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17/05/2023 | FRANCE | N°21/01548

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 17 mai 2023, 21/01548


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 MAI 2023



N° RG 21/01548

N° Portalis DBV3-V-B7F-UQYF



AFFAIRE :



[K] [O]



C/



Société LA PLATEFORME









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 avril 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CERGY PONTOISE

Section : E

N° RG : F 19/00217



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Carole VERCHEYRE GRARD



Me Anne VINCENT-IBARRONDO







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 MAI 2023

N° RG 21/01548

N° Portalis DBV3-V-B7F-UQYF

AFFAIRE :

[K] [O]

C/

Société LA PLATEFORME

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 avril 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CERGY PONTOISE

Section : E

N° RG : F 19/00217

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Carole VERCHEYRE GRARD

Me Anne VINCENT-IBARRONDO

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [K] [O]

né le 2 janvier 1977 à [Localité 5]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Carole VERCHEYRE GRARD, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0091

APPELANT

****************

Société LA PLATEFORME

N° SIRET : 403 104 250

[Adresse 6]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Anne VINCENT-IBARRONDO de la SAS VOLTAIRE, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: C1239

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [O] a été engagé en qualité de chef de groupe par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 25 juillet 2005 à effet au 5 septembre 2005 par la société La Plateforme.

Cette société est spécialisée dans la distribution de matériaux aux professionnels du bâtiment. Son effectif était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale du négoce de matériaux de construction.

D'abord affecté au dépôt de [Localité 8], il a, à compter du 19 juin 2014, été affecté à celui de [Localité 7].

Par lettre du 17 janvier 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 25 janvier 2019. Le même jour, une dispense d'activité avec effet immédiat lui a également été notifiée.

Il a été licencié par lettre du 18 février 2019 pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants :

« Monsieur,

Nous faisons suite à notre entretien du 25 janvier 2019 qui s'est tenu avec Monsieur [P] [A], Directeur de dépôt, assisté de Madame [Y] [N], Juriste droit social et pour lequel vous étiez vous-même accompagné de Monsieur [T] [E], Représentant du personnel à la Plateforme du Bâtiment. Durant cet entretien nous avons recueilli vos explications sur les faits suivants :

' Manquement à vos obligations de manager

En tant que manager à la Plateforme du bâtiment vous avez le rôle indispensable d'organiser et de gérer le planning de votre secteur, ainsi que d'assurer la bonne évaluation de vos collaborateurs.

Or, il apparaît que vous ne remplissez pas ce rôle.

En effet, lors de l'organisation des congés d'été 2018, vous avez accepté que vos deux chefs d'équipe partent en congé en même temps que vous sur la même semaine du lundi 13 août au vendredi 17 août 2018, laissant ainsi votre secteur sans membre de l'encadrement ni animateur d'équipe. Vous n'avez donc pas su organiser la planification des congés de votre secteur pour permettre son bon fonctionnement.

Pourtant nous vous rappelons que vous êtes manager depuis plus de 10 ans, et que de ce fait vous ne pouvez ignorer que votre secteur enlèvement ne peut assurer le service dans de bonnes conditions sans un membre de l'encadrement.

Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que le délai de communication des plannings à vos collaborateurs est d'au moins 15 jours à l'avance, or au mois de décembre 2018, vous avez communiqué et fait signer les plannings de vos collaborateurs à partir du 13 novembre 2018 pour une période courant du 12 novembre au 22 décembre 2018. Vous n'avez donc pas respecté vos obligations de manager ce qui a occasionné une désorganisation du secteur et un risque d'absentéisme, les collaborateurs n'ayant pas eu raisonnablement le temps de s'organiser.

Manifestement vous n'arrivez pas à gérer l'organisation de votre secteur.

Et pour exemple, le lundi 17 décembre 2018 vous avez planifié deux collaborateurs à l'ouverture et trois collaborateurs de fermeture, accompagnés de vous-même. Or, vous n'êtes pas sans savoir que nos pics de fréquentation sont concentrés sur le début de la matinée jusqu'à environ 09h, ce que vous ne pouvez ignorer au vu de votre forte ancienneté.

De surcroît, à la date du 31 décembre 2018 il restait 7 RTT à l'un de vos chefs d'équipe et 3 RTT à un autre de vos collaborateurs sur la base des 12 RTT annuels.

Or, nous vous rappelons que les RTT sont perdu[e]s au 31 décembre de chaque année et qu'en tant que manager vous devez faire un point chaque trimestre sur le solde des RTT de vos collaborateurs, ainsi que le prévoit notre accord ARTT de mai 2000.

De plus, vous avez attribué des jours de repos fixe, soit le vendredi pour Monsieur [J] et le lundi pour Monsieur [I], alors que ce n'est pas la pratique dans notre entreprise.

Votre pratique instaure une inégalité de traitement non justifiée dans votre équipe et cause des problèmes de planification car empêchant d'autres collaborateurs travaillant le samedi de poser ces mêmes jours de repos.

Durant votre entretien vous vous êtes contenté d'expliquer que vos collaborateurs ne se plaignaient pas de cette situation.

En réalité votre attitude est passive vis-à-vis de votre équipe.

D'ailleurs, vous avez oublié de déclarer les heures supplémentaires de l'inventaire du 24 novembre 2018 sur les éléments de paie de novembre et que vous n'avez déclarés que sur le mois de décembre suivant. Ce qui a donc engendré un préjudice financier pour vos collaborateurs qui ont ainsi été payé[s] en retard de leurs heures supplémentaires.

Par ailleurs, en tant que manager de la Plateforme du bâtiment vous êtes en charge de gérer la carrière des collaborateurs de votre équipe, notamment concernant leur développement, rôle que vous ne remplissez pas.

En effet, le 26 septembre 2018, nous avons été alerté[s] par Monsieur [S] [L], l'un de vos collaborateurs, sur sa situation suite à sa synthèse annuelle. Ce collaborateur nous a informé[s] que vous lui avez tenu le même discours que les années précédentes. Or, depuis plusieurs années il apparaît que vous ne lui avez proposé ni axe d'amélioration, ni bilan, ni proposition d'accompagnement. Suite à cette alerte, votre Directeur a dû intervenir pour organiser un nouvel entretien entre vous et ce collaborateur le 11 décembre 2018. Pour autant l'entretien a été court et non constructif, alors que votre Directeur vous avait accompagné quelques jours auparavant pour préparer au mieux cette rencontre et ainsi fixer avec vous des objectifs à tenir, ce que vous n'avez pas respecté.

De manière générale, les collaborateurs de votre secteur se plaignent de votre manque d'organisation, de communication et d'accompagnement. De surcroît, le manque de respect des plannings engendre des rivalités entre les collaborateurs ne permettant pas d'avoir un climat serein au sein de l'équipe. D'ailleurs vous vous désintéressez totalement des problèmes dans votre équipe.

Par exemple, Votre Directeur a ainsi dû intervenir le 21 et 27 juin 2018 afin de régler une situation de tension liée à une l'altercation ayant eu lieu entre 2 de vos collaborateurs dans l'Algeco le 20 juin auparavant.

Ainsi votre posture managériale n'a pas évolué durant les 3 dernières années et c'est exactement ce que votre Directeur vous a reproché dans vos 3 dernières synthèses d'évaluation annuelles.

' Manquement à vos obligations administratives

Il se trouve que vous avez une gestion particulièrement laxiste de vos tâches administratives.

En effet, depuis votre dispense d'activité, nous avons retrouvé des documents administratifs originaux concernant vos collaborateurs, non rangés, non transmis au service concerné, voire non communiqués à vos collaborateurs.

Par exemple, nous avons retrouvé dans votre bannette une convocation à une formation de découpe du bois pour un de vos chefs d'équipe prévue le 22 et 23 janvier 2019, or votre collaborateur n'était pas au courant des dates de la formation, alors que nous étions pourtant le 18 janvier 2019, soit 3 jours avant le début de cette dernière.

Nous avons également retrouvé une autorisation de conduite pour Monsieur [C] [D] [H] datée du 3 avril 2018 qui ne lui avait pas été remise.

Aussi, nous avons retrouvé une enveloppe avec les attestations d'assurance et vignette 2018 à apposer sur les engins de manutention dont vous avez l'utilisation dans votre secteur, qui n'avaient pas été posées.

En outre, vous m'avez informé que votre caisson contentant les dossiers personnels de vos collaborateurs n'était pas fermé à clé, car vous ne l'aviez plus.

Vous êtes donc particulièrement nonchalant et laxiste sur ces points, ce que vous avez reconnu durant votre entretien et ce qui n'est pas acceptable pour un manager de la Plateforme du Bâtiment.

' Manquement à vos obligations de sécurité

En tant que manager vous avez pour obligation de veiller à la sécurité de vos collaborateurs et en tant que tel de reporter et de déclarer toute situation dangereuse.

Or, le lundi 26 novembre 2018 vous êtes parti en fin d'après-midi en rappelant à votre Directeur que vous étiez en RTT le mardi 27 et le mercredi 28 novembre. Or, le mardi 27 novembre vers 08h le chef de groupe de permanence a appelé votre Directeur pour l'informer que Monsieur [M] [Z], chef d'équipe à l'enlèvement, se plaignait d'avoir toujours mal à la main suite à une blessure survenue la veille à 16h dans l'atelier.

En effet, ce collaborateur s'était enfoncé un morceau de métal dans la main suite à une blessure ce dont vous étiez au courant et mais que vous n'aviez pas daigné informer quiconque de cet accident.

Vous n'avez donc pas prévenu ni votre Directeur, ni n'avez rempli le registre des accidents bénins. Le collaborateur est donc rentré chez lui en conduisant avec une blessure à la main.

Vous auriez dû prévenir immédiatement votre responsable hiérarchique comme cela est indiqué dans la procédure et rappelé régulièrement par votre directeur lors des COMAG.

Votre manquement aurait pu avoir des conséquences dramatiques si le collaborateur avait eu un accident en rentrant chez lui.

Vous n'êtes pas sans savoir que la sécurité de nos collaborateurs est notre priorité. Durant votre entretien vous vous êtes contenté de répondre que vous ne vous souveniez pas de l'accident.

Vos différents manquements ont été pointés dans vos 3 dernières synthèses de rémunération, votre posture managériale a été jugée comme insuffisante et vous n'êtes pas au rendez-vous de ce que l'on peut attendre d'un manager à la Plateforme du Bâtiment. Vous avez donc été largement mis en mesure de modifier votre comportement, mais vous n'avez rien fait durant ces dernières années pour y remédier.

C'est en raison de l'ensemble de ces éléments constituant une insuffisance professionnelle à votre poste de Chef de Groupe, et compte tenu du fait que vous n'avez pas été en mesure d'apporter des explications nous permettant de modifier notre appréciation des faits, que nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, lequel prendra effet lors de la première présentation du présent courrier par les services postaux.

Cette date marquera le point de départ de votre préavis de 3 mois qui nous vous dispensons d'effectuer et qui vous sera néanmoins rémunéré... »

Par lettre du 1er mars 2019, M. [O] a demandé des précisions sur les motifs justifiant son licenciement.

Par lettre du 10 avril 2019, la société La Plateforme a répondu à cette demande de précisions.

Le 13 juin 2019, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise aux fins de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par jugement du 25 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise (section encadrement), en sa formation de départage, a :

- dit le licenciement de M. [O] par la société La Plateforme fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté M. [O] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [O] au paiement des dépens,

- condamné M. [O] à payer à la société La Plateforme la somme nette de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande formée par M. [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration adressée au greffe le 25 mai 2021, M. [O] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [O] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toute ses dispositions,

et, statuant à nouveau,

- dire et juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement,

et en conséquence,

à titre principal, en application du principe de la réparation intégrale du préjudice et l'inapplicabilité du plafond de l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité,

- condamner la société La Plateforme à lui verser la somme de 52 129,62 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (correspondant à 18 mois de salaire),

- à titre subsidiaire, en application du plafond de l'article L.1235-3 du code du travail, 33 305 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (correspondant à 11,5 mois de salaire),

et, en tout etat de cause

- condamner la société La Plateforme à lui verser la somme de 2 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société La Plateforme aux entiers dépens,

- ordonner que les sommes dues produisent intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- ordonner la capitalisation des intérêts.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société La Plateforme demande à la cour de :

- confirmer les dispositions du jugement rendu le 23 avril 2021 par le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise en ce qu'il a débouté M. [O] de l'ensemble de ses demandes,

et en conséquence,

- débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [O] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel,

- le condamner également aux dépens.

MOTIFS

Le salarié conteste la matérialité des griefs qui lui sont imputés tandis que l'employeur les considère établis.

***

L'insuffisance professionnelle constitue un motif de licenciement dès lors qu'elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

L'incompétence alléguée doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur.

L'insuffisance professionnelle, qui ne suppose aucun comportement fautif du salarié, doit être constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile, ne doit pas être liée au propre comportement de l'employeur ou à son manquement à l'obligation d'adapter ses salariés à l'évolution des emplois dans l'entreprise.

En l'espèce, le salarié a été licencié pour une insuffisance professionnelle en raison :

. d'un manquement à ses obligations de manager,

. d'un manquement à ses obligations administratives,

. d'un manquement à son obligation de sécurité,

Sur le manquement du salarié à ses obligations de manager

En sa qualité de chef de groupe, il n'est pas discuté que le salarié encadrait un groupe de salariés qui comprenait deux chefs d'équipe, ce qui permettait, en cas de départ en congés de l'un, que l'autre soit présent. Il n'est pas non plus discuté que du 13 au 17 août 2018, tous les cadres du groupe étaient absents, ce qui ne correspond pas à un fonctionnement normal du groupe dirigé par M. [O], à qui il revenait de valider les congés de ses subordonnés. Ainsi que l'ont retenu avec pertinence les premiers juges, dont les motifs sont adoptés par la cour, le salarié ne partageait pas avec son propre supérieur hiérarchique la tâche de valider les congés du personnel de son équipe. Le manquement du salarié relatif à l'absence de personnel d'encadrement durant la semaine du 13 au 17 août 2018 est donc établi, comme l'a retenu le conseil de prud'hommes.

Au titre du manquement à ses obligations de manager il lui est aussi reproché une communication tardive des plannings à ses collaborateurs pour la période comprise entre le 12 novembre 2018 et le 22 décembre 2018. Il n'est à cet égard pas discuté que les plannings en question devaient être communiqués au moins quinze jours à l'avance. Le salarié ne conteste pas ce manquement mais présente deux arguments : il expose en premier lieu que les salariés de son équipe signaient le planning tardivement, ce qui explique le retard litigieux et, en second lieu, qu'il s'agit d'un fait isolé en treize ans. Néanmoins, il convient, à ce stade de ne vérifier que la matérialité du grief, sans s'interroger sur le point de savoir s'il constitue ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement. Ainsi que l'a retenu le premier juge par des motifs pertinents que la cour fait siens, la communication tardive du planning litigieux est établie.

Il lui est également reproché d'avoir planifié, le lundi 17 décembre 2018, deux collaborateurs à l'ouverture et trois collaborateurs à la fermeture, alors que les pics de fréquentation sont concentrés sur le début de la matinée jusqu'à environ 9h00. La réalité - contestée par le salarié - d'une fréquentation du magasin plus importante en matinée que le soir est établie par l'employeur par ses pièces 21 (impression d'écran issu du site internet du magasin rendant compte des heures d'affluence) et 26 (fréquentation du magasin telle que présentée par le service du contrôle de gestion pour les 13, 14, 17 et 18 décembre 2018). En revanche, c'est à raison que le salarié objecte qu'il n'est pas démontré en quoi cette planification est un manquement dès lors qu'à la lecture de la pièce 26 de l'employeur, le pic de fréquentation se situait entre 8h00 et 10h00 le 17 décembre 2018, et que sur cette plage horaire, trois salariés de l'équipe de M. [O] étaient bien planifiés (cf. planning en pièce 12-1 de l'employeur).

Au rang des manquements reprochés au salarié au titre de ses obligations de manager, figure le fait qu'il lui est reproché de ne pas avoir soldé les jours de RTT de ses collaborateurs au 31 décembre 2018 en contrariété avec l'accord d'entreprise de mai 2000. Le salarié ne conteste pas que certains de ses collaborateurs devaient encore, au 31 décembre 2018, solder des jours de RTT. Il invoque en revanche un usage qui, selon lui, permettait aux collaborateurs de solder leurs jours de RTT au cours de la première semaine de l'année suivante.

Toutefois, ainsi que l'ont retenu les premiers juges par des motifs pertinents que la cour adopte, non seulement l'accord d'entreprise de mai 2000 prévoit que « dans tous les cas le repos ne peut être indemnisé ou reporté sur l'exercice suivant ; tous les jours acquis au cours de l'année de référence doivent être pris à la fin de cette même année » mais en outre, le salarié ne démontre pas la réalité de l'usage allégué, lequel doit être général, constant et fixe, soit autant de caractéristiques qui ne sont pas établies par l'attestation de M. [R], trop imprécise sur cette question. Le manquement est donc établi.

Comme en a jugé à juste titre le conseil de prud'hommes, le grief retenu par l'employeur du chef des repos fixes (le vendredi pour M. [J] et le lundi pour M. [I]) n'est pas établi dès lors qu'au contraire, le planning correspondant aux semaines du 12 novembre au 22 décembre 2018 montrent qu'il est arrivé à M. [J] de travailler certains vendredis et à M. [I] de travailler certains lundis.

En revanche, est établi, comme l'ont retenu les premiers juges, le fait que le salarié a tardé d'un mois - ce qu'il ne conteste pas (p.20 in fine de ses écritures) - à déclarer toutes les heures supplémentaires réalisées par ses collaborateurs.

De même, c'est avec pertinence que les premiers juges, dont les motifs sont adoptés, ont retenu qu'était établi le manquement du salarié relativement à la notation de son subordonné, M. [L]. En effet, alors que des entretiens trimestriels dits « MEI » devaient avoir lieu avec les collaborateurs du salarié, M. [L] s'est plaint, le 11 décembre 2018, de ne pas avoir eu d'entretien avec son supérieur hiérarchique depuis le mois d'avril 2017.

Sur le manquement du salarié à ses obligations administratives

Ainsi que l'ont relevé à raison les premiers juges dont la cour adopte, sur ce point, les motifs, il n'est pas établi que par suite du départ du salarié consécutif à sa dispense d'activité, le 18 janvier 2019, divers documents administratifs (autorisation de conduire à remettre à M. [D]) restaient à traiter. Il n'est pas non plus établi que le caisson du salarié contenant des dossiers personnels de ses subordonnés n'était pas fermé à clefs.

En ce qui concerne le manquement relatif aux « attestations d'assurance et vignettes », à juste titre le salarié expose que la pièce produite par l'employeur pour établir la matérialité du grief (pièce 20 E) ne permet pas de le démontrer dès lors que cette pièce ne montre pas que le véhicule concerné relevait bien de la responsabilité du salarié.

En ce qui concerne le stage de M. [Z], comme l'a relevé le premier juge, le 4 janvier 2019, le salarié a reçu un courriel l'avisant de ce que M. [Z] devait suivre une formation en découpe de bois, programmée les 22 et 23 janvier 2019. Il ressort de l'échange de SMS entre le directeur de l'établissement et M. [Z] que ce dernier n'avait pas été avisé de la date de cette formation. Si cet échange n'est pas daté, comme le fait observer le salarié, il demeure que l'information donnée à M. [Z] l'a été par le directeur de l'établissement et non par le salarié. Le fait que le directeur de l'établissement, s'adressant à M. [Z], lui indique par SMS « Salut Fred on a retrouvé ça tu es au courant ' » (avec copie de la convocation) accrédite l'idée selon laquelle la convocation n'a été découverte qu'à partir du 18 janvier 2019, c'est-à-dire après le départ du salarié consécutif à sa dispense d'activité, ce qui est tardif. Le grief est donc établi.

Sur le manquement du salarié à ses obligations de sécurité

Ainsi que l'a relevé le premier juge, l'attestation de M. [Z] montre que le 26 novembre 2018 vers 16h15, il s'est blessé à la main et qu'il a averti son chef de groupe - c'est-à-dire le salarié - de cette blessure, laquelle avait été occasionnée sur son lieu de travail et à l'occasion de celui-ci. Or, il ressort de cette même attestation que ce n'est que le 29 novembre 2018 que le salarié, en congés les 27 et 28 novembre, a rédigé une déclaration d' « accident du travail bénin ». Ces faits sont reconnus par le salarié. Certes, ce dernier expose que M. [Z] avait prévenu Mme [G] (chef de groupe de permanence) le 27 novembre de ce que ses douleurs persistaient. Cela est effectivement confirmé par l'attestation de M. [Z] et par la lettre de licenciement elle-même. Le directeur de l'établissement avait lui aussi été avisé le 27 novembre.

Toutefois, l'obligation déclarative pesait sur le salarié dès lors qu'il ressort du règlement intérieur : « Tout accident, même léger, survenu pendant les heures de travail ou sur le lieu du travail, ou au cours du trajet aller et retour du domicile au lieu de travail, doit être signalé immédiatement au directeur ou à son représentant par l'intéressé ou par toute personne en ayant eu connaissance. ». Dès lors qu'il résulte des explications des parties que le salarié avait été avisé par M. [Z] de l'accident - fut-il léger - dès le 26 novembre 2018 au soir, il lui revenait d'en avertir immédiatement le directeur, ce qu'il n'a pas fait. Le grief est donc établi.

En synthèse de ce qui précède, est établie la réalité des manquements suivants :

. le fait d'avoir laissé son service sans encadrement du 13 au 17 août 2018,

. la communication tardive (le 13 novembre 2018) du planning pour la période comprise entre le 12 novembre 2018 et le 22 décembre 2018,

. le fait de ne pas avoir soldé les RTT de ses collaborateurs au 31 décembre 2018,

. le fait que le salarié a tardé d'un mois à déclarer les heures supplémentaires réalisées par ses collaborateurs en novembre 2018,

. le fait d'avoir manqué au suivi de carrière de son subordonné, M. [L],

. le fait de ne pas avoir averti dès qu'il en avait eu connaissance de la date du stage de deux jours de M. [Z],

. le fait de ne pas avoir signalé immédiatement au directeur l'accident léger subi par M. [Z] le 26 novembre 2018.

Il reste à déterminer si ces manquements, pour être réels, sont suffisamment sérieux pour justifier le licenciement du salarié qui, comme il le rappelle, avait treize ans d'ancienneté.

Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, il ressortait déjà de l'évaluation du salarié réalisée en septembre 2013 qu'il pouvait s'améliorer quant à son management, aux process RH et à la sécurité. L'évaluation du salarié réalisée le 28 janvier 2014 pointait des axes d'amélioration en matière de sécurité (« j'attends de toi un management opérationnel de la sécurité en proximité et tous les jours », « développer la vigilance chez les collaborateurs », « anticiper les risques d'accidents »). Celle du 25 juin 2014 définissait ainsi les points à améliorer : « sécurité : [le salarié] doit faire plus de remontées de tf4 et responsabiliser les collaborateurs sur des actions sécurité. Il doit être en management opérationnel en proximité sur le terrain avec ses équipes. RH : [le salarié] doit respecter le processus MEI et monter son niveau d'exigence sur les objectifs qu'il fixe à ses collaborateurs. ». Celle du 28 septembre 2016 jugeait encore insuffisants certains points qui devaient être améliorés tels que la « posture managériale » (« [le salarié] doit monter son niveau d'exigence et être plus en animation et développement de son équipe. ») et le « process RH » (« [le salarié] doit être exigent dans toutes les situations et il doit s'appuyer sur les process RH pour avoir une équipe de qualité et fiable »).

Dans la « synthèse annuelle des évaluations et rémunération » de 2017 réalisée le 26 septembre 2017, son évaluateur notait encore une insuffisance dans l'animation et le management de même que dans celle de 2018 réalisée le 27 septembre 2018. Les lacunes relevées par la direction relativement au management du salarié transparaissent aussi dans le registre spécial des délégués du personnel qui, en décembre 2016, relevaient dans le service du salarié des tensions « parce que manque de rigueur de certains collaborateurs. Attention départ anticipé et retard de certains collaborateurs ».

Dans ce contexte, les manquements reprochés au salarié dans la lettre de licenciement sont suffisamment sérieux.

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes indemnitaires subséquentes.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, le salarié sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.

Il conviendra de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le salarié à payer à l'employeur une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance.

Il conviendra en revanche de dire n'y avoir lieu de condamner le salarié à payer à son adversaire une indemnité sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

DIT n'y avoir lieu de condamner M. [O] à payer à la SAS Plateforme une indemnité sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile au titre des frais d'appel,

CONDAMNE M. [O] aux dépens de la procédure d'appel.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01548
Date de la décision : 17/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-17;21.01548 ?
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