La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/04/2023 | FRANCE | N°21/04452

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 20 avril 2023, 21/04452


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 30Z



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 20 AVRIL 2023



N° RG 21/04452 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UUJQ





AFFAIRE :



[M], [H], [I] [J]

...



C/



S.A.S. MIGOTONI





[V] [U] ...



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Juin 2021 par le tribunal judiciaire de Versailles

N° Chambre : 3

N° RG : 19/04199

>
Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Hélène ROBERT



Me Catherine CIZERON



TJ VERSAILLES







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versaill...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30Z

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 AVRIL 2023

N° RG 21/04452 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UUJQ

AFFAIRE :

[M], [H], [I] [J]

...

C/

S.A.S. MIGOTONI

[V] [U] ...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Juin 2021 par le tribunal judiciaire de Versailles

N° Chambre : 3

N° RG : 19/04199

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Hélène ROBERT

Me Catherine CIZERON

TJ VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [M], [H], [I] [J]

né le 10 Avril 1940 à [Localité 11] (92)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 12]

Madame [K], [W] [O] épouse [J]

née le 31 Janvier 1937 à [Localité 12] (78)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 12]

Représentés par Me Hélène ROBERT de la SCP FANNY CHARPENTIER, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 152

APPELANTS

****************

S.A.S. MIGOTONI

RCS Paris n° 808 780 407

[Adresse 6]

[Localité 9]

Représentée par Me Catherine CIZERON de la SELARL CABINET DE L'ORANGERIE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.404 et Me Nadia LOUNICI et Me Matthieu HUE du cabinet LexStep Avocats, Plaidants, avocats au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Maître [V] [U] de la SCP THEVENOT PARTNERS, Administrateurs Judiciaires, prise en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société MIGOTONI, désigné en ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 17 décembre 2021

RCS Paris n° D 481 943 587

[Adresse 5]

[Localité 8]

Maître [N] [B] de la SELAS ETUDE JP, pris en sa qualité de mandataire judiciaire au plan de continuation de la société MIGOTONI, désigné en ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 17 décembre 2021

RCS Paris n° 840 214 191

[Adresse 10]

[Localité 7]

Représentés par Me Catherine CIZERON de la SELARL CABINET DE L'ORANGERIE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.404 et Me Nadia LOUNICI et Me Matthieu HUE du cabinet LexStep Avocats, Plaidants, avocats au barreau de PARIS

PARTIES INTERVENANTES

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 23 novembre 1988, M. [B] [O], Mme [K] [O] épouse [J] et M. [M] [J], aux droits desquels se trouvent Ies époux [J], ont donné à bail commercial à la société Nashville des locaux situés [Adresse 3]) pour une durée de neuf années à compter du 1°'janvier 1989.

Le bail a été renouvelé par actes sous seing privé des 20 avril 1999, 12 mars 2007 et 26 octobre 2015.

Par acte sous seing privé du 13 juin 2017, la société Nashville a cédé à la société Next Print devenue Migotoni, à effet du 1er août 2017, son fonds de commerce de vente de chaussures pour enfants, exploité sous l'enseigne 'CHEZ FRIMOUSSE', comprenant notamment Ie bail consenti par Ies époux [J].

Par courriel du 11 juillet 2017, la société Foncia Val de Seine, mandataire des époux [J], a avisé la société Nashville que le service d'urbanisme de la mairie de [Localité 12], alerté par la société Pixieboots, nouvelle locataire du local commercial contigu situé dans l'immeuble du [Adresse 4], avait constaté des anomalies affectant le mur séparatif mitoyen et que des travaux de maçonnerie impliquant un passage obligatoire par son commerce devaient être réalisés.

Par mail du 21 juillet 2017, la société Foncia Val de Seine a avisé la société Migotoni cessionnaire du fonds de commerce, qu'un rendez-vous serait organisé sur place Ie 25 juillet 2017, en présence de l'architecte, dont elle s'est engagée à lui rendre compte.

Le 1er août 2017, la société Migotoni a pris possession de ses locaux, occupés partiellement par des échafaudages, des étais et autres outillages, installés dans le cadre des travaux de sécurisation de Ia structure de l'immeuble.

Elle a débuté l'exploitation de son activité, faisant monter une cloison afin de limiter Ies troubles occasionnés par ces instaIIations.

Une ordonnance du 11 mai 2018, rendue par le tribunal judiciaire de Versailles, saisi à l'initiative de Mme [A], propriétaire de l'immeuble ([Adresse 4]) contigu à celui des locaux litigieux ([Adresse 3]), opposable aux époux [J], a désigné un expert M. [D] afin notamment d'examiner les désordres allégués dans l'immeuble du [Adresse 3], d'en trouver l'origine, de déterminer les responsabilités, d'évaluer les préjudices, de préconiser les travaux de réparation et d'en chiffrer le coût.

L'expert a déposé son rapport le 10 février 2020.

Selon exploit d'huissier du 9 novembre 2018, Ies époux [J] ont fait signifier à la société Migotoni un acte de résiliation de plein droit de son bail commercial, sans indemnité, en application de l'article III.19°, de la convention liant Ies parties, en raison des travaux sur le gros oeuvre nécessités par l'immeuble, ne permettant pas son maintien dans Ies lieux loués.

Par courrier du 14 novembre 2018, Ia société Foncia Val de Seine a demandé à Ia société Migotoni de Iibérer immédiatement Ies Iocaux et de lui restituer Ies clés afin que Ies travaux puissent être mis en oeuvre.

Par courrier du 10 décembre 2018, Ia société Migotoni a contesté tant Ies motifs que Ie fondement de la résiliation de plein droit de son bail, et a informé Ies bailleurs de son intention de solliciter l'indemnisation de l'entier préjudice occasionné par son éviction.

C'est dans ce contexte que la société Migotoni a libéré Ies Iocaux litigieux Ie 8 mars 2019, après avoir acquis un nouveau droit au bail pour des locaux sis [Adresse 2], puis a assigné Ies époux [J] devant le tribunal judiciaire de Versailles, par acte du 21 juin 2019, afin d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

Une mesure de médiation judiciaire, ordonnée par le juge de Ia mise en état le 6 novembre 2019, n'a pas permis aux parties d'aboutir à un accord.

Le 6 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Migotoni, et désigné la SCP Thevenot Partners prise en la personne de Maitre [V] [U], en qualité d'administrateur judiciaire et la SELAS Etude JP, prise en la personne de Maître [N] [B], en qualité de mandataire judiciaire.

Celles-ci sont intervenues à la procédure.

Par jugement du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- Condamné solidairement M. [J] et Mme [J] à payer à la société Migotoni :

- la somme de 7.123,72 € au titre de son préjudice de jouissance,

- la somme de 18.710,12 € au titre de son préjudice d'exploitation,

- la somme de 89.020,96 € au titre des conséquences de son éviction,

- la somme de 10.000 € au titre de son préjudice moral,

- la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné solidairement M. [J] et Mme [J] aux dépens de l'instance,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 12 juillet 2021, les époux [J] ont interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 4 avril 2022, M. [J] et Mme [J] demandent à la cour de :

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- Condamné solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] à payer à la société Migotoni :

' La somme de 7.123,72 € au titre de son préjudice de jouissance

' La somme de 18.710,12 € au titre de son préjudice d'exploitation

' La somme de 89.020,96 € au titre des conséquences de son éviction

' La somme de 10.000 € au titre de son préjudice moral

' La somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] aux dépens de l'instance,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Statuant à nouveau,

- Débouter purement et simplement la société Migotoni de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de M. et de Mme [J],

- Débouter purement et simplement la société Migotoni de ses demandes de condamnation solidaire formées à l'encontre de M. [M] [J] et de Me [K] [J] au paiement de:

' La somme de 7.123,72 € au titre de son préjudice de jouissance

' La somme de 37.420,24 € au titre de son préjudice d'exploitation

' La somme de 89.020,96 € au titre des conséquences de son éviction

' La somme de 20.000 € au titre de son préjudice moral,

- Débouter la société Migotoni de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Débouter la société Migotoni de sa demande de condamnation solidaire formée à l'encontre de M. [M] [J] et de Mme [K] [J] au paiement de la somme de 10.000 € en application de l'article 1240 du code civil et subsidiairement au paiement d'une amende civile du même montant sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- Débouter la société Migotoni de sa demande de condamnation solidaire formée à l'encontre de M. [M] [J] et de Mme [K] [J] au paiement de la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Migotoni à payer à M. et Mme [J] la somme de 10.000 € aux titres des frais irrépétibles,

- Condamner la société Migotoni aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Robert, avocat aux offres de droits.

Par dernières conclusions notifiées le 7 janvier 2022, la société Migotoni demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] à payer à la société Migotoni :

- la somme de 7.123,72 € au titre de son préjudice de jouissance,

- la somme de 89.020,96 € au titre des conséquences de son éviction,

- la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] aux dépens de l'instance,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] à payer à la société Migotoni :

- la somme de 18.710,12 € au titre de son préjudice d'exploitation,

- la somme de 10.000 € au titre de son préjudice moral,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Statuant à nouveau,

- Condamner solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] à payer à la société Migotoni :

- la somme de 37.420,24 € au titre de son préjudice d'exploitation,

- la somme de 20.000 € au titre de son préjudice moral,

En tout état de cause,

- Condamner solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] au paiement de la somme de 10.000 € en application de l'article 1240 du code civil et, subsidiairement, au paiement d'une amende civile du même montant sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- Condamner solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] au paiement de la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner solidairement M. [M] [J] et Mme [K] [J] aux dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er décembre 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'obligation de délivrance

A ce titre, la société Migotoni a obtenu des premiers juges une indemnité de jouissance de 7.123,72 € couvrant le loyer versé à perte pour la surface indisponible (16%) et le coût des travaux masquant les échafaudages et étais, ainsi qu'une indemnité d'exploitation de 18.710,12 €.

- Sur le préjudice de jouissance

Les époux [J], bailleurs, critiquent le jugement qui les a condamnés, au visa de l'article 1721 du code civil selon eux, à verser au preneur, la société Migotoni, la somme de 7.123,72 € au titre de son préjudice de jouissance pour avoir été privée de 8m² de surface de vente et placée dans l'impossibilité d'exploiter la cave. Ils font valoir qu'en qualité de bailleurs, ils ne peuvent être tenus des vices apparents connus du preneur lors de son entrée dans les lieux.

Ils font valoir que le preneur était informé de la survenance des désordres, dès le 30 juin 2017, soit un mois avant l'entrée en jouissance fixée le 1er août 2017 et que le preneur disposait d'un recours contre le cédant du fonds de commerce tenu jusqu'au 31 juillet 2017.

Ils soutiennent, en considération de l'obligation de délivrance due par le bailleur, avoir consenti au preneur un 'abattement' de loyer de 290,48 € par mois au regard de la perte de 8m² d'espace commercial due à la pose d'étais au droit du mur mitoyen.

Ils exposent, par ailleurs, que la cave était totalement inexploitable, ainsi que cela a été constaté avant l'entrée en jouissance des lieux, par défaut d'entretien du locataire précédent, que le preneur n'ignorait pas cette situation et qu'il a néanmoins accepté de régulariser l'acte de cession du fonds de commerce en toute connaissance de cause.

Ils concluent que le preneur ne justifie pas d'un manquement à leur obligation de délivrance et de jouissance paisible de sorte que le jugement doit être réformé sur ce point.

Le preneur sollicite la confirmation du jugement sur le quantum de la condamnation allouée de 7.123,72 € au titre de son préjudice de jouissance. Il fait valoir, au visa de l'article 1719 du code civil que les bailleurs sont tenus d'une obligation de délivrance et d'entretien de la chose louée. Il fait état d'une gêne subie, anormale et excessive, pour avoir été privé pendant vingt mois de 8 m² soit 16% de la surface du local, mais aussi de la possibilité d'exploiter la cave.

Il fait valoir qu'il ne pouvait avoir pris connaissance de l'ampleur des désagréments, avant ou lors de l'entrée dans les lieux du 1er août 2017 et pour l'avenir, étendue qui ne sera connue que le 10 février 2020 date du dépôt du rapport d'expertise. Il soutient également qu'il n'a pu exploiter la cave du fait d'un étaiement important.

*

L'article 1719 du code civil dispose notamment que : 'Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant;

2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

4° ....'.

L'article 1720 du même code prévoit que : 'Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.

Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives'.

L'article 1721 du même code stipule que : 'Il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail.

S'il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l'indemniser'.

*

Il résulte de l'acte de cession de fonds de commerce (pièce 1 - Migotoni) entre la société Nashville et la société Next Print devenue Migotoni que la date du transfert de propriété du fonds, avec le droit au bail, a été fixée au 1er août 2017 (article 5 de l'acte de cession).

Il s'en déduit que l'obligation de jouissance paisible due par le bailleur au preneur n'a pris effet qu'à compter du 1er août 2017 de sorte qu'il importe peu que le preneur, dans sa relation avec les bailleurs, ait eu connaissance avant cette date de la nécessité d'entreprendre des travaux de consolidation des locaux loués.

Selon les dispositions du bail renouvelé et cédé, les bailleurs se sont engagés à louer à la société Migotoni :

'- une boutique au rez-de-chaussée de l'immeuble,

- une réserve bordant la cour inférieure, WC, lavabo,

- une cave sous la boutique avec accès aménagé par le locataire dans la réserve au fond des lieux loués ainsi que lesdits lieux existent et comportent, sans aucune exception ni réserve et sans qu'il soit nécessaire d'en faire plus ample désignation à la requête expresse du PRENEUR qui déclare parfaitement les connaître pour les occuper déjà'.

Or, le dossier révèle que la surface de vente du rez-de-chaussée a été diminuée de 8 m² du fait de la présence d'échafaudages au droit du mur mitoyen ce que ne contestent pas les bailleurs qui reconnaissent avoir procédé à une réduction de loyer à ce titre.

Les bailleurs font valoir, en revanche, en vertu d'un constat du 27 juillet 2017, complété de photographies, contradictoire entre les bailleurs et la société Nashville, cédante du fonds de commerce et du droit au bail, que la cave était, par le fait du précédent locataire, encombrée d'étagères sur lesquelles étaient posées des cartons et des emballages de sorte qu'on ne peut leur reprocher une impossibilité d'exploiter la cave du fait de son encombrement. Les photographies révèlent la présence d'étagères sur la longueur et de part et d'autre de la cave, sur lesquelles s'entassent toutes sortes d'emballages et de papiers.

Toutefois, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, cette impossibilité d'utiliser la cave ne résulte pas des encombrants mais de la présence dans la cave d'un étaiement important effectué le 22 octobre 2017, ainsi que cela ressort de la note n° 1 et du rapport de l'expert M. [D] accompagnée de photographies de cette cave, prises le 3 juillet 2018 (pièce 20, pièce 31 - [J]). Cette note fait également état de l'évacuation de cette cave par une société dénommée Lima sur instruction de l'architecte des bailleurs le 26 juillet 2017.

Les photographies 11 et 12 prises par l'expert révèlent la présence d'étaiements et la disparition des étagères encombrées d'emballages telles qu'elles avaient pu être constatées le 27 juillet 2017.

Le preneur rapporte ainsi la preuve de ce que la cave était débarrassée au moment de leur entrée en jouissance mais était obstruée par des étais posés le 22 octobre 2017 de sorte que les bailleurs ont manqué à leur obligation de jouissance paisible des lieux loués dont ils doivent réparation.

Les bailleurs ne contestent pas spécialement le quantum de 7.123,72 € accordé par les premiers juges tenant compte de la privation de surface et de la diminution de loyer consentie par les bailleurs ainsi que des travaux d'étaiement, qui sera néanmoins diminué de 300 € afin de tenir compte de la période d'août à octobre 2017 pendant laquelle les preneurs ont pu profiter de la cave, soit 6.823,72 €.  

Le jugement sera infirmé sur ce point.

- Sur le préjudice d'exploitation

Les bailleurs sollicitent l'infirmation du jugement qui a accordé au preneur une somme de 18.710,12 € au titre d'une perte de chance d'exploitation. Ils font valoir que le preneur ne rapporte pas la preuve que la perte d'exploitation, l'année qui a suivi la reprise des locaux litigieux, serait directement liée à la réduction de la surface de vente de 8m², sur une surface totale de 50,49 m², ou d'une surface de stockage. Ils contestent le quantum de la demande du preneur.

Le preneur conteste la somme qui lui a été accordée par le tribunal fondée, à tort selon lui, sur une perte de chance alors que le créancier d'une obligation contractuelle peut demander la réparation intégrale de son préjudice prévisible causé par l'inexécution. Il sollicite une somme de 37.420,24 € au titre de sa perte d'exploitation.Il fait valoir une perte anormale de chiffre d'affaires de 71.962 € sur la période courant du 1er août 2017 au 30 juin 2018 à laquelle il applique un taux de marge de 52 % soit 37.420,24 € .

Il soutient que la présence d'échafaudages, d'étais de bâches aurait gravement nui à son activité commerciale. Il expose que le cédant avait réalisé un chiffre d'affaires de 416.965 € entre le 1er septembre 2016 et le 31 juillet 2017. Or, il n'a réalisé qu'un chiffre d'affaires de 261.610 € sur la période 1er août 2017 - 30 juin 2018. Il attribue pour partie cette baisse à hauteur de 20% au changement d'exploitant dont il tient compte dans son appréciation du préjudice mais il observe qu'en l'espèce cette baisse est de 37,26 % soit un écart de 17,26 % (soit, selon lui, 71.962 € (416.965 € x 17,26 %) en réalité 71.968,15 €).

Au regard des documents versés aux débats, la démonstration chiffrée de cette perte 'anormale' est cohérente, ainsi que l'ont relevé les premiers juges. Le preneur précisant, sans être contredit, avoir conservé les mêmes fournisseurs que son prédécesseur.

Toutefois, la cour relève que si la perte de chiffre d'affaires de 71.962 € peut être retenue, il n'en va pas de même du taux de marge de 52% appliqué par les premiers juges. En effet celui-ci n'est pas justifié par le preneur alors que le ratio résultat d'exploitation / chiffre d'affaires des exercices 2013 à 2015 (courant du 1er septembre au 31 août de chaque année) résultant de l'activité de son prédécesseur, conduit à retenir un taux moyen de 26,46 % (pièce 1 - acte de cession de fonds de commerce, page 6 - preneur). Ainsi, par application de ce taux de 26.46%, la perte retenue peut être fixée à 19.041,14 € (71.962 x 26,46%) et non à 37.420,24 €.

Ainsi que l'ont relevé les bailleurs, le preneur n'établit pas un lien de causalité directe entre la privation partielle de la surface commerciale, avec présence d'échafaudages et d'étais, et la baisse du chiffre d'affaires alors que ce dernier dépend également du savoir-faire du nouveau preneur.

En revanche, constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

En privant le preneur, comme il a été précédemment confirmé (8m² au rez-de-chaussée et cave), d'une partie de la surface commerciale convenue, les bailleurs l'ont empêché d'exploiter son commerce pleinement, selon les termes contractuellement prévus, de sorte que ce manquement constitue une perte de chance d'obtenir un gain, objectif de tout commerçant.

La réparation de cette perte de chance doit être mesurée à la chance perdue fixée plus justement à 45% du préjudice allégué par le preneur, les étais n'ayant été installés qu'à compter du 22 octobre 2017.

Le préjudice d'exploitation sera lissé à 8.568 € (19.041,14 € x 0,45).

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la résiliation du bail

L'article 1722 du code civil stipule que 'Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement'.

Cette disposition n'est pas d'ordre public et les parties peuvent y déroger par convention.

*

En l'espèce, le bail, initialement consenti et renouvelé depuis, prévoit : 'Dans le cas ou par vétusté ou toute autre cause indépendante de la volonté du bailleur, les lieux loués viendraient à être démolis en totalité ou en partie, et si cette partie est assez considérable pour empêcher la continuation de la location, le présent bail serait résilié de plein droit, sans indemnité'.

Les bailleurs ont procédé, le 9 novembre 2018, au visa de l'article III 19° du bail dont le contenu a été rappelé ci-dessus, à la résiliation du bail sans indemnité rappelant les désordres structurels affectant l'immeuble et faisant valoir notamment que 'les travaux de gros-oeuvre ne permettent pas votre maintien dans les lieux'.

Or selon le bail, la résiliation sans indemnité ne peut intervenir que dans le cas d'une démolition et lorsqu'elle est partielle, qu'à la condition d'empêcher 'la continuation de la location'.

Il appartient au preneur qui se prévaut de cette disposition contractuelle de rapporter la preuve qu'au 9 novembre 2018, aucune démolition n'était envisagée ou qu'en cas de démolition partielle celle-ci ne faisait pas obstacle à la poursuite de la location. Inversement, les bailleurs doivent justifier de ce qu'à même date, cette location ne pouvait durer du fait d'une démolition et, à la supposer partielle, qu'elle empêche du fait de son importance la location.

Les bailleurs admettent dans leurs écritures, à propos de la perte d'exploitation évoquée précédemment et qu'ils contestent (page 24 de leurs écritures), que le preneur 'a été à même d'exploiter les lieux jusqu'à cette date', la 'date' étant, selon leurs écritures, celle de la libération des lieux par le preneur soit le 11 mars 2019, de sorte qu'à supposer qu'au 9 novembre 2018 une démolition, même partielle, était envisagée, elle n'a pas empêché la poursuite de la location au moins jusqu'au départ du preneur selon les bailleurs eux-mêmes.

Le rapport d'expertise, déposé le 10 février 2020, invoqué par chacune des parties, détermine que le 'flambement du mur' séparatif entre le [Adresse 3] et le [Adresse 4], déformé à cause de charges importantes combinées avec des venues d'eaux, est à l'origine des désordres très anciens masqués par le doublage de ce mur. Le rapport relève que 'lors de l'apparition de ces désordres, les propriétaires des deux immeubles [[Adresse 3] et [Adresse 4] ont décidé de les masquer par mise en place d'un doublage au lieu d'entreprendre les travaux de réparation nécessaires'. La cour observe que l'expert propose de mettre à la charge de chacun des propriétaires les travaux qui relèvent de leur propre immeuble.

Le rapport relève (page 14 - pièce 31 - [J]) que depuis la pose d'étais, le 22 octobre 2017, ce mur n'a pas subi d'évolution. L'expert estime cependant que la réalisation de travaux de gros-oeuvre est devenue 'nécessaire et urgente'. Il fait sien le descriptif des travaux 'pour renforcer la structure du côté de l'immeuble du [Adresse 3]' proposé par l'architecte des bailleurs (M. [R]). Il reprend, à cet effet, un devis détaillé (pièce 23 - Bailleurs) établi le 23 mai 2018 par la société GF-Lima. Selon ce devis, le gros-oeuvre consiste à une 'reprise structurelle de la voûte affaissée' par réalisation d'un 'massif de fondation en forme de T', d'un 'refend' (mur porteur intérieur) pour 'contreventement et reprise des efforts transversaux', et, enfin, d'une reprise d'appareillage des moellons sur l'ensemble de la maçonnerie.

Ainsi, le rapport ne préconise pas de démolition même partielle des locaux litigieux - condition première posée par le bail pour exonérer le bailleur du versement d'une indemnité - mais des travaux de 'renforcement'. En outre la durée de ceux-ci est estimée à deux mois pour les travaux en sous-sol à laquelle il faut ajouter trois mois et demi pour ceux à prévoir en rez-de-chaussée. A supposer que les travaux envisagés puissent être assimilés à une démolition partielle, ce qui n'est pas démontré, l'exploitation du fonds, temporairement suspendue pendant la durée des travaux, pouvait reprendre à la fin de ceux-ci, de sorte que la continuation de la location n'était pas impossible, l'empêchement de poursuivre la location en cas de démolition partielle, étant une autre condition imposée par le bail pour priver le preneur d'une indemnité.

Il résulte de ce qui précède que si la location ne pouvait pas se poursuivre temporairement pendant la durée des travaux cela n'était pas dû à une démolition, même partielle, des locaux loués mais à un renforcement des structures de ceux-ci de sorte que les bailleurs ne pouvaient, sans manquer aux dispositions du bail qui fait la loi entre les parties, résilier celui-ci sans indemnité.

Les bailleurs en doivent réparation au preneur.

Le preneur sollicite la confirmation du jugement qui a évalué l'indemnité réparatrice de cette résiliation infondée à la somme de 89.020,96 €. Ce quantum n'est pas spécialement contesté par les bailleurs. Il est justifié à hauteur de 87.598,96 € par le versement d'un droit au bail de 70.400 €, le 11 mars 2019, par le preneur en vue de sa réinstallation [Adresse 2], dans des locaux d'une surface équivalente à celle des lieux dont il a été évincé (pièce 6 - preneur) ; par les honoraires de négociation de 9.600 € (pièce 6 - preneur) ; par les honoraires de conseil et de rédaction d'un bail, ensemble 3.000 € (pièce 14 - preneur) ; par les frais de déménagement de 1.980,96 € (pièce 15 - preneur); par les frais de changement d'enseigne de 1.100 € (pièce 24 - preneur) et de publication légale de 1.518 € (pièce 23 - preneur).

La cour retiendra la somme de 87.598,96 € .

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur le préjudice moral

Les premiers juges ont condamné les bailleurs à verser une indemnité de 10.000 € au preneur au titre de son préjudice moral au motif du temps consacré par son dirigeant au suivi des opérations d'expertise qu'il n'a pu employer au développement de sa société et au 'stress' subi par celui-ci qui 'a dû trouver des locaux en urgence'.

Le preneur sollicite l'infirmation du jugement et réclame une indemnité de 20.000 € au titre de ce préjudice.

Les bailleurs s'y opposent, faisant valoir que le preneur ne justifie pas d'un préjudice distinct du préjudice commercial pour lequel ce dernier réclame la somme de 89.020,96 €. Ils font valoir que le préjudice allégué a été subi non par la société Migotoni, le preneur, mais par son dirigeant de sorte que la condamnation à réparer le préjudice moral de la société n'est pas fondée.

La demande de la société Migotoni n'est pas fondée sur une atteinte à sa réputation ou à son image mais sur les difficultés rencontrées par son dirigeant l'ayant soumis à forte pression de sorte que le preneur ne justifie pas d'un préjudice moral qui lui est propre.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a accordé une indemnité de 10.000 € au titre d'un préjudice moral.

Sur la procédure abusive

Au visa de l'article 1240 du code civil, le preneur fait grief aux bailleurs d'avoir interjeté appel abusivement alors qu'aucune argumentation ne vient étayer la critique qu'ils ont faite du jugement. Le preneur invite, subsidiairement, la cour au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile, à condamner les bailleurs à une amende civile de 10.000 € pour procédure abusive et dilatoire.

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts que lorsqu'est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.

La société Migotoni ne démontre pas le caractère abusif de l'exercice par les consorts [J], bailleurs, de leurs droits et de leurs voies de recours alors que la cour a partiellement fait droit à certaines de leurs demandes.

La société Migotoni sera déboutée de sa demande principale et subsidiaire sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les époux [J], bailleurs, qui succombent pour l'essentiel, seront condamnés, solidairement, aux dépens d'appel.

Il n'y a lieu, en cause d'appel, à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 3 juin 2021 en ce qu'il a condamné, solidairement, M. [M] [J] et Mme [K] [J] à payer à la société Migotoni la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

Infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Condamne, solidairement, M. [M] [J] et Mme [K] [J] à payer à la société Migotoni la somme de 6.823,72 € au titre du préjudice de jouissance,

Condamne, solidairement, M. [M] [J] et Mme [K] [J] à payer à la société Migotoni la somme de 8.568 € au titre du préjudice d'exploitation,

Condamne, solidairement, M. [M] [J] et Mme [K] [J] à payer à la société Migotoni la somme 87.598,96 € au titre des conséquences de son éviction,

Rejette toutes autres demandes,

Y ajoutant,

Condamne, solidairement, M. [M] [J] et Mme [K] [J] aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 21/04452
Date de la décision : 20/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-20;21.04452 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award