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12/04/2023 | FRANCE | N°21/03805

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 12 avril 2023, 21/03805


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 12 AVRIL 2023



N° RG 21/03805 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U5GP



AFFAIRE :



[B] [S] épouse [I]





C/

S.C.A. MICHELIN









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Novembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E
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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT



ASSOCIATION LEANDRI ET ASSOCIES







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DOUZE AVRIL DEUX MILL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 12 AVRIL 2023

N° RG 21/03805 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U5GP

AFFAIRE :

[B] [S] épouse [I]

C/

S.C.A. MICHELIN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Novembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F 18/01110

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT

ASSOCIATION LEANDRI ET ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [B] [S] épouse [I]

née le 29 Novembre 1980 à [Localité 2]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - N° du dossier 29021

Représentant : Me Caroline PETRONI, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

APPELANTE

****************

S.C.A. MICHELIN

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentant : Me Marc BORTEN de l'ASSOCIATION LEANDRI ET ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R271 - N° du dossier 20170192 substitué par Me Me Audrey VASLIN

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,

EXPOSE DU LITIGE

[B] [S] épouse [I] a été engagée par la société Manufacture Française des Pneumatiques Michelin (ci-après Michelin) suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 juin 2014 en qualité de responsable domaine communication, statut cadre, niveau 6, échelon 62, coefficient 480, en référence aux dispositions de la convention collective nationale du caoutchouc.

A la suite d'arrêts de travail pour maladie, entrecoupés d'un congé de maternité, la salariée a, par lettre datée du 5 septembre 2017, informé l'employeur de sa volonté de reprendre son poste.

Plusieurs échanges écrits s'en sont suivis entre les parties.

A la suite de la visite médicale de reprise fixée au 18 septembre 2017, la salariée s'est présentée dans la société le 19 septembre 2017.

Par lettre datée du 25 septembre 2017, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 10 octobre suivant, et lui a notifié une dispense d'activité rémunérée jusqu'au 10 octobre 2017.

Par lettre datée du 11 octobre 2017, l'employeur lui a notifié une dispense d'activité rémunérée jusqu'à nouvelle information.

Par lettre datée du 17 octobre 2017, l'employeur lui a notifié son licenciement avec dispense d'exécution du préavis de trois mois qui lui a été réglé.

Le 13 septembre 2018, [B] [S] épouse [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de voir déclarer à titre principal son licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, d'obtenir la condamnation de la société Michelin au paiement notamment de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, pour discrimination et harcèlement moral, pour perte de réseau et clientèle, pour abus de dispense d'activité, pour circonstances vexatoires du licenciement, et de diverses indemnités au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement mis à disposition le 18 novembre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont :

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamné la société Michelin au paiement à [B] [S] épouse [I] des sommes suivantes :

* 22 077,28 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 3 784,68 euros à titre de rappels de salaires,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution dans la limite maximum de 9 mois sur la base d'un salaire moyen de référence de 5 519,32 euros brut,

- débouté les parties des autres demandes,

- condamné la société Michelin aux dépens.

Le 23 décembre 2021, [B] [S] épouse [I] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 27 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, [B] [S] épouse [I] demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de nullité du licenciement et d'indemnités pour nullité du licenciement, harcèlement moral et discrimination, perte de réseau et de clientèle, abus dans la dispense de préavis, circonstances vexatoires du licenciement, rappels de salaires et incidence sur congés payés, rappels des avantages en nature, travail dissimulé, caractère fallacieux des informations indiquées dans les déclarations faites aux organismes sociaux sur les documents de fin de contrat,

- statuant à nouveau, de :

à titre principal, juger que le licenciement est nul comme contrevenant aux dispositions relatives au harcèlement et à la discrimination, et comme pris en violation d'un droit fondamental et condamner la société Michelin à lui payer une somme de 58 873 euros au titre de l'indemnité pour nullité du licenciement,

à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement et a condamné la société Michelin à lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à 4 mois de salaire,

en tout état de cause, condamner la société Michelin à lui payer les sommes de :

* 150 000 euros en réparation des préjudices subis nés des agissements de harcèlement et de discrimination de l'employeur,

* 54 717 euros en réparation du préjudice de perte de réseau et de clientèle procédant des agissements fautifs de l'employeur,

* 10 000 euros en réparation du préjudice procédant de l'abus dans la dispense de préavis,

* 10 000 euros en réparation du préjudice moral procédant des circonstances vexatoires du licenciement,

* 37 471,21 euros au titre des rappels de salaires et incidence sur congés payés,

* 2 400 euros au titre des rappels des avantages en nature,

* 35 323,68 euros au titre de l'indemnité de travail dissimulé,

* 42 826,10 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice né du caractère fallacieux des informations indiquées par l'employeur dans les déclarations faites aux organismes sociaux sur les documents de fin de contrat,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Michelin à lui payer une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens, et en ce qu'il a prononcé l'exécution provisoire,

- rejeter les entières demandes de la société Michelin et condamner ladite société à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel, et aux dépens de la procédure d'appel, et ordonner l'exécution provisoire.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 22 juin 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Michelin demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et l'a condamnée au paiement des sommes pour les chefs et montants retenus et en ce qu'il statue sur l'exécution, les dépens et les frais irrépétibles, de confirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau sur les chefs infirmés, de débouter [B] [S] épouse [I] de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire, de cantonner une éventuelle condamnation au titre d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à une somme ne pouvant excéder 14 557 euros bruts, à titre encore infiniment subsidiaire, de cantonner une éventuelle condamnation au titre d'une indemnité pour licenciement nul à une somme ne pouvant excéder 29 113 euros bruts, en tout état de cause, de condamner [B] [S] épouse [I] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 7 mars 2023.

MOTIVATION

Sur la validité du licenciement

La lettre de licenciement notifié à [B] [S] épouse [I] est ainsi rédigée :

« (') Depuis la fin de votre arrêt de travail en date du 6 septembre 2017, nous avons entrepris d'échanger avec vous afin d'envisager au mieux les conditions de cette reprise, laquelle ne pouvait être effective qu'à compter du 19 septembre suivant, soit le lendemain de la date à laquelle avait été fixée votre visite médicale de reprise.

Vous avez ainsi eu plusieurs entretiens, tant avec Madame [D] [J] que Monsieur [A] [G], notamment les 14 et 19 septembre 2017. Vous avez alors pris le parti, soit de ne pas prendre en compte ces échanges, soit de les dénaturer totalement au terme de courriels pourtant censés en rendre compte.

Ainsi et comme vous l'avait annoncé Monsieur [P] [T], Madame [D] [J], gestionnaire de carrière ayant pris en charge la gestion du personnel du service presse, a pris contact téléphoniquement avec vous le 11 septembre 2017 pour vous proposer d'organiser avec elle, à votre meilleure convenance (en terme de date et de lieu), une rencontre pour lui permettre de faire votre connaissance et d'évoquer avec vous la perspective de votre reprise.

Vous avez alors cru devoir 'accuser réception' de cet échange par un courriel au terme duquel vous avez présenté cette proposition de Madame [D] [J] comme une forme de 'convocation' à une réunion de travail, qui vous serait imposée avant même votre visite médicale de reprise. Madame [D] [J] s'est donc trouvée contrainte de vous rappeler qu'il n'en était rien.

Cette rencontre a finalement eu lieu le 14 septembre 2017. Madame [D] [J] vous a alors notamment précisé que votre reprise s'effectuerait, dans un premier temps au sein du service de [A] [G] et non du service presse. Vous êtes cependant passée outre et avez cru devoir annoncer par courriel du 18 septembre 2017 à Madame [L] [V] votre reprise au sein du service presse. A réception de votre courriel, Madame [Y] [J] vous a fait part de sa surprise et a donc cette fois encore dû vous rappeler ce qu'elle vous avait indiqué quelques jours plus tôt, à savoir qu'il vous fallait vous présenter auprès de [A] [G] pour qu'il puisse vous présenter la mission temporaire que nous entendions vous confier, mission relevant évidemment d'un emploi similaire au vôtre.

Vous vous êtes finalement effectivement présentée auprès de Monsieur [A] [G] le 19 septembre 2017 et avez adressé le lendemain par courriel à Madame [D] [J] un 'compte rendu' de votre échange avec Monsieur [G].

Le principe de ce compte rendu n'est évidemment pas en cause. Ses termes témoignent en revanche cette fois encore d'une volonté d'entretenir délibérément la polémique (ainsi par exemple d'un simple mail de Madame [J] que vous présentez comme un 'imperium'!) et/ou d'une dénaturation manifeste de la teneur des échanges que vous avez eus avec Monsieur [G].

Depuis, il apparaît clairement que vous excluez de communiquer de manière constructive avec vos différents interlocuteurs et que vous déformez de manière systématique leur propos ou la teneur des échanges que vous avez avec eux.

C'est dans ces conditions, devant ce constat d'une communication manifestement altérée et d'une attitude manifestement négative envers l'entreprise qu'a été évoquée la possibilité d'une rupture de votre contrat de travail à l'amiable.

Si par l'intermédiaire de Madame [D] [J], nous nous sommes loyalement engagés dans cette discussion, vous avez en revanche, de votre côté, formulé des prétentions dont vous ne pouviez ignorer qu'elles étaient purement et simplement déraisonnables, en laissant entendre qu'à défaut pour l'entreprise de céder à vos exigences financières, vous persisteriez à adopter la même posture délibérément polémique, que celle que nous avons eu à déplorer depuis votre reprise.

Nous ne pouvons laisser perdurer cette situation, qui n'est pas à la hauteur de ce que nous sommes en droit d'attendre d'un cadre de l'entreprise. En effet, s'il est évidemment du droit le plus strict de chacun d'exprimer un désaccord et/ou de formuler des réclamations, la collaboration et les échanges s'y rapportant doivent cependant rester loyaux, et ne pas être de nature à rompre définitivement le lien de confiance nécessairement inhérent à la collaboration entre l'employeur et un collaborateur.

Tels sont les motifs nous conduisant à décider de votre licenciement pour motif personnel. (...)'.

La salariée conclut à la nullité de son licenciement au motif qu'il est le prolongement du harcèlement moral subi et de la relation de faits de harcèlement moral qu'elle subissait, d'une discrimination liée à son état de santé et d'une violation de sa liberté fondamentale d'expression.

La société Michelin conclut au débouté de ces demandes.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L. 1154-1 du code du travail : 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. / Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. / Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

En application de l'article L. 1152-3 toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Au soutien du harcèlement moral, la salariée invoque les faits suivants :

1° une lettre de l'employeur datée du 2 mars 2017 dans lequel il remet en cause la réalité de son état de santé et son attachement à la société au motif de son inscription à une formation, l'obligeant à détailler ses problèmes de santé ;

2° des attaches téléphoniques répétées de ses supérieurs hiérarchiques 'dans les mois qui ont suivi' ;

3° l'absence de transmission à la caisse sociale des documents nécessaires à sa perception des indemnités journalières, la privant d'indemnités journalières entre le 18 avril et le 5 septembre 2017 ;

4° des propositions réitérées de rupture amiable du contrat de travail par l'employeur ;

5° un refus de réintégration à son poste de travail et de retour à ses fonctions de responsable presse au sein du service presse au double motif que son poste avait été attribué à une autre personne pour pourvoir à son remplacement pendant son absence et que la confiance de sa hiérarchie directe était irréversiblement affectée par le fait qu'elle se serait permis de suivre une formation de communication presse au sein de l'Ecole de sciences politiques pendant le temps de son indisponibilité sans lui en avoir référé ;

6° l'absence de fourniture d'instrument de travail dès le 19 septembre 2017 et jusqu'au 25 septembre 2017, ni de fiche de poste malgré ses demandes, ni de mission définie, ni de travail à accomplir ;

7° l'interdiction de demeurer dans les locaux de l'entreprise et de se rendre dans d'autres services entre le 19 et le 25 septembre 2017 sans la présence de [A] [G] ;

8° une autorité agressive, des remarques blessantes et brutales réitérées de celui-ci entre le 19 et le 25 septembre 2017 ;

9° la désactivation de son badge d'accès dans l'entreprise le 25 septembre 2017 et le refus d'accès aux locaux par l'interposition physique de [A] [G] ;

tous faits qui ont altéré sa santé mentale.

S'agissant des faits 1, la salariée produit un échange de courriels des 24 août, 5 et 8 septembre 2016 avec [P] [T], dont il ressort que celle-ci a demandé les conditions d'intégration d'une formation à Sciences Pô Paris dédiée aux cadres du secteur de la communication souhaitant repenser leur métier et leurs pratiques à l'heure du digital d'une durée de 18 mois de deux à trois jours de cours par mois à partir du 26 janvier 2017 et que [P] [T] l'a incitée à ne pas perdre de vue la priorité importante de la pratique courante de l'anglais pour laquelle des cours sont dispensés individuellement au sein de l'établissement Michelin de Boulogne alors que son assiduité à ces cours a été faible, et que dans ces circonstances, l'entreprise ne l'accompagnera pas dans le financement de la formation à Sciences Pô estimée moins importante pour l'exercice de son activité professionnelle que la perfection de son niveau d'anglais, mais que l'entreprise est d'accord pour lui accorder des autorisations d'absence à raison de deux ou trois jours par mois sur une période de 18 mois si elle souhaite néanmoins engager son projet de formation. Elle produit par ailleurs une lettre datée du 2 mars 2017 signée par [P] [T], s'étonnant de ne pas avoir été informé par ses soins de son engagement dans la formation en cause , en soulignant qu'elle se trouve depuis octobre 2016 en arrêt maladie et lui demandant de prendre son attache afin de clarifier sa situation envers le groupe Michelin. Par lettre datée du 27 mars 2017, la salariée lui a fait part de son attachement à l'entreprise, lui a répondu suivre cette formation qu'elle se finance deux jours par mois en fin de semaine qu'il lui est possible de suivre sur autorisation médicale sous la condition d'être accompagnée pour éviter tout accident lors de ce déplacement. Il ne ressort pas de la lecture de ces divers échanges à la tonalité courtoise et respectueuse que l'employeur aurait remis en cause la réalité de son état de santé, les justifications de son état de santé apportées par la salariée à l'employeur ne faisant pas suite à une demande de celui-ci mais découlant de sa propre initiative. En outre, l'interrrogation de l'employeur relative à l'engagement de cette formation au long cours pendant son arrêt de travail pour maladie sans avoir pris son attache dans le prolongement de leurs échanges sur ce sujet ne revêt pas un caractère abusif ou vexatoire.

S'agissants du fait 2, la salariée produit des captures d'écran de son téléphone portable montrant des appels manqués d'un contact enregistré sous '[H] [Z] Michelin' à plusieurs reprises en mars, avril et mai 2017. Elle ne fournit aucune indication sur la qualité de cette personne. Il ne peut être retenu qu'il s'agissait de sa supérieure hiérarchique.

S'agissant des faits 3 et 4, la salariée ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations hormis ses propres écrits, ce qui ne permet pas de retenir la matérialité de ces faits.

S'agissant du fait 5, la salariée n'explique pas en quoi le fait que Mme [D] [J] ait souhaité la rencontrer à partir du moment où elle s'est manifestée pour reprendre son poste et qu'une rencontre ait eu lieu le 14 septembre 2017 afin de 'faire sa connaissance et discuter de sa situation' comme [D] [J] l'écrit dans un courriel du 12 septembre 2017 constituerait un agissement répréhensible de la part de l'employeur. Par ailleurs, les allégations de la salariée reprises dans ses écrits quant à un refus de réintégration à son poste de l'employeur ne sont corroborées par aucun élément extérieur.

S'agissant des faits 6 à 9, les allégations de la salariée ne résultent que de ses propres écrits sans production d'élément extérieur. Il ressort de plusieurs courriels de Mme [J] du 18 septembre 2017 que la reprise de travail de la salariée a été organisée à compter du 19 septembre 2017 auprès de [A] [G], responsable du service personnel/généraux. Il n'est pas contesté que celui-ci l'a accueillie, installée dans son bureau et lui a confié une mission temporaire. Par suite, les allégations de la salariée quant à des pressions et intimidations, de propos dénigrants, des attitudes brutales et vexantes et une 'mise au placard' ne sont pas établies. Rien ne permet de retenir que l'employeur a modifié unilatéralement ses fonctions.

Les certificats médicaux datés des 25 septembre 2017 et 5 avril 2018 ne permettent pas de faire le lien entre les conditions de travail de la salariée et son état de santé, en l'absence de toute constatation médicale des conditions de travail de celle-ci.

Il résulte de tout ce qui précède que la salariée ne présente pas de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Il ne ressort en outre d'aucune des pièces produites aux débats que la salariée a dénoncé des agissements de harcèlement moral de l'employeur pendant la relation de travail de sorte qu'aucun lien n'est établi entre son allégation de dénonciation d'un harcèlement moral et le licenciement.

La salariée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ces chefs et de sa demande de nullité du licenciement consécutive. Le jugement sera confirmé sur ces points.

Sur la discrimination

La salariée conclut à la nullité de son licenciement car prononcé de manière discriminatoire en raison de son état de santé.

La société conclut au débouté de la demande de ce chef au motif que la salariée ne présente pas d'élément laissant supposer une discrimination à son encontre.

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige : 'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français'.

Aux termes de l'article L. 1134-1 du même code : ' Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. / Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. / Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

La lettre de licenciement n'invoque pas l'état de santé de la salariée.

Force est de constater qu'au soutien de la discrimination, la salariée invoque les mêmes faits que ceux présentés au soutien du harcèlement moral.

Elle ne présente aucun élément de fait précis laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé.

Elle sera déboutée de sa demande de ce chef et de sa demande de nullité du licenciement consécutive. Le jugement sera confirmé sur ces points.

Sur la violation d'un droit fondamental

La salariée fait valoir que son licenciement est nul dans la mesure où les motifs allégués à l'appui du licenciement sont constitués 'en substance' par le fait qu'elle n'aurait cessé de rendre compte à l'employeur des faits de harcèlement qu'elle subissait au quotidien et de demander le respect de ses droits.

La société conclut au débouté de cette demande au motif que celle-ci n'est pas fondée.

En application des dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et à l'extérieur de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

La lettre de licenciement ne reproche pas à la salariée de rendre compte de faits de harcèlement et de demander le respect de ses droits.

La salariée ne démontre pas que l'employeur aurait porté atteinte à l'expression de sa liberté fondamentale d'expression.

Elle sera déboutée de sa demande de nullité du licenciement de ce chef. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le bien-fondé du licenciement

La société conclut au caractère réel et sérieux du licenciement et à l'infirmation du jugement sur ce point.

La salariée conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

La lettre de licenciement reproche principalement à la salariée d'adopter une communication non constructive avec ses interlocuteurs, en déformant leurs propos et en dénaturant la teneur des échanges avec eux et de persister dans une posture délibérément polémique.

Le grief d'attitude non constructive revêt un caractère vague et général et n'est pas fondé sur des faits précis.

Les attestations de [A] [G] et de [D] [J] produites aux débats revêtent une valeur probante insuffisante au regard du lien de subordination existant entre leurs auteurs et la société Michelin.

La lecture des échanges écrits entre les parties produits aux débats ne permet pas de retenir la réalité de la dénaturation des propos des interlocuteurs de la salariée et de la déformation de la teneur des échanges.

La persistance dans une posture délibérément polémique ne repose pas sur des éléments précis et objectifs.

Le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

La salariée a par conséquent droit à une indemnité sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail qui, eu égard à son ancienneté de trois années complètes, peut être comprise entre trois et quatre mois de salaire brut.

Eu égard à l'âge de la salariée (née en 1980), à son salaire de référence qu'il convient de fixer à 5 519,32 euros, à sa situation au regard de l'emploi postérieure au licenciement (justificatifs de recherches d'emplois produits aux débats et contrat de travail à durée déterminée pour la période du 1er octobre 2019 au 30 juin 2020 en qualité de responsable des relations presse au sein de la société Belambra Clubs Siège), il convient de lui allouer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 22 077,28 euros.

Le jugement sera confirmé sur ce points.

Sur la perte de réseau de clientèle

La salariée forme une demande d'indemnisation à hauteur de 54 717 euros en réparation du préjudice de perte de réseau et de clientèle procédant des agissements fautifs de l'employeur.

La société conclut au débouté de cette demande.

La salariée indique que l'employeur n'a pas traité les courriels reçus par sa salariée pendant son arrêt maladie et que cette inertie a provoqué une perte de crédit et de confiance de son réseau professionnel à son endroit. Celle-ci ne démontre cependant par aucun élément son allégation d'inertie imputée à l'employeur. Elle ne justifie pas non plus d'un préjudice causé par le manquement allégué.

Elle sera déboutée de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'abus dans la dispense de préavis

La salariée forme une demande d'indemnisation en réparation du préjudice causé par l'abus de la société de son droit à la dispenser de son préavis.

La société conclut au débouté de cette demande.

La salariée n'établit par aucun élément objectif l'abus de droit qu'elle impute à l'employeur. Elle ne justifie pas plus d'un préjudice causé par cet abus de droit.

Elle sera déboutée de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les circonstances vexatoires du licenciement

La salariée invoque les mêmes faits que ceux invoqués à l'appui de sa demande de harcèlement moral notamment au 9° qui ont été jugés non établis. Elle sera déboutée de cette demande qui n'est pas fondée, celle-ci ne justifiant au surplus d'aucun préjudice. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le rappel de salaire

La salariée forme une demande de rappel de salaire et de congés payés incidents de 37 471,21 euros en faisant valoir qu'elle n'a perçu que 50 619,89 euros en 2016 et 53 203,62 euros en 2017 alors qu'elle aurait dû percevoir une rémunération brute annuelle chaque année de 70 647,36 euros.

La société conclut au débouté de cette demande en faisant valoir que la salariée n'était pas éligible à la part variable de sa rémunération individuelle en 2016 et 2017 du fait de la suspension de son contrat de travail et de l'absence de fixation d'objectifs.

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont fait droit à la demande de rappel de salaire à hauteur de 3 784,68 euros correspondant à la part variable de rémunération due à la salariée pendant son congé de maternité, étant relevé que la société ne produit aucun élément relatif à l'atteinte des objectifs fixés par la salariée sur la période de l'année 2016 alors que la charge de la preuve lui incombe. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le rappel de l'avantage en nature et l'indemnité pour travail dissimulé

La salariée fait valoir qu'elle disposait de deux avantages en nature, un téléphone portable et une tablette Ipad qui lui ont été ôtés en octobre 2016 et demande à être indemnisée de la confiscation de ces avantages en nature à hauteur de 2 400 euros.

La société conclut au débouté de cette demande en faisant valoir que les outils et équipements de travail ne constituent pas des avantages en nature, qu'elle était légitime à demander à la salariée de les restituer pendant les périodes de suspension de son contrat de travail.

Le téléphone portable et la tablette Ipad invoqués par la salariée constituent des outils de travail confiés par l'employeur à titre professionnel et non un avantage en nature.

Par ailleurs, la salariée ne justifie d'aucun préjudice causé par la restitution de ces outils.

Elle sera débouté de sa demande de ce chef.

Elle sera en outre déboutée de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé qui serait selon elle constitué par le fait que l'employeur n'aurait pas fait figurer sur les bulletins de salaire les avantages en nature considérés.

Le jugement sera confirmé sur ces points.

Sur le caractère fallacieux des informations indiquées par l'employeur dans la déclaration aux organismes sociaux

La salariée forme une demande d'indemnisation au titre du préjudice subi du fait de la déclaration par l'employeur sur les documents de fin de contrat d'une mensualité de base erronée ce 2 953,48 euros qui aurait eu pour effet des indemnités de chômage calculées sur une base erronée.

La société conclut au débouté de cette demande.

Il ne ressort pas de la lecture des documents sociaux la mention d'un salaire de base erroné alors que le salaire de base de 2 953,48 euros mentionné correspond à la période du 1er au 18 janvier 2018 et est conforme au salaire de base mensuel correspondant à la période en cause.

La salariée ne démontre pas que les indemnités de chômage auraient été calculées sur une base erronée en raison des informations transmises par l'employeur.

Elle sera déboutée de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société Michelin aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées à la salariée du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce, dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Eu égard à la solution du litige, la société sera condamnée aux dépens d'appel.

Il n'y a pas lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

Sur l'exécution provisoire

La décision n'étant susceptible que d'un pourvoi en cassation, recours qui est dépourvu d'effet suspensif, il n y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent arrêt comme demandé par la salariée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

ORDONNE le remboursement par la société Manufacture Française des Pneumatiques Michelin aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées à [B] [S] épouse [I] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce, dans la limite de six mois d'indemnités,

CONDAMNE la société Manufacture Française des Pneumatiques Michelin aux dépens d'appel,

DEBOUTE les parties des autres demandes,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03805
Date de la décision : 12/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-12;21.03805 ?
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