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20/04/2023 | FRANCE | N°22/03067

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 20 avril 2023, 22/03067


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 20 AVRIL 2023



N° RG 22/03067 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VOS7



AFFAIRE :



[R] [N]





C/



S.A.S.U. JPG







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 30 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

N° Section : RE

N° RG : R 22/00053







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Emmanuel BURGET



Me Marion PAOLETTI







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 AVRIL 2023

N° RG 22/03067 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VOS7

AFFAIRE :

[R] [N]

C/

S.A.S.U. JPG

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 30 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

N° Section : RE

N° RG : R 22/00053

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Emmanuel BURGET

Me Marion PAOLETTI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [R] [N]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Emmanuel BURGET, Plaidant/constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0062

APPELANT

****************

S.A.S.U. JPG

N° SIRET : 997 506 407

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentants : Me Marion PAOLETTI, constitué, avocat au barreau de PARIS et Me Marilyne PERON-ADAM, Plaidant, avocat au barreau de NANTES, vestiaire : 311

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : [J] [V],

La société JPG, dont le siège social est situé [Adresse 4] à [Localité 5], dans le département du Val d'Oise, est spécialisée dans le secteur d'activité de la vente par correspondance de mobiliers et fournitures de bureau aux professionnels. Elle emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des commerces de détail de papeterie, fournitures de bureau, de bureautique et informatique et de librairie du 15 décembre 1988, autrement nommée convention collective nationale des entreprises du bureau et du numérique - commerces et services.

M. [R] [N], né le 29 juillet 1962, a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée du 19 septembre 1994 par la société JPG en qualité d'agent d'entrepôt.

En dernier lieu, M. [N] occupait le poste de réceptionnaire senior.

Le 5 octobre 2022, M. [N] a été victime d'un accident du travail.

Le 13 avril 2022, il a été reçu par le médecin du travail dans le cadre d'une visite de pré-reprise au cours de laquelle les préconisations suivantes ont été émises :

'Cet avis ne constitue pas un avis d'aptitude.

Au moment de la reprise, un poste compatible avec les restrictions suivantes serait adapté :

- sans flexion, inclinaison ni rotation répétée, prolongée ou en force du tronc,

- sans port de charge,

- sans position assise au delà de 5 min,

- pouvoir alterner les positions assises et debout.

Etude de poste et entretien employeur réalisés.

A revoir en visite de reprise.'

Le 29 avril 2022, M. [N] a adressé à la société JPG la notification de sa pension d'invalidité de catégorie 2 attribuée par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) Ile de France.

Le 5 mai 2022, le médecin du travail a déclaré M. [N] inapte à son poste de travail avec dispense de l'obligation de reclassement au motif que 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Par courrier en date du 9 mai 2022, la société JPG a convoqué M. [N] à un entretien préalable qui s'est déroulé le 20 mai 2022.

Par courrier en date du 25 mai 2022, la société JPG a notifié à M. [N] son licenciement pour inaptitude dans les termes suivants :

'A l'issue de votre visite médicale du 5 mai 2022, après étude de votre poste, de vos conditions de travail et échanges avec la société, le médecin du travail a conclu à votre inaptitude physique et a jugé que votre état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Compte tenu de l'impossibilité de vous reclasser, nous avons été contraints d'initier une procédure de licenciement à votre égard. Dans ce cadre, nous vous avons reçu le vendredi 20 mai 2022 lors d'un entretien auquel vous vous êtes présenté assisté de [P] [U], salarié élu de notre entreprise.

Suite à cet entretien, nous vous informons de notre décision de vous licencier en raison de l'inaptitude constatée par le médecin du travail le 5 mai 2022 et de l'impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de vous reclasser suite à cet avis, qui mentionne que votre état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Votre contrat de travail sera rompu dès la date d'envoi de la présente. Nous vous libérons de toute obligation de non-concurrence à laquelle vous seriez éventuellement soumis.'

Par requête du 31 mai 2022, M. [R] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency 'statuant en la forme des référés' aux fins de :

- ordonner avant dire droit, la désignation d'un médecin inspecteur du travail territorialement compétent afin de donner un avis sur l'aptitude de M. [N] à occuper son poste de travail,

- mettre à la charge de la société JPG l'intégralité des frais d'expertise,

- article 700 du Code de procédure civile : 2 000 euros,

- dépens.

Par ordonnance de référé contradictoire rendue le 30 septembre 2022, le conseil de prud'hommes de Montmorency a dit qu'il n'y a pas lieu à référé sur les demandes et a invité M. [N] à mieux se pourvoir.

M. [R] [N] a interjeté appel de la décision par déclaration du 10 octobre 2022.

Par conclusions adressées par voie électronique le 21 novembre 2022, M. [R] [N] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 30 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Montmorency,
Et statuant à nouveau :

- déclarer recevables la contestation et les demandes de M. [N],

- annuler l'avis d'inaptitude du 5 mai 2022 et y substituer la décision à intervenir constatant l'aptitude de M. [N] à son poste de travail avec les restrictions suivantes : sans flexion, inclinaison à rotation répétée, prolongée ou en force du tronc, sans port de charge, sans position assise au-delà de 5 min, pouvoir alterner les positions assises et debout,

A titre subsidiaire,

- supprimer de l'avis d'inaptitude du 5 mai 2022 la mention « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi »,

A titre infiniment subsidiaire,

- ordonner, avant dire droit, une mesure d'instruction confiée au médecin inspecteur du travail territorialement compétent qui aura pour mission de rendre un avis éclairé sur l'aptitude de M. [N] à son poste de travail,

- mettre à la charge de la société JPG l'intégralité des frais d'expertise,

En tout état de cause,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société JPG,

- condamner la société JPG au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions adressées par voie électronique le 17 novembre 2022, la société JPG demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer l'ordonnance rendue le 30 septembre 2022,

Subsidiairement,

- déclarer les demandes de M. [N] irrecevables en raison de la prescription,

Plus subsidiairement,

- constater que M. [N] est bien inapte à son poste de travail et le débouter par conséquent de l'ensemble de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire,

- déclarer que les frais et honoraires du médecin inspecteur du travail resteront à la charge de M. [N] et que la consignation nécessaire à la désignation du médecin inspecteur soit effectuée par M. [N],

En tout état de cause,

- condamner M. [N] à payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens (en ce compris les frais d'expertise).

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 11 janvier 2023, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence du juge des référés

M. [N] fait valoir que le conseil de prud'hommes a statué par une ordonnance improprement qualifiée de référé alors qu'il a saisi la juridiction 'en la forme de référé' en visant expressément les articles R. 1455-12 et L. 4624-7 du code du travail, lesquels sont relatifs à la procédure accélérée au fond ; qu'il y a lieu d'infirmer la décision en ce que les premiers juges se sont fondés à tort sur les articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail pour dire que le litige se heurtait à une contestation sérieuse.

La société JPG réplique que M. [N] a mentionné à plusieurs reprises dans sa requête qu'il saisissait le conseil de prud'hommes en la forme des référés et non dans la formation de procédure accélérée au fond ; qu'il y a donc lieu de confirmer la décision en ce qu'elle a estimé qu'il existait une contestation sérieuse et a invité M. [N] à mieux se pourvoir.

L'article L. 4624-7 du code du travail dispose que :

'I. - Le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes selon la procédure accélérée au fond d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4. Le médecin du travail, informé de la contestation par l'employeur n'est pas partie au litige.

II. - Le conseil de prud'hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. Celui-ci peut, le cas échéant, s'adjoindre le concours de tiers. A la demande de l'employeur, les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, à l'exception des données recueillies dans le dossier médical partagé en application du IV de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique, peuvent être notifiés au médecin que l'employeur mandate à cet effet. Le salarié est informé de cette notification.

III. - La décision du conseil de prud'hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.

IV. - Le conseil de prud'hommes peut décider, par décision motivée, de ne pas mettre tout ou partie des honoraires et frais d'expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l'action en justice n'est pas dilatoire ou abusive. Ces honoraires et frais sont réglés d'après le tarif fixé par un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et du budget. (...)'.

Dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, le texte prévoyait que si le salarié ou l'employeur contestait les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, il pouvait saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de désignation d'un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel, l'affaire étant directement portée devant la formation de référé.

L'ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 a modifié le texte en prévoyant la saisine du conseil de prud'hommes 'en la forme des référés, avec faculté de confier une mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent, la décision du conseil de prud'hommes se substituant aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés'.

La formation des référés du conseil de prud'hommes disposait ainsi des pouvoirs du juge du fond pour statuer.

L'ordonnance n°2019-738 du 17 juillet 2019 a substitué aux termes 'en la forme des référés' les termes 'selon la procédure accélérée au fond' pour les demandes introduites à compter du 1er janvier 2020.

En l'espèce, M. [N] a présenté une requête 'aux fins de saisine du conseil de prud'hommes statuant en la forme des référés' au visa de l'article R. 1455-12 du code du travail lequel concernait la procédure 'en la forme des référés' jusqu'à son abrogation par le décret n°2019-1419 du 20 décembre 2019.

Le conseil de prud'hommes a considéré à tort qu'il était saisi 'en référé' et non pas 'en la forme des référés' soit, selon la nouvelle dénomination, dans le cadre de la procédure accélérée au fond.

La décision de première instance sera en conséquence infirmée en ce que, statuant au visa de l'article R. 1455-2 du code du travail applicable en matière de référé, elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes et a invité M. [N] à mieux se pourvoir.

Sur la prescription

La société JPG soutient que les demandes de M. [N] sont irrecevables comme prescrites puisqu'il n'a pas saisi le conseil de prud'hommes dans les 15 jours qui ont suivi la remise de l'avis d'inaptitude qui lui a été faite en main propre le 5 mai 2022.

M. [N] répond qu'aucun document signé et daté ne fait état de la remise de l'avis lors de la visite de reprise du 5 mai 2022, alors que seule la remise contre émargement ou récépissé peut conférer une date certaine à la notification et marquer le point de départ du délai de 15 jours. Il fait valoir que ce n'est qu'à l'occasion de son entretien préalable du 20 mai 2022 qu'il s'est vu remettre l'avis litigieux, toujours sans émargement ni récépissé, et qu'il a bien introduit son recours dans le délai de 15 jours suivant cette date.

L'article 122 du code de procédure civile dispose que 'constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'

Il ressort de l'article L. 4624-7 du code du travail susvisé que le conseil de prud'hommes doit être saisi de la contestation de l'avis du médecin du travail dans un délai de 15 jours à compter de sa notification.

Pour constituer la notification faisant courir le délai de 15 jours à l'encontre d'un avis d'aptitude ou d'inaptitude, la remise en main propre de cet avis doit être faite contre émargement ou récépissé.

En l'espèce, il ne ressort d'aucune mention de l'avis d'inaptitude émis par le médecin du travail le 5 mai 2022 et d'aucune pièce versée au débat que cet avis a été remis en main propre à M. [N] contre émargement ou récépissé. Le délai de saisine du conseil de prud'hommes ne peut donc courir à compter de cette date.

Le délai ne peut pas non plus courir à compter du 10 mai 2022, date de réception du courrier de convocation à l'entretien préalable daté du 9 mai 2022, qui évoque l'avis d'inaptitude, sans mentionner que ce dernier est joint au courrier.

Le délai ne court qu'à compter du 20 mai 2022, date à laquelle M. [N] reconnaît qu'il s'est vu remettre l'avis d'inaptitude du 5 mai 2022.

La saisine du conseil de prud'hommes de Montmorency, opérée par requête reçue au greffe le 31 mai 2022, moins de 15 jours après la notification de l'avis du médecin du travail, n'est pas atteinte par la prescription. La contestation et les demandes de M. [N] seront donc déclarées recevables.

Sur la contestation de l'avis d'inaptitude

M. [N] expose que le médecin du travail l'a considéré à tort comme inapte dès lors qu'il avait préconisé le 13 avril 2022 des mesures d'aménagement de son poste et qu'à peine trois semaines plus tard, sans qu'aucune mesure ne soit mise en oeuvre par l'employeur pour respecter ces recommandations, sans étude de poste complémentaire ou échange supplémentaire avec l'employeur, le médecin du travail l'a, sans explication, déclaré inapte et a jugé que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Il souligne que de toute évidence le médecin du travail a tenu compte de son classement en invalidité catégorie 2 par le médecin-conseil de la CPAM, ce qui n'avait pas d'incidence directe sur la relation de travail et signifiait qu'il n'était pas totalement privé d'exercer un quelconque emploi. Il demande donc l'annulation de l'avis d'inaptitude.

La société JPG répond que la 2ème catégorie d'invalidité au sens de l'article L. 341-4 du code de la sécurité sociale rassemble les personnes qui sont dans l'incapacité d'exercer une activité professionnelle quelconque et que deux médecins s'étant prononcés sur l'état de santé de M. [N] et ses aptitudes à reprendre une activité professionnelle, il ne fait aucun doute qu'il est inapte à son poste de travail.

En vertu de l'article L. 4624-2-4 du code du travail, après une absence au travail justifiée par une incapacité résultant de la maladie ou d'un accident d'une durée supérieure à 3 mois, le travailleur peut bénéficier d'un examen de pré-reprise par le médecin du travail.

Il ressort de l'article L. 4624-3 du code du travail que le médecin du travail peut proposer des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge ou à l'état de santé physique et mental du travailleur, dans l'hypothèse où ce dernier est apte à reprendre son poste.

Il ressort de l'article L. 4624-4 du même code qu'après avoir fait procéder à une étude de poste et avoir échangé avec le salarié et l'employeur, le médecin du travail qui constate qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible et que l'état de santé du travailleur justifie un changement de poste, déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d'indications relatives au reclassement du travailleur.

En l'espèce, à l'issue de la visite de pré-reprise du 13 avril 2022, le médecin du travail, après réalisation d'une étude de poste et d'un entretien avec l'employeur, a émis des préconisations pour la reprise du travail.

Le jour-même, M. [N] a adressé à son employeur la demande de pension d'invalidité qu'il a faite le 8 avril 2022, en précisant qu'il serait en invalidité à compter du 1er mai 2022 (pièce 4 de l'appelante).

Le 29 avril 2022, M. [N] a notifié à son employeur la pension d'invalidité qui lui a été allouée par la CPAM Ile de France le 19 avril 2022, le médecin conseil ayant estimé qu'il présentait un état d'invalidité réduisant des 2/3 au moins sa capacité de travail ou de gain, justifiant un classement en catégorie 2 (pièce 5 de l'appelante).

Le 5 mai 2022, le médecin du travail, au visa d'une étude de poste et des conditions de travail réalisée le 11 mai 2021 et d'un échange avec l'employeur le 11 avril 2022, a déclaré M. [N] inapte à son poste avec dispense de reclassement, l'état de santé du salarié faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Il existe une distorsion entre cet avis et les préconisations en vue d'un aménagement du poste de travail émises trois semaines plus tôt par le même médecin du travail.

L'élément nouveau intervenu dans cet intervalle de temps est le classement en invalidité catégorie 2 de M. [N].

L'article L. 341-3 du code de la sécurité sociale énonce que l'état d'invalidité est apprécié en tenant compte de la capacité de travail restante, de l'état général, de l'âge et des facultés physiques et mentales de l'assuré ainsi que de ses aptitudes et de sa formation professionnelle.

L'article L. 341-4 du même code dispose que :

'En vue de la détermination du montant de la pension, les invalides sont classés comme suit :

1°) invalides capables d'exercer une activité rémunérée ;

2°) invalides absolument incapables d'exercer une profession quelconque ;

3°) invalides qui, étant absolument incapables d'exercer une profession, sont en outre, dans l'obligation d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie.'

Le constat d'invalidité opéré par le médecin-conseil de la caisse d'assurance maladie est sans incidence sur la relation de travail tant que le médecin du travail ne s'est pas prononcé. Un classement en invalidité de catégorie 2 ou 3 n'entraîne donc pas automatiquement une inaptitude au travail, laquelle doit être constatée par le médecin du travail.

L'avis d'inaptitude du 5 mai 2022 a été donné par le médecin du travail sans étude de poste complémentaire à celle réalisée le 11 mai 2021 et sans viser d'autre échange avec l'employeur que celui qui a eu lieu le 11 avril 2022. Il ne contient aucun élément permettant de comprendre pourquoi les préconisations émises par le médecin peu de temps auparavant, certes limitatives quant aux capacités de travail réelles du salarié, n'étaient pas applicables pour un reclassement du salarié dans un emploi.

Les circonstances de l'espèce justifient de recourir à une mesure d'instruction confiée au médecin-inspecteur du travail selon la mission définie au dispositif de la présente décision.

Les frais de cette expertise seront avancés par M. [N], qui est l'auteur de la contestation.

Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 30 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Montmorency,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Déclare recevables la contestation et les demandes de M. [R] [N],

Avant dire droit,

Ordonne une mesure d'instruction qui sera exécutée par le médecin-inspecteur du travail territorialement compétent,

Désigne en qualité de médecin-inspecteur du travail le docteur [C] [B] exerçant au sein de la Direction Régionale Interdépartementale et l'Economie, de l'Emploi, du Travail et des Solidarités (DRIEETS), [Adresse 2], tél : [XXXXXXXX01], courriel : [Courriel 6], avec mission de :

- prendre connaissance de l'entier dossier de la procédure,

- se faire communiquer par le salarié ou par le médecin du travail avec l'accord du salarié, le dossier du salarié complété de tous les documents utiles,

- procéder à l'examen médical de M. [R] [N],

- procéder à une étude de son poste et de ses conditions de travail,

- déterminer si l'état de santé du salarié justifie qu'il soit déclaré apte, apte avec réserves ou inapte, et si le maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou si l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi,

- procéder à tout autre examen ou audition qu'il estimera utile,

Rappelle que le médecin-inspecteur du travail pourra entendre le médecin du travail,

Enjoint aux parties de communiquer au médecin-inspecteur du travail tous documents utiles à la réalisation de sa mission,

Dit que pour procéder à sa mission d'expertise le médecin-inspecteur du travail :

- devra convoquer toutes les parties par lettre recommandée avec accusé de réception et leur avocat par lettre simple, les avisant de la faculté qu'elles ont de se faire assister par le médecin-conseil de leur choix,

- devra solliciter des parties qu'elles lui communiquent tous documents utiles,

- pourra se faire communiquer directement par tout tiers, avec l'accord du salarié concerné, toutes pièces médicales dont la production lui paraît nécessaire, et pourra recueillir des informations orales ou écrites de toute personne susceptible de l'éclairer,

- peut s'adjoindre, si nécessaire, le concours de tiers, d'une autre spécialité que la sienne,

Dit qu'à défaut de constater que les parties se sont conciliées, le médecin-inspecteur du travail devra déposer son rapport final au greffe de la 6ème chambre au plus tard le jeudi 26 octobre 2023,

Dit que les frais d'expertise seront avancés par M. [R] [N],

Fixe à la somme de 200 euros le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise, conformément au tarif fixé par arrêté commun du ministère du travail et du budget, qui devra être consignée à la Caisse des dépôts et consignations de Paris au plus tard le 15 juin 2023,

Dit qu'une fois la consignation réalisée, la Caisse des dépôts et consignations en avisera le greffe

conformément aux dispositions de l'article R. 4624-45-1 du code du travail,

Dit que, faute de consignation complète de la provision ou de demande de prorogation dans le délai impératif, la désignation du médecin-inspecteur du travail sera caduque et de nul effet conformément aux dispositions de l'article 271 du code de procédure civile,

Dit que l'affaire sera réexaminée à l'audience du vendredi 15 décembre 2023 à 9 heures en salle n°3,

Dit qu'en application de l'article R. 1455-12 du code du travail, la présente décision est exécutoire à titre provisoire,

Sursoit à statuer sur les demandes de M. [R] [N] et sur la demande formée par la société JPG au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Réserve les dépens.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme [J] [V], greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 22/03067
Date de la décision : 20/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-20;22.03067 ?
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