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11/05/2023 | FRANCE | N°21/00702

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 11 mai 2023, 21/00702


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 MAI 2023



N° RG 21/00702 - N° Portalis DBV3-V-B7F-ULES



AFFAIRE :



[P] [D]



C/



S.A.S.U. SULZER POMPES FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Janvier 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Section : I

N° RG : F19/00024
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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Julie GOURION



Me Maryline BUHL de la SELAFA AUDIT-CONSEIL-DEFENSE









le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2023

N° RG 21/00702 - N° Portalis DBV3-V-B7F-ULES

AFFAIRE :

[P] [D]

C/

S.A.S.U. SULZER POMPES FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Janvier 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Section : I

N° RG : F19/00024

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Julie GOURION

Me Maryline BUHL de la SELAFA AUDIT-CONSEIL-DEFENSE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [D]

né le 26 Novembre 1962 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Elvis LEFEVRE, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 076

Représentant : Me Julie GOURION, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51

APPELANT

****************

S.A.S.U. SULZER POMPES FRANCE

N° SIRET : 383 744 059

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Maryline BUHL de la SELAFA AUDIT-CONSEIL-DEFENSE, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0097

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Madame Régine CAPRA, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

Par contrat de travail à durée indéterminée du 27 février 2008, M. [D] a été engagé à compter du 3 mars 2008 par la Sasu Sulzer Pompes France en qualité d'agent de gestion de production. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne.

Par courrier recommandé du 28 septembre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 5 octobre 2018, puis, par lettre recommandée du 5 octobre 2018, il a été convoqué à un nouvel entretien préalable, avec mise à pied conservatoire, qui s'est tenu le 12 octobre 2018 et qui a été suivi de son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 octobre 2018.

Par requête reçue au greffe le 11 février 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Mantes la Jolie afin d'obtenir la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le versement de diverses sommes.

Par jugement du 21 janvier 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Mantes la Jolie a :

- dit et jugé que le licenciement de Monsieur [P] [D] ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;

- condamné la Société Sasu Sulzer Pompes à payer à Monsieur [P] [D] les sommes de :

5 099,26 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

509,92 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

7 065,02 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- dit que ces sommes portaient intérêts au taux légal à compter du 12 février 2019, date de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la défenderesse, conformément à l'article 1231-6 du code civil ;

- rappelé que l'exécution était de droit à titre provisoire sur les créances salariales ;

- fixé à 2549,63 euros brut la moyenne mensuelle en vertu des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail.

- ordonné à la Société Sasu Sulzer Pompes de remettre à Monsieur [P] [D], sous astreinte de 30 euros par jour et par document à compter du 31ème de la notification du jugement, les documents sociaux conformes suivants : les bulletins de paie, l'attestation Pôle Emploi, un certificat de travail ;

- rappelé que l'exécution était de droit à titre provisoire sur la remise de toute pièce que l'employeur est tenu de délivrer ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, hormis les cas où elle est de droit ;

- condamné la Société Sasu Sulzer Pompes à payer à Monsieur [P] [D] la somme de 1000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Monsieur [P] [D] du surplus de ses demandes ;

- débouté la Société Sasu Sulzer Pompes en sa demande reconventionnelle ;

- dit que la Société Sasu Sulzer Pompes supportera les entiers dépens qui comprendront les éventuels frais d'exécution.

Par déclaration au greffe du 1er mars 2021, Monsieur [D] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 23 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Monsieur [D] demande à la cour de :

- déclarer recevable et fondé l'appel qu'il a interjeté ;

y faisant droit,

réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Mantes La Jolie en date du 21 janvier 2021, en ce qu'il a :

dit et jugé que le licenciement de Monsieur [P] [D] ne repose pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse,

ordonné à la SASU Sulzer Pompes France de remettre Monsieur [P] [D], sous astreinte de 30 euros par jour et par document à compter du 31ème jour de la notification du présent jugement, les documents sociaux conformes suivants : - des bulletins de paye, - l'attestation pôle emploi, - un certificat de travail alors que Monsieur [P] [D] sollicitait que la remise de ces documents soit ordonnée sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir, et que le premier juge se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, hormis les cas où elle est de droit,

condamné la Sasu Sulzer Pompes France à payer à Monsieur [P] [D] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors que Monsieur [D] sollicitait la somme de 2.500 EUR à ce titre,

débouté Monsieur [P] [D] du surplus de ses demandes,

statuant à nouveau,

- déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Sulzer Pompes France à lui verser les sommes suivantes:

25 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Mantes La Jolie en date du 21 janvier 2021, en ce qu'il a condamné la société Sulzer Pompes France à verser à Monsieur [P] [D] :

5 099,26 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

509,92 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis ;

7 065,02 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté la société Sulzer Pompes France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

y ajoutant,

- condamner la société Sulzer Pompes France à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Sulzer Pompes France aux entiers dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés directement par Maître Julie Gourion, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 28 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la Sasu Sulzer Pompes France demande à la cour de :

- la recevoir en ses conclusions et, y faisant droit :

à titre principal,

- constater que les actes commis par Monsieur [D] sont constitutifs d'une faute grave ;

en conséquence,

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le licenciement de Monsieur [D] ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;

infirmer la décision déférée en ce qu'elle l'a condamnée à payer à Monsieur [D] les sommes de :

5 099,26 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

509,92 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

7 065,02 € à titre d'indemnité légale de licenciement ;

1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter Monsieur [D] de toutes ses demandes ;

à titre subsidiaire,

- dire et juger que le licenciement de Monsieur [D] reposait sur une cause réelle et sérieuse;

en conséquence,

- débouter Monsieur [D] de ses demandes de dommages et intérêts ;

- débouter Monsieur [D] du surplus de ses demandes ;

en tout état de cause,

- débouter Monsieur [D] de ses demandes de condamnation de Sulzer Pompes France au paiement de la somme de 2500 euros formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- condamner Monsieur [D] à lui payer la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 février 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le caractère bien-fondé ou non du licenciement

Il résulte de l'article L.1235-1 du code du travail qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge,

à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et que si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'article L 1235-2 du même code prévoit notamment que la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement. Les griefs doivent être suffisamment précis, objectifs et matériellement vérifiables.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate. La preuve de son existence incombe exclusivement à l'employeur.

La lettre de licenciement du 26 octobre 2018 énonce, à titre de motifs du licenciement :

" 'Nous vous avons exposé les faits reprochés suivants :

- Votre responsable hiérarchique, Monsieur [Y] [K], vous a rappelé à plusieurs reprises les consignes d'emballage des matériaux qui doivent être emballés dans les caisses en bois et en aucun cas dans des cartons de façon à assurer le transport en toute sécurité. Le 18 septembre 2018, vous n'avez pas respecté ces consignes d'emballage de deux disques de dilatation et les avez expédiés de façon non-conforme. Ces disques sont arrivés abîmés chez le fournisseur. L'une des deux pièces a dû être rebutée car nous ne pouvions pas la réparer. Le coût de ce rebut d'environ 2500 €, comprenant l'approvisionnement matière ainsi que le coût de la main d''uvre réalisée en interne, représente une perte importante de travail pour l'équipe.

- La femme de ménage nous a reportés plusieurs agissements de votre part qui sont inacceptables. Le 12 septembre 2018, elle est rentrée dans les toilettes des hommes à l'heure du déjeuner quand elle faisait son tour de nettoyage des sanitaires et elle vous a trouvé le pantalon baissé au niveau des lavabos. Surpris, vous êtes parti en vous énervant. De plus, elle nous a rapportés que vous prononciez régulièrement des insultes en arabe, sa langue maternelle, à son contact. Elle a reporté ces faits à Monsieur [Y] [K] mais également [R] [G], Directrice des Ressources Humaines. Ces deux personnes ont signalé que la femme de ménage était très affectée et pleurait lorsqu'elle racontait les faits et a indiqué que cela durait depuis plusieurs années.

- Vous aviez été convoqué le 28 septembre 2018 à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement fixé le 5 octobre 2018. Le jour même de cet entretien, vous vous êtes présenté sur votre lieu de travail muni d'un couteau de 28 cm avec une lame de 17 cm de long.

Vous nous avez indiqué lors de votre entretien que vous aviez ce couteau dans votre sac depuis 5 mois et que vous auriez oublié sa présence. Ceci est surprenant, d'autant plus qu'un de vos collègues de travail a alerté Monsieur [C] [E], Directeur des Opérations, sur le fait que vous

lui avez montré sciemment le couteau le jour même, soit le jour auquel vous étiez convoqué pour un entretien disciplinaire ! Vous avez d'ailleurs vous-même reconnu lors de l'entretien qu'il n'était pas normal d'avoir un tel couteau dans votre sac. Suite à cette alerte, nous avons donc demandé d'ouvrir votre vestiaire, ce que vous avez fait en présence de votre responsable hiérarchique et de Messieurs [U] [V], délégué syndical et [H] [A], membre titulaire du CSE. À cette occasion, nous avons découvert le couteau dans votre sac à dos. Compte tenu de la gravité des faits et afin d'assurer la sécurité des salariés au sein de l'entreprise, nous vous avons notifié à ce moment une nouvelle convocation à un entretien préalable avec une mise à pied conservatoire.

Votre responsable hiérarchique vous avait déjà fait un rappel à l'ordre par courriel le 14 août 2018 pour des faits révélant un comportement inadapté de votre part à l'égard de vos collègues et de nos clients.

Cette conduite met en cause la bonne marche de l'entreprise. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 12 octobre ne nous a pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave'".

S'agissant du premier grief, comme soutenu à juste titre par le salarié, il ne ressort pas des éléments soumis à l'appréciation de la cour, ni la preuve que les " nombreux chocs " observés sur des disques lui sont imputables, ni qu'ils résultaient du non-respect de consignes, ni même que l'employeur ait dû effectivement supporté tout ou partie du coût financier engendré par cette situation.

Il en est déduit que ce grief est infondé.

Concernant les faits du 12 septembre 2018 et plus généralement ceux relatifs à son attitude vis-à-vis de la femme de ménage, le salarié les conteste et fait observer à juste titre l'absence de tout élément probant quant à leur matérialité, puisqu'il est exact que l'employeur ne justifie d'aucun témoignage direct et se réfère uniquement aux attestations, d'une part, d'un responsable logistique qui évoque une " exhibition présumée " et la circonstance que la femme de ménage s'est mise à pleurer en expliquant qu'elle avait peur de croiser le salarié et de perdre son travail, sans préciser le moindre fait précis dont l'intéressée l'accusait, d'autre part, de la directrice des ressources humaines, laquelle relate que la femme de ménage lui a indiqué que le salarié " avait eu une attitude dénigrante envers elle, lui faisait des remarques déplacées et prononçait des mots en arabe, faisant référence à ses origines'qu'il lui avait demandé de venir changer le savon dans les toilettes des hommes quelques jours auparavant et que lorsqu'elle est rentrée dans les toilettes des hommes, elle l'a trouvé le pantalon baissé en train d'uriner dans le lavabo ", sans préciser ni

les remarques et propos concernés ou les circonstances contextuelles ou temporelles dans lesquelles ils ont été prononcés, ni, au surplus, de circonstance permettant d'en déduire que le salarié, se trouvant dans les toilettes des hommes, aurait eu, au-delà d'un comportement incongru

et d'une hygiène douteuse, une attitude délibérément obscène voire exhibitionniste, alors qu'il apparaît que la femme de ménage serait entrée inopinément dans les toilettes et aurait trouvé le salarié le pantalon baissé au niveau des lavabos, avec cette précision que celui-ci urinait. Ces seuls éléments ne sauraient emporter la conviction de la cour quant à l'existence de faits précis susceptibles de justifier un licenciement de nature disciplinaire, alors que le premier antécédent dont se prévaut l'employeur remonte au 25 juin 2015, date de la notification d'un avertissement pour " des propos qui ont heurté une collègue ", sans plus de précision, le second n'étant qu'une mise en garde par courriel du 14 août 2018 se rapportant à des faits du 7 juin relatifs à une erreur de conduite d'un chariot élévateur susceptible de causer un accident corporel, une interaction non autorisée avec un client présent dans l'entreprise ayant pris la forme d'une blague sur le fait de devoir sortir un chéquier dans l'hypothèse où il serait amené à exécuter telle mission pour ce client, ainsi qu'un " comportement inadéquat " envers ses " collègues " en tenant des " propos insultant " à leur égard, sans la moindre précision, là-encore, sur les propos ainsi proférés.

En revanche, et contrairement à ce qu'indique le salarié qui de surcroît ne donne aucune information sur la suite réservée à son dépôt de plainte du 24 décembre 2019 pour faux à l'encontre de son collègue, Monsieur [X], ce dernier livre un témoignage direct au sein d'une attestation rédigée le 24 février 2020 comme suit :

" Le matin du jour de sa convocation à mon arrivée dans le vestiaire, Monsieur [D] m'a interpellé et la première chose qu'il m'a montré et m'a fait lire c'est la convocation de Madame la DRH.

Il était très nerveux et m'a dit texto (ils m'ont convoqué tu va voir de toute façon si cela se passe mal ; de là il a fouiller dans son sac où il apportait sa gamelle journalière et en a sortis un grand couteau de cuisine d'où ma surprise.

Etant une personne responsable et vus ses changements d'attitudes lorsqu'il ne prennai pas ses médicaments et surtout ne sachant pas comment il pourrai réagir par rapport aux menaces qu'il vennait de proférer, j'ai pris peur pour moi ainsi que pour les autres ; là je me suis dit et s'il n'était plus controlable ! et si il arrivait malheur ! je ne m'en remaitrais pas ! de plus je serais judicièrement pénalisable ! (non assistance à personnes en danger) et c'est pour cela que je me suis sentis d'avertir ma hiérarchie du potentiel danger qui pourrait arriver si Monsieur [D] passait à l'acte.

De plus, ayant remonté à mon supérieur hiérarchique de l'époque le comportement de mon collègue qui pouvait changer de tout au tout (nerveux, insultant, disputes etc') je ne comprends pas pourquoi Monsieur [D] n'est eu selon ses dires qu'un seul avertissement. "

Ce témoignage, empreint de spontanéité, précis et circonstancié, dont la sincérité n'est pas utilement remise en cause par la seule existence de mauvaises relations entre les intéressés, la

circonstance que ceux-ci travaillaient dans le même service étant plutôt de nature à en renforcer la crédibilité, est corroboré et complété par trois attestations concordantes, elles-mêmes précises et circonstanciées.

En effet, dans son attestation, le supérieur hiérarchique de Monsieur [X] confirme que son subalterne l'a bien informé que le salarié " disposait d'un couteau à manche noir avec une lame de 20 cm dans un sac dans son casier ", et que ce dernier avait précisé que " c'était au cas où la discussion future se passerait mal ", et il ajoute avoir " alors demandé au représentant des élus, monsieur [A], de reposer la question à Monsieur [X] ", que " Ce dernier lui a reconfirmé ces dires ", que, " Considérant tous ces éléments, il fut donc décidé de procéder à une fouille du casier ", et ce, en présence d' autres employés, dont le représentant des élus et la directrice des ressources humaines.

L'attestation de ce représentant, alors membre du Comité social et économique de l'entreprise, est ainsi rédigée :

" suite à une vive altercation entre les salariés de l'équipe réception ( dont Monsieur [D] faisait partie), Monsieur [E], Directeur des Opérations, m' a demandé d'intervenir, en ma qualité de membre du CSE, avec lui pour tenter une médiation pour les calmer. Lors de la médiation avec Monsieur [X], celui-ci nous a dit qu'il avait vu le matin même, Mr [D] qui lui aurait montré sa convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, puis un couteau avec un air menaçant. Nous avons alors pris la décision en accord avec Mr [M] (DG) et en présence de Mme [G] (RH), Mr [E], Mr [V] (secrétaire du CSE et Délégué CFDT), Mr [K] (Responsable du service réception et de Mr [D]) et Mr [D], de procéder à la fouille du casier de Mr [D]. Mr [D] n'a pas émis d'objection à la fouille de son casier et a lui-même vidé celui-ci.

Lors de la fouille, Mr [D] n'a pas voulu que l'on touche à son sac qu'il estimait privé. Après une courte négociation, il a accepté que son sac soit fouillé.

Un couteau se trouvait parmi tout un bric à brac au fond de son sac. "

Pour sa part, la directrice des ressources humaines précise que lors de la fouille du vestiaire ainsi organisée, le salarié " était très nerveux, sur la défensive et a initialement refusé que l'on touche à son sac à dos personnel dans lequel se trouvait le couteau alors qu'il a accepté volontiers que l'on regarde dans son casier ".

Par ailleurs, l'employeur justifie, d'une part, du compte-rendu de cette fouille signé par les cinq personnes en présence desquelles, outre le salarié, celle-ci a été réalisée, dont le contenu est également cohérent avec les témoignages précités, d'autre part, du règlement intérieur de l'entreprise en date du 15 juin 2015, que le salarié ne conteste efficacement ni dans sa validité ni

dans son opposabilité, ni même dans son application au cas d'espèce, ce règlement mentionnant, notamment, que " Tout acte de nature à porter atteinte à la sécurité, à troubler le bon ordre et la discipline, est interdit ", et " qu'en cas de nécessité ", tout salarié peut être invité à présenter le contenu de ses effets et objets personnels dans le respect des droits de la personne, ce contrôle

devant s'effectuer par un membre du Codir, et en présence, en qualité de témoin, d'un membre des instances représentatives du personnel.

Enfin, le salarié, qui ne peut nier la présence du couteau sur son lieu de travail alors qu'il s'apprêtait à se rendre au premier entretien préalable à licenciement, n'apporte aucun élément de nature à accréditer sa version selon laquelle le couteau était présent depuis un certain temps dans son étui d'emballage - une simple feuille plastique entourant la lame - à l'intérieur de son sac à dos. Plus généralement, il n'apporte aucun élément susceptible de remettre en cause l'ensemble des éléments cohérents dont justifie l'employeur, notamment quant aux conditions dans lesquelles son collègue aurait connu l'existence de ce couteau, procédant par simple affirmation lorsqu'il indique que le couteau aurait été aperçu le matin même pour avoir perforé la toile du sac à dos.

Les faits constituant ce dernier grief sont ainsi établis dans leur matérialité et dans leur gravité toute particulière en raison notamment de la menace pour la sécurité des salariés que faisait peser la présence d'un couteau, équipé d'une lame de dimension importante, dans le sac à dos introduit par le salarié sur le lieu de travail, quand de surcroît ce dernier se montrait nerveux et menaçant à l'approche de la tenue du premier entretien préalable à un éventuel licenciement.

Il en résulte l'existence d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement pour faute grave, le jugement étant infirmé en ce qu'il requalifie le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamne consécutivement l'employeur au paiement d'indemnités de rupture auxquelles n'ouvre pas droit le licenciement pour faute grave.

Le jugement doit être également infirmé quant à la remise de documents conformes qu'aucune condamnation ne justifie.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral

Le salarié sollicite à juste titre la réparation de son préjudice moral distinct résultant du prononcé du licenciement, en partie pour des faits d'exhibition sexuelle et de propos racistes portant une atteinte évidente à sa réputation, sur la foi de témoignages indirects imprécis et peu contributifs, notamment quant aux faits du 12 septembre 2018.

Faute de justification de l'étendue d'un préjudice à hauteur du montant des dommages et intérêts réclamé, et considérant par ailleurs les autres circonstances du licenciement, exemptes de critiques, dont la faible publicité donnée à ces accusations, il y a lieu d'allouer au salarié la somme

nette de 2 000 euros en réparation de ce préjudice distinct, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles

En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Sur les dépens

L'employeur, partiellement succombant, supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel, et de dire que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par Maître Julie Gourion, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant,

Dit bien-fondé le licenciement pour faute grave de Monsieur [P] [D].

Le déboute de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement, ainsi que de sa demande de remise de documents sociaux rectifiés.

Condamne la Sasu Sulzer Pompes France à payer à Monsieur [P] [D] la somme nette de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral distinct.

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.

Déboute les parties pour le surplus.

Condamne la Sasu Sulzer Pompes France aux entiers dépens de première instance et d'appel, et dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par Maître Julie Gourion, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier en pré-affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier en pré-affectation, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 21/00702
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.00702 ?
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