La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/05/2023 | FRANCE | N°21/05318

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 11 mai 2023, 21/05318


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 39H



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 MAI 2023



N° RG 21/05318 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UWSD







AFFAIRE :



S.A.S. NICOSWITCH



C/



SAS MPM









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Juillet 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 2018F01972



Expéditions exÃ

©cutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Martine DUPUIS



Me Claire RICARD



TC NANTERRE















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt su...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2023

N° RG 21/05318 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UWSD

AFFAIRE :

S.A.S. NICOSWITCH

C/

SAS MPM

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Juillet 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 2018F01972

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS

Me Claire RICARD

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. NICOSWITCH anciennement dénommée LIBERTE DE FUMER

RCS Brive n° 511 581 795

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Gwendal BARBAUT de la SELEURL IPSIDE AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1489

APPELANTE

****************

SAS MPM

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 et Me Jérémy CARDENAS de la SCP Herald anciennement Granrut, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J010

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

La société Liberté de Fumer, créée en avril 2009, dénommée la société Nicoswitch depuis la fin de l'année 2020, fabrique et commercialise des cigarettes électroniques ('e-cigarette') ainsi que des recharges de liquides ('e-liquides') destinées à celles-là, sous sa marque D'LICE, présentant une forme et une étiquette qu'elle prétend originales.

La société MPM, créée en 2007, également présente sur le marché des 'e-liquides' depuis 2016, propose à la vente, notamment au travers de son site internet, des cigarettes électroniques et des e-liquides de diverses marques dont les siens et ceux de la société Nicoswitch.

La société Nicoswitch dit avoir découvert, au mois de juillet 2018, que la société MPM proposait à la vente sur son site internet des e-liquides comportant des étiquettes reprenant, selon elle, la forme caractéristique de celles de ses propres flacons D'LICE et de leurs bouchons, y ajoutant des illustrations copiées sur celles de ses produits.

Par courrier de son conseil du 17 juillet 2018, la société Nicoswitch a mis la société MPM en demeure de mettre fin à ces pratiques. La société Nicoswitch dit s'être ensuite rendue compte d'autres comportements relevant également, selon elle, d'actes de concurrence déloyale et parasitaire imputables à la société MPM.

La société Nicoswitch a assigné le 9 novembre 2018 la société MPM devant le tribunal de commerce de Nanterre en réparation de son préjudice.

Par jugement du 16 juillet 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Dit mal fondé le moyen avancé par la société à responsabilité limitée MPM relatif à la licéité de l'activité de la société Nicoswitch (antérieurement dénommée Liberté de Fumer) et l'a rejeté,

- Débouté la société MPM de sa demande reconventionnelle fondée sur ce même moyen,

- Dit mal fondée la demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale intentée par la société Nicoswitch (antérieurement dénommée Liberté de Fumer) à l'encontre de la société MPM et l'en a déboutée,

- Dit mal fondée la demande de dommages et intérêts pour parasitisme intentée par la société Nicoswitch (antérieurement dénommée Liberté de Fumer) à l'encontre de la société MPM et l'en a déboutée,

- Débouté la société Nicoswitch (antérieurement dénommée Liberté de Fumer) de toutes ses autres demandes,

- Débouté la société MPM de sa demande de dommages et intérêts pour abus du droit d'ester en justice,

- Condamné la société Nicoswitch (antérieurement dénommée Liberté de Fumer) à payer à la société MPM la somme de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, ,

- Condamné la société par actions simplifiée Nicoswitch (antérieurement dénommée Liberté de Fumer) aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 16 août 2021, la société Nicoswitch a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 18 janvier 2023, la société Nicoswitch demande à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la société Nicoswitch,

Y faisant droit :

- Infirmer le jugement rendu le 16 juillet 2021 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a :

/ Dit mal fondée la demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale intentée par la société Nicoswitch à l'encontre de la société MPM et en a débouté la société Nicoswitch,

/ Dit mal fondée la demande de dommages et intérêts pour parasitisme intentée par la société par actions simplifiée Nicoswitch à l'encontre de la société à responsabilité limitée MPM et en a débouté la société Nicoswitch,

/ Débouté la société Nicoswitch de toutes ses autres demandes,

/ Condamné la société Nicoswitch à payer à la société MPM la somme de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

/ Condamné la société Nicoswitch aux dépens de l'instance.

- Confirmer le jugement entrepris de 16 juillet 2021 en ce qu'il a :

/ Dit mal fondé le moyen avancé par la société MPM relatif à la licéité de l'activité de la société Nicoswitch et l'a rejeté,

/ Débouté la société MPM de sa demande reconventionnelle fondé sur ce même moyen,

/ Débouté la société MPM de sa demande de dommages et intérêts pour abus du droit d'ester en justice.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

- Déclarer recevables et bien fondées les demandes de la société Nicoswitch,

- Rejeter la fin de non-recevoir adverse et déclarer recevable la demande de condamnation de la société MPM à payer à la société Nicoswitch la somme de 1.192.839 €,
- Juger que la société MPM se rend coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire causant un préjudice à la société Nicoswitch,

Et en conséquence :

- Faire interdiction à la société MPM de diffuser des produits e-liquides sur lesquels sont apposées les étiquettes reprenant le visuel litigieux, le tout à quelque titre que ce soit, pour quelque motif que ce soit, sur tout support que ce soit, notamment sur support papier ou électronique et sur tout site Internet, sous astreinte définitive de 1.000 € par infraction constatée à compter de la date du jugement (sic) à intervenir,

- Ordonner le retrait, aux frais de la société MPM, de tous les produits e-liquides sur lesquels sont apposées les étiquettes reprenant le visuel litigieux, diffusés par la société MPM au préjudice de la société Nicoswitch, sous astreinte définitive de 1.000 € par infraction constatée à compter de la date du jugement (sic) à intervenir,

- Cesser toute promotion/diffusion, actuelle ou à venir, des produits e-liquides sur lesquels sont apposées les étiquettes reprenant le visuel litigieux, le tout à quelque titre que ce soit, pour quelque motif que ce soit, sur tout support que ce soit, notamment sur support papier ou électronique et sur tout site internet, sous astreinte définitive de 1.000 € par infraction constatée à compter de la date du jugement (sic) à intervenir,

- Supprimer ou détruire tous les produits e-liquides sur lesquels sont apposées les étiquettes reprenant le visuel litigieux, le tout à quelque titre que ce soit, pour quelque motif que ce soit, sur tout support que ce soit. notamment sur support papier ou électronique et sur tout site Internet, sous astreinte définitive de 1.000 € par infraction constatée à compter de la date du jugement (sic) à intervenir,

- Ordonner la confiscation au profit de la société Nicoswitch et la destruction aux frais de la société MPM de tous produits e-liquides sur lesquels sont apposées les étiquettes reprenant le visuel litigieux diffusés par celles-ci au préjudice de la société Nicoswitch,

- Faire interdiction à la société MPM de reprendre, pour le présent et l'avenir, les éléments caractéristiques de la charte graphique des étiquettes créées par la société Nicoswitch pour vendre ses produits e-liquides, le tout à quelque titre que ce soit, pour quelque motif que ce soit, sur tout support que ce soit notamment sur support papier ou électronique et sur tout site internet,

- Ordonner à la société MPM de modifier la charte graphique de ses étiquettes, en abandonnant tous les éléments caractéristiques de la charte créée par la société Nicoswitch, et notamment:

- Les nuances de couleur propres au graphisme des étiquettes de la société Nicoswitch,

- L'indication de façon verticale de la marque Nicoswitch à l'une ou l'autre des extrémités de l'étiquette,

- L'indication en haut et au milieu de l'étiquette de la saveur du liquide en caractères blancs avec immédiatement en-dessous, en baseline, l'indication française desdits produits ;

- Condamner la société MPM à verser à la société Nicoswitch une indemnité de 1.192.839 € en réparation du préjudice économique subi résultant des faits de concurrence déloyale et parasitaire;

- Condamner la société MPM à verser à la société Nicoswitch une indemnité de 30.000 € en réparation du préjudice moral subi résultant des faits de concurrence déloyale et parasitaire ;

- Ordonner à la société MPM de fournir toutes explications concernant la déclaration auprès de l'Anses de la liste de produits nommés « DLICE » dont les références sont identiques à celles des produits Nicoswitch également déclarés auprès de l'Anses, et notamment son lien avec la société Aromance immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Cannes sous le numéro 509 978 631;

- Autoriser la société Nicoswitch à adresser, par extrait, une copie du jugement à intervenir à tous ses revendeurs et/ou distributeurs et à la publier sur son site Internet pendant une durée ininterrompue de trois mois, ainsi que dans cinq revues au choix de la société Nicoswitch, aux frais de la société MPM, et ce, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la date du jugement (sic) à intervenir ;

- Juger que la cour se réserve expressément le pouvoir de liquider l'ensemble des astreintes ainsi prononcées, conformément aux dispositions de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution.

En tout état de cause :

- Déclarer mal fondé l'appel incident de la société MPM et la débouter de toutes ses demandes,

- Condamner la société MPM à payer à la société Nicoswitch la somme de 40.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société MPM aux entiers dépens de l'instance, en ce compris l'intégralité des frais de constat d'huissier.

Par dernières conclusions notifiées le 2 février 2023, la société MPM demande à la cour de:

A titre principal :

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 16 juillet 2021 en ce qu'il a :
- Considéré que l'activité de la société Nicoswitch n'a pas été exercée de manière illicite,
- Débouté la société MPM de sa demande reconventionnelle fondée sur ce moyen,

Statuant à nouveau :

- Débouter la société Nicoswitch de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- Vu l'usage de la dénomination « Liberté de Fumer » constitutif d'une propagande ou d'une publicité pour les produits du tabac et qu'ainsi son usage pour la commercialisation d'e-liquides est illicite, condamner Nicoswitch à verser à la société MPM la somme de 100.000 € au titre du préjudice matériel et la somme de 20.000 € au titre du préjudice moral découlant des actes de concurrence déloyale compte tenu de l'exercice illicite de la vente d'e-liquides,

A titre subsidiaire :

- Déclarer irrecevable la prétention de la société Nicoswitch visant au paiement par la société MPM d'une somme d'un montant de 1.192.839 € formée en violation des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 16 juillet 2021 en ce qu'il a débouté Nicoswitch anciennement dénommée Liberté de Fumer de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions en considérant qu'elle n'établissait aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire,

En tout état de cause :

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 16 juillet 2021 en ce qu'il a condamné la société Nicoswitch à payer à la société MPM des sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 16 juillet 2021 en ce qu'il a limité la condamnation de la société Nicoswitch anciennement dénommée Liberté de Fumer à verser à la société MPM la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 16 juillet 2021 en ce qu'il a débouté la société MPM de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour abus du droit d'ester en justice,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Condamner la société Nicoswitch à verser à la société MPM la somme de 20.000 € au titre du préjudice moral et d'image découlant des abus de droit commis,

- Condamner la société Nicoswitch à verser à la société MPM la somme de 40.000 € au titre des frais de première instance conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de même qu'aux entiers dépens,

- Condamner la société Nicoswitch à verser à la société MPM la somme de 20.000 € au titre des frais d'appel non compris dans les dépens conformément à l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Nicoswitch anciennement Liberté de Fumer aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Me Ricard conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- Statuer ce qu'il lui plaît sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile qui dispose que : « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 € (...) ».

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 février 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

À titre liminaire, la cour, tenue par le seul dispositif des conclusions, rappelle qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes des parties tendant à «donner acte », « constater », « dire et juger », dans la mesure où elles ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

Sur la licéité de l'activité de la société Nicoswitch

La société MPM soutient que la société Nicoswitch n'était pas autorisée, au regard notamment de l'article L.3512-4 du code de la santé publique, à commercialiser ses 'e-liquides' en usant de sa dénomination sociale 'Liberté de Fumer', constitutive, selon elle, d'une propagande ou d'une publicité pour les produits du tabac.

Elle fait valoir, en premier lieu, que la société Nicoswitch a déposé une marque verbale française 'LIBERTÉ DE FUMER', sous le n° (09) 36 434 79, le 10 avril 2009, qui vise notamment la classe 34 'Articles pour fumeurs cigares, cigarettes pipes, boîtes ou étuis à cigarette.', que la société Nicoswitch ne pouvait, dès lors, utiliser cette marque, notamment à titre de dénomination sociale, pour commercialiser autre chose que des produits du tabac et, qu'en utilisant celle-ci pour commercialiser ses 'e-liquides', la société Nicoswitch a mis en place une publicité indirecte prohibée. Elle soutient, en second lieu, que l'utilisation de la dénomination sociale 'LIBERTÉ DE FUMER' est constitutive, en elle-même, d'une propagande ou publicité en faveur du tabac ou des produits du tabac en ce qu'elle évoque la possibilité de fumer du tabac sans restriction. Elle déduit de cette illicéité l'impossibilité pour la société Nicoswitch de se prévaloir de la commercialisation de ses 'e-liquides' sous cette dénomination pour fonder son action en concurrence déloyale et parasitaire dont elle doit être déboutée. Elle expose que le changement de dénomination sociale ('Liberté de fumer' en 'Nicoswitch') ne 'purge' pas cette illicéité exercée jusqu'à cette modification et que la cour reste saisie de ce moyen, en défense, par voie d'exception en rejet des prétentions initiales de la société Nicoswitch et, en demande, à titre reconventionnel, s'agissant de ses demandes indemnitaires à l'encontre de la société Nicoswitch.

Elle fait valoir que l'exercice non autorisé d'une activité est constitutif d'un acte de concurrence déloyale pour les concurrents ne se plaçant pas dans cette illicéité. Elle sollicite la condamnation de la société Nicoswitch à lui verser la somme de 100.000 € au titre du préjudice matériel et la somme de 20.000 € au titre du préjudice moral découlant des actes de concurrence déloyale compte tenu de l'exercice illicite de la vente d'e-liquides.

La société Nicoswitch sollicite la confirmation du jugement qui a considéré que l'exercice de son activité sous l'ancienne dénomination 'Liberté de Fumer' ne constituait pas une publicité indirecte en faveur du tabac et, partant, n'était pas constitutif d'actes de concurrence déloyale.

Elle fait valoir, au préalable, que la société MPM opère une confusion entre une action en concurrence déloyale et une action en contrefaçon, cette dernière seule ouvrant le droit à réparation du préjudice passé. Elle expose que s'agissant de la concurrence déloyale dès lors que la faute disparaît (en l'espèce, par le changement de dénomination sociale) le préjudice n'existe plus et qu'ainsi le préjudice passé allégué ne peut donner lieu à réparation.

Elle fait valoir qu'en toute hypothèse, l'utilisation d'une dénomination sociale ne constitue pas un acte de publicité et que les e-liquides ne sont ni du tabac, ni 'un produit du tabac', de telle sorte que les conditions de l'article L. 3512-4 du code de la santé publique ne sont pas remplies, qu'elle n'a donc pas commis de faute constitutive de concurrence déloyale qui, en outre, n'est pas démontrée, pas plus que le préjudice prétendument subi par la société MPM consécutif au prétendu caractère illicite de son activité.

*

Il n'est pas contesté que la société Nicoswitch a exercé son activité sous la dénomination sociale 'Liberté de fumer' jusqu'à la fin de l'année 2020.

*

L'article L.3512-1du code de la santé publique dispose 'Sont considérés comme produits du tabac les produits pouvant être consommés et composés, même partiellement, de tabac, qu'il soit ou non génétiquement modifié.

Les produits du tabac comprennent les cigarettes, le tabac à rouler, le tabac à pipe, le tabac à pipe à eau, les cigares, les cigarillos, le tabac à mâcher, le tabac à priser et le tabac à usage oral.

Sont également des produits du tabac au sens du premier alinéa, les nouveaux produits du tabac qui sont les produits autres que ceux mentionnés au deuxième alinéa et qui sont mis sur le marché après le 19 mai 2014.'.

L'article L.3512-2 du même code prévoit qu' :' Est considéré comme ingrédient, le tabac, un additif, ainsi que toute autre substance ou tout autre élément présent dans un produit fini du tabac, y compris le papier, le filtre, l'encre, les capsules et les colles.'.

L'article L.3512-4 du code de la santé publique dispose, en son premier alinéa, que :'La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, des produits du tabac, des ingrédients définis à l'article L. 3512-2, ainsi que toute distribution gratuite ou vente d'un produit du tabac à un prix inférieur à celui qui a été homologué conformément à l'article 572 du code général des impôts sont interdites.'.

L'article L.3512-5 du même code, en son premier alinéa, précise : 'Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou la publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini à l'article L.3512-2 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini à l'article L. 3512-2.'.

*

De ce qui précède, il résulte que, s'agissant de la publicité indirecte prohibée, il appartient à la société MPM de rapporter préalablement la preuve que les liquides de recharge ('e-liquides') dont elle dénonce la commercialisation sous la dénomination 'Liberté de fumer', sont considérés comme 'tabac', 'produits du tabac' ou 'ingrédients' au sens de la réglementation rappelée ci-dessus.

Or, la société MPM s'économise l'administration de cette preuve, présupposant que les 'e-liquides' appartiennent à ces catégories de produits dont la publicité ou la propagande sont interdites alors qu'il lui appartient de démontrer que l'interdiction prévue par les textes sur lesquels elle se fonde s'applique également aux 'e-liquides'.

Elle ne justifie pas, au regard des textes qu'elle invoque, l'illicéité de la commercialisation des 'e-liquides' sous la dénomination 'Liberté de fumer'.

La société MPM ne peut, en outre, prétendre démontrer l'existence d'une illicéité tirée de la seule existence de la dénomination 'Liberté de fumer' alors qu'elle fonde sa prétention sur la violation des textes visés ci-dessus qui suppose la démonstration de l'utilisation de cette dénomination à des fins de propagande ou de publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, des produits du tabac, ou des ingrédients.

Or, la société MPM ne justifie pas de cette démonstration.

En conséquence, la société MPM doit être déboutée de sa demande principale de déclarer l'activité de la société Nicoswitch illicite au motif qu'elle commercialise des 'e-liquides' sous la dénomination 'Liberté de fumer' et de sa demande reconventionnelle d'être indemnisée au titre d'un préjudice qu'elle aurait prétendument subi consécutif à l'exercice par la société Nicoswitch d'une concurrence déloyale issue d'une activité illicite.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société Nicoswitch critique le jugement entrepris qui l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme.

S'agissant de la concurrence déloyale, la société Nicoswitch reproche à la société MPM d'avoir commis l'ensemble les actes suivants :

' reprise de la charte graphique des étiquettes D'LICE ;

' reprise à l'identique des bouchons des produits D'LICE ;

' reprise combinée de ces éléments de manière récente ;

' vente des produits Nicoswitch à un prix inférieur à ceux des produits D'LICE;

' distribution des produits Nicoswitch via les mêmes cibles que les produits D'LICE ;

' déclaration litigieuse de produits "DLICE" auprès de l'Anses.

S'agissant des actes de parasitisme, la société Nicoswitch soutient que la société MPM a volontairement tiré profit de sa notoriété dans le domaine de la cigarette électronique résultant d'investissements financiers et intellectuels importants qu'elle a réalisés, en reprenant les éléments caractéristiques de la commercialisation de ses produits 'e-liquides' pour capter sa clientèle.

Elle sollicite réparation de son préjudice qu'elle fixe à la somme de 1.192.839 € [2 982 097,95 € x 40/100], soit 40 % du montant total des investissements précités réalisés pour développer les produits D'LICE. Elle réclame également la réparation de son préjudice moral (30.000 €) et la cessation des actes litigieux par diverses mesures.

La société MPM demande la confirmation du jugement qui n'a retenu aucune faute constitutive de concurrence déloyale ou parasitaire à son égard. Elle rappelle qu'en l'absence de droit de propriété intellectuelle, le principe de liberté du commerce et de l'industrie doit prévaloir et que les actes pouvant être sanctionnés sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire doivent faire l'objet d'une interprétation stricte.

Elle soutient que le grief de concurrence déloyale, pour être établi, suppose la démonstration de l'imitation de signes distinctifs d'un produit et de l'existence d'un risque de confusion entre les produits destinés au public visé, étant relevé qu'il n'y a pas d'acte d'imitation lorsque les produits en cause s'inscrivent 'dans des courants de mode'. Elle conteste chacun des points considérés comme constitutifs de concurrence déloyale par la société Nicoswitch.

Elle fait valoir que le parasitisme ne peut être retenu que si la preuve est établie d'une reprise d'une valeur économique individualisée, procurant un avantage concurrentiel de façon injustifiée. Elle soutient qu'en l'espèce ces conditions ne sont pas réunies.

Elle sollicite, subsidiairement, l'irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts de la société Nicoswitch évaluée à 1.192.839 € au motif qu'elle constituerait une prétention nouvelle au sens de l'article 910-4 du code de procédure civile.

Elle fait valoir, enfin, que la société Nicoswitch ne justifie pas de son préjudice. Elle rappelle au surplus que le préjudice financier consécutif à une captation de clientèle doit être calculé sur la base du manque à gagner, c'est-à-dire sur la base de la perte de marge brute subie et non sur le chiffre d'affaires.

Elle conteste également les autres demandes adverses relatives à la cessation d'actes prétendument litigieux.

*

L'article 1240 du code civile stipule que 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'.

*

Sur la concurrence déloyale

La cour ne retiendra pas à titre d'acte de concurrence déloyale la déclaration, à l'insu de la société Nicoswitch, des produits D'LICE auprès de l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) prétendument effectuée par la société MPM alors qu'elle relève elle-même que cette déclaration a été effectuée, selon l'Anses, par une société tierce dénommée Aromance sans qu'elle établisse de lien entre celle-ci et la société MPM. Elle sera déboutée de sa demande visant à contraindre la société MPM de fournir toutes explications à propos de cette déclaration, la société MPM affirmant y être étrangère.

S'agissant de l'analyse des produits litigieux, les produits 'fraise' et 'pomme' de la société Nicoswitch se présentent ainsi :

Les produits se déclinent similairement pour d'autres arômes ( 'menthe fraîche', 'cola', 'café').

La société Nicoswitch prétend que le bouchon cylindrique blanc et les étiquettes de ces produits sont le résultat d'un parti pris esthétique et caractérisent sa politique graphique, combinant pour l'étiquette, l'utilisation de couleurs franches (ex : rouge chatoyant pour la recharge D'LICE 'fraise', vert électrique pour la recharge 'pomme'), avec apposition verticale et dominante de la marque D'LICE en caractères gras noirs majuscules ; avec indication de l'arôme ('fraise', 'pomme'), au milieu et en partie supérieure de l'étiquette, en caractères majuscules de couleur blanche suivie de la mention en petits caractères '100% arôme français'.

Elle produit un tableau comparatif illustré des produits concurrents et en tire la conclusion que ses produits se distinguent 'clairement' de ceux-ci grâce à l'identité graphique et visuelle 'fruit d'efforts intellectuels et financiers constants'.

Elle expose que jusqu'en fin d'année 2017, la société MPM commercialisait des recharges liquides sous la forme suivante :

Ces présentations de recharges ne lui posaient pas de difficultés dit-elle.

En revanche, elle reproche à la société MPM d'avoir commercialisé en 2018 ces 'e-liquides' sous une nouvelle forme ainsi que cela ressort d'un constat d'huissier du 6 juillet 2018 (page 9 du constat - sa pièce 5), ainsi :

La cour constate qu'auparavant le bouchon de la recharge commercialisée par la société MPM était cylindrique pour sa moitié inférieure et tronconique pour sa moitié supérieure alors qu'en 2018 celui-ci devient cylindrique et devient identique, dans sa forme et sa taille, à celui de la société Nicoswitch si ce n'est sa couleur noire au lieu de blanche.

La cour relève également qu'avant 2018 l'étiquette de la recharge arôme 'fraise' commercialisée par la société MPM était de même taille que celle de la société Nicoswitch, présentait un fond rouge moins soutenu que celui utilisé par la société Nicoswitch, portait l'indication de l'arôme dans sa partie supérieure en petits caractères blancs, était barrée en diagonale de la dénomination 'NICOVIP' en caractères apparents gras noirs, précédée de l'indication de contenance (10ml) en petits caractères de couleur blanche et suivie des mentions 'Fabrication française'et 'sans alcool'.

En revanche, en 2018, la cour constate l'évolution de cette étiquette vers le graphisme choisi par la société Nicoswitch. En effet, la couleur de fond (rouge pour l'arôme fraise ou vert pour la pomme) est plus soutenue sans être tout à fait identique à celle utilisée par la société Nicoswitch. La taille des caractères employée pour l'indication de l'arôme en haut de l'étiquette atteint presque celle utilisée par la société Nicoswitch. La dénomination 'NICOVIP' n'est plus placée en diagonale mais apparaît verticalement en caractères gras dominants comme la dénomination 'D'LICE', à la seule différence qu'elle apparaît du côté gauche du sens de lecture de l'étiquette alors que celle de la société Nicoswitch figure sur le côté droit.

Cette présentation nouvelle ne peut résulter du hasard alors que le tableau comparé des produits concurrents précédemment commenté (pièce 15 - Nicoswitch) ainsi que la présentation de produits concurrents par la société MPM (ses pièces 11 et 11bis) mettent en évidence les nombreuses différences de présentation d'étiquettes utilisées par les concurrents tant dans le texte, le graphisme et les couleurs, même si la taille, la forme de la recharge ainsi que celle du bouchon ne varient pas beaucoup.

La société MPM ne s'explique pas sur la motivation qui l'a conduite à retenir cette nouvelle présentation.

Ainsi, il apparaît que la société MPM, distributeur entre autres des produits de la société Nicoswitch, s'est inspirée de la charte graphique de cette dernière pour commercialiser à partir de 2018 ses propres recharges liquides.

La société Nicoswitch fait également valoir la différence de prix des recharges liquides. La société MPM commercialise sa recharge liquide à un prix de 3,90 € contre 5,10 € pour la société Nicoswitch. La société MPM ne le conteste pas mais oppose le principe de la liberté de fixation du prix.

Toutefois, s'il est vrai que les prix sont, en principe, fixés librement, l'écart constaté, sensible en l'espèce (1,20 € soit un écart de plus de 23%), conjugué à la nouvelle étiquette contribue à renforcer l'esprit de manoeuvre de la société MPM relevé précédemment.

La société Nicoswitch fait valoir également que la société MPM a entrepris, à partir du mois de septembre 2018, (Magazine de la fédération des chambres syndicales des buralistes - septembre 2018 , sa pièce 9) de démarcher spécifiquement la clientèle des buralistes en publiant un encart dans ce magazine sous la rubrique 'Tendances' présentant le produit liquide 'Fraise' dans son nouveau conditionnement. La société MPM réplique qu'étant concurrente de la société Nicoswitch il est normal que les canaux de distribution soient identiques.

Le canal de distribution n'appelle pas critique.

En revanche, la concomitance de l'insertion de cet encart en septembre 2018, associée à une politique de prix bas, et la nouvelle présentation du produit NICOVIP inspirée du produit D'LICE commercialisé par la société Nicoswitch, conforte l'existence d'un comportement déloyal, illustré par la présence dans cette insertion du produit NICOVIP qui s'accompagne de la légende, en sous titre, 'Fabrication française et petit prix', dans le but de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle démarchée entre les produits 'D'LICE' et 'NICOVIP'.

La société MPM a, par ses agissements précédemment identifiés, fait un usage excessif de sa liberté d'entreprendre, en recourant à des procédés contraires aux règles et usages, caractérisant ainsi une pratique de concurrence déloyale au détriment de la société Nicoswitch.

Elle en doit réparation sous réserve que la société Nicoswitch démontre l'existence de son préjudice. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur le parasitisme

Le parasitisme se caractérise par l'utilisation illégitime et intéressée d'une valeur économique d'autrui, fruit d'un savoir-faire spécifique et d'un travail intellectuel, lorsque cette valeur n'est pas protégée par un droit spécifique. Il consiste en comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, des efforts faits par cet agent et du savoir-faire spécifique acquis par lui en conséquence.

*

La société Nicoswitch fait valoir que depuis sa création en 2009 elle a acquis un savoir-faire et une notoriété grâce à d'importants investissements dans la recherche, la fabrication et la promotion de ses produits. Elle soutient être devenue l'un des leaders dans le marché de la cigarette électronique. Elle reproche à la société MPM d'avoir modifié l'apparence de ses produits en vue de bénéficier à moindre coût de sa notoriété ce qui constitue un acte relevant du parasitisme.

Elle critique le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve de ces agissements parasitaires.

La société MPM conteste qu'il puisse lui être reprochée une reprise d'une valeur économique individualisée procurant un avantage concurrentiel sur la base de l'utilisation d'une prétendue combinaison de caractéristiques qui ne revêtent aucune distinctivité.

*

La société Nicoswitch produit des études de marché en septembre 2017 et octobre 2018 relatives à la commercialisation des 'e-liquides' par les producteurs et les distributeurs (pièce 2 - Nicoswitch ) selon lesquelles le marché français des recharges liquides se compose de 85 % de produits élaborés en France, contre 15 % en provenance de sources étrangères (Etats-Unis, Royaume Uni,...), avec 50 marques différentes présentes sur ce marché étant précisé que les producteurs détiennent 54 % de parts dudit marché, que les principaux acteurs sont 'Alfaliquid, VDLV, D'lices, Liquideo and Savourea' (souligné par la cour), que, selon les détaillants consultés, la marque 'D'LICE' apparaît comme l'une des 3 marques les plus vendues, à égalité avec la marque Alfaquid. La société Nicoswitch démontre ainsi sa notoriété et sa forte présence qui la placent dans le trio de tête du marché français des 'e-liquides' sans que la société MPM ne le conteste.

La société Nicoswitch, dont il n'est pas contesté que la fabrication et la distribution de cigarettes électroniques et de recharges constituent la seule activité, verse aux débats un état des investissements (2.238.077,48 €) qu'elle dit avoir réalisés entre 2014 et 2019 pour le développement et la commercialisation des produits 'D'LICE', établi par le directeur général de la société (pièce 14 - Nicoswitch ), ainsi qu'une lettre du 22 novembre 2019 d'un cabinet d'expertise comptable attestant de la conformité de cet état avec la comptabilité de la société Nicoswitch sur la période du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2019 (pièce 16 - Nicoswitch ). La société Nicoswitch justifie ainsi avoir réalisé des investissements pour la fabrication et la commercialisation des produits relevant de son activité dont les recharges liquides.

La cour a précédemment relevé que la société MPM avait adopté dans le courant de l'année 2018 une nouvelle présentation de ses produits NICOVIP inspirée de celle des produits D'LICE

notamment par le choix des caractères typographiques, de la couleur et surtout de la présentation graphique de l'étiquette très proche de celle de la société Nicoswitch.

La cour a également constaté que la présentation du produit D'LICE se démarquait des autres produits concurrents induisant un effort de recherche supposant des investissements financiers et intellectuels.

La société MPM ne s'explique pas - ainsi que la cour l'a précédemment observé- sur le choix qui l'a conduite à faire évoluer la présentation de son produit utilisée jusqu'en 2017 vers celle de 2018. Elle ne justifie pas d'investissements particuliers en termes de marketing et de publicité en vue de cette nouvelle présentation.

Ainsi,la société MPM a choisi de s'inspirer de la présentation des étiquettes de recharges liquides mise au point par la société Nicoswitch sans avoir à consacrer les investissements correspondants.

La société MPM a ainsi commis des actes de parasitisme en s'appropriant le travail intellectuel de la société Nicoswitch concrétisé par une charte graphique spécifique, en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire et de sa notoriété. Elle a ainsi commis une faute au détriment de la société Nicoswitch dont elle lui doit réparation sous réserve pour cette dernière de justifier de son préjudice.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur le préjudice

La société Nicoswitch fait valoir, sans distinguer entre les conséquences des actes de concurrence déloyale et celles des agissements parasitaires, que son préjudice résulte de la privation des fruits de ses efforts importants de création, de ses investissements économiques et de la promotion 'massive' de ses produits. Elle sollicite l'infirmation du jugement qui a rejeté ses demandes à ce titre et demande réparation de son préjudice qu'elle fixe à 1.192.839 € [2 982 097,95 € x 40/100], soit 40 % du montant total des investissements précités réalisés pour développer les produits D'LICE. Elle réclame également la réparation de son préjudice moral évalué à 30.000 €. Elle sollicite enfin que la cour ordonne des mesures réparatrices (interdiction de diffusion des produits portant le visuel litigieux, retrait de ces produits ; cessation de leur promotion, sous astreinte ; destruction de ceux-ci ; confiscation et leur destruction ; interdiction de reprise des éléments caractéristiques des visuels litigieux, modification des visuels ; publication et diffusion de la décision).

La société MPM soulève, à titre préalable, l'irrecevabilité de cette demande au visa de l'article L.910-4 du code de procédure civile au motif qu'il s'agirait d'une demande nouvelle en ce que

la société Nicoswitch sollicitait dans ses écritures d'appelante du 12 novembre 2021 une somme de 895.231 € alors que dans ses dernières écritures elle fixe sa demande à la somme de 1.192.839 €.

Sur le fond, la société MPM conteste la demande indemnitaire de la société Nicoswitch soutenant que le préjudice ne peut être apprécié que sur la base du manque à gagner en fonction de la perte de marge brute subie par la société Nicoswitch et non en fonction de son chiffre d'affaires. Elle s'oppose enfin aux demande de mesures réparatrices. Elle relève que la société Nicoswitch ne peut obtenir la liquidation d'astreintes 'définitives', que la confiscation ou la publication de la décision ne reposent sur aucun fondement juridique s'agissant de concurrence déloyale et parasitaire, que la condamnation aux dépens ne peut inclure les frais de constats d'huissiers.

*

Sur l'irrecevabilité

La demande n'est pas nouvelle dès lors que seul son quantum a été modifié de sorte que l'irrecevabilité soulevée par la société MPM sera rejetée.

Sur le fond

Il est de principe que la réparation d'un dommage consiste à rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par ce dommage et replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle.

La société Nicoswitch ne fournit aucune information sur la perte de chiffre d'affaires qu'elle aurait éventuellement subie du fait des fautes commises par la société MPM. Elle ne revendique pas d'indemnisation à ce titre. En effet, elle ne sollicite à titre de réparation, tant pour les actes de concurrence déloyale que pour les actes de parasitisme, qu'un pourcentage des investissements réalisés pour la mise en oeuvre et la distribution des 'e-liquides'.

La société MPM fait valoir sans être démentie par la société Nicoswitch que cette dernière lui confie toujours la distribution de ses produits D'LICE, via internet, à sa satisfaction puisqu'elle en a été récompensée en 2022 et en 2023 sous forme de cadeaux de fin d'année (pièces 14, 15 et 17 - MPM). La société MPM produit un extrait de 'compte professionnel du site D'LICE' au 2 janvier 2021, non contesté, laissant apparaître une progression continue de son chiffre d'affaires réalisé avec les produits D'LICE (de 5.000 € en 2017 à 41.900 € en 2020).

En l'absence d'éléments chiffrés sur les conséquences négatives des agissements de la société MPM sur l'activité de la société Nicoswitch exprimées en baisse de chiffre d'affaires ou de marge brute, la cour prendra en considération l'avantage indu obtenu par la société MPM en terme d'économie d'investissements.

La société Nicoswitch justifie les investissements qu'elle a consacrés à son activité (ses pièces 13, 14 et 16) laquelle couvre la fabrication et la commercialisation des cigarettes électroniques aussi bien que les produits 'e-liquides'. Elle sollicite la prise en charge de 40% de ces investissements. Elle ne s'explique cependant pas sur la détermination du pourcentage qu'elle retient. Elle ne distingue pas les investissements réalisés pour la fabrication et la commercialisation des cigarettes électroniques et ceux destinés aux produits 'e-liquides'. Enfin, l'examen des nombreuses pièces justificatives conduit à considérer, tout comme les premiers juges, qu'une partie substantielle des dépenses dont elle demande la prise en charge partielle concernent les charges courantes d'exploitation sans que soit établi un lien entre ces dépenses et le développement d'une charte graphique spécifique aux produits D'LICE élément constitutif de la valeur économique que s'est appropriée la société MPM par ses agissements.

En fonction des éléments qui lui ont été soumis, et notamment de l'état des investissements réalisés entre 2014 et 2019 (pièce 14 - Nicoswitch déjà commentée), la cour fixera à la somme de 50.000 € l'indemnité réparatrice du préjudice subi par la société Nicoswitch au titre de l'avantage indu obtenu par la société MPM du faits de ses agissements fautifs, au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, en ne retenant, dans son appréciation, que certains postes justifiés de dépenses figurant dans cet état (foires et expositions, publicité et relations publiques, frais relatifs aux étiquettes), la société Nicoswitch ne précisant pas si les dépenses concernent uniquement les produits 'e-liquides' ou l'ensemble de son activité (la cigarette électronique et les produits liquides).

La société Nicoswitch sollicite la somme de 30.000 € en réparation du préjudice moral du fait de l'atteinte à sa notoriété mais elle n'en justifie pas de sorte que sa demande sera écartée.

La cour ordonnera la cessation par la société MPM de la commercialisation des produits 'e-liquides' 'NICOVIP' sous l'étiquette reprenant le visuel litigieux de 2018 sous astreinte selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt.

La cour ne fera pas droit aux autres demandes relatives aux produits liquides litigieux (faire interdiction de diffuser, ordonner le retrait, cesser toute promotion et diffusion, supprimer ou détruire, ordonner la confiscation et la destruction, faire interdiction de reprendre les éléments caractéristiques de la charte graphique, ordonner de modifier la charte graphique utilisée par la société MPM pour ses propres produits, autoriser la diffusion de la décision), l'interdiction de la commercialisation des produits NICOVIP avec le visuel litigieux étant une mesure suffisante en l'espèce à faire cesser ou prévenir le dommage.

Sur la procédure abusive

La société MPM sollicite la condamnation de société Nicoswitch à 20.000 € au visa des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil. Elle fait valoir que l'action de la société Nicoswitch a été témérairement introduite et qu'elle a ainsi abusé de son droit.

La société Nicoswitch sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société MPM de sa demande de dommages et intérêts pour abus du droit d'ester en justice.

*

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts que lorsqu'est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.

La société MPM qui succombe pour l'essentiel ne démontre pas le caractère abusif de l'exercice par la société Nicoswitch de ses droits et des voies de recours.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société MPM de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

La société MPM sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

La société MPM sera condamnée à verser à la société Nicoswitch la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement,

Confirme, le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 16 juillet 2021, en ce qu'il a

dit mal fondé le moyen avancé par la société MPM relatif à la licéité de l'activité de la société Nicoswitch (antérieurement dénommée Liberté de Fumer) et l'a rejeté, en ce qu'il a débouté la société MPM de sa demande reconventionnelle fondée sur ce même moyen et en ce qu'il a débouté la société MPM de sa demande de dommages et intérêts pour abus du droit d'ester en justice,

Infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau

Condamne la société MPM à verser à la société Nicoswitch la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire,

Ordonne à la société MPM de cesser toute commercialisation de recharges liquides, quelque soit l'arôme, sous l'étiquette litigieuse telle qu'identifiée à la page 9 du constat du 6 juillet 2018 dressé par Me [C] (pièce 5 - Nicoswitch) sous astreinte de 5 € par infraction constatée passé un délai de quatre mois après la date de signification du présent arrêt et dans la limite de  20.000€,

Rejette toutes autres demandes,

Y ajoutant,

Condamne la société MPM aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société MPM à verser à la société Nicoswitch la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 21/05318
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.05318 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award