COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 38C
1re chambre 2e section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MAI 2023
N° RG 21/06336 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UZHV
AFFAIRE :
Mme [Y] [K]
C/
S.A. BNP PARIBAS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 1er Juillet 2021 par le Tribunal de proximité de POISSY
N° RG : 1120000536
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 16/05/23
à :
Me Sophie POULAIN
Me Guillaume NICOLAS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [Y] [K]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentant : Maître Sophie POULAIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 180 - N° du dossier 221140
Représentant : Maître Sigmund BRIANT de la SELARL BONNA AUZAS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0244 -
APPELANTE
****************
S.A. BNP PARIBAS
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Maître Guillaume NICOLAS de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 255 - N° du dossier 200151 -
Représentant : Maître Guillaume METZ de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 255
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, conseiller et Monsieur Philippe JAVELAS, Président chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe JAVELAS, Président,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Isabelle BROGLY, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,
EXPOSE DU LITIGE
Selon convention signée électroniquement le 31 octobre 2017, la société BNP Paribas a consenti à Mme [Y] [K] l'ouverture d'un compte courant 'esprit libre' dans ses livres n°0134000000344741.
Par acte de commissaire de justice délivré le 21 juillet 2020, la société BNP Paribas a assigné Mme [K] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Poissy aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, sa condamnation à lui payer les sommes suivantes:
- 20 058, 65 euros avec intérêts au taux légal depuis le 12 décembre 2018 en règlement du solde débiteur du compte-chèques n°00344741,
- 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- les dépens de l'instance.
Par jugement contradictoire rendu le 1er juillet 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Poissy a :
- déclaré recevable la demande de paiement de la société BNP Paribas présentée à l'encontre de Mme [K],
- condamné Mme [K] à payer à la société BNP Paribas la somme de 20 058, 65 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2018 en remboursement du compte courant n°00344741 jusqu'à parfait règlement,
- condamné Mme [K] à payer à la société BNP Paribas la somme de 400 euros à titre d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [K] aux dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 15 octobre 2021, Mme [K] a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 4 juillet 2022, elle demande à la cour de :
- la déclarer recevable en son appel,
En conséquence,
- infirmer la décision du tribunal de proximité de Poissy en date du 1er juillet 2021 en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme de 20 058,65 euros à la société BNP Paribas avec les intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2018,
- infirmer la décision du tribunal de proximité de Poissy en date du 1er juillet 2021 en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme de 400 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- débouter la société BNP Paribas de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la société BNP Paribas à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société BNP Paribas en tous les dépens.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 6 avril 2022, la société BNP Paribas, intimée, demande à la cour de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en sa demande,
- constater la déchéance du terme prononcée par la requérante et la dire régulière,
A titre subsidiaire,
- prononcer la résolution judiciaire des contrats pour manquements graves de l'emprunteur à son obligation principale de remboursement,
En conséquence,
- dire et juger Mme [K] mal fondée en son appel et l'en débouter en toutes fins qu'il comporte,
- confirmer la décision entreprise,
Y ajoutant en cause d'appel,
- condamner Mme [K] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [K] aux entiers dépens d'instance et d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 décembre 2022.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I) Sur la demande en paiement de la banque
Mme [K] fait grief au premier juge de l'avoir condamnée à payer à la banque la somme de 20 058, 65 euros, représentant le montant du solde débiteur de son compte courant.
Poursuivant l'infirmation du jugement déféré, elle fait valoir à hauteur de cour que :
- elle a été victime d'une escroquerie manifeste, 66 virements frauduleux ayant été opérés sur son compte bancaire au bénéfice de personnes inconnues d'elle,
- la banque a manqué à son devoir de vigilance et a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en créditant son compte du montant de la somme de 39 900 euros, disproportionnée par rapport à ses revenus et le fonctionnement habituel du compte, et alors que le chèque s'est révélé impayé, sans vérifier au préalable, l'endos du chèque,
- elle a déposé plainte pour escroquerie.
La banque intimée conclut à la confirmation du jugement querellé en toutes ses dispositions en faisant valoir que :
- elle était tenue de créditer le compte de l'appelante du chèque d'un montant de 39 900 euros n'ayant pour obligation que de vérifier la régularité formelle du chèque sans disposer d'un pouvoir d'investigation sur l'origine et l'importance des fonds versés, et elle n'avait pas à s'enquérir de l'existence de la provision sur le compte en l'absence d'éléments objectifs permettant de présumer que le chèque serait dépourvu de provision,
- Mme [K] est mal fondée à reprocher à la banque de n'avoir point vérifié que l'endos du chèque n'était point de sa signature, car il y a lieu de prendre en considération les conditions d'encaissement du chèque litigieux qui a été déposé avec un bordereau portant la référence de l'agence de Mme [K], son numéro de compte bancaire et son adresse personnelle, de sorte que Mme [K] a nécessairement donné son RIB, un exemplaire de sa signature pour que le chèque puisse être déposé,
- Mme [K] n'est pas attraite en paiement au titre du chèque, mais des virements qu'elle a réalisés et si elle avait, comme elle le soutient, ignoré la remise du chèque, elle n'en aurait pas immédiatement utilisé la provision pour effectuer de nombreux virements,
- Mme [K] prétend ne pas être l'auteur des virements litigieux, alors que la réalisation de ces virements nécessitait que l'auteur des virements eût préalablement connaissance du code secret permettant l'accès au compte en ligne de Mme [K], et accès à son téléphone portable avec le code secret associé, pour reproduire le code d'authentification communiqué par SMS.
Réponse de la cour
Lorsque un chèque lui est remis à l'encaissement, la banque endossataire est tenue, avant de porter une somme au crédit du compte, de vérifier la régularité apparente de l'endos ; cette obligation de vérification impose notamment à la banque de s'assurer que la signature de l'endosseur figurant au verso du chèque est conforme au spécimen de la signature de son client en sa possession, spécialement lorsque le chèque n'a pas été remis à l'encaissement par le client mais par un tiers, qu'il est d'un montant très important au regard du fonctionnement normal du compte personnel ouvert dans ses livres.
La banque doit alerter son client sur l'anomalie que sa vérification aurait pu mettre en évidence.
A défaut de toute vérification, elle commet une faute susceptible d'engager sa responsabilité.
Au cas d'espèce, la photocopie recto-verso du chèque litigieux versée aux débats par la banque permet de constater que l'endos du chèque n'a pas été signé par Mme [K], une seule signature, d'ailleurs illisible, mais identique à la signature de la personne qui a émis le chèque litigieux et n'ayant rien de commun avec le spécimen de signature de Mme [K] en possession de la banque (pièce n°1 de l'intimée), figurant sur l'endos.
Un contrôle élémentaire du chèque, déposé dans la boîte de la banque, aurait permis à celle-ci de constater que la signature du chèque est la même que celle de l'endos, et que la signature de l'endosseur n'est à l'évidence pas celle de Mme [K].
La Banque devait, dans ces conditions alerter immédiatement Mme [K], d'autant plus que le montant du chèque était particulièrement élevé - 39 900 euros - et qu'il apparaît, au vu des relevés de compte versés aux débats, qu'il dépassait dans une très large mesure, le montant des sommes habituellement portées au crédit du compte de la cliente.
En s'abstenant de contacter Mme [K] et en omettant de vérifier la signature de l'endos avant de créditer le compte de sa cliente, la Banque a incontestablement commis une faute et manqué à son obligation contractuelle de vigilance dans la gestion du compte, la mention sur l'endos du chèque des coordonnées bancaires de sa cliente ne pouvant anéantir l'absence de signature de cette dernière sur l'endos du chèque.
La faute qu'elle a ainsi commise est, contrairement à ce qu'elle soutient, à l'origine du dommage subi par sa cliente.
En effet, il est certain que si la banque avait vérifié l'endos du chèque, elle aurait constaté que la signature ne correspondait pas à celle du titulaire du compte et, en raison de cette anomalie apparente, elle n'aurait pas crédité le compte de la société du montant du chèque ou, elle aurait, à tout le moins, différé l'encaissement du chèque jusqu'à ce qu'elle obtienne de sa cliente alertée des éclaircissements sur le caractère anormal de l'endossement. Et si ces précautions inhérentes à l'obligation de la banque avaient été observées, aucun virement n'aurait pu être effectué.
L'existence du lien de causalité, contestée par la banque, entre sa faute et le dommage de Mme [K] est donc établie.
La banque invoque, en outre et s'agissant des virements effectués avec la provision du chèque de 39 900 euros, la fiabilité de son système pour en déduire une présomption de faute de Mme [K], titulaire du compte.
Elle explique, en effet, qu'il s'agit d'un système de paiement comportant un processus hautement sécurisé - authentification forte - nécessitant d'utiliser l'identifiant et le mot de passe du client pour accéder à la banque en ligne, et, en outre, le téléphone portable de la cliente, la banque envoyant, par SMS, un code de confirmation à validité temporaire permettant de valider l'opération.
La banque intimée d'en déduire que si les virements litigieux se sont avérés réalisables, c'est que, par la force des choses, Mme [K] a commis une faute, fût-elle une faute de négligence ou d'imprudence: la divulgation volontaire de ses données personnelles à un tiers ou la négligence dans leur conservation.
Cependant, le moyen est inopérant.
En effet, il résulte des dispositions de l'article L. 133-23, alinéa 2 du Code monétaire et financier sur les modalités pratiques en cas d'opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées, que la preuve que l'utilisateur a agi frauduleusement ou n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations, ne peut se déduire du seul fait que l'instrument de paiement ou les données personnelles qui lui sont liées ont effectivement été utilisées (Cass. com., 18 janv. 2017, n° 15-18.102).
Il résulte de ce qui précède que le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions et la société BNP Paribas, dont la responsabilité est engagée, déboutée de la totalité de ses demandes.
II) Sur les demandes accessoires
La société BNP Paribas, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau
Déboute la société BNP Paribas de la totalité de ses demandes ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute Mme [Y] [K] de sa demande en paiement;
Condamne la société BNP Paribas aux dépens de première instance et d'appel.
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,