérieur hiérarchique ainsi que la réponse de M. [H], responsable des études informatiques, indiquant que : 'Ah oui ça date....!', prenant acte de ce processus sans lui apporter de réponse, la responsable des ressources humaines ayant finalement répondu de façon négative le 17 mars 2016. Il en ressort que les responsables hiérarchiques n'ont pas répondu à la demande du salarié d'accéder à un statut de cadre intermédiaire et que ce dernier n'a obtenu une réponse à sa demande qu'au bout de deux ans par l'intermédiaire du service des ressources humaines, ce fait est matériellement avéré.

S'agissant du fait 3), le salarié dénonce l'absence d'intérêt de son supérieur hiérarchique pour les projets gérés par lui-même et son équipe et verse aux débats les compte-rendus d'entretien d'une analyste de son équipe Mme [P] revendiquant plus d'équité de la part de la direction en 2015, 2016 et 2017, outre un courriel à M. [H] le remerciant de son intérêt et implication, qu'il n'avait pas connus depuis plusieurs années. Toutefois, ce fait demeure vague et imprécis, il ne peut être retenu.

S'agissant du fait 4), le salarié fait état d'une évaluation de la rubrique 'faire preuve de bienveillance' de ses entretiens individuels passée de 'maîtrisé' pour l'entretien tenu en 2015 à 'C' pour l'entretien tenu en 2017 avec M. [H] assortie du commentaire suivant 'plus qu'une compétence, il s'agit d'une qualité humaine, tournée vers autrui et visant le bien, qui n'a rien d'incompatible avec celle consistant à être un bon professionnel. C'est une chose légitime que M. [T] l'exige de sa hiérarchie, cela en est une autre d'en faire preuve soi-même à l'égard de l'ensemble des collaborateurs et non uniquement de son équipe'. Il indique qu'il s'est confié lors de l'entretien du 14 juin 2017 à M. [H] sur ses difficultés avec son supérieur hiérarchique, notamment sur son manque d'équité, de soutien et de communication et qu'unilatéralement, sans échange au préalable sur ce point, sa notation a été modifiée par M. [H] de 'B' lors de l'entretien à 'C' avec ajout de commentaires. Il produit également un courriel du 7 juillet 2017 de demande d'explication sur ce changement de notation demeuré sans réponse. Ce fait est donc matériellement avéré.

S'agissant du fait 5), le salarié invoque une convocation le 8 juillet 2017 durant le week-end à un entretien le 10 juillet 2017, par notification informatique d'une réunion inscrite par M. [I] dans son agenda sans mention du sujet de la réunion. Cette convocation avec un caractère inhabituel en dehors des heures de travail est avérée.

S'agissant du fait 6), le salarié met en cause les propos tenus par son supérieur hiérarchique le mettant en garde à l'encontre d'une autre salariée au regard de son comportement manipulateur, mais il ne verse pas d'éléments objectifs à l'appui de ses propres déclarations. Ce fait ne peut donc être retenu.

S'agissant du fait 7), l'employeur reconnaît que les relations ne sont plus les mêmes entre le salarié et sa hiérarchie depuis l'entretien du 10 juillet 2017, ce fait est donc matériellement avéré.

S'agissant du fait 8), le salarié verse aux débats notamment un compte-rendu du CHSCT du 26 septembre 2017 dans lequel est mentionnée une alerte relative au département des systèmes informations, et la restitution d'une enquête interne, la présidente concluant à une réorganisation du service prévue au 1er janvier de l'année prenant en compte les problèmes identifiés. Cependant, le fait relatif à une attitude inappropriée de la hiérarchie n'est pas décrit de manière claire et objective, il est trop général et imprécis et ne saurait être retenu.

S'agissant du fait 9), le salarié qui se trouvait en arrêt maladie ne peut invoquer valablement d'être tenu à l'écart pendant cette période où son contrat de travail était suspendu, ce fait doit être rejeté.

S'agissant du fait 10), le salarié déplore que sa messagerie professionnelle a été fermée et qu'il n'en a pas été prévenu, cependant, il produit un courriel d'erreur du 30 octobre 2018 à ce sujet alors qu'il a été licencié le 13 juillet 2018 et qu'il ne fait donc plus partie de l'entreprise. Ce fait doit donc être écarté.

S'agissant du fait 11), le salarié ne peut se prévaloir de sa propre dénonciation des faits, celle-ci ne constituant pas un agissement à son encontre, ce fait ne peut être retenu.

S'agissant du fait 12), le salarié déplore les termes de la lettre du 14 décembre 2017 de la directrice des ressources humaines qui répond à sa demande de changement de poste, en lui précisant qu'au vu de sa formation et de son parcours professionnel, il a vocation à travailler au sein de la direction des systèmes informatiques, qu'un échange préalable est nécessaire et qui resitue dans leur contexte les différends dont s'est plaint le salarié. Il n'en ressort pas qu'il soit reproché au salarié son absence en arrêt maladie ou qu'il soit fait pression sur lui pour un retour rapide, les formules contestées étant du registre de la maladresse et le rappel que le salarié a vocation à travailler dans la direction des systèmes d'information au vu de sa formation et de son parcours étant cohérent. Ce fait ne peut donc être retenu.

S'agissant du fait 13), il ressort du communiqué d'information envoyé à l'ensemble des salariés le 5 mai 2017, que la direction de l'ACMS indique que les changements importants dans la profession ont entraîné des difficultés, se référant à un diagnostic sur la prévention des risques psychosociaux, que la direction a pris la mesure de la complexité de la situation et des efforts à fournir. Ce contexte de risques psychosociaux est donc connu de l'employeur.

S'agissant du fait 14), il est démontré ci-après que l'employeur a réagi de façon diligente suite aux alertes du salarié, il n'y a pas lieu à retenir de retard à son encontre dans la mise en oeuvre d'une enquête interne ou l'alerte du CHSCT.

S'agissant du fait 15), il ne ressort pas des différents échanges que la directrice des ressources humaines ait eu une attitude inappropriée ou ait persisté dans une attitude inappropriée à l'égard du salarié, alors que lui est rappelé son rôle au sein de la direction des systèmes d'information, la directrice des ressources humaines demandant essentiellement à être informée de la date de reprise du travail du salarié à des fins d'organisation de son service. Ce fait doit donc être écarté.

S'agissant de la mise en oeuvre de l'enquête interne 16), il ressort de celle-ci qu'elle est pilotée par la directrice des ressources humaines elle-même mise en cause par le salarié. Elle ne peut qu'être dénuée d'impartialité et d'objectivité. Ce fait est donc matériellement avéré.

S'agissant de la mise en oeuvre du licenciement 17), il s'agit d'une prérogative de l'employeur dans le cadre de son pouvoir de sanction qui ne peut constituer l'un des éléments du harcèlement moral, il y a donc lieu de l'écarter.

Le salarié produit, à l'appui de l'affirmation selon laquelle sa santé s'est dégradée, des arrêts de travail par son médecin généraliste faisant état d'un syndrome anxio-dépressif puis par un médecin psychiatre.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le salarié présente des éléments de faits 1) 2) 4) 5) 7) 13) 16) qui, pris dans leur ensemble y compris la dégradation de son état de santé, laissent supposer l'existence d'un harcèlement de la part du supérieur hiérarchique du salarié et de la directrice des ressources humaines.

L'employeur expose que le projet 'Iron Mountain' devait être repris par M. [I], sans expliciter pour quel motif le salarié ne pouvait le mener à son terme, et sans rapporter la preuve que celui-ci a été prévenu de ce changement dans la direction du projet, cette décision n'étant pas justifiée par des éléments objectifs.

L'employeur indique que le salarié n'a jamais accepté de ne pas avoir été promu cadre au forfait alors qu'il ne remplissait pas les conditions pour y prétendre et produit l'attestation du 18 mai 2020 de M. [I] qui confirme avoir évoqué un éventuel passage cadre intermédiaire, mais précise que le salarié ne répondait pas à ces critères, qu'il lui a été répondu oralement. Cependant, l'employeur ne rapporte pas la preuve d'une réponse orale apportée au salarié par sa hiérarchie alors même que le salarié a envoyé plusieurs courriels à ce sujet, ni la date de cette réponse et le fait qu'elle serait intervenue en temps utile avant le délai de deux ans de la réponse du service des ressources humaines. La réponse tardive apportée au salarié par le service des ressources humaines n'est donc pas justifiée par des éléments objectifs.

L'employeur fait valoir que la directrice des ressources humaines a été concernée par l'enquête interne du simple fait de ses fonctions, représentant l'employeur dans le cadre de la gestion du personnel. Cependant, la directrice des ressources humaines ayant été mise en cause de manière claire et explicite par le conseil du salarié dans sa lettre du 9 février 2018, il lui appartenait de ne pas s'impliquer dans la mise en oeuvre des suites données à cette dénonciation de faits de harcèlement moral, par souci de neutralité et d'objectivité. Cette gestion de l'enquête interne par la directrice des ressources humaines n'est donc pas justifiée par des éléments objectifs.

Il se déduit que l'employeur ne justifie pas que la mise à l'écart du salarié sur le projet 'Iron Mountain', la réponse tardive à la demande du salarié de passage au statut de cadre intermédiaire et l'implication de la directrice des ressources humaines dans l'enquête interne diligentée après dénonciation de faits de harcèlement moral par le salarié sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au vu de ces éléments, le salarié a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral, sans qu'il soit nécessaire d'étudier la réponse apportée par l'employeur sur les autres faits retenus.

Il sera alloué à M. [T] une somme de 8 000 euros au titre de son préjudice caractérisé par une souffrance morale résultant des agissements de harcèlement moral subis, somme que l'ACMS sera condamnée à lui payer en réparation.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur l'obligation de prévention

Le salarié sollicite la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour violation de l'obligation de prévention. Il indique que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires afin de prévenir les agissements de harcèlement dès lors qu'il n'a pas réagi immédiatement aux dénonciations de harcèlement moral. Il relève qu'il a subi les agissements de harcèlement moral sur son lieu de travail en conséquence.

L'ACMS soutient que le salarié n'a jamais fait part d'une situation de harcèlement avant son intervention et qu'au contraire, dès lors que le salarié a évoqué des tensions, elle a cherché des solutions adaptées. Elle ajoute qu'après que le salarié a dénoncé des faits de harcèlement qui ont été contredits, elle a choisi de proposer un nouveau poste au salarié qui n'a pas répondu à cette proposition.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l'espèce, le salarié a dénoncé ses conditions de travail par courriel du 23 novembre 2017 faisant part de l'attitude dégradée, dédaigneuse et indifférente de son supérieur hiérarchique M. [I] et se plaignant du responsable des études informatiques M. [H] et a sollicité une nouvelle affectation en dehors de la direction des systèmes d'information.

L'employeur justifie par lettre recommandée du 14 décembre 2017 avoir réagi rapidement en proposant le 28 novembre 2017 un entretien au salarié, décliné par ce dernier qui se trouvait en arrêt maladie, puis en lui indiquant qu'au vu d'un parcours uniquement dans le domaine informatique, il était peu envisageable de lui proposer une affectation en dehors sans échange préalable et en l'invitant à prendre contact avec le médecin du travail. Le médecin du travail et l'assistante sociale et conseillère du travail de l'ACMS ont également adressé un courrier au salarié de mise à disposition le 26 janvier 2018 pour étudier sa situation, courrier auquel le salarié n'a pas répondu.

Le conseil du salarié a ensuite écrit à l'employeur le 9 février 2018 pour dénoncer des faits de harcèlement moral à l'encontre des supérieurs hiérarchiques du salarié ainsi qu'à l'encontre de la directrice des ressources humaines.

Si l'employeur se prévaut d'avoir pris en compte les alertes du salarié et de l'engagement notamment d'une enquête interne, celle-ci est diligentée par la directrice des ressources humaines, mise en cause par le conseil du salarié. L'employeur a ainsi manqué à son obligation de neutralité et d'objectivité dans le cadre de cette enquête.

Il s'en déduit que l'employeur a manqué à son obligation de prévention.

Le salarié, qui a été, du fait du manquement de l'employeur à son obligation de prévention, exposé à des agissements de harcèlement moral a subi un préjudice moral qu'il convient de réparer par l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 1 000 euros, somme que l'ACMS sera condamnée à payer à M. [T].

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur la validité du licenciement et ses conséquences

Le salarié sollicite des dommages et intérêts pour nullité du licenciement pour harcèlement moral.

L'employeur conclut au débouté de la demande.

Aux termes de l'article L. 1153-4 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-3 est nul.

Le licenciement est nul aussitôt que des faits de harcèlement moral ont été reconnus, le juge n'ayant pas à examiner les autres faits énoncés dans la lettre.

En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent que le salarié a subi des agissements de harcèlement moral qu'il a dénoncés.

Au vu des pièces médicales versées aux débats, le salarié a présenté un syndrome anxio-dépressif qui s'est développé concomitamment aux agissements de harcèlement moral subis. Ainsi, le lien est établi entre la dégradation des conditions de travail liée aux faits de harcèlement moral et l'état de santé du salarié.

L'absence prolongée du salarié étant la conséquence du harcèlement moral dont il était l'objet, l'employeur, responsable de cette situation ne pouvait se prévaloir, pour justifier son licenciement, de la perturbation que cette absence avait causé au fonctionnement de l'entreprise.

Par conséquent, le licenciement de M. [T] qui a subi des agissements de harcèlement moral est entaché de nullité.

En application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, le salarié dont le licenciement est entaché de nullité en raison des faits de harcèlement moral subis, a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

M. [T] étant âgé de 44 ans et ayant plus de 18 ans d'ancienneté, il lui sera alloué une somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, somme que l'ACMS sera condamnée à lui payer à ce titre.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur la demande au titre des congés payés

Le salarié sollicite en cause d'appel la somme de 5 554 euros au titre des congés payés pour la période 2017-2018 au titre de 30 jours de congés payés non pris.

L'employeur ne conclut pas sur ce point.

Au vu de l'attestation Pôle emploi versée aux débats, le salarié a perçu en fin de contrat de travail une somme de 13 865,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondant à 47,2 jours de congés acquis non pris.

Au surplus, le bulletin de paie de septembre 2018 fait apparaître un reliquat de congés payés de 20,25 jours et des congés payés acquis de 24,83 jours en ligne avec la somme déjà perçue de 13 865,04 euros.

Il en résulte que le salarié a été rempli de ses droits à congés payés.

M. [T] sera, par conséquent, débouté de sa demande à ce titre.

Sur l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par l'ACMS aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées au salarié du jour du licenciement au jour du présent arrêt et ce, dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application de l'article L.1231-7 du code civil, les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les autres demandes

Le jugement attaqué sera infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles.

L'ACMS succombant à la présente instance, en supportera les dépens de première instance et d'appel. Elle devra régler à M. [T] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Dit que le licenciement de M. [W] [T] est entaché de nullité en raison du harcèlement moral subi,

Condamne l'association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Ile de France à payer à M. [W] [T] les sommes suivantes :

8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de prévention,

60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

ces sommes portant intérêts à compter du présent arrêt,

Déboute M. [W] [T] de sa demande au titre des congés-payés pour la période 2017-2018,

Ordonne le remboursement par l'association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Ile de France à l'organisme Pôle Emploi concerné des indemnités de chômage versées à M. [W] [T] dans la limite de six mois d'indemnités,

Condamne l'association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Ile de France aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne l'association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Ile de France à payer à M. [W] [T] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

RG 22/00030


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 22/00030
Date de la décision : 17/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-17;22.00030 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award