COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 MAI 2023
N° RG 21/01555
N° Portalis DBV3-V-B7F-UQZP
AFFAIRE :
[U] [P] épouse [A]
c/
Société MCCANN HEALTH [Localité 5]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 avril 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : E
N° RG : F 18/02372
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Claire DELAFONT
Me Blandine DAVID
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [U] [P] épouse [A]
née le 18 mai 1983 à [Localité 5] ([Localité 5])
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Claire DELAFONT de la SELARL ARBOR, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1185, substitué à l'audience par Me Marianne QUEVRAIN, avocat au barreau de Paris
APPELANTE
****************
Société MCCANN HEALTH [Localité 5]
N° SIRET : 338 227 614
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM'S AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110 et Me Thierry ROMAND de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701, substitué à l'audience par Me Victor BIRGY, avocat au barreau des Hauts-de-Seine
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 9 mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [P] a été engagée par la société McCann Healthcare, en qualité de concepteur rédacteur, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2017, avec reprise d'ancienneté au 2 mai 2016.
Cette société est spécialisée dans la conception de stratégie de communication et d'opérations pour l'industrie de la santé. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale de la publicité.
Par lettre du 26 janvier 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 6 février 2018.
Elle a été licenciée par lettre du 9 février 2018 pour absences répétées dans les termes suivants:
« [...] Vous avez été régulièrement absente en raison d'arrêts maladie. Au cours des douze derniers mois, vous avez été absente à de nombreuses reprises, totalisant plus de quatre mois d'absences. Vos absences répétées ont causé une désorganisation importante du service. Nous avons dû nous adapter afin de pallier celles-ci. Toutefois l'organisation temporaire que nous avons mise en place ne peut perdurer plus longtemps et nous conduit à devoir vous remplacer de manière définitive.
En effet nous avons été contraints de vous suppléer dans votre fonction et d'avoir recours à des contrats de free-lance. Cela nuit à la dynamique de notre équipe de travail et engendre des coûts de remplacements importants.
Par ailleurs le manque de visibilité lié à la fréquence de vos arrêts a contraint votre service à assumer des situations difficiles. La désorganisation de l'équipe porte préjudice à notre clientèle et altère notre image de marque.
Ainsi compte tenu de la désorganisation engendrée par vos absences répétées et la nécessité de vous remplacer de façon définitive, nous sommes au regret de devoir vous notifier votre licenciement.[...] »
La salariée a été dispensée d'effectuer son préavis de trois mois.
Le 18 septembre 2018, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contestation de son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.
Par jugement du 16 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a:
- dit le licenciement de Mme [P] fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- dit infondé le comportement fautif de la société McCann Healthcare,
- débouté Mme [P] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la société McCann Healthcare de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [P] aux entiers dépens éventuels,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes respectives.
Par déclaration adressée au greffe le 25 mai 2021, Mme [P] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 février 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 31 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [P] demande à la cour de :
- infirmer dans son intégralité le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre du 16 avril 2021 en ce qu'il l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes,
- juger que son licenciement est sans cause réelle ni sérieuse,
- fixer le salaire de référence à la somme de 2 868,05 euros bruts,
- condamner la société McCann Healthcare au paiement des sommes suivantes :
. 10 237,50 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 17 550 euros nets au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral distinct,
- juger que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de l'introduction de la demande avec capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner la société McCann Healthcare au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société McCann Healthcare demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 16 avril 2021 dans l'ensemble de ses dispositions,
en conséquence,
- dire et juger que le licenciement de Mme [P] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- dire et juger qu'elle n'a pas commis de manquement à son obligation de sécurité vis-à-vis de Mme [P],
- débouter Mme [P] de l'intégralité de ses demandes,
à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où par impossible la Cour infirmerait le jugement en ce qu'il a dit le licenciement de Mme [P] fondé sur une cause réelle et sérieuse et considérerait que la demande indemnitaire de Mme [P] est fondée en son principe :
- limiter le montant des dommages-intérêts à trois mois de salaire brut,
- débouter Mme [P] du surplus de sa demande indemnitaire,
en toute hypothèse,
- condamner Mme [P] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur les dommages-intérêts au titre du comportement fautif de l'employeur
La salariée fait valoir qu'elle a été victime d'un comportement totalement déloyal de la part de sa hiérarchie et qu'elle a subi un préjudice moral extrêmement important. Elle affirme justifier d'agissements de l'employeur constitutifs d'un manquement à l'obligation de sécurité et qui ont persisté après son licenciement. Elle soutient que l'employeur n'a pas assuré de manière effective sa sécurité, n'a pas protégé sa santé et qu'elle en a subi un préjudice moral important.
La salariée explique qu'elle s'est énormément investie dans son travail et qu'elle a été écartée progressivement des dossiers qui lui étaient attribués à partir de février 2017, ce qu'elle a mal vécu, a entraîné ses arrêts maladie, l'employeur ayant été alerté de cette situation.
L'employeur conteste tout prétendu manquement à l'obligation de sécurité allégué par la salariée qui serait à l'origine des absences répétées et de la dégradation de ses conditions de travail. L'employeur indique que la salariée se contente d'alléguer des faits sans produire le moindre élément probant et précis pour établir voire présumer leur matérialité.
L'employeur souligne qu'aucun élément ne permet d'affirmer qu'il existerait un lien entre la dégradation de l'état de santé de la salariée et son environnement professionnel.
**
L'article L. 1222-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité qui n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l'employeur pouvant s'exonérer de sa responsabilité s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
L'obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l'employeur lui impose d'adopter les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit en conséquence de prendre, dans l'exercice de son pouvoir de direction et dans l'organisation du travail, des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.(Soc., 5 mars 2008, pourvoi n° 06-45.888, Bull. 2008, V, n°46).
Au cas présent, la salariée a été recrutée dans le cadre d'un contrat à durée déterminée en qualité de concepteur rédacteur puis selon contrat à durée indéterminée en janvier 2017. Elle a ainsi occupé un poste relevant de la catégorie des cadres, que l'employeur présente comme 'stratégique pour l'entreprise', et qui consiste à :
-rechercher et sélectionner des données cliniques, bibliographiques et documentaires pertinentes,
- concevoir et rédiger des contenus scientifiques et/ou médicaux destinés à des supports variés,
-coordonner la rédaction de documents scientifiques,
- participer aux réunions clients,
-suivre la réalisation des projets.
M. [N] [I], concepteur rédacteur médical, atteste que la salariée, en charge de lui apporter son aide ainsi qu'au chef de groupe pour ' trouver des dossiers', effectuait des recherches et des corrections de documents et ' était la seule de notre équipe sans budget propre et quasiment sans contrat direct avec les clients. Son aide était très précieuse pour finaliser nos documents, elle ne pouvait de ce fait, que très rarement en initialiser la conception'.
Mme [T] [Z], également concepteur rédacteur médical, témoigne avoir 'constaté personnellement que [U], suite au départ de ses deux collègues de bureau, s'est retrouvée seule dans celui-ci. Elle a fait part de son mal-être à être isolée dans son bureau et a mentionné se sentir mise au placard. Malgré des places libres dans d'autres bureaux, la direction n'a pas souhaité la changer de place avant trois semaines'.
Par courriel du 12 octobre 2020 adressé à la salariée, Mme [L] indique qu'en ' qualité de déléguée du personnel de McCann Healthcare, j'ai été sollicitée de ta part pour intervenir auprès de tes supérieurs pour que tu puisses changer de bureau.
Tu m'as fait part que tes conditions de travail ont changé depuis que tes deux collègues, [J] et [N] [ note de la cour : le témoin [N] [I]], avec qui tu as partagé le même bureu, ont quitté votre bureau. Parallèlement, tu as eu très peu de travail, voire pas' du tout dans la journée, qui a accentué ton profond sentiment de solitude. Tu as sollicité plusieurs fois tes supérieurs, [F] et [O], pour demander du travail [d']une part , d'autre part pour pouvoir changer de bureau et ainsi te retrouver avec tes collègues, car il y a eu bien des places libres et disponibles dans les autres bureauxs de rédacteurs. Malgré ta demande répétée pour avoir du travail et changer de bureau, tu n'as pas eu de réponse de la part de tes supérieurs, qui a généré un profond sentiment de rejet chez toi(...).'.
Le témoin ajoute qu'après avoir rencontré la supérieure hiérarchique de la salariée, cette dernière a changé de bureau dès le lendemain, la salariée fixant au mois d'octobre 2017 le déroulement de ces faits non datés par le témoin et non utilement contestés.
S'agissant de la fourniture de travail à la salariée, l'employeur produit ses plannings hebdomadaires de février 2017, dont il ressort que la salariée n'a assuré aucune 'compétition' (ie: réponse aux appel d'offres clients), et a eu un important travail de relecture et de correction, très peu de rédaction et une participation très réduite à des 'brief/réunion' .
En mars 2017, du 13 au 31 mars 2017, la salariée n'a assuré qu'une demie-journée de rédaction sur quatorze journées de travail et n'a effectué que des corrections et relectures sans participer à un seul 'brief/réunion'.
L'employeur ne communique pas les autres plannings de la salariée pour vérifier sa charge de travail et son contenu sur toute l'année 2017 au cours de laquelle la salariée a été absente quatre mois.
Il n'est également pas contesté que l'entreprise comptait alors plusieurs autres concepteurs rédacteurs et que plusieurs d'entre eux étaient regroupés dans le même bureau.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, s'il n'est pas permis de conclure à l'absence totale de fourniture de travail, l'employeur n'établit pas avoir demandé à la salariée d'effectuer les missions afférentes à son emploi de concepteur-rédacteur tel que lui-même décrit ce poste dans ses conclusions.
En outre, l'employeur n'apporte aucune explication à ce sujet, ni d'ailleurs aux faits que la salariée n'assistait plus à aucune réunion, n'avait aucun contact avec les clients et n'était plus intégrée dans une équipe de rédacteurs-concepteurs, seule la déléguée du personnel s'enquérant de cette situation.
Ces éléments établissent la dégradation des conditions de travail de la salariée dont il ressort que la salariée a pu, à juste titre, se sentir isolée et sans travail correspondant à son poste à compter de février 2017, l'employeur ayant été alerté de ce sentiment d'isolement par la déléguée du personnel.
S'agissant de la dégradation de l'état de santé de la salariée, l'employeur relève lui-même qu'elle a été arrêtée, sur cette période, les 21/22 avril, du 14 au 2 juin et du 3 au 13 juillet 2017, en septembre 2017 puis a été en arrêt maladie de manière ininterrompue jusqu'au licenciement.
L'employeur communique à ce sujet un courriel de M. [W], supérieur hiérarchique, en réponse à la salariée qui l'informe de la prolongation de son arrêt de travail en janvier 2019, dans lequel il mentionne que ' Je suis désolé que tu ne sois pas encore bien portante et que ton arrêt maladie soit prolongé. J'espère que tout va s'arranger et que tout va aller mieux rapidement pour toi. Merci de nous tenir au courant de l'évolution de ton état de manière à pouvoir nous organiser au mieux et à anticiper d'éventuelles prolongations d'arrêt maladie'.
La dégradation de l'état de santé de la salariée est donc établie et il convient d'examiner s'il existe un lien entre l'état de santé de la salariée et sa mise à l'écart, les premiers juges ayant retenu qu'il n'existait aucun élément probant en ce sens.
Si la salariée n'établit pas qu'elle a alerté personnellement l'employeur à plusieurs reprises de la dégradation de sa santé résultant de sa mise à l'écart et de sa souffrance au travail et qu'il connaissait son état de détresse psychologique, l'employeur a été cependant informé de son sentiment de solitude par la déléguée du personnel, et il a d'ailleurs fait droit à sa demande de changement de bureau.
Les arrêts de travail de la salariée se sont succédés à compter d'avril 2017 sur des périodes de plus en plus longues et l'employeur, alerté par la déléguée du personnel, n'établit pas avoir pris de mesure propre à apprécier si une situation de souffrance au travail était caractérisée et le cas échéant à prévenir une telle situation.
Cette dégradation de l'état de santé de la salariée présente un lien avec la détérioration de ses conditions de travail, qui est contemporaine . Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est ainsi établi.
Enfin, la salariée établit qu'elle n'a pas pu bénéficier de la mutuelle dans les délais de la portabilité, l'employeur n'ayant pas transmis à cet organisme la demande de mise en place de la portabilité lors de la rupture. Ce manquement cause un préjudice à la salariée, qui justifie d'arrêts de travail postérieurs à la rupture du contrat de travail .
En conséquence, le préjudice moral qui résulte des manquements relatifs à la détérioration des conditions de travail et à la portabilité de la mutuelle sera réparé par l'allocation de la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts, le jugement étant infirmé de ce chef.
Sur la rupture
La salariée fait valoir que l'employeur n'établit pas l'existence de perturbations dans le fonctionnement de l'entreprise causées par son absence prolongée ni qu'il a procédé à son remplacement définitif. Elle précise que l'employeur n'invoque pas l'existence d'une désorganisation de l'entreprise mais uniquement de l'équipe. Elle ajoute que son absence est la conséquence d'un manquement de l'employeur qui ne peut se prévaloir de toute perturbation.
L'employeur réplique que l'absence prolongée de la salariée a désorganisé l'entreprise en suscitant une surcharge de travail au sein de l'équipe médicale, ce qui n'a pas été sans conséquence pour la société, notamment en termes d'image et de crédibilité auprès des clients. Il ajoute avoir pallier au mieux l'absence de la salariée en ayant recours à des contrats de free-lance au coût élevé alors que la société ne travaille avec ce type de contrats que sur des périodes limitées dans le temps.
L'employeur explique que la salariée transmettait de nouveaux arrêts à l'expiration de ses précédents arrêts et que ses absences prolongées, répétées et imprévisibles ont eu des répercussions sur l'organisation et le fonctionnement de la société la contraignant à procéder à son remplacement définitif par Mme [S].
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En application des articles L.1132-1 et L.1134-1 du code du travail, si le licenciement d'un salarié prononcé en raison de son état de santé ou de son handicap est discriminatoire, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, les perturbations dans le fonctionnement de l'entreprise engendrées par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié pour maladie peuvent toutefois constituer une cause de licenciement, dès lors qu'elles rendent nécessaire le remplacement définitif de l'intéressé.
Il incombe alors à l'employeur de démontrer l'existence de perturbations dans le fonctionnement de l'entreprise engendrées par les absences répétées ou l'absence prolongée du salarié et la nécessité de pourvoir de manière définitive au remplacement du salarié absent.
La lettre de licenciement doit énoncer expressément la perturbation dans le fonctionnement de l'entreprise et la nécessité de pourvoir au remplacement du salarié absent, dont le caractère définitif doit être vérifié par les juges du fond.(Soc., 13 mai 2015, pourvoi n° 13-21.026).
Le remplacement d'un salarié absent doit intervenir dans un délai raisonnable après le licenciement, délai qui doit être apprécié en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné et des démarches entreprises par l'employeur en vue du recrutement.
Au cas présent, la salariée a été absente à plusieurs reprises au cours de l'année 2017 jusqu'au licenciement :
- au cours du premier semestre 2017- soit 2 jours en avril, 8 jours en mai, 6 jours en juin,
- 9 jours en juillet 2017,
- du 5 au 29 septembre 2017,
- du 31 octobre 2017 jusqu'au 21 février 2018.
L'absence de prévisibilité des arrêts maladie et de la date de reprise de la salariée se déduit de leur caractère successif et de leur durée, la salariée n'établissant pas que l'arrêt de travail en cours au moment de l'engagement de la rupture allait trouver son terme.
L'employeur n'avait d'ailleurs pas connaissance de la date de reprise lors de l'engagement de la procédure de licenciement.
L'employeur se prévaut de perturbations dans la marche du service dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, puis, dans ses conclusions, de perturbations au sein de l'entrepriseen raison de l'absence prolongée de la salariée.
Pour vérifier l'existence d'une perturbation du service des concepteurs- rédacteurs, faut-il encore que l'employeur présente l'organisation existante lorsque la salariée était en poste, ce qui n'est pas le cas.
Pas davantage l'employeur ne justifie que l'absence de la salariée a engendré des perturbations dans le service, aucun salarié ou supérieur hiérarchique ne témoignant en ce sens.
L'employeur ne caractérise également pas la nature des difficultés rencontrées et la réorganisation mise en place pour pallier l'absence de la salariée, aucun courriel ou notes de services n'étant d'ailleurs produits à ce sujet.
Si l'employeur se prévaut des conséquences résultant de l'absence prolongée de la salariée en termes d'image et de crédibilité auprès des clients, il n'en justifie également pas.
En tout état de cause, la lettre de licenciement qui ne vise la désorganisation que d'un seul service de l'entreprise, sans d'ailleurs le nommer, n'énonce pas son caractère essentiel et l'employeur ne le rapporte pas.
Sachant que la salariée a indiqué que des concepteurs rédacteurs avaient quitté l'entreprise, n'avaient pas été remplacés et que l'employeur n'a communiqué aucune information sur l'organigramme de ce service, la circonstance qu'une consultante en free-lance y a travaillé en septembre et novembre 2017, soit pendant l'absence de la salariée, ne prouve pas qu'elle a remplacé cette dernière.
En outre, la lettre de mission de cette consultante n'a pas été produite et le contenu de sa mission n'est donc pas déterminé, étant précisé que la salariée a également été absente en décembre 2017 et que l'employeur n'explique pas de quelle façon elle a alors été remplacée.
La demande du supérieur hiérarchique de la salariée de procéder au recrutement de Mme [S] a été émise le 19 décembre 2017 au motif ' remplacement d'un poste vacant (maladie) suite au départ de Mme [P]' . La procédure de licenciement ayant été initiée le 26 janvier 2018 , la cour s'interroge sur le sens à donner à ce document (dont la salariée ne tire aucune conséquence légale) dès lors que le remplacement d'un salarié absent devant intervenir dans un délai raisonnable après le licenciement, et non par anticipation de ce licenciement.
Si l'employeur produit enfin les contrats à durée indéterminée de deux conceptrices recrutées en juillet et août 2017, comme indiqué précédemment, l'absence de vue d'ensemble, empêche la cour d'appréhender l'organisation du personnel et les conséquences sur le service des arrêts maladie de la salariée.
Dans ces conditions, faute d'avoir une vision précise des emplois de l'entreprise et du service des concepteurs-rédacteurs, notamment par la copie du livre des entrées et sorties, il n'est pas établi que Mme [S] a été recrutée pour pourvoir au remplacement définitif de la salariée.
En définitive, l'employeur ne rapporte pas la preuve de l'existence de perturbations dans le fonctionnement du service, ou a fortiori dans celui de l'entreprise, engendrées par l'absence prolongée de la salariée, ni qu'elle aurait rendu nécessaire de la remplacer de manière définitive.
Ces éléments conduisent donc à retenir le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement, infirmant le jugement.
Sur les conséquences du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
En application des dispositions de l'article L. 1235-3, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié, la salariée ayant acquis une ancienneté d'une année complète au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins onze salariés, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre un et deux mois de salaire brut comme mentionné sur le tableau de l'article L. 1235-3.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée (2 868,05 euros bruts), de son âge ( 34 ans), de son ancienneté (une année complète), de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et de ce qu'elle a retrouvé un emploi de professeur des écoles en janvier 2019 dont le traitement brut s'élève à 1 818,17 euros , il y a lieu de condamner l'employeur à lui payer la somme de 5 736,10 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur les intérêts
Les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu=ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
L'employeur qui succombe, doit supporter la charge des dépens et ne saurait bénéficier d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est inéquitable de laisser à la charge de la salariée les frais par elle exposés en première instance et en cause d'appel non compris dans les dépens, qu'il conviendra de fixer à la somme indiquée dans le dispositif de ses conclusions, soit la somme totale de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu'il déboute la société McCann Healthcare de ses demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
DIT que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE en conséquence la société McCann Healthcare à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
- 5 736,10 euros bruts au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral
DIT que les intérêts au taux légal sur les créances indemnitaires courront à compter du prononcé de la présente décision,
ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société McCann Healthcare à verser à Mme [P] une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société McCann Healthcare aux dépens de première instance et d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente