COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 AVRIL 2023
N° RG 21/01281
N° Portalis DBV3-V-B7F-UPF7
AFFAIRE :
Société OTIS
C/
[O], [W] [P] [J]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 4 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : E
N° RG : F 18/01890
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sofiane HAKIKI
Me Fanny CORTOT
Copie numérique adressée à :
Pôle Emploi
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Société OTIS
N° SIRET : 542 107 800
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 2]
Représentant : Me Sofiane HAKIKI de la SELEURL HAKIKI AVOCATS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: E1653
APPELANTE
****************
Monsieur [O], [W] [P] [J]
né le 30 décembre 1967 à [Localité 5] (République démocratique du Congo)
de nationalité française
Chez Madame [I]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Fanny CORTOT, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [J] a été engagé, en qualité d'ingénieur chantiers Modernisation au sein de la Région Administrateurs de biens par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 juillet 2007, par la société Otis.
Cette société est spécialisée dans la conception, la création et la maintenance d'ascenseurs. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
Le 1er juin 2010, le salarié a été promu chef d'exploitation modernisation.
Par lettre du 8 mars 2011, l'employeur a notifié au salarié 'un recadrage du fait de l'utilisation du téléphone professionnel' en raison d'un abus d'appels vers l'étranger et la Guadeloupe.
Le 3 décembre 2012, le salarié a fait l'objet d'un avertissement pour non-respect des procédures encadrant le démarrage et le déroulement des chantiers.
Le 14 avril 2016, le salarié a fait l'objet d'un nouvel avertissement pour non-respect des obligations de sécurité sur des chantiers et des obligations managériales.
Le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 18 avril 2017.
Il a été licencié par lettre du 12 mai 2017 dans les termes suivants:
« Faisant suite à l'entretien du 18 avril 2018 que vous avez eu avec Monsieur [Z] [G], Directeur Chantier et Monsieur [S] [V], Responsable Ressources Humaines, nous vous notifions par la présente votre licenciement.
Nous vous rappelons ci-dessous les motifs de cette sanction qui vous ont été exposés lors de l'entretien préalable et sur lesquels nous avons recueilli vos explications.
' Non-respect des process de contrôle interne liés au suivi des coûts d'une affaire
Dans le cadre de vos missions, nous vous confions des carnets de demande de fournitures afin que vous puissiez commander le matériel nécessaire à la réalisation des chantiers.
Or, le process de contrôle interne, concernant le suivi des dépenses via les demandes de fournitures exige que pour toute commande le bordereau doit être entièrement complété et doit faire référence à une affaire.
Or, en observant le carnet de DF N° 58/023521, il s'avère que vous n'indiquez aucune référence à une affaire.
Durant l'entretien, vous avez déclaré décrocher une partie des bordereaux et les compléter en dehors du carnet, ce qui expliquerait l'absence de référence d'affaires.
De plus, il vous a été demandé d'expliquer pourquoi certains bordereaux étaient correctement complétés et pas d'autres. Vous avez répondu que les bordereaux complets ont été rédigés par votre leader.
Il s'avère donc que votre collaborateur connaisse mieux les procédures internes que vous, alors que vous avez 10 d'expérience dans le métier de contremaître.
De telles pratiques ne permettent pas de contrôler l'imputation des coûts à une affaire et d'assurer la fiabilité des résultats financiers de votre centre de coût et de votre établissement d'appartenance.
' Affaires clôturées alors que les travaux n'étaient pas terminés ou même commencés
De même lors de l'entretien, messieurs [G] et [V] vous ont demandé d'expliquer les raisons qui vous ont poussé à déclarer des chantiers terminés alors que ceux-ci étaient en cours de réalisation voir même non débutés.
Or, les process internes prévoient que seuls les chantiers terminés et ayant un bon de réception signé du client peuvent être déclarés clôturés.
A titre d'exemples, ils ont mentionné les chantiers de la clinique de [8], de la [Adresse 11] et du chantier se trouvant [Adresse 7].
Vous avez reconnu avoir commis une erreur en mettant à jour les informations liées à ces chantiers.
En clôturant ces affaires, vous déclarez ces travaux terminés, le client doit payer des factures pour des prestations non réalisées.
De plus en procédant ainsi vous compromettez les résultats financiers de l'entreprise.
De telles fautes de gestion et de non respects des règles de contrôle interne sont inadmissibles aux vues de votre ancienneté dans le poste de contremaitre et au sein de l'entreprise.
' Importantes insatisfactions clients
De plus, messieurs [G] et [V] ont souhaité vous entendre concernant les insatisfactions des clients qui nous ont été remontées en particulier celles concernant les chantiers de l'Adagio de [Localité 4] et de l'hôpital [6].
Concernant le chantier de l'Adagio, vous avez reconnu que le travail du sous-traitant a été de mauvaise qualité.
En revanche pour le chantier de l'hôpital de [6] vous estimez avoir fait le suivi nécessaire auprès du sous-traitant pour que les travaux soient réalisés en temps et en heure.
Selon vous c'est la faute du sous-traitant qui n'a pas su s'organiser afin d'assurer le planning.
De telles remontées clients nuisent fortement à l'image de l'entreprise et ne permettent pas d'assurer une pérennité dans la relation commerciale que nous devons avoir avec nos clients.
Les explications que vous avez pu fournir n'ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
En conséquence, nous nous voyons contraints de vous licencier.
Votre préavis d'une durée de 3 mois débutera à la date de première présentation de cette lettre.
Toutefois, nous vous dispensons d'effectuer votre préavis, lequel vous sera rémunéré, étant entendu que la rémunération de la période correspondante vous sera réglée aux échéances habituelles de paie. »
Le 17 juillet 2018, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en contestation de son licenciement et pour paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.
Par jugement du 4 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a:
- fixé la moyenne des salaires à 4 810,73 euros,
- dit que le licenciement de M. [J] est sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Otis à payer à M. [J] :
. 26 460 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 2 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice distinct subi,
- débouté la société Otis de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit l'exécution provisoire de plein droit sur les montants au titre de la rémunération et les congés afférents,
- rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail') ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R 1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités,
- condamné la société à payer au demandeur la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration adressée au greffe le 30 avril 2021, la société Otis a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Otis demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement, RG n° F 18/01890), en ce qu'il a :
. fixé la moyenne des salaires à 4 810,73 euros,
. dit que le licenciement de M. [J] est sans cause réelle et sérieuse,
. condamné la société à payer à M. [J] :
-26 460 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice distinct subi,
. débouté la société de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,
. dit l'exécution provisoire de plein droit sur les montants au titre de la rémunération et les congés afférents,
. rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail') ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités,
. condamné la société à payer au demandeur la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et statuant à nouveau,
à titre principal,
- dire et juger que le licenciement de M. [J] est justifié par une cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes,
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [J] la somme de :
. 26 460 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 2 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice distinct subi,
en tout état de cause,
- fixer la moyenne des salaires à 3 690,65 euros,
- débouter M. [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter M. [J] de sa demande au titre des intérêts légaux et de leur capitalisation,
- condamner M. [J] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [J] aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [J] demande à la cour de :
- débouter la société Otis de l'ensemble de ses demandes et appel infondés,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 4 mars 2021 en ce qu'il a:
. fixé la moyenne des salaires à la somme de 4 810,73 euros,
. jugé que le licenciement était dénué de toute cause réelle et sérieuse et que ce dernier avait subi du fait du comportement de la société Otis un préjudice distinct,
. condamné la société Otis à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 4 mars 2021 en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts alloués aux somme de :
. 26 460 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 2 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice distinct subi,
- condamner la société Otis à lui verser les sommes de :
. 57 730 euros nets (soit 12 mois de salaire) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail (dans sa version antérieure au 24 septembre 2017, applicable aux faits de l'espèce),
. 4 810 euros nets (soit 1 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice distinct subi, sur le fondement des dispositions des articles L 1222-1 du code du travail et 1240 du code civil,
- condamner la société Otis :
. à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
. aux entiers dépens en ce compris les éventuels frais d'exécution,
- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
MOTIFS
Sur la violation du principe du contradictoire par les premiers juges
L'employeur, qui demande la réformation du jugement mais pas son annulation, soutient dans la partie 'discussion' de ses écritures, qu'en se fondant exclusivement sur l'imprécision des motifs du licenciement pour le juger sans cause réelle et sérieuse, le conseil de prud'hommes a violé le principe du contradictoire alors que le salarié ne s'est jamais fondé sur l'imprécision des motifs comme moyen de défense qui n'a jamais été porté aux débats. Il ajoute que la violation de ce principe fondamental entraîne un défaut de motivation du jugement que la cour doit constater.
Le salarié réplique que la cour constatera le respect du principe du contradictoire ainsi que l'absence de toute motivation pour confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
* *
Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit en toutes circonstances faire observer, et observer lui-même le principe de la contradiction.
Aux termes de l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.
La sanction du défaut de motivation est la nullité du jugement.
Au cas présent, l'employeur se borne à solliciter que la cour constate le défaut de motivation du jugement sans solliciter toutefois l'annulation du jugement pour ce motif.
Il y a lieu de rappeler que le juge n'est pas tenu de statuer sur ces demandes de 'constat' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile.
La cour appréciera en tout état de cause, dans le cadre de l'examen du présent appel, la pertinence de l'analyse et des motifs des premiers juges dont la décision lui est déférée.
Sur la rupture
L'employeur fait valoir que le licenciement est fondé sur des griefs particulièrement clairs et précis, chacun caractérisant une cause réelle et sérieuse et qui n'est pas remise en cause par les affirmations infondées du salarié. Il expose que les sanctions disciplinaires antérieures sont seulement des circonstances aggravantes permettant d'évaluer le degré de gravité des fautes commises. Il soutient que l'idée d'un autre motif au licenciement n'est que pure affabulation du salarié.
Le salarié objecte qu'il appartient à l'employeur de verser aux débats tout élément pertinent pour démontrer la réalité des griefs et plus particulièrement leur gravité, à les supposer établis et qu'aucun grief antérieur au mois de mars 2017 n'a été formé à son encontre, les derniers entretiens annuels mentionnant un niveau de 'performances évidentes'. Il ajoute qu'il s'agissait de 'l'évincer rapidement' de ses fonctions dans un contexte de sous-activité et de réduction d'effectifs, n'ayant d'ailleurs pas été remplacé.
Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Il appartient au juge, le cas échéant, de donner sa véritable qualification au licenciement (Soc., 22 février 2005, pourvoi n° 03-41.474, Bull. 2005, V, n° 58).
Il incombe au juge saisi d'un litige relatif à l'appréciation de la cause réelle et sérieuse d'un licenciement de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre, la véritable cause du licenciement, notamment lorsque le salarié soutient devant le juge que les motifs véritables de son licenciement ne sont pas ceux énoncés dans la lettre de rupture (Soc., 10 avril 1996, pourvoi n° 93-41.755, Bull V n° 149), tel que lorsque le salarié soutient que le véritable motif est de nature économique (Soc., 26 mai 1998, pourvoi n°96-41.062, Bull. 1998, V, n° 276).
Il ressort de la lettre de licenciement que l'employeur reproche au salarié trois griefs.
Sur le non-respect des process de contrôle internes liés au suivi des coûts d'une affaire
L'employeur invoque l'absence de respect de la tenue des bordereaux de commande du salarié conformément aux procédures internes de l'entreprise.
L'employeur produit au dossier six bons de commande, dont un ne comprend pas le prix de la fourniture, les cinq autres émis en 2016 comportant le numéro du dossier, la date de l'émission, la date de livraison et le nom du fournisseur, toutes les rubriques complémentaires relatives notamment à la date de réception et au nom de la personne à livrer n'étant pas renseignées.
Si l'employeur indique que les bons n'ont pas été 'scrupuleusement' remplis par le salarié, il ne précise pas concrètement les mentions manquantes indispensables et ne justifie d'aucun préjudice en résultant.
Pas davantage, il n'établit que la procédure était parfaitement connue du salarié à qui il a été demandé le 7 mars 2017 de remplir correctement les prochains carnets des bons de commande.
Le salarié a alors demandé le 9 mars 2017 à l'assistante de chantier de lui 'renvoyer la procédure' pour remplir le carnet DF 594.
Cette demande est donc intervenue après l'émission des bons litigieux, de sorte qu'au moment de la rupture, en mai 2017, le salarié avait pris en compte, comme cela lui a été demandé par l'assistante de chantier, la procédure mise en oeuvre dans l'entreprise pour remplir un bon de commande.
Le salarié reconnaît lui-même l'omission soulevée mais indique à juste titre que l'employeur communique aux débats une copie du guide du carnet de demande fourniture, dont il n'est pas établi que le salarié en a eu connaissance, et qu'il n'a jamais fait l'objet d'un rappel à l'ordre avant le mois de mars 2017.
Cette omission portant sur quelques bons en 2016, rectifiée par le salarié puisque l'employeur ne justifie d'aucune omission postérieure au rappel effectué en mars 2017 et dont les conséquences ne sont pas démontrées, ne constitue pas une faute professionnelle.
Sur les affaires clôturées alors que les travaux n'étaient pas terminés ou même commencés
Ce grief porte, dans la lettre de licenciement sur trois chantiers et quelques semaines et l'employeur affirme que la réalité du manquement ne fait pas de doute puisque le salarié le reconnaît lui-même.
En effet, le salarié ne conteste pas avoir commis des erreurs pour deux des trois chantiers lors de la manipulation informatique.
Ainsi, il indique par courriel du 24 mars 2017 adressé à l'assistante de chantier ' avoir mis une croix par erreur' et lui a demandé de ne pas 'clôturer l'affaire' pour le chantier [Localité 9], la même situation s'étant reproduite quelques jours plus tard pour le chantier de la [Adresse 7], l'employeur lui indiquant d'ailleurs le 28 mars 207 ' cela commence à faire beaucoup de croix. Nous aurons l'occasion d'en reparler'.
S'agissant du chantier de La [Adresse 11], le salarié conteste les faits qui lui sont reprochés et l'employeur ne produit aucune pièce.
Pas davantage, l'employeur qui caractérise les faits de faute particulièrement grave, n'établit les graves conséquences alléguées.
Enfin, si l'employeur a demandé au salarié le 22 mars 2017 si ' ses clôtures étaient saines', la saisine de l'assistante de chantier pour rectifier son erreur ' de croix' ne conduit pas à l'analyser comme la volonté du salarié de ' masquer'son erreur à sa hiérarchie.
Toutefois, ces deux faits sont établis.
Sur les importantes insatisfactions de clients
Si l'employeur invoque l'insatisfaction du client du chantier l'Adagio à [Localité 4] et indique que le salarié a reconnu, lors de l'entretien préalable, la mauvaise qualité du sous-traitant dont il a la responsabilité du suivi du travail, il ne le justifie pas, et le salarié le conteste.
S'agissant du chantier de l'hôpital [6], l'employeur a reçu un courriel du responsable du Département Electrique du 22 mars 2017 lui adressant ' des reproches officiels' et relatant que 'M. [J] n'est pas à la hauteur de la tâche. Précédemment, lors de nos réunions de maintenance, il avait été demandé que M. [J] n'officie plus sur notre site, suite à différentes déconvenues sur ses chantiers'.
L'employeur ne communique aucune pièce relative à des demandes précédentes du client pour que le salarié ne travaille plus sur le chantier de l'hôpital et le courriel du client procède par des affirmations générales sans que la cour puisse comprendre le motif exact et précis de sa réclamation.
Le salarié répond à l'employeur le 22 mars 2017 qu'il a passé la commande chez le sous-traitant pour qu'il réalise la prestation, lequel a oublié de planifier les travaux, M. [J] produisant le courriel adressé au sous-traitant le 14 mars 2017 : ' n'oublie pas cette affaire stp'. Le salarié précise qu'il ne lui reste qu'une porte cabine Maternité à remplacer et qu'il escompte la recevoir avant la fin de la semaine. Il ajoute qu'il n' y a pas eu 'de réserve sur le site', qu'il rencontre des difficultés avec le salarié de son équipe intervenu pour les téléalarmes, et qu'il s'est rendu plusieurs fois lui-même sur le site voir le client pour le suivi des travaux, ainsi qu'un salarié sous sa responsabilité.
Le salarié produit en outre un courriel du 15 décembre 2015 du client qui lui fait part de sa satisfaction.
Seule est établie l'insatisfaction d'un unique client, le 22 mars 2017, de manière non réitérée, et dont les reproches ne sont pas clairement déterminés.
En définitive, une partie des faits est établie et, si l'employeur justifie que le salarié a été sanctionné en 2016 pour non-respect des obligations de sécurité sur des chantiers et des obligations managériales, le salarié produit plusieurs pièces justifiant de ses qualités professionnelles reconnues par l'employeur.
Ainsi, un client a été satisfait à la suite d'un chantier en avril 2022, et le salarié a également tenu compte des observations de l'employeur lors de ses évaluations de sorte qu'il est indiqué qu'il a réalisé une bonne année 2013 et ' a su se remettre en cause'. L'employeur l'a remercié 'pour cette année', les objectifs assignés en 2015 étant atteints voire dépassés et ses résultats chiffrésétant également très performants en 2016, le salarié, classé premier des chefs d'exploitation, étant convié au voyage organisé par l'employeur le 9 mai 2017 pour les 'TOP Chantier' à Dubaï.
Dès lors, les faits invoqués ne sont pas constitutifs ni d'une faute grave ni d'une faute de nature à conférer au licenciement une cause réelle et sérieuse.
Le licenciement sera donc confirmé en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse
Les premiers juges ont fixé le salarié de référence à la somme de 4 810,73 euros à la demande du salarié, l'employeur réclamant qu'il soit fixé à la somme de 3 690,65 euros sans apporter d'explication, le salarié indiquant qu'il intègre les primes perçues.
Le salaire mensuel doit être évalué en prenant en considération les primes et avantages en nature éventuels dont le salarié bénéficiait.
La cour retient donc que le salaire de référence s'élève à la somme de de 4 810,73 euros, le jugement étant confirmé de ce chef.
L'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois bruts, en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable, antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Compte tenu de l'ancienneté du salarié ( 9 ans), de son niveau de rémunération (4 810,73 euros bruts par mois), de son âge lors de la rupture (49 ans), de ce qu'il a été demandeur d'emploi jusqu'au 20 mars 2018 puis a retrouvé un emploi en qualité de responsable des opérations régionales de la société ExterionMedia, il conviendra d'évaluer le préjudice résultant de la perte de son emploi à la somme de 40 000 euros au somme paiement de laquelle, infirmant le jugement, l'employeur sera condamné.
Ajoutant au jugement, en application de l=article L. 1235-4 du code du travail, il convient d=ordonner d=office le remboursement par l=employeur, à l=organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l=arrêt dans la limite de 6 mois d=indemnités.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre 'du préjudice distinct'
Le salarié expose avoir été brutalement évincé de ses fonctions sur des motifs fallacieux, sa hiérarchie ne lui permettant pas de bénéficier du voyage à Dubaï qu'il avait gagné du fait de ses bons résultats commerciaux, ce qui l'a lourdement 'impacté' psychologiquement, ce qui caractérise la mauvaise foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail.
L'employeur explique que le double fondement de la demande, formulée tant sur le terrain de l'exécution que de la rupture du contrat est surprenant, la perte du bénéfice du voyage ne correspondant ni à une exécution de mauvaise foi du contrat ni à une circonstance vexatoire de licenciement.
La procédure de licenciement ne présentait rien de vexatoire ou de brutal, ni de difficultés de l'entreprise non établies par le salarié même si son poste n'a pas été de nouveau pourvu.
En revanche, la perte du voyage est la conséquence de la rupture du salarié imputable à l'employeur et dont il a été retenu précédemment qu'elle était sans cause réelle et sérieuse de sorte que le manquement de l'employeur dans l'exécution du contrat est caractérisé et le préjudice ici invoqué par le salarié est distinct de celui résultant de la perte injustifiée de son emploi.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à lui verser en réparation la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour 'préjudice distinct'.
Sur la capitalisation des intérêts
Les premiers juges, qui se sont prononcés dans la motivation de leur décision sur la demande de capitalisation des intérêts, ont omis de le reporter dans le dispositif et n'ont pas statué sur les intérêts légaux.
Réparant cette omission, et ajoutant au jugement, il convient de dire que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement sur la somme de 26 000 euros ( 24 000 euros + 2 000 euros), et à compter de l'arrêt pour le surplus, et les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, le jugement n'ayant pas statué dans le dispositif sur les dépens.
En revanche, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et il sera également condamné à payer au salarié la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il condamne la société Otis à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice distinct, et en ce qu'il déboute la société Otis de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés, et y ajoutant,
CONDAMNE la société Otis à verser à M. [J] la somme de 40 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement sur la somme de 24 000 euros, et à compter de la présente décision pour le surplus,
DIT que les intérêts courront au taux légal à compter de la présente décision sur la somme de 2 000 euros allouée au titre du préjudice distinct,
DIT que intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu=ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,
ORDONNE le remboursement par la société Otis à l=organisme concerné du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l=arrêt dans la limite de 6 mois d=indemnités,
CONDAMNE la société Otis à verser à M. [J] la somme de 2 000 application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
DÉBOUTE la société Otis de sa demande à ce titre,
CONDAMNE la société Otis aux dépens de première instance et d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Marcinek, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente