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11/05/2023 | FRANCE | N°22/05486

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 11 mai 2023, 22/05486


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 62B



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 MAI 2023



N° RG 22/05486 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VMPW





AFFAIRE :



S.C. SOCIÉTÉ DU CENTRE COMMERCIAL DE LA DÉFENSE



C/



S.A.S. SEPHORA

...







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 07 Avril 2022 par le Juge de la mise en état de la 7ème chambre du tribunal judiciaire de Nanter

re

N° RG : 20/08345



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Christophe DEBRAY



Me Michèle DE KERCKHOVE



Me Margaret BENITAH



Me Marie-Capucine BERNIER



TJ NANTERRE

















RÉPUBLI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 62B

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2023

N° RG 22/05486 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VMPW

AFFAIRE :

S.C. SOCIÉTÉ DU CENTRE COMMERCIAL DE LA DÉFENSE

C/

S.A.S. SEPHORA

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 07 Avril 2022 par le Juge de la mise en état de la 7ème chambre du tribunal judiciaire de Nanterre

N° RG : 20/08345

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Christophe DEBRAY

Me Michèle DE KERCKHOVE

Me Margaret BENITAH

Me Marie-Capucine BERNIER

TJ NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.C. SOCIÉTÉ DU CENTRE COMMERCIAL DE LA DÉFENSE

RCS Paris n° 785 413 303

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Louis MORVAN et Me Aurélie DAUGER de la SELAS LPA-CGR, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P238

APPELANTE

****************

S.A.S. SEPHORA

RCS Nanterre n° 393 712 286

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.26 et Me Rémy CONSEIL de la SELARL BARBIER ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0987

S.A.S.U. EIFFAGE CONSTRUCTION GRANDS PROJETS

RCS Versailles n° 791 261 399

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Margaret BENITAH, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.409 et Me Cécile KORN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0691

S.A.S. SRA ARCHITECTES

RCS Nanterre n° 431 230 556

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Marie-Capucine BERNIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 31 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François THOMAS, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 21 novembre 2006, la société civile du Centre Commercial de la Défense (SCCD) a donné à bail à la société Sephora des locaux à usage commercial, situés dans le centre commercial des [6] à [Localité 5] aux principales clauses et conditions suivantes :

- local n°139A d'une surface totale de 1.108 m² et local n°113B d'une surface de 84 m².

- loyer de base : 788.000 € par an en principal, outre un loyer variable additionnel : différence entre le loyer de base et 4,2 % du chiffre d'affaires.

- loyer du local n°113 B : 13.709 € par an en principal.

- durée : 10 années.

- destination : au niveau I : vente de parfums, produits de soin, de beauté, de maquillage et de toilette, lnstitut de beauté.

Local situé au niveau 2 : Institut de beauté - cabine(s) de soins et bar à ongles.

Local n°113 B : usage exclusif de réserve.

Un 1er avenant est signé le 11 juillet 2007 entre les sociétés SCCD et Sephora :

- décalant la date de prise d'effet du bail du 21 novembre 2006 au 6 juin 2008,

- planifiant des travaux de curage et de désamiantage,

- fixant une baisse de loyer à compter du 6 juin 2008 jusqu'au 30 novembre 2008.

Un 2ème avenant est signé entre les parties, le 20 juillet 2012, pour :

- retirer de la désignation du bail le local à usage de réserve n°113B,

- adjoindre à la destination du bail un local n°PB 104 C, d'une surface de 120 m², à usage de réserve.

La SCI Window la Défense, propriétaire d'un immeuble situé au-dessus du centre commercial des [6], a engagé en février 2016, des travaux de restructuration de l'immeuble pour lesquels sont intervenues :

- la société Eiffage Construction Grands Projets, en qualité d'entreprise générale attributaire de l'ensemble des travaux,

- la société SRA Architectes, pour la maîtrise d'oeuvre.

Dans ce cadre, la société Window la Défense a, en novembre 2015, assigné les propriétaires des divers immeubles et concessionnaires de réseaux riverains de l'immeuble devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre, aux fins de voir ordonner une mission d'expertise préventive avant travaux.

Par ordonnance du 8 décembre 2015, une mesure d'expertise a été ordonnée, désignant M. [X] [C], expert judiciaire.

A compter de mars 2016, la société Sephora a subi de nombreux dégâts des eaux dans ses locaux ; la bailleresse l'a informée que ces infiltrations avaient pour origine les travaux réalisés par la société Window La Défense au-dessus du centre commercial.

Par acte du 27 janvier 2017, la société Sephora a fait assigner les sociétés SCCD et Window Ia Défense devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre afin qu'un expert soit désigné, notamment pour rechercher I'origine et les causes des désordres, décrire les travaux nécessaires pour y remédier, évaluer l'ensemble des préjudices subis.

Par ordonnance du 21 mars 2017, le juge des référés a rejeté la demande de la société Sephora au motif qu'une expertise était déjà en cours concernant les travaux entrepris par la société Window la Défense.

La société Sephora a continué à subir des dégâts des eaux dans ses locaux.

Par acte sous seing privé du 29 décembre 2017, la société SCCD et la société Sephora ont conclu un renouvellement de bail pour une durée de 10 ans à compter du 6 juin 2018.

Par acte d'huissier du 2 mars 2018, la société Sephora a assigné les sociétés SCCD et Window la Défense devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre en intervention volontaire à l'expertise ordonnée le 8 décembre 2015.

Par ordonnance du 17 mai 2018, les opérations d'expertise en cours ont été étendues à la société Sephora.

L'expert a déposé son rapport le 9 décembre 2019.

Par acte d'huissier du 30 octobre 2020, la société Sephora a fait assigner les sociétés Eiffage Construction Grands Projets, SRA Architectes et SCCD, aux fins de les voir condamner à réparer les préjudices subis.

La société SCCD a saisi le juge de la mise en état d'une demande d'irrecevabilité des demandes de la société Sephora à son encontre ; de son côté, la société Eiffage Construction Grands Projets a demandé au juge de la mise en état d'ordonner la communication par la société Sephora d'une attestation de sa compagnie d'assurance sur les règlements effectués quant aux dommages survenus ainsi que les rapports du ou des experts amiables de sa compagnie d'assurance afférents à ces mêmes désordres.

Par ordonnance du 7 avril 2022, le juge de la mise en état a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société SCCD,

- débouté la société Eiffage Construction Grands Projets de sa demande de communication de pièces,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ou contraires,

- réservé à l'examen du litige au fond les demandes des parties au titre des dépens,

- renvoyé à l'audience de mise en état du 9 juin 2022 pour les conclusions en défense de la société SCCD et de la société Eiffage Constructions Grands Projets.

La société SCCD a interjeté appel de l'ordonnance le 26 août 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions du 25 novembre 2022, la société SCCD demande à la cour de :

1. Recevoir la société SCCD en son appel formé contre l'ordonnance rendue le 7 avril 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre (RG n° 20/08345),

2. La déclarer bien fondée en ses demandes, fins et conclusions, y faire droit,

3. Infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 7 avril 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre (RG n° 20/08345),

Et, statuant à nouveau,

4. Déclarer irrecevables les demandes présentées par la société Sephora à l'encontre de la société SCCD et débouter tout contestant aux présentes,

5. Débouter la société Sephora de son appel incident tenant à voir la société SCCD condamnée à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes,

6. Débouter la société Eiffage Construction Grands Projets de son appel incident tenant à voir la société SCCD condamnée à lui payer la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes,

7. Débouter la société SRA de son appel incident tenant à voir la société SCCD condamnée à lui payer la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes,

8. Condamner la société Sephora à payer à la société SCCD la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

9. Condamner la société Sephora aux dépens.

Par conclusions du 28 octobre 2022, la société Sephora demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance du 7 avril 2022 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande d'article 700 de la société Sephora,

Sur l'appel principal de la société SCCD :

- le dire mal fondé,

- en débouter la société SCCD,

- la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Sur l'appel incident de la société Sephora :

- recevoir et dire bien fondé en son appel la société Sephora,

Y faisant droit,

Réformer le jugement en ce qu'il a :

/ débouté les parties du surplus de leurs demandes ou contraires,

/ réservé à l'examen du litige au fond les demandes des parties au titre des dépens,

Statuant à nouveau,

- condamner la société SCCD à verser à la société Sephora 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens,

- confirmer pour le surplus le jugement entrepris,

Y ajoutant,

- réputer non écrites les clauses de renonciation à recours prévus dans les baux de la société Sephora,

- débouter la société SCCD de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société SCCD à verser à la société Sephora 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel,

- la condamner aux entiers dépens d'appel,

A titre subsidiaire, si l'ordonnance était infirmée :

- juger la société Sephora recevable à agir contre la société SCCD car :

' la société SCCD n'a pas respecté son obligation de délivrance et son obligation de jouissance paisible envers Sephora,

' les clauses de renonciation à recours du bail du 21 novembre 2006 et du bail du 29 décembre 2017 doivent être réputées non écrites,

' la clause de renonciation à recours du bail du 29 décembre 2017 a contractuellement été réputée non écrite entre les parties.

Par conclusions du 28 octobre 2022, la société Eiffage Constructions Grand Projets :

- s'en rapporte à la sagesse de la cour sur les mérites de l'appel,

- sollicite de la cour qu'elle :

/ condamne la société SCCD à lui verser la somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

/ la condamne aux entiers dépens.

Par conclusions du 26 octobre 2022, la société SRA Architectes :

- s'en remet à la sagesse de la cour s'agissant de l'infirmation ou de la confirmation de l'ordonnance dont appel s'agissant du rejet de la fin de non-recevoir soulevée par la société SCCD,

- en cas de confirmation, demande de condamner la société SCCD à lui verser la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 janvier 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

La cour observe que si la société SCCD sollicite, au dispositif de ses conclusions, l'infirmation de l'ordonnance du 7 avril 2022 en toutes ses dispositions, elle n'apporte aucun argument ni développement sur la demande de communication de pièces présentée par la société Eiffage Construction Grands Projets ; sa déclaration d'appel ne vise pas cette partie de l'ordonnance.

La société Eiffage Construction Grands Projets ne demande pas non plus la réformation de l'ordonnance sur ce point.

L'ordonnance n'est donc pas contestée en ce qu'elle a débouté la société Eiffage Construction Grands Projets de sa demande de communication de pièces.

Sur la demande principale

La société SCCD conteste l'analyse du juge de la mise en état qui a retenu que la société Sephora fondait sa demande sur un manquement à l'obligation de délivrance, alors qu'il ne s'agirait que d'un trouble de jouissance, et soutient qu'il relève des pouvoirs du juge de la mise en état de traiter d'une fin de non-recevoir, de sorte que celui-ci devait trancher la question de fond nécessaire pour qu'il puisse se prononcer sur la fin de non-recevoir.

Elle avance que la société Sephora ne peut se plaindre que d'un trouble de jouissance, les locaux ayant toujours été exploitables, et que la garantie de jouissance paisible peut faire l'objet, comme en l'espèce, d'une renonciation à recours. Selon elle, l'obligation de délivrance impose au bailleur de fournir au locataire un local pouvant être exploité conformément à sa destination contractuelle, une fois remplie cette obligation est irrémédiablement satisfaite, sauf en cas de privation totale du preneur de la possibilité de jouir du bien. La société SCCD relève qu'en l'espèce les infiltrations ont pour origine des travaux dans l'immeuble voisin et non un vice de construction, que les locaux étaient parfaitement exploitables au regard de l'activité lors de la mise en possession, et que la société Sephora n'a jamais été empêchée de jouir des locaux conformément à leur destination. Elle en déduit avoir rempli son obligation de délivrance du local.

Elle fait état de la clause de renonciation à tout recours pour trouble de jouissance paisible insérée dans le bail, et de l'absence de manquement grave et répété de sa part, la cause des désordres se trouvant dans un chantier voisin. Elle affirme qu'il est possible de déroger à la garantie de jouissance paisible, que la société Sephora n'a jamais été privée de la jouissance de son local, de sorte que la clause de renonciation à recours -d'effets limités- doit produire ses effets. Elle en déduit que les demandes de la société Sephora la concernant sont irrecevables.

Après avoir rappelé que le bailleur est tenu de délivrer la chose louée et d'en assurer au preneur la jouissance paisible, la société Sephora affirme que lorsqu'un dégât des eaux impacte un local, le bailleur viole ses obligations, quand bien même il n'est pas responsable des dégâts.

Elle précise qu'une partie des activités n'a pu être exploitée, qu'une partie des locaux n'a pu être utilisée, de sorte que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance, même s'il a livré en début de bail des locaux conformes à l'activité, les désordres perturbant les activités du preneur. Elle souligne que les obligations de délivrance et de jouissance paisible sont d'ordre public, que le locataire ne peut y renoncer comme le bailleur ne peut s'en affranchir par une clause contractuelle.

Elle dénonce la généralité de la clause d'exclusion à recours figurant dans le bail, qui vide totalement de sa substance les obligations de délivrance et de jouissance paisible du bailleur, de sorte qu'elle ne peut être opposée au preneur et doit être déclarée non écrite.

Elle relève que dans le bail du 29 décembre 2017, les parties ont réputé elles même non écrites la clause de renonciation à recours, de sorte qu'elle est fondée à engager une action contre son bailleur.

*****

Selon l'article 789 du code de procédure civile,

'Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : ...

6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.

Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état. ...'

En l'espèce, la société SCCD invoque une fin de non-recevoir, soit le défaut d'intérêt à agir de la société Sephora, du fait de la présence dans le contrat de bail d'une clause de renonciation à recours contre le bailleur pour trouble de jouissance paisible.

Si l'appréhension des obligations de délivrance et de jouissance paisible relève du fond du litige, il apparaît nécessaire d'y procéder afin d'apprécier la fin de non-recevoir soulevée par la société SCCD.

Aucune partie au litige ne s'est opposée au fait que le juge de la mise en état ne statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir.

Aussi, il revenait au juge de la mise en état de statuer sur la demande de la société SCCD, qu'il ne pouvait rejeter en relevant que l'appréciation d'un manquement ou non de cette société à son obligation de jouissance relevait du juge du fond.

*****

L'article 1719 du code civil prévoit notamment que

'le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée ...

2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; ...'

La délivrance est la remise au preneur de la disposition de la chose, sur laquelle porte le contrat. L'obligation de délivrance du bailleur lui impose de livrer des locaux conformes à l'usage auquel ils sont destinés.

Cette obligation de délivrance du bailleur repose sur lui tout au long de l'exécution du contrat, si le preneur l'informe de la survenance des désordres apparus en cours de bail.

La société SCCD indique que les infiltrations d'eau sont survenues après la mise en possession du preneur et alors que les infiltrations d'eau ont pour origine des travaux réalisés par un tiers et qu'elles n'ont pas empêché l'exercice de l'activité du preneur.

La société Sephora justifie avoir déclaré un sinistre de dégât des eaux le 5 mars 2016, puis un autre le 13 juillet 2016 avec des clichés photographiques montrant la présence d'eau dans plusieurs parties des locaux loués.

Un procès-verbal de constat a été dressé le 19 septembre 2016, par lequel l'huissier a notamment relevé des traces de coulure et d'infiltration, des dalles de plafond manquantes ou présentant d'importantes infiltrations, auréoles et traces d'humidité, des peintures écaillées et soufflées. Il a en particulier mentionné des traces de coulure d'eau sur un présentoir et des cloisons de la partie consacrée à la vente, ainsi que des infiltrations d'eau, auréoles et traces d'humidité aux plafonds de cette zone.

La société Sephora a effectué d'autres déclarations de dégâts des eaux les 4 novembre, 10 novembre, 13 décembre 2016, 13 janvier, 6 février, 2 et 6 mars, 6 juin, 4 juillet 2017.

Un autre procès-verbal de constat a été dressé le 10 juillet 2017 établissant la présence de traces d'infiltration d'eau sous diverses formes.

De nouvelles déclarations de dégâts des eaux ont été effectuées les 14 et 22 septembre, 11 décembre 2017, 22 janvier, 19 mars, 27 juillet, 3 août, 23 octobre 2018.

L'expert judiciaire, en charge d'une expertise à caractère préventif, faisait état lors d'une réunion du 20 avril 2017 état d'une douzaine d'événements intitulés pour leur très grande majorité 'dégâts des eaux - infiltrations - inondations - suintements' (p7). Il a relevé en moyenne '5 incidents par mois, des venues d'eaux pour la grande majorité d'entre eux'(p13). Il a aussi précisé que 'l'attractivité des magasins n'avait pas souffert des incidents de chantier' (p37).

Au vu de ce qui précède, la réalité des désordres ne peut être contestée.

Pour autant, si la société Sephora soutient que certaines activités ou parties de l'espace de vente n'ont pu être exploités, elle n'en justifie pas, la société SCCD n'étant pas contestée lorsqu'elle indique que le nouveau bail conclu entre les parties le 29 décembre 2017 ne fait pas référence à un quelconque vice empêchant l'utilisation des locaux conformément à leur destination.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que la société SCCD a manqué, non à son obligation de délivrance, mais à celle d'assurer au preneur la jouissance paisible des locaux.

*****

L'article 20 du contrat de bail du 21 novembre 2006 prévoit que 'le preneur renonce à tout recours, contre le bailleur... en cas de dommage, d'incendie, de vol, de dégâts des eaux, d'humidité ou de tout (sic) autre circonstance atteignant ses biens propres ou les biens pouvant être considérés comme immeubles par destination installés à ses frais ; le preneur devant s'assurer contre ces risques. ....

Le Preneur et ses assureurs renoncent également à réclamer au Bailleur, à toute société de son Groupe, à son Mandataire et leurs assureurs respectifs en cas de dommages matériels ou immatériels, des indemnités pour privation de jouissance ou perte d'exploitation du fait de l'interruption, totale ou partielle, de son exploitation pour quelque cause que ce soit'.

L'article 20 du contrat de bail du 29 décembre 2017 indique que 'd'une manière générale, le preneur renonce à tout recours, contre le bailleur... en cas de dommage, d'incendie, de vol, de dégâts des eaux, d'humidité ou de tout (sic) autre circonstance atteignant ses biens propres, ou ceux dont il a la garde ou dont il est dépositaire, ou les biens pouvant être considérés comme immeubles par destination installés à ses frais ; le preneur devant s'assurer contre ces risques. ....' (soulignement par la cour, ajout par rapport au bail de 2006).

Pour autant, le bailleur a l'obligation de délivrer la chose louée de façon à en permettre un usage conforme à la destination du bail et d'assurer au preneur la jouissance paisible des lieux.

L'article 1170 du code civil prévoit que toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.

La clause par laquelle le preneur renonce à tout recours en responsabilité contre le bailleur et à toute demande de réduction de loyer, en cas d'humidité, infiltrations, dégâts des eaux... ne décharge pas ledit bailleur de son obligation de délivrance, ni de celle d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage auquel elle est destinée. L'obligation du bailleur d'assurer la jouissance paisible de la chose louée pendant la durée du bail ne cesse qu'en cas de force majeure.

En l'espèce, la clause de renonciation est des plus générales, et elle vide de sa substance l'obligation de jouissance paisible reposant sur le bailleur, de sorte qu'elle doit être écartée.

Par ailleurs, la société Sephora souligne que si l'article 20 (titre II) du contrat du 29 décembre 2017 prévoit la clause d'exclusion sus-énoncée, ce contrat prévoit aussi (titre I), en son article 'TII-art.20 - Responsabilité et Recours', qu''à titre exceptionnel, de convention expresse entre les Parties, les dispositions du dernier alinéa de l'article 20 du Titre II du Bail, relatives aux renonciations à recours du Preneur, sont réputées non écrites à l'égard du Preneur',

la cour rappelant que ce dernier alinéa est ainsi rédigé 'le Preneur et ses assureurs renoncent également à réclamer au Bailleur, à toute société de son Groupe, à son Mandataire et leurs assureurs respectifs en cas de dommages matériels ou immatériels, des indemnités pour privation de jouissance ou perte d'exploitation du fait de l'interruption, totale ou partielle, de son exploitation pour quelque cause que ce soit'.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que la clause de renonciation figurant à l'article 20 ne saurait empêcher la société Sephora d'agir à l'encontre de la société SCCD.

Il ne sera pas fait droit à la fin de non-recevoir avancée par cette dernière.

Sur les autres demandes

Succombant au principal, la société SCCD sera condamnée au paiement des dépens, et de la somme de 4.000 € à la société Sephora au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera également condamnée au paiement de la somme de 1.500 € à chacune des sociétés SRA et Eiffage Construction Grands Projets sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de sa saisine,

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société SCCD,

y ajoutant,

Condamne la société SCCD au paiement des dépens, ainsi qu'au versement, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, des sommes de 4.000 € à la société Sephora, et de 1.500 € à chacune des sociétés SRA et Eiffage Construction Grands Projets.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 22/05486
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;22.05486 ?
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