COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 51J
1re chambre 2e section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MAI 2023
N° RG 22/00197 - N° Portalis DBV3-V-B7G-U6ER
AFFAIRE :
Mme [I], [Y] [Z]
C/
S.A. CDC HABITAT SOCIAL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Novembre 2021 par le Juge des contentieux de la protection de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° RG : 1120000545
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 16/05/23
à :
Me Typhanie BOURDOT
Me Christophe DEBRAY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [I], [Y] [Z]
née le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Maître Typhanie BOURDOT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 644 - N° du dossier [Z]
Représentant : Maître Léa DEMIRTAS Substituant Maître Héloïse AYRAULT de la SELARL ESEÏS Avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS - vestiaire : P 284
APPELANTE
****************
S.A. CDC HABITAT SOCIAL
N° SIRET : 552 046 484 RCS Paris
Ayant son siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Maître Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 22056
Représentant : Maître Philippe MORRON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0007 -
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, conseiller, et Monsieur Philippe JAVELAS, Président chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe JAVELAS, Président,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Isabelle BROGLY, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 25 janvier 1984, à effet du même jour, pour une durée de 29 mois avec tacite reconduction, la société Villa Gestion a donné à bail à M. [M] [Z] et Mme [K] [Z] un local à usage d'habitation situé [Adresse 2] à [Localité 6] (92), moyennant un loyer mensuel révisable de 1 879 francs, outre une provision sur charges de 496 francs par mois et le versement d'un dépôt de garantie de 4 118 francs.
Suite au divorce des époux [Z], le bail d'habitation a été transféré au profit de Mme [K] [L]. Celle-ci a épousé en secondes noces M. [R] [S]. A compter de leur mariage, le logement, objet du bail, a été occupé par M. et Mme [S], ainsi que par les enfants de Mme [K] [S], Mme [I] [Z] et M. [T] [Z].
M. et Mme [S] ont abandonné le logement en 2006 pour aller vivre dans le sud de la France.
Par actes de commissaire de justice délivrés les 28 et 29 septembre 2021, la société CDC habitat social, venant aux droits du bailleur, a assigné Mme [I] [Z], Mme [K] [S] et M. [R] [S] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Boulogne-Billancourt, aux fins de voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire:
- prononcer la résiliation judiciaire du bail pour inoccupation des locataires,
- ordonner l'expulsion des locataires et de tous occupants de leur chef, en particulier de Mme [Z],
- ordonner que le sort des meubles soit régi par les dispositions des articles L433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
- condamner Mme [Z] et M. et Mme [S] au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer et charges majoré de 10% à compter de la signification de la décision à intervenir jusqu'à la libération effective des lieux,
- condamner Mme [Z] et M. et Mme [S] au paiement de la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner Mme [Z] et M. et Mme [S] au paiement d'une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par jugement réputé contradictoire du 25 novembre 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Boulogne-Billancourt a :
- prononcé la résiliation judiciaire du bail signé le 25 janvier 1984 entre la société Villa Gestion et Monsieur et Madame [M] [Z],
- débouté Mme [I] [Z] de sa demande reconventionnelle tendant à lui voir reconnaître le droit au transfert du bail ou le droit au maintien dans les lieux,
- ordonné en conséquence à M. et Mme [S] et Mme [I] [Z] de quitter les lieux et de restituer les clés, au plus tard deux mois après la signification d'un commandement de quitter les lieux délivré conformément à l'article L412-1 du code des procédures civiles d'exécution,
- dit qu'à défaut pour M. et Mme [S] d'avoir volontairement libéré les lieux et restitué les clés dans ce délai, la société CDC habitat social pourrait faire procéder à leur expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de leur chef, en particulier de Mme [I] [Z], au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier, dans les conditions prévues par les articles L 411-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné M. et Mme [S] ainsi que Mme [I] [Z] à payer, à compter du jugement, à la société CDC habitat social une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant égal à celui dûment justifié du loyer et des charges qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi,
- condamné M. et Mme [S] et Mme [I] [Z] aux dépens,
- condamné M. et Mme [S] et Mme [I] [Z] à payer à la société CDC habitat social la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire de la décision était de droit.
Par déclaration reçue au greffe le 11 janvier 2022, Mme [I] [Z] a relevé appel de ce jugement. Aux termes de ses conclusions signifiées le 13 mai 2022, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 25 novembre 2021 par le tribunal de proximité de Boulogne-Billancourt en ce qu'il :
* a prononcé la résiliation judiciaire du bail signé le 25 janvier 1984 entre la société Villa Gestion et Monsieur et Madame [M] [Z],
* l'a déboutée de sa demande reconventionnelle tendant à lui voir reconnaître le droit au transfert du bail ou le droit au maintien dans les lieux,
* lui a ordonné en conséquence, ainsi qu'à M. et Mme [S], de quitter les lieux et de restituer les clés, au plus tard deux mois après la signification d'un commandement de quitter les lieux délivré conformément à l'article L412-1 du code des procédures civiles d'exécution,
* a dit qu'à défaut pour M. et Mme [S] d'avoir volontairement libéré les lieux et restitué les clés dans ce délai, la société CDC habitat social pourrait faire procéder à leur expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de leur chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier, dans les conditions prévues par les articles L 411-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
* l'a condamnée avec M. et Mme [S] à payer, à compter du jugement, à la société CDC habitat social une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant égal à celui dûment justifié du loyer et des charges qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi,
* l'a condamnée avec M. et Mme [S] aux dépens,
* l'a condamnée avec M. et Mme [S] à payer à la société CDC habitat social la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* a rappelé que l'exécution provisoire de la décision était de droit,
Statuant à nouveau,
- juger qu'elle a régulièrement acquis le droit au maintien dans les lieux du logement donné à bail, sis [Adresse 2] à [Localité 6],
- juger que la cour d'appel n'est pas saisie des prétentions de la société CDC habitat social visant à faire juger irrecevable sa déclaration d'appel,
- à titre reconventionnel, enjoindre à la société CDC habitat social d'établir un avenant au bail à son profit,
- en tout état de cause, condamner la société CDC habitat social à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 16 février 2022, la société CDC habitat social, bailleresse intimée, demande à la cour de :
- déclarer la cour irrégulièrement saisie de l'appel de Mme [Z] à l'encontre de la décision rendue le 25 novembre 2021 par le tribunal de Boulogne-Billancourt,
- en tout état de cause déclarer cet appel irrecevable en tout cas mal fondé,
- confirmer purement et simplement la décision entreprise en déboutant l'appelante de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [Z] à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Z] aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 octobre 2022.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I) Sur le transfert de bail sollicité par Mme [I] [Z]
L'appelante fait grief au premier juge d'avoir refusé le transfert de bail qu'elle sollicitait, motif pris de ce qu'il n'était pas justifié que le départ de ses parents avait eu un caractère brusque et imprévisible.
Elle fait valoir, à hauteur de cour que :
- ses parents ont quitté brusquement le logement qui leur avait été donné à bail en 2006 pour des raisons professionnelles et de réorganisation de leur vie personnelle, Mme [S] souhaitant se rapprocher du domicile de sa mère, et assister cette dernière dans sa vie personnelle et la gestion de ses actifs, notamment la vente d'un bien immobilier,
- ce départ s'est imposé à elle et elle a dû prendre en charge son frère [T] tout juste majeur et qui était étudiant,
La bailleresse intimée réplique que :
- aucune pièce n'est versée aux débats pour justifier d'un départ brusque et inopiné qui se serait imposé à [I] [Z],
- l'appelante et son époux ont maintenu l'illusion de la présence des locataires en titre dans l'appartement, partis vivre ailleurs, pour pouvoir bénéficier de ce logement.
Réponse de la cour
L'abandon de domicile, qui permet de transférer le bail du locataire à certains de ses proches énumérés par l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, doit s'entendre du départ brusque et imprévisible du locataire, à l'exclusion du départ concerté avec les personnes qui vivent avec lui et l'appelante ne démontre pas que ces conditions sont réunies en l'espèce.
En effet, l'appelante, à qui il appartient, en sa qualité de demanderesse au transfert, de rapporter la preuve des conditions requises par l'article 14 de la loi n 89-462 du 6 juillet 1989 et, partant, de prouver le départ brusque et imprévisible du locataire originaire, se borne à exposer, sans plus de précisions, que sa mère a quitté logement en 2006, pour se rapprocher de sa propre mère, domiciliée dans le sud de la France, et l'aider dans sa vie personnelle et dans la vente d'un bien immobilier. Il n'est en rien démontré que ce départ, dont il est précisé qu'il est intervenu pour des raisons professionnelles et liées à la réorganisation de la vie personnelle des locataires en titre, présenta un caractère brusque et imprévisible.
C'est donc à bon droit que le premier juge a pu relever que l'abandon de domicile au sens de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 n'était point caractérisé.
Le jugement doit être confirmé de ce chef.
II) Sur le droit au maintien dans les lieux revendiqué par Mme [Z]
Mme [Z] sollicite, à titre subsidiaire, le bénéfice d'un droit au maintien dans les lieux en application des dispositions de l'article 4 de la loi du 1er septembre 1948, en faisant valoir que :
- elle est occupante de bonne foi,
- la demande en résiliation du bail s'analyse comme un congé délivré par la bailleresse,
- la bailleresse avait pleinement conscience qu'elle occupait de façon continue et légitime le logement donné à bail à sa mère, et a toléré la situation en toute connaissance de cause,
- elle a toujours réglé le loyer.
La bailleresse intimée rétorque qu'elle n'était pas au courant de la situation, dès lors qu'aucune réponse aux enquêtes de ressources n'a signalé le départ de M. et Mme [S], qui ont toujours été identifiés comme locataires en titre ; que partant, l'appelante a violé ses obligations contractuelles et les obligations légales découlant de l'article 7 a de la loi du 6 juillet 1989 et de l'article 10-2 de la loi du 1er septembre 1948.
Elle indique, en outre, n'avoir jamais contesté la présence de l'appelante dans les lieux, raison du fait qu'elle est la fille de la locataire en titre et donc occupante du chef de cette dernière.
Enfin, elle rappelle que les dispositions de l'article 4 de la loi du 1er septembre 1948 ne s'appliquent pas au litige, dès lors qu'elle n'a délivré aucun congé au locataire en titre ni à qui que ce soit.
Réponse de la cour
Le droit au maintien dans les lieux permet au locataire de bonne foi, malgré la fin du bail, de rester dans les lieux et de devenir un occupant légal, soumis au statut protecteur de la loi de 1948.
Le droit au maintien dans les lieux n'est toutefois reconnu qu'à l'occupant de bonne foi, notion qui requiert que son titulaire justifie de l'existence d'un bail depuis son entrée dans les lieux.
Le droit au maintien dans les lieux est, en vertu de l'article 17 de la loi du 1er septembre 1948, exclusivement attaché à la personne de son bénéficiaire. Il n'est pas non plus transmissible "sous réserve des dispositions de l'article 5, qui disposent :
' Le bénéfice du maintien dans les lieux pour les locaux visés à l'article 1er appartient, en cas de d'abandon de domicile ou de décès de l'occupant de bonne foi, au conjoint ou au partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité, et lorsqu'ils étaient effectivement avec lui depuis plus d'un an, aux ascendants, aux personnes handicapées visées au 2° de l'article 27 ainsi que, jusqu'à leur majorité, aux enfants mineurs.
Le maintien reste acquis au conjoint, au partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou au concubin de l'occupant, lorsque cet occupant a fait l'objet d'une condamnation devenue définitive, assortie d'une obligation de résider hors du domicile ou de la résidence du couple, pour des faits de violences commis sur son conjoint, son concubin, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou sur leurs enfants. (...).'
Il n'est pas possible d'évoquer l'abandon de domicile en cas de départ organisé, ce départ devant être brusque et imprévisible.
Par ailleurs, les ascendants, les personnes handicapées et les enfants mineurs doivent impérativement justifier d'une cohabitation effective d'au moins un an avec le titulaire du droit au maintien dans les lieux.
Au cas d'espèce, l'appelante, fille des locataires en titre et occupante de leur chef, qui n'a jamais eu la qualité de locataire, ne peut justifier d'un titre locatif régulier à l'origine de son entrée dans les lieux, que ce titre ait été directement acquis du propriétaire des locaux ou qu'il lui ait été transmis par un tiers, en l'occurrence ses parents.
Elle n'a, de ce fait, jamais reçu de congé délivré par la bailleresse, lui permettant de prendre la qualité d'occupant légal, qui est indispensable pour bénéficier des dispositions de l'article 4 de la loi du 1er septembre 1948.
Enfin, descendante majeure des locataires en titre, elle ne figure pas au nombre des bénéficiaires susceptibles de profiter du droit au maintien dans les lieux, en cas d'abandon brusque et imprévisible du logement.
Il résulte de ce qui précède que les conditions d'application des dispositions de l'article 4 de la loi du 1er septembre 1948, dont Mme [I] [Z] entend se prévaloir, ne sont pas, en l'espèce, réunies.
Aucun transfert de bail ni droit au maintien dans les lieux ne pouvant être accordé ou reconnu à Mme [I] [Z], c'est à bon droit que le premier juge a prononcé la résiliation du bail consenti aux époux [S] consécutivement à l'abandon du logement qui leur avait été donné à bail et ordonné, en conséquence, l'expulsion de ces derniers et de tous occupants de leur chef, en particulier Mme [I] [Z], et les a condamnés au paiement d'une indemnité d'occupation.
Le jugement querellé sera, par suite, confirmé en toutes ses dispositions.
III) Sur la demande reconventionnelle de Mme [I] [Z] tendant à l'obtention d'un bail d'habitation à son profit
Mme [Z], occupante sans droit ni titre, ne peut revendiquer l'obtention d'un bail à son profit au seul motif qu'elle s'est acquittée des loyers pour le compte de ses parents, locataires en titre.
Elle sera, par suite, déboutée de cette demande.
IV) Sur les demandes accessoires
Mme [Z], qui succombe, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel, les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens de première instance et aux frais irrépétibles non compris dans ces mêmes dépens, étant, par ailleurs, confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
Déboute Mme [I] [Z] de la totalité de ses demandes ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [I] [Z] à payer à la société CDC Habitat social une indemnité de 2 000 euros ;
Condamne Mme [I] [Z] aux dépens de la procédure d'appel.
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,