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20/04/2023 | FRANCE | N°20/01492

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 20 avril 2023, 20/01492


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 20 AVRIL 2023



N° RG 20/01492 - N° Portalis DBV3-V-B7E-T6O2



AFFAIRE :



[D] [W]



C/



E.P.I.C. IFREMER (Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer)









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Juin 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT<

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N° Section : E

N° RG : 18/00809





Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES



Me Franck BLIN de la SELARL ACTANCE







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 AVRIL 2023

N° RG 20/01492 - N° Portalis DBV3-V-B7E-T6O2

AFFAIRE :

[D] [W]

C/

E.P.I.C. IFREMER (Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer)

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Juin 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : 18/00809

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES

Me Franck BLIN de la SELARL ACTANCE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [D] [W]

né le 25 Septembre 1953 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159

APPELANT

****************

E.P.I.C. IFREMER

(Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer)

N° SIRET : 330 715 368

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Franck BLIN de la SELARL ACTANCE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0168, substitué à l'audience par Me Virginie AUDET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Madame Régine CAPRA, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

Par contrat de travail à durée indéterminée du 1er janvier 1990, Monsieur [D] [W] a été engagé par l'Ifremer, établissement public à caractère industriel, en qualité de chargé de communication. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective d'entreprise de l'Ifremer du 18 mars 1993.

Au cours d'un entretien du 1er décembre 2016, le salarié a fait part à l'Ifremer de son souhait de partir à la retraite le 31 décembre 2017. Il demandait en outre à bénéficier des termes de l'accord de mobilité spécifique qui prévoyait une indemnité supplémentaire. Par courrier du 29 décembre 2016, l'employeur a accédé à cette demande en précisant qu'un préavis de huit mois devait être observé entre la date de notification du départ à la retraite et la date de départ effectif. Par courrier du 25 mars 2017, le salarié a confirmé à l'employeur son départ à la retraite au 31 décembre 2017.

Par courrier du 19 mai 2017, l'employeur a confirmé son accord.

Par courrier du 7 juillet 2017, le salarié a notifié à l'employeur un arrêt de travail jusqu'au 6 août 2017. Dans ce même courrier le salarié a tenu des propos que l'employeur a considéré comme inappropriés.

Par lettre du 25 août 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 4 septembre 2017 et qui a été suivi de la notification, par courrier de l'employeur du 13 septembre 2017, d'une rupture anticipée de son préavis aux motifs notamment de courriers jugés comme insultants et inappropriés.

Par requête reçue au greffe le 20 juin 2018, Monsieur [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de voir dire que la rupture anticipée de son préavis constituait un licenciement nul et d'obtenir le versement de diverses sommes.

Par jugement du 11 juin 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :    

- dit que la cessation anticipée du préavis de Monsieur [W] ne pouvait pas être considérée comme un licenciement ;

- dit que l'absence d'entretien annuel d'évaluation n'avait pas entrainé de préjudice ouvrant droit à réparation ;

en conséquence :

- débouté Monsieur [W] de l'intégralité de ses demandes ;

- reçu l'Ifremer en sa demande reconventionnelle et l'en a déboutée ;

- condamné Monsieur [W] aux éventuels dépens.

Par déclaration au greffe du 16 juillet 2020, le salarié a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 1er avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, le salarié demande à la cour de :

- le recevoir en ses demandes et l'y déclarer bien fondé ;

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

sur le versement des indemnités conventionnelles de départ en retraite indépendamment de la rupture du préavis

- juger que l'indemnité supplémentaire de départ en retraite issue de l'article 31 de la convention d'entreprise et que l'indemnité complémentaire de départ en retraite issue de l'accord de mobilité spécifique au transfert du siège social sur le site [Localité 4], sont dues indépendamment de la rupture du préavis par l'Ifremer ;

en conséquence,

- condamner l'Ifremer à lui verser les sommes suivantes :

*indemnité supplémentaire de départ en retraite (article 31 de la convention d'entreprise applicable) : 14 398,38 euros,

*indemnité complémentaire de départ en retraite (accord de mobilité spécifique au transfert du siège social) : 54 149,56 euros,

Sur la contestation de la rupture anticipée du préavis

à titre principal,

- juger qu'il n'a pas commis de faute grave justifiant la rupture anticipée du préavis ;

à titre subsidiaire,

- annuler la sanction disciplinaire que constitue la rupture du préavis dans la mesure où cette sanction est disproportionnée aux faits reprochés ;

en conséquence,

- condamner l'Ifremer à lui verser les sommes suivantes :

*indemnité compensatrice de préavis : 19 028,46 euros,

*congés payés afférents : 1 902,84 euros,

si la cour juge que l'indemnité supplémentaire de départ en retraite et l'indemnité complémentaire de départ en retraite ne sont pas dues indépendamment de la rupture du préavis,

*indemnité supplémentaire de départ en retraite (article 31 de la convention d'entreprise applicable) : 14 398,38 euros,

* indemnité complémentaire de départ en retraite (accord de mobilité spécifique au transfert du siège social) : 54 149,56 euros,

sur les autres demandes

- juger que l'Ifremer a manqué à son obligation d'organiser des entretiens annuels,

en conséquence,

- condamner l'Ifremer à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi à hauteur de 5 000 euros ;

- juger que l'Ifremer a exécuté déloyalement le contrat de travail en ne lui remettant pas, lors de la rupture anticipée de son préavis, le matériel informatique professionnel dont il disposait alors qu'il s'y était engagé ;

en conséquence,

- condamner l'Ifremer à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi à hauteur de 1 000 euros ;

- fixer la moyenne mensuelle de ses salaires à la somme de 4 679,13 euros ;

- condamner l'Ifremer à lui verser la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dire que ces sommes porteront intérêt à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- condamner l'Ifremer aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir ;

- débouter l'Ifremer de ses demandes.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 10 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, l'employeur demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter Monsieur [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

y ajoutant,

- condamner Monsieur [W] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour la première instance et l'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 février 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la rupture anticipée du préavis et le versement des indemnités conventionnelles

Le salarié soutient que : les indemnités prévues par l'article 31 de la convention d'entreprise et l'accord de mobilité lui étaient dues indépendamment de la rupture anticipée du préavis en ce que la condition relative au préavis de huit mois mentionné par ces textes était réunie dès lors qu'il a notifié son départ en retraite au 31 décembre 2017 par lettre du 25 mars 2017, soit huit mois avant son départ effectif ; à cet égard, il ne saurait pâtir de la rupture anticipée du préavis ; il n'a

pas abusé de sa liberté d'expression ; la faute grave n'étant pas caractérisée, la sanction est injustifiée ; subsidiairement, la sanction est disproportionnée et doit être annulée ; il doit dès lors être rétabli dans ses droits de percevoir les indemnités de préavis, supplémentaire et complémentaire de départ en retraite.

L'employeur fait valoir que : les parties ont expressément convenu que le versement des deux indemnités conventionnelles était conditionné à la réalisation du préavis conformément aux dispositions conventionnelles ; le salarié ne peut prétendre au versement de ces indemnités dès lors que le préavis a été valablement rompu pour faute grave ; le salarié a tenu des propos inacceptables excédant sa liberté d'expression, d'une part, à caractère pédophile dans son courriel du 7 juillet 2017, d'autre part, injurieux, insultants, agressifs, et emportant dénigrement de ses compétences professionnelles, dans son courriel adressé à la directrice des ressources humaines, en réitérant des allusions à connotation pédophile ; le salarié avait déjà abusé de sa liberté d'expression notamment à l'encontre de la même directrice dans un mail du 18 février 2015 ; la sanction est proportionnée à la virulence des propos et au fait que ces abus ont été commis à plusieurs reprises.

Selon l'article 1237-4 du code du travail, les stipulations relatives au départ à la retraite des salariés prévues par une convention collective un accord collectif de travail ou un contrat de travail sont applicables sous réserve qu'elles ne soient pas contraires aux dispositions légales.

Il résulte de l'article L. 1237-9 du même code que tout salarié quittant volontairement l'entreprise pour bénéficier d'une pension de vieillesse a droit à une indemnité de départ à la retraite qui varie en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et dont les modalités de calcul, qui sont fonction de sa rémunération brute, sont déterminées aux articles D 1237-1 et D 1237-2 du même code.

Par ailleurs, selon l'article L. 1237-10 de ce code, le salarié demandant son départ à la retraite doit respecter un préavis dont la durée est déterminée conformément à l'article L. 1234-1. Le non-respect du préavis par le salarié ne le prive pas du bénéfice de l'indemnité de départ à la retraite.

Toutefois, l'indemnité de départ à la retraite prévue par une convention collective ou un accord collectif de travail s'applique si celle-ci est plus avantageuse sous réserve de réunir les conditions posées par l'accord.

Enfin, l'employeur peut interrompre le préavis en cas de faute grave commise par le salarié en respectant la procédure disciplinaire. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate.

Il est constant que par lettre du 25 mars 2017, le salarié a confirmé à l'employeur sa décision de faire valoir ses droits à la retraite le 31 décembre 2017, et ce, dans le respect des termes de l'article 31 de la convention d'entreprise, « et notamment ceux en termes de délai-congé », le salarié

ajoutant que, « par ailleurs », il avait pris note de la décision de l'employeur d'accéder à sa demande de cesser son activité « le 31 décembre et non pas le 1er juillet, tout en bénéficiant des dispositions de l'accord de mobilité du 11 juillet 2016 et notamment du chapitre IX « mesures d'âge » 1°) alinéa deux (premier tiret) ».

L'employeur a répondu, par courrier du 19 mai 2017, qu'il prenait acte de la volonté du salarié de partir en retraite « le 1er janvier 2018 » ; qu'il lui donnait son accord pour un départ à son initiative, «  dans le cadre des mesures de l'accord de mobilité spécifique au transfert du siège social » ; que « Le délai de préavis de 8 mois qui doit être observé » prenait effet à compter du 1er mai 2017 et devait prendre fin le 31 décembre 2017 ; que le salarié devait percevoir une allocation de départ à la retraite dans les conditions prévues par l'article 1 de l'accord signé le 2 avril 2008 portant modification de l'article 31 de la convention d'entreprise ; que, conformément à l'article IX-1 de l'accord de mobilité, il devait percevoir lors de son départ, en complément de l'indemnité conventionnelle de départ à la retraite, une prime équivalente à douze mois de salaire brut.

L'avenant du 2 avril 2008 à la convention d'entreprise du 18 mai 1993 portant modification de l'article 31, prévoit, en son article 1, notamment, que : - dans le cadre du départ à la retraite à la demande du salarié celui-ci perçoit une indemnité dont le montant est fixé à une indemnité correspondant à deux mois de salaire ( salaire de base, prime de rendement mensuelle, éventuellement prime d'ancienneté, 1/12 du 13eme mois) majorée d'une indemnité supplémentaire de 147 points par année d'ancienneté à partir de la sixième année ; - pour bénéficier de l'indemnité supplémentaire, le salarié doit respecter une période de huit mois ; - en cas de non-respect de ce préavis, seules les dispositions légales concernant les indemnités de départ en retraite s'appliquent.

L'article IX de l'accord de mobilité spécifique au transfert du siège social sur le site de [Localité 4], en date du 11 juillet 2016, prévoit : « Outre l'indemnité conventionnelle de départ à la retraite, une indemnité complémentaire équivalente à douze mois de salaire mensuel brut est prévue pour les salarié(e)s suivant(e)s : », et le paragraphe suivant, qui correspond au premier tiret mentionné par le salarié dans son courrier précité du 25 mars 2017, précise : « Tout(e) salarié(e) qui aura déjà réuni les conditions pour partir à la retraite à taux plein à la date de signature du présent accord, sous réserve de notifier son départ dans un délai de trois mois à compter de la signature de l'accord et de respecter un préavis de huit mois. Le départ effectif du/de la salarié(e) devra en toute hypothèse intervenir avant le 1er juillet 2017. »

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que dans les termes des accords précités, les parties ont entendu fixer à huit mois la durée du préavis prenant effet à compter du 1er mai 2017 en raison d'un départ en retraite du salarié le 31 décembre 2017 conformément à la volonté claire et non équivoque de celui-ci, préavis à la réalisation duquel étaient conditionnés le versement, d'une part,

de l'indemnité supplémentaire conformément à l'article 31 de la convention d'entreprise, d'autre part, le versement de l'indemnité complémentaire équivalente à douze mois de salaire mensuel brut que l'employeur acceptait de payer au salarié, réunissant la condition relative à la retraite à taux plein, alors que son départ effectif n'était pas fixé à une date antérieure à celle du 1er juillet 2017.

S'agissant de la rupture du préavis, il résulte de l'article L 1121-1 du code du travail que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Ainsi, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression.

Est dès lors illicite une rupture du préavis prononcée en raison de l'exercice par le salarié de sa liberté d'expression et d'opinion.

La lettre recommandée avec avis de réception du 13 septembre 2017 énonce :

«'La Directrice des Ressources humaines (DRH) de l'Ifremer a réagi à votre courriel du 7 juillet 2017, en vous demandant de vous abstenir de tenir des propos inadmissibles de nature pédophile.

Pour rappel, alors que ce courriel était destiné à informer le Directeur des Moyens Navals et la gestionnaire RH du siège social des dates de votre arrêt de travail, vous y avez précisé, contre toute attente, que vous vous « empressiez » de l'informer « avec la même diligence que celle du jeune prêtre qui va prendre sa douche avec les enfants de la chorale. »

Vous avez alors adressé à la Directrice des Ressources Humaines un courriel de réponse le 30 juillet 2017, dont nous avons pris connaissance le 31 juillet.

Aux termes de ce courriel, vous tenez des propos injurieux, insultants, agressifs et emportant dénigrement des compétences professionnelles de la Directrice des Ressources Humaines, membre du comité de direction de l'Institut.

En effet, vous lui écrivez :

« il me semble que vous vous égarez »

« il me semble derechef, voici quelques mois déjà, vous l'ayant écrit, avoir souligné votre compétence aléatoire »

« le vide ne s'est pas comblé depuis »

« Un étudiant de troisième année de droit, année de confrontation avec le droit du travail, était en aptitude de le comprendre aisément. »

« pour paraphraser votre paragraphe conclusif : vous voudrez bien vous abstenir' »

« comme je suppose que la gestion des ressources humaines n'est pas votre préoccupation première ['] »

Comme vous le mentionnez vous-même, ce n'est d'ailleurs pas la première fois que vous vous livrez à de telles pratiques.

En effet, vous avez traité dans l'un de vos mails en date du 18 février 2015 la Directrice des Ressources Humaines de « médiocre », « triste individu », « erreur de recrutement », mettant en cause son « insuffisance professionnelle et son inaptitude à diriger », et préconisant « un passage par la case Pôle Emploi ou tout simplement un recours rapide au CEA ».

Vos propos du 30 juillet dernier sont inacceptables et constituent, de surcroît, une manifestation répétée des injures, insultes et dénigrements auxquels vous vous livrez à l'égard de la Directrice des Ressources Humaines.

Une telle attitude et un tel manque de respect envers la Directrice des Ressources Humaines ne sont pas tolérables au sein de notre établissement.

Vos explications ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits, constitutifs d'une faute grave.

Par conséquent, nous vous notifions la rupture anticipée de votre préavis, laquelle sera effective le 13 septembre 2017.

Cette rupture anticipée de votre préavis est privative de l'indemnité compensatrice de préavis qui restait à courir jusqu'au 31 décembre 2017, de l'indemnité supplémentaire prévue à l'article 31 de la convention d'entreprise, ainsi que de l'indemnité complémentaire prévue par l'accord de mobilité du 11 juillet 2016' »

Dans son courriel envoyé le 7 juillet 2017 au directeur des moyens et opérations navals avec copie à la gestionnaire des ressources humaines du siège social, le salarié a tenu les propos suivants :

« Je sors de l'hôpital, et après une nuit complémentaire d'observation, je m'empresse de vous informer, avec la même diligence que celle du jeune prêtre qui va prendre sa douche avec les enfants de la chorale. Comme il était prévu, je suis en arrêt de travail jusqu'au 6 août inclus ; sauf complications et comme je vous l'avais dit, je prendrai des congés à la suite. ['] ».

A la suite du courriel de la directrice des ressources humaines du 27 juillet 2017 par lequel celle-ci accusait réception de la date de l'arrêt de travail du salarié et indiquait par ailleurs : « Nous tenons à réagir vivement aux propos, de nature pédophile, contenus dans votre courriel. Ils sont parfaitement intolérables et outrepassent clairement votre liberté d'expression », le salarié a adressé à celle-ci un courriel du 30 juillet 2017, avec copie au directeur des moyens et opérations navals, dont le contenu est le suivant :

« J'arrive de la grand'messe où j'ai longuement prié pour les âmes égarées. Que n'aie-je ouvert ma messagerie plut tôt, j'aurai prié pour vous ! Il me semble en effet que vous vous égarez, mais merci de m'offrir à bon compte une polémique. A moins qu'il s'agisse simplement d'une sincère émotion, auquel cas vous seriez pardonnée, à l'égard des chanteurs de la chorale de [Localité 5] dirigée par [F] [B] ou encore des pratiques du cardinal [F] [J], financier du Vatican. Si vous le souhaitez je peux vous mettre en relation avec la conférence des évêques de France et vous donner les coordonnées de monseigneur [K]. Ils sauront vous expliquer avec componction et connaissance ce que sont des propos et des comportements pédophiles. Pour tenir des propos de procureur, encore faut-il en avoir la compétence' 'Il me semble derechef, voici quelques mois déjà, vous l'ayant écrit, avoir souligné votre compétence aléatoire. Le vide ne s'est pas comblé depuis. Il aurait du ne pas vous échapper que le courriel adressé à mon directeur le fut durant la suspension de mon contrat de travail et à partir d'une messagerie privée, c'est-à-dire ni au temps, ni au lieu de l'entreprise. Un étudiant de troisième année de droit, année de confrontation avec le droit du travail, était en aptitude de le comprendre aisément. Ceci n'ayant pas vocation à affadir le courriel qui vous émeut ou avoir valeur de rédemption. Sans montrer sur les grands principes de la « liberté d'expression » (sic), j'entends m'adresser à mon directeur, comme à tout autres, à savoir comme je l'entends avec le langage et le vocabulaire, voire les métaphores que je souhaite, sans subir une censure inappropriée. En un mot comme je l'ai toujours fait depuis toujours dans mon existence et pour en rester seulement au niveau de l'Ifremer, à savoir dans le cadre de mon contrat de travail, comme je l'ai toujours exprimé depuis le 2 janvier 1990, avec tous les membres de la hiérarchie, par écrit ou par oral. Le conformisme n'appartient pas à ma panoplie.

Pour paraphraser, votre paragraphe conclusif, « vous voudrez bien à l'avenir, vous abstenir ' ».

P.B.

P.S. : comme je suppose que la gestion des ressources humaines n'ai pas votre préoccupation première, je profite de ce courriel, dont je mets seulement en copie mon directeur, pour l'informer, comme prévu, qu'à la suite de mon arrêt de travail, je serai en congé du 7 août au 3 septembre, à la réserve près que j'ai deux rendez-vous hospitaliers au cours de cette période et qu'à l'issue de celui du 30 août, je saurai quel sort m'est réservé. Sous cette condition, je m'empresserai avec le zèle épiscopal habituel de lui faire parvenir le cas échéant un nouvel arrêt de travail ou d'être présent le 4 septembre.

P.B. »

Il ressort de ces courriels que le salarié, au-delà de propos ou plus généralement d'un comportement critique et d'une expression imagée en usant de figures de style personnelles, d'un ton décalé et d'un humour de mauvais goût, s'est montré insistant dans ses évocations

inappropriées, déplacées, à connotation ou à sujet pédophiles, en s'adressant d'abord à la responsable des ressources humaines du siège social et au directeur des moyens et opérations navals, ensuite, avec copie au même directeur, à la directrice des ressources humaines qui, sans déborder de ses fonctions et sur un ton mesuré et non stigmatisant, l'avait mis en garde de manière proportionnée sur des propos à connotation pédophile excédant selon elle la liberté d'expression, celle-ci se voyant reprocher, sur la foi d'une affirmation juridique péremptoire bien qu'inexacte, non seulement une compétence aléatoire qu'il indiquait avec une certaine complaisance avoir déjà mentionnée dans un écrit antérieur, et dont il souligne la persistance faute de comblement d'un « vide », mais, en outre, de ne pas se soucier du c'ur de son métier : « comme je suppose que la gestion des ressources humaines n'ai pas votre préoccupation première », tous propos et attaques personnelles excessifs, particulièrement offensants et dénigrants, ne participant pas de la liberté d'expression et d'opinion du salarié.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments l'existence d'un abus du salarié dans sa liberté d'expression et d'opinion d'une gravité telle qu'elle rendait impossible son maintien dans l'entreprise et impliquait son éviction immédiate.

En raison de la rupture, licite et justifiée, du préavis, imputable exclusivement au salarié, ce dernier ne réunit pas les conditions nécessaires à l'obtention des indemnités prévues par la convention d'entreprise et l'accord collectif précités. Il sera donc débouté de ses demandes formées de ces chefs, comme de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.

Sur le non-respect de l'obligation d'organiser des entretiens annuels

Le salarié soutient que : l'employeur a méconnu l'article 13 de la convention d'entreprise en ne l'ayant plus convoqué à compter de 2013 à un entretien annuel dit « d'appréciation » ayant notamment pour objet de fixer les objectifs pour l'année à venir, d'attribuer un avancement et d'allouer des promotions ou des formations qualifiantes ; le préjudice subi résulte d'une perte de chance de se voir fixer des objectifs, de les dépasser et en conséquence d'obtenir une gratification, d'obtenir une promotion, un avancement de carrière, de bénéficier d'une formation qualifiante.

L'employeur réplique que le salarié a refusé ces entretiens annuels et ne justifie ni d'une réclamation en ce sens, ni de son préjudice.

L'employeur ne justifie pas, pour la période postérieure à l'année 2013, du respect de son obligation conventionnelle de devoir, de sa seule initiative, organiser chaque année l'entretien d'appréciation, alors que cette appréciation, notifiée par écrit, était susceptible d'entraîner l'attribution d'un avancement sur la base d'une part fixe et d'une part variable en fonction des groupes et catégories et de l'ancienneté, le préjudice direct et certain du salarié résultant de la perte

d'une chance de percevoir les gains liés à cet avancement et constituant une suite immédiate et directe de l'inexécution de l'article 13 de la convention d'entreprise.

La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Dans le cadre de ces limites et au vu des éléments d'appréciation, il convient d'allouer au salarié la somme nette de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Le non-respect de l'engagement unilatéral de l'employeur, qui ne conteste pas utilement, de permettre au salarié de conserver son matériel informatique professionnel, tel que cet engagement résulte en effet d'un échange de courriers entre les intéressés et dont le bénéfice n'était soumis à aucune condition, caractérise un manquement à l'exécution de bonne foi du contrat de travail.

Toutefois, l'employeur objecte à juste raison que le salarié ne justifie pas de son préjudice qui ne saurait résulter de la seule privation du matériel promis.

Dès lors, en l'absence de preuve de l'existence et de l'étendue du préjudice subi par le salarié, la demande de dommages et intérêts qu'il forme à ce titre sera en voie de rejet.

Sur les intérêts au taux légal

En application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, la somme allouée à titre de dommages et intérêts porte intérêts à compter du présent arrêt.

Sur les frais irrépétibles 

En équité, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile uniquement au profit du salarié auquel la somme de 2000 euros est allouée au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Sur les dépens

L'employeur, qui succombe pour l'essentiel, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant,

Dit licite et justifiée la rupture anticipée, intervenue le 13 septembre 2017 à l'initiative de l'Ifremer, du préavis de Monsieur [D] [W] fixé à huit mois dans le cadre de son départ volontaire à la retraite.

En conséquence,

Déboute Monsieur [D] [W] de ses demandes en paiement des indemnités supplémentaire, complémentaire, et compensatrice de préavis et de congés payés afférents.

Condamne l'Ifremer à payer à Monsieur [D] [W] la somme nette de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation conventionnelle d'organiser des entretiens annuels.

Dit que les intérêts au taux légal courent sur cette somme à compter du présent arrêt.

Condamne l'Ifremer à payer à Monsieur [D] [W] la somme nette de 2 000 en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties pour le surplus.

Condamne l'Ifremer aux entiers dépens de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, greffier en pré-affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier en pré-affectation, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 20/01492
Date de la décision : 20/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-20;20.01492 ?
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