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05/04/2023 | FRANCE | N°21/03589

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 05 avril 2023, 21/03589


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 05 AVRIL 2023



N° RG 21/03589 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U4DK



AFFAIRE :



[I], [Z] [R],





C/

S.A.S.U. SARL S B A OPTIQUE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F18/03345



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELEURL MINAULT TERIITEHAU



la SELARL JMB ASSOCIES







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 AVRIL 2023

N° RG 21/03589 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U4DK

AFFAIRE :

[I], [Z] [R],

C/

S.A.S.U. SARL S B A OPTIQUE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F18/03345

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELEURL MINAULT TERIITEHAU

la SELARL JMB ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [I], [Z] [R]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20210445

Représentant : Me Catherine CORNEC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R111

APPELANTE

****************

S.A.S.U. SARL S B A OPTIQUE

N° SIRET : 339 075 954

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Anne-sophie BONILLI de la SELARL JMB ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0694 - N° du dossier 20210445

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Mars 2023, Madame Laure TOUTENU, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY

EXPOSE DU LITIGE

Mme [I] [R] a été engagée par la société Sba Optique suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er août 2004 avec reprise d'ancienneté au 13 avril 2004, en qualité de vendeur-monteur.

Mme [R] exerçait depuis le 1er juin 2012 les fonctions de responsable de magasin.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale de l'optique-lunetterie de détails.

Par lettre du 26 octobre 2018, Mme [R] a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 9 novembre 2018.

Par lettre du 16 novembre 2018, l'employeur a licencié la salariée pour faute grave.

Le 20 décembre 2018, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin d'obtenir la condamnation de la société Sba Optique au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de diverses indemnités et sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement en date du 28 octobre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a :

- dit et jugé que la réalité du harcèlement moral et de la discrimination salariale invoqués par Mme [R] n'est pas établie,

- dit et jugé que la société Sba Optique n'a pas manqué à son obligation de santé et de sécurité et à son obligation de formation,

- en conséquence, débouté Mme [R] de ses demandes à titre de dommages et intérêts pour harcèlement, pour discrimination salariale,

- débouté Mme [R] de sa demande de rappel de rémunération variable,

- débouté Mme [R] de sa demande de condamnation de la société Sba Optique au paiement de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité,

- débouté Mme [R] de sa demande pour manquement à son obligation de formation,

- débouté Mme [R] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires ou de repos compensateur,

- débouté Mme [R] de sa demande en paiement de tickets restaurant pour les mois de septembre à novembre 2018,

- dit et jugé que le licenciement de Mme [R] par la société Sba Optique est fondé sur une cause réelle et sérieuse et que celle-ci est constitutive d'une faute grave,

- dit et jugé que la société Sba Optique a bien respecté la procédure légale et réglementaire lors du licenciement de Mme [R],

- débouté Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement d'une irrégularité dans la procédure de licenciement,

- dit et jugé qu'il n'y a pas lieu à fixer le salaire de Mme [R],

- débouté Mme [R] de ses demandes, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, de remise sous astreinte des documents de fin de contrat,

- dit et jugé qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire de la présente décision,

- dit et jugé qu'il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement aux organismes sociaux des indemnités Pôle emploi,

- laissé à chacune des parties le soin de supporter le montant de frais irrépétibles visés par les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [R] aux entiers dépens de l'instance.

Le 9 décembre 2021, Mme [R] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 6 février 2023, Mme [R] demande à la cour d'infirmer le jugement rendu et statuant à nouveau de :

- dire la procédure de licenciement nulle et irrégulière,

- subsidiairement, dire le licenciement, sans cause réelle et sérieuse,

- en toutes hypothèses, sur la base d'un salaire mensuel moyen de 4 110,80 euros, condamner la société Sba Optique à lui payer les sommes suivantes :

* 59 195,52 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (14,4 mois),

* 4 110,80 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,

* 3 984,66 euros à titre de rappel de salaire (mise à pied),

* 398,46 euros au titre des congés payés sur le rappel de salaire,

* 5 000 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires,

* 1 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateur,

* 500 euros au titre des congés payés sur les heures supplémentaires,

* 12 332,24 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 233,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (1/10ème),

* 20 480 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement,

* 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

* 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation,

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts relatifs aux circonstances de la rupture,

* 330 euros au titre des tickets restaurant,

- ordonner la remise sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, à compter de l'arrêt à intervenir : bulletins de paie rectifiés d'octobre 2015 à octobre 2018, attestation Pôle emploi rectifiée, solde de tout compte rectifié, certificat de travail rectifié,

- avec intérêts légaux à compter de la saisine,

- ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la saisine et l'exécution provisoire sur le fondement de l'article R. 1454-28 du code du travail, et de l'article 515 du code de procédure civile,

- condamner la société Sba Optique à rembourser aux organismes sociaux les indemnités Pôle emploi,

- condamner la société Sba Optique à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Sba Optique aux entiers dépens dont distraction au profit de la société Minault Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau, avocat, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 7 février 2023, la société Sba Optique demande à la cour de confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions, y ajoutant, de condamner Mme [R] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 14 février 2023.

MOTIVATION

Sur la régularité du licenciement et ses conséquences

La salariée sollicite des dommages et intérêts pour procédure de licenciement nulle et irrégulière au motif qu'elle a été convoquée à entretien préalable par M. [E] [J] qui n'avait pas le pouvoir de la convoquer, que l'entretien s'est tenu dans une brasserie et qu'elle a été licenciée par Mme [B] [J], gérante, qui ne l'a jamais rencontrée.

L'employeur conclut au débouté de la demande en l'absence d'irrégularité de procédure. Il fait valoir que M. [E] [J] était habilité à convoquer la salariée en sa qualité de directeur général de la société N2DC en charge des ressources humaines des sociétés du groupe, que la salariée a été convoquée au siège social pour l'entretien préalable, que les parties se sont entendues pour s'installer dans la brasserie en face en raison de l'absence d'un lieu approprié au sein de la boutique.

En l'espèce, la salariée a été convoquée à entretien préalable par M. [E] [J] le 26 octobre 2018 qui était directeur général de la société N2DC, en charge des ressources humaines pour les sociétés du groupe au vu du contrat de travail et de la déclaration préalable à l'embauche versés aux débats. Il résulte du procès-verbal des décisions de l'associée unique du 29 janvier 2019 que la société Sba Optique fait effectivement partie du groupe N2DC.

M. [E] [J] n'était donc pas une personne étrangère à la société Sba Optique et avait qualité pour mener l'entretien préalable.

La salariée a été convoquée au siège social de l'entreprise, mais pour des raisons légitimes de l'absence d'un local approprié et de discrétion par rapport aux membres du personnel, l'entretien s'est déroulé dans un lieu autre.

Le licenciement a été régulièrement notifié par Mme [B] [J], gérante, qui n'était donc pas extérieure à la société et dont les fonctions l'y autorisaient.

Au vu de ces éléments, Mme [R] doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre, la procédure de licenciement n'étant pas nulle et irrégulière.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est libellée comme suit :

'Nous vous rappelons que vous avez été embauchée au sein de notre société à effet du 13 avril 2004 en qualité de monteur/vendeur et qu'après avoir évolué vous exercez en qualité de «responsable de magasin » au sein de notre société depuis 2012.

Jusqu'au 24 octobre 2018, la société été dirigée par Monsieur [H] [J] sur délégation des pouvoirs de la gérante. À cette date, la gérante a repris l'intégralité des pouvoirs de gestion.

À cette occasion, un audit global de la gestion de la société a été effectué permettant de mettre en exergue des irrégularités manifestes de comptabilité qui semblent perdurer depuis plusieurs années et dont nous n'avions absolument pas connaissance jusqu'alors.

En effet, après vérification des fiches techniques, nous avons pu constater, à de nombreuses reprises, qu'il existe des avoirs au bénéfice de clients, ce qui signifie que vous avez effectué des fausses factures destinées à la mutuelle dans le but d'obtenir la totalité du remboursement du client alors que ce dernier n'a encore rien acheté.

Grâce à ces avoirs, les clients peuvent donc obtenir des produits qui ne correspondent pas à la facture faite à la mutuelle et parfois, ce n'est même pas le client qui en profite mais un membre de la famille ou un ami.

À titre d'exemple, nous avons pu constater les cas suivants :

' Monsieur [K] [G] : Vous avez facturé la mutuelle à hauteur de 412 € alors que le client n'a pris que pour 196 € de produits. Vous avez indiqué dans le dossier du client qu'il avait 216 € d'avoir.

' Madame [L] [P] : Vous avez facturé la mutuelle à hauteur de 600 € alors que la cliente n'achetait que pour 484 €.

' Madame [O] [V] : vous avez facturé la mutuelle pour ce client alors que c'est un autre membre de la famille qui a bénéficié du remboursement, [U] [V].

Ces méthodes sont totalement illégales et susceptibles d'engager notre responsabilité.

Le fait de profiter de votre qualité de responsable de magasin au sein de notre société afin d'effectuer des faux documents comptables dans le but d'avantager les clients constitue un manquement à vos obligations contractuelles et un comportement déloyal intolérable qui doit être sanctionné.

En outre, de tels agissements de nature à engager la responsabilité pénale du chef d'entreprise sont extrêmement graves et préjudiciables à notre entreprise.

C'est dans ces conditions que nous vous avons notifié votre mise à pied, à titre conservatoire, par courrier RAR du 26 octobre 2018.

Lors de l'entretien préalable, vous avez commencé par nier votre responsabilité avant de reconnaître les faits en tentant de minimiser leur gravité, considérant que ces méthodes sont «courantes ».

Vos explications ne nous ont pas convaincues et, en conséquence, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave.

En effet, nous ne partageons, en aucun cas, votre point de vue et nous considérons que ces faits sont, au contraire, d'une extrême gravité.

En outre, le 13 novembre 2018, vous êtes venue à l'entreprise, au prétexte, de reprendre certaines affaires, et vous avez subtilisé les cartes de transmission CPAM, indispensables pour facturer les clients, perturbant sans conteste le bon fonctionnement.

De la même façon, nous avons découvert qu'au lieu d'utiliser l'adresse mail de l'entreprise, vous avez créé une adresse mail « Gmail » dont vous avez seul l'accès et qui nous empêche actuellement de pouvoir échanger avec nos clients.

Dès lors, nous considérons que l'ensemble de ces faits sont constitutifs d'une faute grave et votre maintien dans l'entreprise s'avère donc impossible.'

Il résulte des dispositions de l'article L. 1234-1 du code du travail que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La preuve de la faute grave incombe à l'employeur.

La lettre de licenciement énonce en substance les quatre griefs suivants :

des irrégularités de comptabilité,

des fausses factures destinées à la mutuelle,

la subtilisation de cartes de transmission CPAM,

la création d'une adresse 'Gmail' empêchant d'échanger avec les clients.

En l'espèce, à l'appui du grief 1) l'employeur verse aux débats six fiches ateliers relatives à des achats clients issues du logiciel de l'entreprise corroborées par un devis et deux factures dont il ressort les irrégularités de facturation suivantes :

- M. [G] du 12 octobre 2018 : quatre boîtes de lentilles ont été facturées à la mutuelle alors que le client n'a acheté que deux boîtes, un avoir de 216 euros est généré,

- Mme [P] du 4 mai 2018 : un montant de 600 euros est facturé à la mutuelle alors que la cliente a acheté une monture et des verres pour un montant total de 484 euros,

- Mme [V] du 20 octobre 2018 : les verres ont été facturés à la mutuelle au bénéfice de M. [O] [V] alors qu'en réalité le bénéficiaire est [U] [V],

- M. [M] du 9 juin 2018 : des verres haut de gamme ont été facturés à la mutuelle alors que la commande concerne des verres bas de gamme,

- Mme [W] du 17 mars 2018: des verres haut de gamme ont été facturés à la mutuelle alors que la commande concerne des verres bas de gamme,

- Mme [F] du 6 mai 2017 : deux boîtes de lentilles ont été facturées mais n'ont pas été commandées par le client.

La salariée n'est pas fondée à contester l'absence de rapport d'audit alors que l'employeur fait mention d'un audit interne, dont le choix de la restitution relève du pouvoir de direction de l'employeur, les irrégularités étant matériellement établies par des pièces issues du logiciel de l'entreprise ainsi que par un devis et deux factures joints.

Ces fausses factures sont contraires aux bonnes pratiques et aux règles comptables et financières indépendamment de la réalisation d'un contrôle fiscal ou de la publication des comptes de la société.

Ainsi, l'établissement de fausses factures destinées à la mutuelle relève de la responsabilité de la salariée, responsable du magasin et lui est imputable.

Par conséquent, ce seul grief établit la faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail à l'encontre de la salariée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs de la lettre de licenciement.

Le licenciement de la salariée étant fondé sur une faute grave, elle sera déboutée de sa demande en contestation du licenciement et de ses demandes subséquentes en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité de licenciement.

La mise à pied conservatoire était justifiée, la salariée doit être déboutée de sa demande de rappel de salaire à ce titre et congés payés afférents.

Il n'y a pas lieu à remise des documents de fin de contrat conformes sous astreinte : bulletins de paie, attestation Pôle emploi, solde de tout compte, certificat de travail.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ces points.

Sur l'inégalité de traitement

La salariée soutient qu'elle fait l'objet d'une discrimination salariale par rapport à d'autres responsables de magasin mieux rémunérés, qu'elle subit donc une inégalité de traitement.

L'employeur fait valoir que la salariée était seule responsable de magasin et ne peut invoquer une quelconque discrimination à son égard par comparaison aux autres salariés de la boutique.

La demande de la salariée est fondée sur le principe de l'égalité de traitement.

Le principe d'égalité de traitement s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe de l'égalité de traitement, de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement entre des salariés placés dans une situation comparable. Dans l'hypothèse où cette inégalité est établie, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs et pertinents justifiant la différence de traitement constatée.

La salariée fait état d'une rémunération inférieure à celle d'autres responsables de magasins :

- M. [D], responsable magasin Gobelins, avec un salaire mensuel fixe d'environ 6 800 euros outre une prime annuelle d'environ 15 000 euros,

- M. [A], responsable magasin dans la même rue, avec un salaire mensuel fixe de 4 800 euros et des primes annuelles,

- Mme [N], responsable adjoint, avec un salaire mensuel fixe de 4 800 euros et une prime annuelle d'environ 10 000 euros.

Cependant, le principe d'égalité de traitement ne s'appliquant pas entre les salariés d'entreprises distinctes appartenant au même groupe, il y a lieu de considérer que Mme [R] ne soumet pas d'éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement entre des salariés placés dans une situation comparable. Elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La salariée invoque les faits suivants à l'encontre de M. [E] [J] :

le refus d'articles ou d'aide accordée à d'autres salariés et boutiques du groupe,

des injures et termes obscènes ou humiliants,

des propos méprisants et dégradants,

du discrédit auprès de ses collègues, supérieurs et subordonnés,

le refus de transmettre les informations utiles à la réalisation des tâches.

La salariée produit un courriel du 7 septembre 2016 faisant suite à entretien préalable à un éventuel licenciement, un avertissement du 9 septembre 2016. Cependant, elle ne verse aux débats aucun élément objectif émanant de tiers permettant d'établir la matérialité des faits invoqués.

Elle produit une reconnaissance de travailleur handicapé du 22 décembre 2008 de la MDPH des [Localité 3], une lettre du 16 septembre 2016 du docteur [X] aux fins d'avis sur risques suicidaire et une prescription de traitement médicamenteux du 16 septembre 2016.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la salariée ne présente pas de faits qui permettent de présumer un harcèlement moral et qui seraient à l'origine d'une dégradation de son état de santé.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.

Sur l'obligation de formation

La salariée sollicite une somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation. Elle indique n'avoir bénéficié d'aucune formation.

L'employeur conclut au rejet de la demande. Il fait valoir que la salariée ne démontre pas avoir sollicité une quelconque formation qui aurait été refusée et a eu une évolution de carrière particulièrement satisfaisante.

En l'espèce, la salariée ne justifie pas de demande de formation qui aurait fait l'objet d'un refus injustifié de l'employeur. Au surplus, elle ne caractérise pas de préjudice résultant de cette absence de formation, sa carrière ayant évolué de façon significative pendant la période salariée.

Elle doit donc être déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Le jugement attaqué sera confirmé sur ce point.

Sur les circonstances de la rupture

La salariée sollicite une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des circonstances de la rupture après plus de quatorze années d'ancienneté.

L'employeur conclut au débouté de la demande. Il fait valoir que la salariée ne rapporte pas la preuve de circonstances vexatoires permettant l'octroi de dommages et intérêts pour préjudice distinct du préjudice résultant du licenciement.

La salariée ne caractérise pas de circonstances vexatoires ayant accompagné la rupture du contrat de travail. Elle doit donc être déboutée de sa demande de ce chef.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur les heures supplémentaires

En application notamment de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

La salariée sollicite une somme de 5 000 euros au titre des heures supplémentaires qu'elle considère avoir accomplies au titre des années 2016 à 2018, outre 500 euros au titre des congés payés afférents.

Elle indique que les horaires d'ouverture du magasin étaient de 10h à 20h puis de 10h à 19h30 à compter d'octobre 2017, qu'en temps que responsable du magasin, elle a été obligée d'effectuer des heures supplémentaires régulièrement pour un volume important.

Elle verse aux débats un décompte de ses heures travaillées sous forme de plannings hebdomadaires sur la période considérée, montrant une prise de poste à 10h et une fin de poste à 18h, 18h30 ou 19h en général avec une heure de pause déjeuner, un total hebdomadaire des heures travaillées dont il découle des heures supplémentaires, avec un total annuel des heures supplémentaires qu'elle considère avoir accomplies.

Elle produit une analyse statistique montrant qu'elle a traité 886 visites de janvier à octobre 2018 pour un chiffre d'affaires brut de 209 004,42 euros très supérieur aux deux autres employés du magasin.

Elle sollicite sur la période considérée un total de 178 heures supplémentaires.

Il s'en déduit que la salariée présente des éléments suffisamment précis quant aux heures supplémentaires qu'elle considère avoir accomplies de sorte que l'employeur est en mesure d'y répondre.

L'employeur conteste les allégations de la salariée précisant que cette dernière exécutait ses horaires contractuels, qu'elle n'était pas la seule salariée de la boutique et n'assumait donc pas seule l'amplitude horaire du magasin.

Il ne produit pas ses propres éléments de contrôle des heures travaillées par la salariée.

Après pesée des éléments produits par l'une et l'autre des parties, la cour a la conviction que la salariée a effectué des heures supplémentaires conformément aux missions qui lui étaient confiées à hauteur de 2 000 euros pour la période de 2016 à 2018, outre 200 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur le repos compensateur

La salariée sollicite une indemnité de 1 000 euros au titre de l'indemnité au titre des repos compensateurs.

L'employeur conclut au rejet faisant valoir qu'aucune heure supplémentaire n'a été effectuée.

La salariée ne justifie pas avoir accompli des heures supplémentaires ouvrant droit à repos compensateur. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

Le jugement attaqué sera confirmé sur ce point.

Sur les tickets restaurant

La salariée sollicite une somme de 330 euros nets au titre de tickets restaurant pour les mois de septembre à novembre 2018.

L'employeur conclut au rejet de la demande, faisant valoir que ces tickets lui ont bien été remis, qu'à défaut la salariée n'aurait pas attendu la saisine du conseil des prud'hommes pour les réclamer.

En application des dispositions de l'article 1353 du code civil, il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a satisfait à son obligation de remise de tickets restaurant.

L'employeur ne rapporte pas la preuve qu'il s'est acquitté de la remise de tickets restaurant pour la période considérée comme il l'allègue. Il doit donc être condamné à payer à Mme [R] une somme de 330 euros nets au titre de tickets restaurant pour les mois de septembre à novembre 2018.

Le jugement attaqué sera infirmé sur ce point.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. Il n'y a pas lieu de faire courir le point de départ des intérêts à une date antérieure comme sollicité.

La capitalisation des intérêts échus pour une année entière sera ordonnée.

Sur les autres demandes

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et sera confirmé sur les frais irrépétibles.

La société Sba Optique succombant à la présente instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. La Selarl Minault Teriitehau pourra les recouvrer directement pour ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Elle devra régler à Mme [R] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :

- débouté Mme [I] [R] de ses demandes au titre des heures supplémentaires et au titre de tickets restaurant,

- condamné Mme [I] [R] aux dépens de l'instance,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la société Sba Optique à payer à Mme [I] [R] les sommes suivantes :

2 000 euros au titre des heures supplémentaires pour les années 2016 à 2018,

200 euros au titre des congés payés afférents,

330 euros nets au titre des tickets restaurant pour les mois de septembre à novembre 2018,

Dit que les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la société Sba Optique aux dépens de première instance et d'appel et dit que la Selarl Minault Teriitehau pourra les recouvrer directement pour ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,

Condamne la société Sba Optique à payer à Mme [I] [R] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03589
Date de la décision : 05/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-05;21.03589 ?
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