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11/05/2023 | FRANCE | N°21/07755

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 11 mai 2023, 21/07755


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 58C



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 MAI 2023



N° RG 21/07755 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U5PP







AFFAIRE :



S.A.S. JOURI



C/



S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 1er Décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° RG : 2021F01222
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Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Dan ZERHAT



Me Oriane DONTOT



TC NANTERRE













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versaille...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58C

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2023

N° RG 21/07755 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U5PP

AFFAIRE :

S.A.S. JOURI

C/

S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 1er Décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° RG : 2021F01222

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Dan ZERHAT

Me Oriane DONTOT

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. JOURI

RCS Nanterre n° 878 902 170

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 et Me Eric DAVID de l'AARPI NEST AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1407

APPELANTE

****************

S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD

RCS Strasbourg n° 352 406 748

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Serge PAULUS de la SELARL ORION AVOCATS & CONSEILS, Plaidant, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Jouri exerce une activité de restauration pour laquelle elle a souscrit, le 25 juillet 2019, un contrat multirisque professionnel dénommé « Acajou Signature » auprès de la société Assurances du Crédit Mutuel Iard, ci-après dénommée les ACM.

Ce contrat stipule une garantie de pertes d'exploitation.

Expliquant avoir été contrainte de fermer son établissement à partir du 15 mars 2020 à la suite de l'arrêté du 14 mars 2020 et du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales applicables dans le cadre de l'état d'urgence consécutif à l'épidémie de Covid-19, la société Jouri a sollicité de son conseiller auprès des ACM des informations concernant les aides et dispositifs de soutien aux restaurateurs. Elle a également demandé une suspension du remboursement de son crédit durant la période de confinement.

Par courrier du 27 avril 2020,les ACM ont notifié à la société Jouri leur décision de lui verser une prime dite « de relance mutualiste » d'un montant de 20.000 €, que l'assurée a acceptée.

Par courrier en date du 22 décembre 2020, la société Jouri a régularisé une déclaration de sinistre tendant à voir mobiliser la garantie des pertes d'exploitation du fait de la pandémie. Elle a par la même occasion sollicité la mise en oeuvre d'une mesure d'expertise afin de déterminer le montant de son préjudice.

Le 30 décembre 2020, les ACM ont notifié leur refus de garantie.

Par courrier du 5 janvier 2021, la société Jouri a mis en demeure les ACM de prendre en charge le préjudice résultant de la perte d'exploitation.

Par courrier du 19 février 2021, les ACM ont réitéré le refus de garantie.

Par acte d'huissier en date du 4 juin 2021, la société Jouri a fait assigner la société Assurances du Crédit Mutuel Iard devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Par jugement du 1er décembre 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Débouté la société Jouri de sa demande visant à voir la société Assurances du Crédit Mutuel Iard garantir les pertes d'exploitation que la société Jouri allègue avoir subies du fait des mesures gouvernementales prises dans le cadre de la pandémie de Covid 19, ainsi que de l'ensemble de ses autres demandes,

- Condamné la société Jouri à payer à la société Assurance du Crédit Mutuel Iard la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- Liquidé les dépens du greffe à la somme de 70,91 €, dont la TVA 11,82 €.

Par déclaration du 29 décembre 2021, la société Jouri a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 15 décembre 2022, la société Jouri demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 1er décembre 2021 en toutes ses dispositions ;

- En conséquence,

- Déclarer la clause de garantie de l'article 17.1 des conditions générales du contrat applicable ;

- Déclarer la clause d'exclusion de l'article 29.8 des conditions générales du contrat non écrite ;

- Dire et juger que les pertes d'exploitation sont couvertes par le contrat ;

- Dire et juger que la garantie de la société Assurances du Crédit Mutuel Iard n'est pas déchue ;

- En conséquence :

- A titre principal :

- Condamner la société Assurances du Crédit Mutuel Iard à indemniser la société Jouri des préjudices subis au titre de la garantie pertes d'exploitation suite auxdites mesures administratives d'un montant de 331.840.20 €, outre intérêts de droit à compter de la déclaration de sinistre du 22 décembre 2020 pour les préjudices relatifs à l'année 2020 et à compter du 14 mai pour les préjudices relatifs à la période 14 janvier 2021 - 30 avril 2021 ;

- A titre subsidiaire :

- Condamner la société Assurances du Crédit Mutuel Iard à indemniser la société Jouri des préjudices subis au titre de la garantie pertes d'exploitation suite auxdites mesures administratives d'un montant de 296.952,30 €, outre intérêts de droit à compter de la déclaration de sinistre du 22 décembre 2020 pour les préjudices relatifs à l'année 2020 et à compter du 1er mai pour les préjudices relatifs à la période 1er janvier 2021 - 30 avril 2021 ;

- En tout état de cause :

- Condamner la société Assurances du Crédit Mutuel Iard au versement de la somme de 12.000€ au profit de la société Jouri au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamner la société Assurances du Crédit Mutuel Iard aux entiers dépens de l'instance, ainsi que ceux de première instance.

Par dernières conclusions notifiées le 24 février 2023, la société Assurances du Crédit Mutuel Iard demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du 1er décembre 2021 du tribunal de commerce de Nanterre en toutes ses dispositions ;

- Juger que la société Assurances du Crédit Mutuel Iard ne sont pas tenues d'indemniser la société Jouri de sa prétendue perte d'exploitation car les conditions de sa garantie ne sont pas réunies et que la clause d'exclusion relative au dommage causé par les micro organismes est valable et opposable à la société Jouri ;

- Juger que la société Jouri est défaillante à établir la réalité et le quantum de la perte d'exploitation alléguée ;

- Juger, en tout état de cause, qu'aucun préjudice n'est subi ;

- Débouter la société Jouri de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- A titre subsidiaire,

- Juger que la société Jouri a déclaré tardivement son sinistre et qu'en conséquence elle doit être déchue de ses demandes d'indemnisation ;

- Débouter la société Jouri de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Jouri au paiement d'une indemnité de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de Me Dontot, JRF & associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

La société Jouri se prévaut des stipulations de l'article 17.1 des conditions générales du contrat qui prévoient l'indemnisation des pertes d'exploitation consécutives à une interruption ou une réduction d'activité, résultant notamment d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires prises à la suite d'un évènement extérieur à l'activité de l'assuré. Elle estime que ces conditions sont remplies. Elle soutient que la notion de " mesure d'interdiction d'accès " visée à l'article 17.1 des conditions générales du contrat est imprécise, qu'elle n'est pas définie dans le contrat, que les ACM consacrent d'ailleurs dix-sept pages de leurs écritures à la préciser, de sorte qu'elle doit s'interpréter contre l'assureur. Elle expose qu'une mesure d'interdiction est toujours créatrice d'obligations à l'égard d'une liste limitative de débiteurs ; que dès lors, l'interdiction d'accès à un lieu n'est pas nécessairement opposable aux personnes justifiant d'un titre ou d'une qualité et qu'elle n'est donc jamais absolue.

La société Jouri considère, par ailleurs, que les mesures administratives prises dans le cadre de la crise sanitaire sont des mesures d'interdiction d'accès au sens du contrat. Elle explique que l'article 17.1 ne vise pas uniquement les mesures d'interdiction totale et permanente et qu'il suffit qu'il y ait une mesure d'interdiction, qu'elle soit totale ou partielle, quelle que soit sa durée ou sa période et/ou quelles que soient les personnes visées par cette interdiction. L'assurée estime que son analyse est confortée par les stipulations de l'article 17.1 qui évoquent les pertes d'exploitation consécutives, non seulement à l'interruption, mais également à la réduction de l'activité. Elle indique que l'autorisation des ventes à emporter ou en livraison est sans incidence sur le constat que le restaurant a subi des mesures d'interdiction d'accès à ses locaux, puisque les clients n'ont pas été autorisés à y entrer pour consommer sur place, que le couvre-feu en a interdit l'accès à compter d'une certaine heure et qu'après le 19 mai 2021, l'accès aux terrasses demeurait interdit après 21 heures. L'assurée considère que lorsque le protocole sanitaire interdit l'accès dans certaines zones (intérieur du restaurant) ou interdit l'exploitation du nombre maximal de couverts (distanciation entre les tables), l'article 17.1 s'applique tout autant, dès lors qu'il s'agit bien d'une interdiction d'accès opposable à toute personne du fait de l'horaire (en soirée), de l'endroit (intérieur) ou du nombre de personnes déjà présentes (mesures de distanciation).

La société Jouri demande à la cour d'écarter le moyen tiré d'un prétendu préjudice anormal et spécial qui n'aurait pas été envisagé lors de la conclusion du contrat au regard du principe constitutionnel de liberté contractuelle et du droit au maintien de l'économie des conventions conclues. Elle souligne que le moyen est incompatible avec l'allégation selon laquelle l'article 29.8 exclurait la garantie des dommages causés par un virus, qui était donc envisagée. Elle rappelle en outre que les mesures administratives ne peuvent être considérées comme imprévisibles puisqu'elles ont toujours existé. Elle estime que les résultats financiers des ACM contredisent le préjudice anormal et spécial invoqué par l'assureur. L'assurée observe que lors du versement de la " prime de relance mutualiste ", les ACM ont reconnu le lien entre la garantie des pertes d'exploitation, la perte de revenus et les mesures administratives.

Concernant la clause d'exclusion de garantie invoquée par l'assureur, la société Jouri demande à la cour de l'écarter au regard de son caractère non apparent méconnaissant les dispositions de l'article L.112-4 du code des assurances. Elle considère par ailleurs que la clause n'est ni formelle, ni limitée au sens de l'article L.113-1 du même code, dès lors que le terme microorganisme, non défini par la police, nécessite une interprétation. L'assurée ajoute que la clause ne vise que les dommages directement causés par les micro organismes, alors que la Covid-19 n'est pas la cause directe de sa perte d'exploitation, qui est consécutive aux mesures administratives.

La société Jouri sollicite l'indemnisation de son préjudice à concurrence de la somme de 311.840,20 €, à titre principal, et 276.952,30 € à titre subsidiaire, en application des stipulations des articles 17.1 et 17.2 des conditions générales du contrat. Elle conclut au rejet du rapport d'expertise amiable réalisé à la demande des ACM de manière non contradictoire.

Enfin, la société Jouri conteste le caractère tardif de sa déclaration de sinistre au regard des mesures administratives qui ont duré plusieurs mois et ont varié de manière imprévisible. Elle ajoute que les ACM ne justifient pas du préjudice consécutif au caractère prétendument tardif de la déclaration de sinistre.

Les ACM répondent que la notion d'"interdiction d'accès" est claire et insusceptible d'interprétation sauf à dénaturer le contrat ; qu'elle ne nécessite aucune définition, dès lors qu'il suffit de se référer au sens commun de l'expression tel qu'il est envisagé par les principaux dictionnaires, soit une défense absolue de pénétrer dans les locaux assurés. Les ACM relèvent que les mesures administratives issues des arrêtés des 14 et 15 mars 2020 ou du décret du 29 octobre 2020 n'interdisaient l'accès de l'établissement ni à la direction, ni aux salariés, ni aux fournisseurs, livreurs ni même aux clients sous certaines conditions, puisque l'accès aux ERP de la catégorie était légalement possible, notamment pour la vente à emporter et la livraison ; que si l'accueil du public était certes restreint, l'accès à l'établissement n'était pas interdit.

Les ACM soulignent que la police ne garantit pas l'interdiction partielle d'accès. Elles considèrent que réduire l'interdiction d'accès à une simple restriction d'accueil du public ajouterait au contrat, qui ne prévoit aucun aménagement ou aucune dérogation à l'interdiction qui est stipulée. Elles précisent que le contrat opère bien une distinction entre la mesure d'interdiction d'accès aux locaux et la difficulté de les exploiter et que considérer que l'interdiction d'accès concerne l'activité et non le local dénature le sens de la clause. Elles ajoutent que c'est l'exercice de l'activité qui a été empêché partiellement par les mesures gouvernementales et non l'accès.

Subsidiairement, si la cour devait estimer nécessaire d'interpréter le contrat et de rechercher la commune intention des parties dans les termes de l'article 1188 du code civil, l'assureur demande à la cour de relever que les ACM et la société Jouri ont conclu un contrat pour garantir cette dernière contre des risques d'exploitation pouvant survenir dans le cadre normal de son activité de restauration, alors que les mesures gouvernementales prises dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 constituent un aléa n'ayant pas été envisagé lors de la conclusion du contrat par ses caractères généralisé et inédit.

Les ACM se prévalent, par ailleurs, de la clause d'exclusion relative aux dommages causés par les micro organismes. L'assureur soutient que la clause est conforme aux dispositions de l'article L.113-1 du code des assurances dès lors qu'elle est précise et limitée et qu'elle respecte les dispositions de l'article L.112-4 du même code, puisqu'elle figure dans la police en caractères très apparents. L'assureur explique que le dictionnaire confirme que le virus est un micro organisme et qu'aux termes de l'article L.5139-1 du code général de la santé publique, le Coronavirus est un micro-organisme. Les ACM considèrent que la société Jouri dénature les termes de la clause d'exclusion en prétendant que les dommages indirects ne sont pas visés, alors que la clause vise les dommages sans restriction aux dommages directs. L'intimée soutient que l'épidémie de Covid-19 constitue bien la cause du dommage allégué dans la mesure où, en l'absence de celui-ci, les pertes d'exploitation alléguées aujourd'hui n'auraient pas été subies par l'appelante.

Les ACM considèrent subsidiairement que la société Jouri ne rapporte pas la preuve de son préjudice, dès lors qu'elle ne communique pas une documentation comptable complète justifiant son dommage. L'assureur se prévaut d'un rapport d'expertise qu'il a fait réaliser amiablement et soumis à la discussion contradictoire de la société Jouri dans le cadre de l'instance, afin de critiquer la demande indemnitaire de cette dernière.

Subsidiairement, les ACM soulèvent la tardiveté de la déclaration de sinistre qui n'a été régularisée que le 22 décembre 2020, soit 9 mois après les arrêtés des 14 et 15 mars 2020, alors qu'elle aurait dû intervenir dans les 5 jours en application du contrat. L'intimée conclut en conséquence à la déchéance de la garantie, précisant que cette déclaration tardive ne lui a pas permis de résilier le contrat à l'échéance de juillet 2020.

*****

Sur les conditions d'application de la garantie des pertes d'exploitation

L'article 17.1 des conditions générales du contrat liant les parties relatif à la " garantie de base " des " pertes d'exploitation ", stipule que :

" Nous garantissons les pertes pécuniaires que vous pouvez subir du fait de l'interruption ou de la réduction de votre activité résultant soit :

(')

- d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à votre activité et aux locaux dans lesquels vous l'exercez (') ".

La société Jouri soutient que la notion d' " interdiction d'accès " est sujette à interprétation et que l'interdiction n'a pas à être générale.

L'article 1192 du code civil prévoit que " On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ".

Il ressort de la lecture de la clause que l'interdiction d'accès se rapporte aux locaux dans lesquels l'activité de l'assuré est exercée. Dans son acception courante, l'interdiction d'accès à des locaux signifie une défense absolue pour quiconque de pénétrer dans lesdits locaux. Cette analyse est confortée par la définition donnée par le dictionnaire de l'Académie française du mot interdiction, qui évoque l' "action d'interdire ", ce verbe étant défini comme le fait de " défendre de façon absolue, par un ordre, une injonction, une décision d'autorité ".

En prétendant que l'interdiction d'accès visée par la clause n'est pas absolue et qu'elle peut n'être que partielle, en ne s'appliquant qu'à l'égard de certaines personnes, notamment les clients, la société Jouri introduit une distinction qui n'existe pas. En effet, la clause ne prévoit aucun aménagement ou aucune dérogation à l'interdiction qui est stipulée, de sorte que par cette interprétation, l'assurée dénature la clause claire et précise au sens du texte précité.

La société Jouri soutient à tort qu'une interdiction n'est jamais absolue et qu'elle ne serait, dans ce cas, pas fondée en droit, ni en fait. En effet, dans le cadre d'une interdiction d'accès à un immeuble menaçant ruine, consécutive à un arrêté municipal de péril, la décision de l'autorité administrative, fondée en droit et en fait, est absolue, dès lors qu'elle interdit à toute personne de pénétrer dans l'immeuble.

Le fait que la clause vise la réduction d'activité n'est pas de nature à remettre en cause cette analyse, dès lors que la clause vise par ailleurs, au titre des autres dommages garantis, ceux consécutifs à la difficulté d'accès ou d'exploitation des locaux du fait d'un évènement accidentel ayant entraîné des dommages matériels. Le sinistre décrit induit une réduction de l'activité.

Si la notion d'interdiction d'accès n'est effectivement pas définie dans les conditions générales, il apparaît qu'une telle définition ne s'avère pas nécessaire, dès lors que le contrat fait référence à l'acception usuelle de l'interdiction d'accès. La cour constate que les définitions qui sont données en pages 40 et 41 de la police se réfèrent à des termes ou notions propres au droit des assurances (sinistre, assuré, assureur, dommage, réclamation, vétusté '), ou revêtant un caractère technique (matériaux durs/matériaux légers, frais de déblais et de démolition '), ou dont le sens est particulier à la police (client, livraison, inoccupation, superficie '), de sorte que leur définition apparaît justifiée.

Les ACM consacrent certes plusieurs pages de leurs conclusions à préciser la notion d'interdiction d'accès. Cependant, ces développements se limitent à répondre aux arguments invoqués par l'assuré pour remettre en cause le sens clair et précis de la clause litigieuse.

L'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures de lutte contre la propagation du virus Covid-19 prévoit en son article 1 du chapitre 1 relatif aux mesures concernant les établissements recevant du public : " Afin de ralentir la propagation du virus Covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées à l'article GN1 du 25 juin 1980 susvisé figurant ci-après ne peuvent plus accueillir du public jusqu'au 15 avril 2020 :

(')

- au titre de la catégorie N : restaurants et débits de boissons, sauf pour les activités de livraison et de vente à emporter ' ".

Ces dispositions ont été maintenues par l'article 8 du décret n°2020-293 du 23 mars 2020, puis reprises par l'article 40 du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020.

Il ressort de ces dispositions que l'autorité administrative, dans le cadre de la crise sanitaire consécutive à l'épidémie de Covid-19, n'a édicté que des mesures de restriction d'accès aux restaurants, limitées à la clientèle. Comme le font valoir à juste titre les ACM, les restaurants demeuraient accessibles aux exploitants, aux personnels, aux fournisseurs et même, sous certaines conditions, aux clients autorisés à pénétrer dans les restaurants pour récupérer leur commande.

Ces restrictions d'accès ne sauraient se confondre avec une interdiction d'accès au sens de la police. La notion d'interdiction d'accès entraîne une impossibilité totale d'accéder aux locaux, ce qui n'est incontestablement pas le cas en l'espèce.

Le versement de la " prime de relance mutualiste ", ne saurait en aucun cas valoir reconnaissance par les ACM du lien entre la garantie des pertes d'exploitation, la perte de revenu et les mesures administratives, puisqu'il ressort explicitement du courrier de notification de l'octroi de cette prime du 22 mars 2020, que l'assureur considérait que la garantie des pertes d'exploitation n'était pas mobilisable au regard de la clause d'exclusion relative aux dommages causés par les micro organismes, mais que conscient des difficultés rencontrées par l'assurée, il entendait faire un geste 'dans un souci d'accompagnement et à titre exceptionnel'.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la garantie des pertes d'exploitation n'est pas mobilisable. En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner la validité et les conditions d'application de la clause d'exclusion stipulée à l'article 29.8 des conditions générales du contrat, la société Joury, par confirmation du jugement, doit être déboutée de l'intégralité de ses demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

L'équité et la situation économique des parties justifient d'infirmer le jugement des chefs des dépens et des frais irrépétibles, de laisser à chacune des parties la charge de ses dépens de première instance et d'appel et de les débouter de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris, sauf en celles de ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens de première instance et d'appel ;

Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 21/07755
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.07755 ?
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