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04/05/2023 | FRANCE | N°22/00950

France | France, Cour d'appel de Versailles, 16e chambre, 04 mai 2023, 22/00950


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 38D



16e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 MAI 2023



N° RG 22/00950 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VAHG



AFFAIRE :



CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARI S ET D'ILE DE FRANCE (CRCAM)



C/



[Z] [D]



[R] [D]



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Janvier 2022 par le TJ de VERSAILLES

N° RG : 19/00189



Expéditions

exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.05.2023

à :



Me Estelle FAGUERET-LABALLETTE de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Anne-Sophie REVERS,



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 38D

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 MAI 2023

N° RG 22/00950 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VAHG

AFFAIRE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARI S ET D'ILE DE FRANCE (CRCAM)

C/

[Z] [D]

[R] [D]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Janvier 2022 par le TJ de VERSAILLES

N° RG : 19/00189

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.05.2023

à :

Me Estelle FAGUERET-LABALLETTE de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Anne-Sophie REVERS,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARIS ET D'ILE-DE-FRANCE (CRCAM)

Société coopérative à capital variable, établissement de crédit, société de courtage d'assurances immatriculée au registre des intermédiaires en assurance sous le numéro 07 008 015

N° Siret : 775 665 615 (RCS Paris)

[Adresse 3]

[Localité 6]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Bénédicte BURY de la SELEURL B.BURY AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0121 - Représentant : Me Estelle FAGUERET-LABALLETTE de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 022246

APPELANTE

****************

Monsieur [Z] [D]

né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 6] (75)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 7]

Madame [R] [D]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 11] (Portugal)

de nationalité Portugaise

[Adresse 4]

[Localité 9]

Représentant : Me Florence-Eva MARTIN de la SELARL GMR AVOCATS - GRANGE MARTIN RAMDENIE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R251 - Représentant : Me Anne-Sophie REVERS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 4

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Mars 2023, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,

Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO

EXPOSÉ DU LITIGE

Dans la perspective de faire construire une maison individuelle à ossature en bois, monsieur [Z] [D] et madame [R] [D] (ci-après : les consorts [D]) - qui, après obtention d'un permis de construire avec réalisation de plans par un architecte et signature, le 29 avril 2011, d'un contrat aux fins de construction de cette maison confiée à la société Freesun (chargée de tous les lots à l'exception de celui de la toiture confié à monsieur [D] [M]), la société Plans Constructions devant, quant à elle, exécuter la maîtrise d'oeuvre et le suivi de chantier, ont acquis, selon acte authentique reçu le 09 juin 2011, un terrain à bâtir situé à [Localité 8] (78) et se sont vus consentir par la Caisse Régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France (ci-après : la CRCAM), outre un prêt de 140.000 euros destiné à l'acquisition de ce terrain, trois prêts immobiliers pour un montant total de 315.000 euros contenus dans une offre de prêt éditée le 25 mai 2011 puis acceptée, à savoir :

un prêt 'PTH (ie : prêt tout habitat) avec anticipation' n° 60296277680 pour un montant de 116.000 euros

un prêt 'RM prêt relais habitat' n° 60296277691, au montant de 110.000 euros,

un prêt 'PTH avec anticipation Facilimmo' n° 6029627707 d'un montant de 89.000 euros.

Au chapitre 'objet du financement' la destination des fonds était ainsi spécifiée : 'Construction sans CCMI logement resid. principale maison. Logement construction usage propriétaire'.

Du fait de l'abandon de chantier de la société Freesun (depuis lors placée en liquidation judiciaire) et de désordres de construction, au nombre de 25, constatés lors de la réception des travaux, le 16 février 2012, les consorts [D] ont sollicité en référé, en 2012, la désignation d'un expert puis assigné au fond, en janvier et mars 2017, la société Smabtp (en qualité d'assureur de la société Freesun), monsieur [D], la Sarl Plans Constructions et la société Axa (leur assureur) ainsi que la société Elite Insurance (l'assureur dommages-ouvrage) en réparation des divers préjudices immatériels subis, poursuivant leur condamnation au paiement d'une somme totale de 1.720.251,03 euros.

Par jugement rendu le 24 octobre 2017 (devenu définitif), le tribunal de grande instance de Paris a condamné les constructeurs au paiement d'une somme totale de 967.666,45 euros et fixé le partage des responsabilités entre les co-obligés, à savoir : la société Freesun (garantie par la Smabtp) à hauteur de 65%, monsieur [H] [D] [M] (garanti par la société AXA Iard) à hauteur de 25 % et la société Plans Constructions (garantie par la société AXA Iard) à hauteur de 10%.

En exécution de cette décision, ils déclarent avoir perçu de la société Axa, le 22 décembre 2017, une somme de 338.683,25 euros, de la société Smabtp, le 23 janvier 2018, une somme de 639.765,42 euros, soit une somme totale de 978.448,67 euros.

Postérieurement à l'introduction de cette procédure et par acte du 05 février 2014, les consorts [D] qui s'étaient vus débouter de leur demande de suspension du remboursement des prêts par la juridiction des référés du fait de la nécessaire appréciation des manquements de la banque invoqués relevant du juge du fond, ont assigné la CRCAM devant le tribunal de grande instance de Versailles en réparation du préjudice causé par lesdits manquements.

Se prévalant de l'engagement de sa responsabilité pour avoir accepté de financer, à leur sens, un contrat de construction d'une maison individuelle (CCMI) sans exiger la souscription d'une garantie de livraison, ils poursuivaient en principal, dans leurs dernières conclusions de première instance, sa condamnation au paiement des sommes de 160.887,24 euros (représentant les sommes non indemnisées par les constructeurs), de 198.256,44 euros (représentant le montant des prêts afférents à la construction de la maison individuelle) et de 814.999,06 euros à parfaire (correspondant à l'intégralité des pénalités de retard).

A la suite d'une ordonnance du juge de la mise en état du 12 décembre 2016 ordonnant un sursis à statuer, dans l'attente d'une décision définitive rendue dans le cadre de l'action engagée devant la juridiction parisienne saisie, outre la suspension du versement des échéances des prêts en cause, par jugement contradictoire rendu le 17 janvier 2022 le tribunal judiciaire de Versailles a :

dit que la Caisse Régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France a commis deux fautes de nature à engager sa responsabilité contractuelle,

condamné en conséquence la Caisse Régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France à payer à monsieur [Z] [D] et à madame [R] [D] les sommes de 500 euros au titre de leur préjudice moral et de 122.249,86 euros au titre de la perte de chance de percevoir les pénalités de retard,

condamné la Caisse Régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France aux dépens dont distraction au profit de maître Guillaume Gombart, avocat, conformément aux articles 699 et suivants du code de procédure civile,

condamné la Caisse Régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France à verser à monsieur [Z] [D] et madame [R] [D] une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par dernières conclusions (n° 3) notifiées le 1er mars 2023, la société coopérative à capital variable Caisse Régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France, appelante de ce jugement selon déclaration reçue au greffe le 16 février 2022, demande à la cour :

faute de CCMI, d'infirmer le jugement en ce qu'il fait peser néanmoins sur la banque un devoir d'information et de conseil devant la conduire à alerter son client sur les risques encourus par lui eu égard au cadre contractuel choisi, en l'absence de fondement légal faisant peser sur la banque prêteuse un quelconque devoir d'information, de mise en garde ou de conseil en ce domaine dans lequel elle n'a pas de compétence, celle-ci étant tenue par ailleurs d'un devoir de non immixtion,

d'infirmer, en conséquence, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Versailles le 17 janvier 2022 et de débouter madame [R] [D] et monsieur [Z] [D] qui n'ont subi aucune perte de chance et ne justifient d'aucun autre préjudice, de leur recherche de responsabilité contre le Crédit Agricole pour n'avoir pas exigé la justification d'une garantie de livraison qui n'était pas requise en l'absence de CCMI alors même qu'aucune obligation ne pèse sur la banque concernant l'opération de construction,

Subsidiairement

de dire que madame [R] [D] et monsieur [Z] [D] ne peuvent prétendre à aucune indemnité de retard de livraison, qu'ils ont été indemnisés de leur préjudice du fait de la perte de jouissance, qu'en tout état de cause ils n'auraient pu obtenir la prise en charge par la garantie de livraison de telles sommes compte tenu de leur défaillance fautive en privant par la même occasion toute possibilité d'action récursoire le Crédit Agricole à l'encontre des constructeurs, uniques débiteurs de cette éventuelle obligation,

d'infirmer en conséquence le jugement rendu en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole à payer de ce chef une somme de 122.249,88 euros,

de dire et juger que le Crédit Agricole n'a pas commis de faute à l'occasion de la reprise du

règlement des échéances de remboursement des prêts et que madame [R] [D] et monsieur [Z] [D] ne justifient d'aucun préjudice à ce titre,

d'infirmer, en conséquence, le jugement rendu en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole à leur

payer la somme de 500 euros à titre de dommages intérêts,

Encore plus subsidiairement, sur l'appel incident de madame [R] [D] et de monsieur [Z] [D],

de confirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de toutes leurs demandes relatives aux préjudices dont ils ont fait état à l'occasion de la construction de leur maison individuelle,

d'infirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole à payer à madame [R] [D] et monsieur [Z] [D] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles,

de les débouter de leur demande complémentaire de ce chef,

et de les condamner, au contraire, à payer au Crédit Agricole la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de maître Estelle Fagueret-Labalette, avocat aux offres de droit.

Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident (n° 2) notifiées le 06 février 2023 monsieur [Z] [D] et madame [R] [D] prient la cour :

de débouter intégralement le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens,

d'infirmer partiellement le jugement n° 19/00189 du 17 janvier 2022 du tribunal judiciaire de Versailles,

par conséquent :

de dire et juger que le Crédit Agricole a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne vérifiant pas la présence d'une garantie de livraison lors de la souscription des prêts par monsieur [D] et madame [D],

de condamner le Crédit Agricole à (les) indemniser de leurs préjudices non indemnisés par les constructeurs à hauteur de 160.887,24 euros,

de condamner le Crédit Agricole à (leur) rembourser les sommes représentatives des prêts afférents à la construction de la maison individuelle, à savoir les prêts suivants : 60296277680, 60296277691, 60296277707, 60293272971, soit un montant total de 455.000 euros,

de condamner le Crédit Agricole à (leur) rembourser les frais et intérêts portant sur les prêts suivants : 60296277680, 60296277691, 60296277707, 60293272971, soit un montant total de 51.844,21 euros à parfaire,

de condamner le Crédit Agricole à (leur) payer l'intégralité des pénalités de retard, à hauteur de 814.999,06 euros à parfaire,

en tout état de cause

de condamner le Crédit Agricole à (leur) verser la somme de 25.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 07 mars 2023.

A ce stade, il convient de préciser que, lors de l'ouverture des débats, la cour a invité l'avocat des intimés à compléter son dossier de plaidoirie dont diverses pièces étaient absentes ou ne correspondaient pas à son bordereau, ceci sans opposition de son adversaire, et que, par suite, les pièces n° 32, 33, 81 à 87 ont été reçues au greffe le 11 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'engagement de la responsabilité de la banque

Il convient de rappeler que le tribunal, reprenant liminairement les dispositions d'ordre public de l'article L 231-10 du code de la construction et de l'habitation aux termes duquel 'aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat comporte celles des énonciations mentionnées à l'article L 231-2 qui doivent y figurer au moment où l'acte lui est transmis et ne peut débloquer les fonds s'il n'a pas communication de l'attestation de garantie de livraison' et rappelant l'obligation de la banque, tenue à un devoir d'information et de conseil, de déterminer avec son client profane le projet qu'elle accepte de financer, a d'abord considéré qu'à la date de l'émission de l'offre des prêts litigieux la seule lecture du contrat qui avait pour objet 'la construction d'une maison individuelle à usage d'habitation située sur la commune de [Localité 8]' signé le 29 avril 2011 par les consorts [D] avec la société Freesun et l'entreprise [D] ne permettait pas à la banque de considérer qu'un contrat de maison individuelle aurait été conclu de sorte que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces éléments ne suffisaient pas à révéler que le contrat conclu aurait dû prendre la forme d'un contrat de construction de maison individuelle.

Pour retenir néanmoins la faute contractuelle de la banque débitrice d'un devoir d'information et de mise en garde, le tribunal a considéré qu'il lui appartenait d'alerter ses clients profanes des risques encourus eu égard au cadre contractuel choisi, d'autant, en l'espèce, qu'une simulation de prêt du 15 janvier 2011 mentionnait un projet de construction avec CCMI et qu'il n'était pas démontré par la banque qu'elle ait averti ses clients sur les risques encourus à souscrire un contrat moins protecteur que le contrat de construction de maison individuelle ainsi que sur les incidences induites quant aux garanties dont ils pouvaient disposer en regard de la souscription d'un contrat de prêt classique.

Devant la cour, la CRCAM appelante, reprenant le détail des éléments factuels portés à sa connaissance au moment de la signature du contrat de prêt qui lui permettaient de penser qu'elle n'était pas en présence d'un contrat de construction de maison individuelle car les conditions d'application de l'article L 231-10 précité ne concernent que l'implication d'un constructeur unique, et excluant les éléments révélés postérieurement à la faveur de l'expertise (s'agissant en particulier de la mission et de la rémunération de l'architecte Di Vita ou des liens entretenus par la société Freesun avec la société Plans Constructions) sollicite la confirmation du jugement sur le premier point en se prévalant notamment de la récente doctrine de la Cour de cassation et s'oppose à l'argumentation des intimés poursuivant la requalification, par la cour, du contrat en cause en contrat de construction de maison individuelle, comme aurait dû l'analyser, selon ses adversaires, le prêteur de deniers.

Elle ajoute que même s'il avait pu s'agir d'un contrat de construction de maison individuelle, il se serait agi d'un contrat sans fourniture sans plan et, comme tel, non soumis aux vérifications de l'article L 231-10 précité.

Elle estime, en revanche, qu'à tort le tribunal a retenu qu'elle était tenue à un devoir d'information et de mise en garde sur ce point, alors que la banque n'est pas un professionnel de la construction et que les devoirs invoqués n'ont trait qu'aux conséquences du contrat pour les parties (tel le risque d'endettement excessif), lui reprochant, en particulier, d'avoir donné à la simulation du 15 janvier 2011 (simple ébauche de calcul sans rapport avec le contrat de construction définitif à laquelle a succédé une demande de financement habitat du 24 mai 2011) une portée qu'elle n'avait pas, si bien qu'aucune faute ne peut, de ce fait, lui être reprochée.

En réplique, les consorts [D] font valoir que si cet article L 231-10 ne met pas à la charge du prêteur l'obligation de requalifier le contrat qui lui est soumis, il n'était pas pour autant dispensé de son obligation de renseignement et de conseil à leur égard ; que dès le mois de janvier 2011 ils avaient précisé à la banque que le financement sollicité concernait l'achat d'un terrain et un contrat de construction avec maison individuelle ; que la banque disposait, depuis le début et même s'ils ne peuvent pas prouver la remise de plans en annexe, de tous les éléments factuels sur le contenu de l'opération, tels le fait que la société Freesun avait proposé un plan élaboré par l'architecte sans que les maîtres de l'ouvrage, qui étaient tenus de déposer un permis de construire et de s'adjoindre un architecte, n'aient jamais rencontré ni rétribué celui-ci ou encore que, bien que le contrat mentionne que le marché est passé par lots séparés, ils n'ont choisi aucune entreprise et la seule signataire est l'entreprise Freesun qui avait la maîtrise et la direction de toute l'opération.

La banque, tenue d'assurer une protection accrue des emprunteurs, aurait donc dû les prévenir du risque encouru, soutiennent-ils, et s'assurer que la société Freesun leur avait bien remis une garantie de livraison.

Plus généralement, ils affirment qu'il ne pouvait échapper à la banque que le contrat passé par ses clients était un contrat de ce type et qu'il lui appartenait de déterminer avec ses clients, dépourvus de connaissances juridiques, le cadre contractuel du projet qu'il acceptait de financer; aussi lui reprochent-ils de s'être abstenue d'effectuer un contrôle minimum, de prétendre, de mauvaise foi, que l'attestation du 15 janvier 2011 serait sans rapport avec le prêt contracté alors, notamment, qu'elle prévoyait un prêt relais dans l'attente de la revente de leur bien immobilier, et de se prévaloir, de plus, de la remise d'une nouvelle attestation établie le 24 mai 2011 sans pour autant le démontrer ; ils soutiennent que leur projet initial n'a pas connu, dans sa nature, de modification et font valoir, à cet égard, qu'entre le 27 janvier 2011 (date de réception de la simulation) et le 25 mai 2011 (date de réception de l'offre définitive) la banque a unilatéralement modifié la qualification du prêt sans porter cette modification à leur connaissance.

De plus, poursuivent-ils en réplique à ce que prétend la banque, l'information qu'elle leur a donnée sur la souscription d'une assurance dommages-ouvrage au moyen d'attestations-type ne constitue en rien un avertissement du risque lié à la construction sans contrat de construction de maison individuelle et qu'au demeurant, ils n'ont jamais exclu de contracter une telle assurance, souscrivant d'ailleurs le 07 juillet 2011, sans la recommandation de la banque, une assurance dommages-ouvrage.

Ils en concluent que la banque, contractant avec des clients non avertis, comme ils en revendiquent la qualité, a doublement engagé sa responsabilité :

d'un point de vu légal (sur le fondement des articles L 231-6 et suivants du code de la construction et de l'habitation) en manquant à l'obligation de ne débloquer les fonds qu'au vu de l'attestation de garantie de livraison,

et d'un point de vue contractuel (sur le fondement des articles 1231-1 et suivants du code civil) en manquant à ses devoirs de vérification, d'information et de conseil l'obligeant à informer les emprunteurs sur les risques encourus par la signature de conventions ne prévoyant pas la garantie de livraison.

Et, à leur sens, si le prêteur n'avait pas l'obligation de requalifier le contrat il se devait, en vertu de ses devoirs d'information et de conseil, de les alerter sur les irrégularités éventuelles du contrat.

Ceci étant rappelé, la lecture du document attestant du 'dépôt d'un dossier de financement en vue de l'acquisition d'un terrain à bâtir' établi par la banque le 15 janvier 2011 (pièce n° 90 des intimés) précise expressément qu'il s'agit d'une 'simulation' et que 'ce document est un devis et/ou une simulation réalisé(e) à l'initiative du consommateur. Il n'est en aucun cas une offre de crédit et ne saurait avoir une valeur contractuelle' ; il mentionne, certes, que l'opération porte sur l' 'achat terrain et construction avec CCMI maison résidence principale neuf(ve) bâtiment à basse consommation' à [Localité 8] mais il est spécifié qu'il s'agit de 'votre projet'.

Comme le fait valoir la banque, les prix du terrain et des travaux qui y sont portés ne correspondent en rien à ceux du contrat de construction signé le 29 avril 2011 et fourni à la banque pour justifier du prêt sollicité.

En regard, par conséquent, des documents dont disposait la banque lors de l'édition de l'offre de prêt, soit à la date du 25 mai 2011 postérieure à la simulation du 15 janvier 2011, et plus précisément du contrat signé le 29 avril 2011 par les consorts [D], il ne saurait lui être reproché une modification unilatérale et de mauvaise foi de la nature du contrat dont elle assurait le financement.

Le dispensateur de crédit ne pouvant s'immiscer dans la convention liant le maître de l'ouvrage et le constructeur et les dispositions des articles L 231-1 et suivants susvisés ne mettant pas à la charge de celui-ci une obligation de requalification, il ne saurait, non plus, être fait grief à la CRCAM de n'avoir point requalifié le contrat qui lui était soumis - ayant pour objet, expressis verbis, 'les travaux de construction en corps d'états séparés d'une maison individuelle en marché de gré à gré' - en contrat de construction de maison individuelle qui lui aurait imposé le respect de dispositions plus protectrices parmi lesquelles, au moment du déblocage des fonds, la nécessaire communication de la garantie de livraison contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévue et définie aux articles L 231-2 et L 231-6 du code de la construction et de l'habitation.

Pour autant, si la banque ne peut s'immiscer dans le contrat, elle n'en reste pas moins tenue au devoir de renseignement et de conseil issu du droit commun dont elle est débitrice en présence d'un consommateur ou d'un non professionnel, tels que peuvent être regardés les intimés.

En l'espèce et ainsi que pertinemment retenu par le tribunal, à l'examen du contrat librement convenu par les parties [pièce n° 16 des intimés mentionnant, en en-tête de chaque page : 'réalisation d'une maison individuelle en ossature bois (...)'] l'objet du marché, précisé en son article 1.1 portait sur 'la construction d'une maison individuelle à usage d'habitation située sur la commune de [Localité 8]') et il y est mentionné, comme déjà énoncé, que 'les stipulations du présent Cahier des clauses administratives particulières (CCAP) concernent les travaux de construction en corps d'états séparés d'une maison individuelle en marché de gré à gré', la répartition précise des lots ressortant de son article 1.2.

L'article 1.3 de ce document contractuel mentionne, quant à lui, au titre des intervenants, l'architecte DPLG Di Vita Francis, le bureau d'études Gentil Bernard et l'architecte [V] [I] - [Adresse 10] pour la maîtrise d'oeuvre d'exécution.

Les parties au contrat en étaient, selon son article 1.4, les consorts [D] (désignés comme Le maître de l'ouvrage), d'une part , la société Freesun et l'entreprise [D], lesquels avaient en charge, comme il a été dit, tous les lots sauf le lot couverture pour la première, ce lot étant confié à l'entreprise [D].

De la même façon et comme le permet la lecture du jugement rendu le 27 octobre 2017, les premiers juges relèvent que, devant le tribunal judiciaire de Paris, les consorts [D] considéraient eux-mêmes qu'ils avaient conclu un contrat en lots séparés, que cette juridiction a condamné in solidum tous les locateurs d'ouvrage sans référence à un contrat de construction de maison individuelle et que sont indifférentes pour l'appréciation de la faute de la banque les informations relatives aux rapports entre les différents intervenants qui n'ont été révélées que postérieurement à l'offre de prêt, à la faveur des opérations d'expertise.

Ainsi, lorsque la société CRCAM a émis son offre de prêt, en présence d'un contrat de construction aux mentions et objet tels que repris et au vu des seuls documents qui étaient portés à sa connaissance, lesquels révélaient notamment l'intervention d'un architecte et une pluralité d'entreprises, sur des marchés de travaux distincts, chargées de leur exécution, pouvait-elle considérer que la construction en cause qui ne répondait pas aux caractéristiques des articles L 231-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation devait être réalisée dans le cadre d'un contrat de maîtrise d'oeuvre et de marchés de travaux distincts et non point dans celui d'un contrat de construction de maison individuelle.

Il résulte de tout ce qui précède que la banque qui se réclame de la doctrine de la Cour de cassation (Cass civ 3ème 11 juillet 2019 puis 25 juin 2020, pourvois n° 18-10368 puis n° 19-17531, publiés au bulletin) est fondée à prétendre qu'elle n'était tenue qu'à un contrôle formel des seuls documents soumis à son appréciation dont il ne lui incombait pas de vérifier la véracité lorsqu'elle a financé l'opération de construction litigieuse.

De sorte que les consorts [D] ne peuvent être suivis en leur argumentation tendant à démontrer qu'elle a failli à ses devoirs d'information et de mise en garde dont la méconnaissance leur aurait perdre la chance (égale, selon eux, à leur préjudice) de faire régulariser l'opération en cours afin de bénéficier d'un régime plus protecteur, et que doit être infirmé le jugement qui en décide autrement.

Sur les préjudices invoqués

Au soutien de leur appel incident, les consorts [D] affirment que le comportement fautif de la banque les a privés de la chance d'éviter la faillite des constructeurs et se prévalent d'un lien de causalité direct entre la faute de la banque et les préjudices qu'ils invoquent, estimant inopérante l'argumentation adverse tenant à la démolition du bâtiment ou à la séparation de leur couple qui priveraient d'objet leur action.

Ils stigmatisent, de plus, le comportement de la banque, qu'ils qualifient d'indélicat, quant à la reprise des remboursements et des incidents de paiement qu'elle a suscités

Toutefois, en l'absence d'engagement de la responsabilité de la banque, les consorts [D] doivent, d'abord, être déboutés de leur demande d'indemnisation des préjudices non indemnisés par le tribunal de grande instance de Paris dans son jugement du 24 octobre 2017 (par eux chiffrés à un montant total de 160.887,24 euros) qu'ils décomposent en préjudices matériels (travaux de reprise de la construction pour un montant de 16.154,40 euros) et immatériels (non indemnisés par le tribunal de Paris pour un montant de 44.732,84 euros // rupture de leur couple et de leur vie commune pour un montant de 25.000 euros x 2 // préjudice économique lié à la perte de jouissance de leur maison commune et consécutif à cette rupture qui a multiplié par deux leurs frais d'hôtel, de déménagement, de réinstallation, de nourriture, d'avocats les assistant dans leur séparation, .. // préjudice 'd'ordre moral' pour un montant de 50.000 euros), ceci dès lors qu'ils soutiennent que ces préjudices découlent du comportement fautif de la banque que la cour n'a pas retenu.

Il convient de préciser, s'agissant du préjudice 'd'ordre moral' retenu et fixé à 500 euros par les premiers juges, que les intimés entendent en voir porter le montant à la somme de 50.000 euros et évoquent 'l'indélicatesse caractérisée' de la banque en ce qu'elle a repris (automatiquement et au terme du moratoire convenu, précise la banque) ses demandes en paiement des échéances à l'issue de la suspension ordonnée par le juge de la mise en état, entraînant en particulier leur inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).

Pour autant, ceux-ci exposent, sur ce point précis (§ 59 de leurs conclusions, p 29/38) que 'l'ensemble de ces troubles découle du comportement fautif de la banque qui a manqué à son devoir contractuel de vigilance et de mise en garde, en plus de ne pas avoir respecté son obligation légale de conditionner l'octroi des prêts à l'obtention d'une garantie de livraison. En effet, si le Crédit agricole avait effectué un contrôle du contrat et refusé de débloquer les fonds en raison de cette absence de garantie, monsieur [D] et madame [D] n'auraient pas subi l'ensemble de ces préjudices'.

Outre le fait que le lien de causalité entre les manquements invoqués et ce préjudice paraît à tout le moins singulièrement distendu, voire inexistant, la cour rejette leur demande tendant à voir reconnaître que la banque a agi fautivement si bien que leur demande sur ce point ne peut prospérer.

S'agissant, ensuite, de leur demande en paiement des pénalités de retard décomptées depuis le 29 décembre 2011 (date à laquelle ils ont mis en demeure l'entrepreneur d'achever les travaux par pli recommandé) jusqu'au 25 septembre 2018, ils en fixent le montant en regard du montant du marché HT de 331.572 euros, et pour une période de 6 ans et 9 mois à une somme de 814.999,06 euros et fondent leur demande sur les dispositions de l'article L 231-6 du code de la construction et de l'habitation précisant que l'objet de la garantie de livraison est de couvrir le maître de l'ouvrage contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution et prévoit la prise en charge par le garant, en cas de défaillance du constructeur, de pénalités forfaitaires.

Comme précédemment, ils doivent en être déboutés dès lors que la cour ne retient aucun manquement de la banque susceptible d'être en lien de causalité avec l'absence de garantie de livraison souscrite.

S'agissant, par ailleurs, de leur demande de restitution du montant intégral des sommes remboursées à la CRCAM au titre des quatre prêts consentis qu'ils chiffrent à un montant total de 455.000 euros en y ajoutant la somme de 51.844,21 euros au titre intérêts, pénalités de remboursement anticipé et frais, c'est à juste titre que, pour les débouter, le tribunal, approuvé par l'appelante, s'est prévalu du principe de la réparation intégrale du préjudice, autrement dit sans pertes ni profits, étant relevé que, pour toute défense en droit, les intimés se bornent à citer trois références de décisions de la Cour de cassation (qui plus est inexacte pour la troisième) qui ne sont nullement transposables et opérantes.

Au cas particulier, dès lors qu'ils ont obtenu la condamnation des constructeurs à leur verser la somme de 797.414,04 euros (correspondant au prix d'une maison démolie puis reconstruite, ce à quoi ils ont renoncé) dont à déduire la somme de 299.284,41 euros payée aux constructeurs, que, par ailleurs, la vente de leur terrain, le 23 décembre 2021, s'est réalisée au prix de 168.000 euros - la banque observant qu'ils l'avaient acquis au prix de 127.000 euros - ceci consécutivement au financement en amont de la CRCAM par des contrats de prêt qui n'ont pas fait l'objet d'une annulation, ils ne peuvent réclamer, comme ils le font, la restitution des sommes remboursées au prêteur de deniers.

Il suit de là que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a pour partie fait droit à leur réclamation en condamnant la CRCAM à réparer les postes de préjudice au titre du préjudice moral ainsi qu'au titre des pénalités de retard non perçues et que les intimés doivent être déboutés de l'ensemble de leurs demandes en paiement formées sur appel incident.

Sur les frais de procédure et les dépens

Eu égard à ce qui précède, le jugement doit également être infirmé en ce qu'il condamne la CRCAM aux frais non compris dans les dépens et aux dépens de première instance.

L'équité commande d'allouer à la CRCAM la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboutés de ce dernier chef de demande, les consorts [D] supporteront les dépens d'appel, outre les dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

INFIRME le jugement entrepris hormis en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire formée au titre des préjudices non indemnisés par les constructeurs ainsi que la demande de remboursement des sommes perçues au titre des prêts octroyés et, statuant à nouveau en y ajoutant ;

Déboute monsieur [Z] [D] et madame [R] [D] de leur action en responsabilité à l'encontre de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France ;

Déboute monsieur [Z] [D] et madame [R] [D] de leurs demandes d'indemnisation de leurs divers préjudices, de remboursement et de prise en charge des pénalités ressortant de la garantie de livraison non souscrite, ainsi qu'en leurs demandes au titre des frais non répétibles et des dépens ;

Condamne monsieur [Z] [D] et madame [R] [D] à verser à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France la somme de 3.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel avec faculté de remboursement conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 16e chambre
Numéro d'arrêt : 22/00950
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;22.00950 ?
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