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05/04/2023 | FRANCE | N°21/03557

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 05 avril 2023, 21/03557


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 05 AVRIL 2023



N° RG 21/03557 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U36C



AFFAIRE :



S.A. MUTEX





C/

[K] [Y]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : 19/00664



Copi

es exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la AARPI SDA



la SCP RILOV







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dan...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 AVRIL 2023

N° RG 21/03557 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U36C

AFFAIRE :

S.A. MUTEX

C/

[K] [Y]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : 19/00664

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la AARPI SDA

la SCP RILOV

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. MUTEX

N° SIRET : 529 21 9 0 40

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me François-xavier ASSEMAT de l'AARPI SDA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P192

APPELANTE

****************

Madame [K] [Y]

née le 17 Septembre 1972 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Assistée de Me Fiodor RILOV de la SCP RILOV, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0157 substitué par Me Simon OLIVENNES, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Mars 2023, Madame Laure TOUTENU, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY

EXPOSE DU LITIGE

Mme [K] [Y] a été engagée par la société Euromut suivant un contrat de travail à durée déterminée à compter du 14 janvier 1997 jusqu'au 30 juin 1997 en qualité d'opératrice de gestion, classe 1, avec le statut d'agent. La relation de travail s'est poursuivie en contrat à durée indéterminée.

Le 1er janvier 2003, son contrat de travail a été transféré à la société Groupement des Personnels et des Moyens de la Mutualité Française suivant avenant du 20 novembre 2002.

Le 1er janvier 2012, son contrat de travail a été transféré à la société Mutex.

Suivant avenant du 11 décembre 2017, Mme [Y] a été nommée en qualité de chargée d'études, classe 5 au sein du service Etudes et déploiement du département gestion solutions digitales de la direction des services aux assurés-partenaires par la société Mutex.

La relation de travail était régie par la convention collective des sociétés d'assurance.

Mme [Y] a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie du 24 septembre au 25 octobre 2018.

Par lettre du 5 octobre 2018, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 15 octobre 2018.

Par lettre du 18 octobre 2018, l'employeur a licencié la salariée pour faute constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le 9 mai 2019, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin d'obtenir la condamnation de la société Mutex au paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse et pour préjudice moral.

Par jugement en date du 28 octobre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a :

- dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- dit et jugé les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail applicables en l'espèce, 

- par conséquent, condamné la société Mutex à verser à Mme [Y] : 

48 900 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [Y] du surplus de ses demandes,
- débouté la société Mutex de sa demande reconventionnelle,

- ordonné d'office en application de l'article L. 1235-4 du code du travail le remboursement par la société Mutex aux organismes concernés des indemnités chômages versées à Mme [Y] dans la limite de six mois,
- dit que les intérêts légaux seraient calculés selon les dispositions de l'article 1231-7 du code civil,
- dit qu'il n'y avait lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement au-delà des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail, le salaire à retenir étant 2 987,69 euros brut,
- condamné la société Mutex aux entiers dépens.

Le 7 décembre 2021, la société Mutex a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 31 mai 2022, la société Mutex demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- l'a condamnée à verser à Mme [Y] : 

* 48 900 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,
- ordonné d'office en application de l'article L.1235-4 du code du travail le remboursement aux organismes concernés des indemnités chômages versées à Mme [Y] dans la limite de six mois,
- l'a condamnée aux entiers dépens,

et statuant de nouveau : 

- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
- à titre subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 8 963 euros,
- constater l'irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts fondée sur un prétendu licenciement prononcé en raison de l'état de santé, subsidiairement, débouter Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts fondée sur un prétendu licenciement prononcé en raison de l'état de santé,
- confirmer le jugement pour le surplus, à savoir en ce qu'il a :
- débouté Mme [Y] de la demande d'indemnité à hauteur de 24 mois de salaire soit 71 704,56 euros du fait de la nullité du licenciement en raison du prononcé de son licenciement pendant une période de suspension du contrat de travail, de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi, de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 71 704,56 euros.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 18 mai 2022, Mme [Y] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit et jugé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Mutex à lui verser les sommes suivantes: 

48 900 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Mutex de sa demande reconventionnelle,
- ordonné d'office en application de l'article L.1235-4 du code du travail le remboursement par la société Mutex aux organismes concernés des indemnités chômages versées dans la limite de six mois,
- dit que les intérêts légaux seront calculés selon les dispositions de l'article 1231-7 du code civil,
- condamné la société Mutex aux entiers dépens,

- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes, et statuant à nouveau :

- condamner la société Mutex à lui verser les sommes suivantes : 

71 704,56 euros du fait de la nullité du licenciement en raison du prononcé de son licenciement pendant une période de suspension du contrat de travail,

71 704, 56 euros du fait de la nullité de son licenciement car prononcé en raison de son état de santé,

20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

- à titre subsidiaire, juger que la rupture de son contrat de travail est constitutive d'un licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Mutex à lui payer la somme de 71 704, 56 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- en tout état de cause, condamner la société Mutex à lui payer une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- assortir les condamnations à intervenir d'intérêts au taux légal.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

 

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 14 février 2023.

 

MOTIVATION

Sur la validité du licenciement et ses conséquences

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est libellée comme suit :

« (...) Depuis le 1er janvier 2018, vous exercez une fonction de chargée d'études au sein du Service Etudes et Déploiement du Département Gestion Solutions Digitales de la Direction des Services aux Assurés-Partenaires, désormais, Direction Services & Relations Clients. 

Dans le cadre des actions de communication et campagnes, vous avez pour responsabilité : 

- d'apporter votre savoir-faire et d'orienter l'équipe projet ou le métier sur les modalités de constitution du fichier de publipostage ;
- de réaliser les livrables relatifs à la sélection du prestataire conformément aux bonnes pratiques (devis de l'opération effectué auprès de différents routeurs, choix du prestataire et contractualisation).
- de formaliser le cahier des charges pour l'édition et de contribuer à celui de la DSI pour mettre à disposition le courrier envoyé en GED pour une consultation par centres de gestion.
- de suivre et piloter le prestataire.
- de mobiliser les équipes internes pour valider les bons à tirer dans les délais et respecter la date butoir d'envoi en dépôt poste avec ou sans un contrôle huissier.
- de reporter à votre manager et au chef de projet et de les alerter en cas de difficultés.
Nous soulignons que vous avez l'expertise nécessaire pour conduire les activités précitées qui avaient été explicitement fléchées comme prioritaires pour la période de juin à octobre 2018.
Or, nous avons eu à déplorer des agissements constitutifs d'une faute professionnelle.
Le vendredi 21 septembre, une cellule de crise a dû être organisée suite au refus du routeur de prendre en charge la prestation de composition et d'édition de la campagne récurrente de renouvellement du portefeuille dont l'objectif est de redresser les taux de cotisation des contrats collectifs en cours permettant à Mutex de rééquilibrer le portefeuille à près de 3,4 millions d'euros.
Soulignons que l'opération est sensible du fait du recueil de l'accord des mutuelles des contrats à redresser, et contrainte dans le temps. Mutex doit respecter le délai d'informations du souscripteur. En effet, le dépôt poste doit être réalisé au plus tard le 15 octobre afin de recueillir le retour du client, au plus tard le 31 octobre, pour enclencher -le cas échéant- la résiliation du contrat.
Pour l'opération de renouvellement du portefeuille, une gouvernance projet a été mise en place afin d'organiser et piloter les actions des différents contributeurs et a débuté depuis juillet. Le volume de l'opération est de 20 000 avenants accompagnés de 15 000 lettres d'accompagnement.

A l'issue de la cellule de crise, il apparait : 

Qu'aucun devis n'a été réalisé ;

Qu'aucune contractualisation n'a été formalisée afin de permettre à Mutex de contraindre le routeur à poursuivre l'opération sous peine de pénalités car les délais sont courts pour identifier un nouveau routeur et réenclencher toutes les opérations ;

Qu'aucun cahier des charges éditique n'a été communiqué au chef de projet ;

Que de sérieux doutes pèsent sur la fiabilité et l'authenticité des tests sur un échantillon, réalisés sur la période du 28 juillet au 12 septembre. Ces derniers ont été communiqués comme étant positifs et validés au chef de projet. Or, dans les faits, après un échange avec le routeur le 21 septembre (participants : [F] [N] (Directrice Sur Mesure), [J] [Z] (chef de projet de l'opération), [J] [W] (Responsable de Département Gestion Solutions Digitales), ce dernier nous a signifié qu'il a uniquement été sensibilisé le 10 septembre sur l'opération et que les éléments envoyés et non finalisés n'étaient pas suffisants pour réaliser un test. Le vrai «test» n'a eu lieu que le 20 septembre dans lequel il détaille l'inexploitabilité du fichier dont la validation de la structure vous incombe. Le routeur nous a exposé son refus catégorique de poursuivre la prestation pour les motifs suivants : une tension avec les équipes DSI/DGSD, un travail préparatoire absent réalisé par Mutex et une non volonté de mobiliser, en urgence, son équipe pour compenser les défaillances du client.
En outre, il est inacceptable que vous ayez refusé en première intention de communiquer les coordonnées du prestataire et qu'il eût fallu insister (demandes répétées de la DSI et réclamation du responsable) pour que vous les transmettiez à l'équipe DSI. Ce contact était requis pour permettre à l'informatique (Monsieur [D] [P]) de le contacter afin de formaliser le cahier des charges informatique sur les flux retours et d'organiser ses actions de spécifications des flux et de tests.
Au surplus, à aucun moment, vous n'avez averti votre supérieure hiérarchique ([L] [W]) ou le chef de projet ([H] [Z]) de la situation. Pourtant, durant toute cette période, votre responsable vous avait demandé à l'oral et par mail (à plusieurs reprises) de donner de la visibilité et de la mettre en copie des actions en cours.
En synthèse, vous n'avez pas réalisé les actions relevant de votre périmètre de contribution et n'avez pas respecté le fonctionnement en mode projet. Vous avez ainsi exposé Mutex face à un risque financier significatif non levé à ce jour (instruction de la faisabilité en cours par votre responsable) et à un risque réputationnel avéré.
Les faits précités mettent en cause la bonne marche du service et nous contraignent à prononcer à votre égard un licenciement pour cause réelle et sérieuse».

La salariée soutient que son licenciement est nul aux motifs :

- qu'il a été prononcé en période de suspension de son contrat de travail en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1226-9 du code du travail,

- qu'il revêt un caractère discriminatoire, en ce que le licenciement est une mesure de rétorsion à son arrêt de travail pour maladie mentionnant un lien avec son milieu professionnel en vertu de l'article L. 1132-1 du code du travail.

L'employeur conclut au débouté de la demande sur le fondement de l'article L. 1226-9 du code du travail, faisant valoir qu'au moment du licenciement, il n'avait pas connaissance d'une prétendue maladie professionnelle.

Sur la recevabilité de la demande de nullité du lienciement discriminatoire en raison de l'état de santé

L'employeur soulève l'irrecevabilité de la demande de nullité du licenciement sur le terrain discriminatoire, s'agissant d'une demande nouvelle. Subsidiairement, il conclut au débouté de la demande. Il indique d'une part, qu'aucune pièce ne permet de corroborer cette affirmation, d'autre part, que les motifs de la lettre de licenciement fixent les limites du litige, et que le motif invoqué est disciplinaire.

En l'espèce, la salariée a formé une demande devant le conseil de prud'hommes de dommages et intérêts pour licenciement nul, aux motifs que le licenciement a été prononcé pendant une suspension du contrat de travail, et qu'il a été prononcé en raison de son état de santé. Par conséquent, la demande formée sur le terrain discriminatoire en raison de son état de santé n'est pas nouvelle. Le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société Mutex doit être, par conséquent, rejeté.

Sur le moyen tiré de la nullité du licenciement prononcé en violation des dispositions de l'article L. 1226-9 du code du travail

Aux termes de l'article L. 1226-9 du code du travail, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

En l'espèce, la salariée a été en arrêt de travail pour maladie du 24 septembre au 25 octobre 2018.

Au moment de la notification du licenciement, l'employeur n'avait pas connaissance d'une origine professionnelle de la maladie de la salariée, les dispositions invoquées réservées à l'arrêt de travail pour accident du travail ou pour maladie professionnelle ne sont donc pas applicables.

La demande de nullité du licenciement sur ce fondement doit, par conséquent, être rejetée.

Sur le moyen tiré de la nullité du licenciement discriminatoire en raison de l'état de santé

En application des dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé.

Aux termes de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La lettre de licenciement ne fait pas grief à la salariée de son état de santé. Il convient toutefois de vérifier si la faute reprochée à la salariée ne trouve pas son origine dans ses problèmes de santé.

La salariée soutient que le motif de la lettre de licenciement est fallacieux, qu'en réalité suite à son arrêt maladie mentionnant un lien entre son état physique et psychologique et le milieu professionnel, l'employeur a immédiatement pris l'initiative de la procédure. Elle produit son arrêt maladie à partir du 24 septembre 2018 , un courrier du docteur [M] au médecin du travail du 24 septembre 2018, un courrier du médecin du travail du 4 octobre 2018 mentionnant 'un syndrome anxiodépressif très probablement en lien avec des tensions qu'elle décrit au travail. En l'état actuel, une reprise n'est pas envisageable : la prolongation de son arrêt maladie est nécessaire afin d'instaurer une prise en charge spécifique [...]', la convocation à l'entretien préalable à licenciement du 5 octobre 2018.

Il s'en déduit que la salariée présente des éléments laissant penser l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé, notamment au vu des constatations du médecin du travail et de la concomitance entre celles-ci et la convocation à l'entretien préalable à éventuel licenciement.

L'employeur fait valoir que la salariée a été licenciée pour une cause indépendante de sa maladie, un motif disciplinaire, pour comportement fautif et que l'état de santé de la salariée est étranger à la procédure disciplinaire mise en oeuvre.

Il expose qu'à compter du 1er janvier 2018, la salariée s'est vue confirmée dans ses fonctions de chargée d'étude, que ses fonctions n'ont pas été modifiées de sorte qu'elle a conservé son périmètre d'activité d'origine comprenant la gestion des campagnes de renouvellement du portefeuille.

Il indique que la salariée a commis une faute dans une campagne de renouvellement de portefeuille et produit les attestations de sa supérieure hiérarchique, Mme [W], et de la directrice des opérations clients, Mme [X], des échanges de courriels entre Mme [Y] et Mme [W] des 30 août et 10 septembre 2018, le courriel du prestataire Sotiaf du 20 septembre 2018, un extrait du comité de projet au 20 septembre 2018, une déclaration d'incident.

Il ressort du dossier que le prestataire Sotiaf a indiqué le 20 septembre 2018 qu'il n'avait pas les éléments requis pour engager la prestation d'édition dans le cadre du projet de renouvellement et qu'il s'est désengagé du projet, faisant part de 'tension avec les équipes', et d' 'un travail préparatoire absent', qu'ainsi, une cellule de crise a dû être créée devant le retard possible du projet et que la supérieure hiérarchique de la salariée et la directrice des opérations client ont désigné Mme [Y] comme fautive au vu de ses missions.

La cour constate que l'employeur n'indique pas si effectivement la campagne de renouvellement du portefeuille a pu être menée à bien et dans les délais, et si le retard pris dans une étape du projet a eu un impact sur la réalisation du projet in fine et des conséquences dommageables pour la société.

En outre, il ressort des échanges de courriels versés aux débats qu'à la création de la direction marketing en janvier 2018, la salariée s'est vue remettre un avenant pour un poste de chargé d'étude, qu'elle a sollicité le descriptif de ses missions dans son nouveau poste mais que ses futures missions n'ont pas été détaillées en dépit de sa demande sur décision de sa nouvelle supérieure hiérarchique Mme [W], comme confirmé par courriel de M. [U] du 18 décembre 2017 : 'Il ne semble pas envisageable de remettre, en plus d'une fiche fonction, un autre document détaillant précisément tes futures missions. La volonté de l'entreprise porte sur des fonctions génériques, avec des missions particulières pour certains postes. Ainsi, l'ensemble de tes futures missions seront détaillées dans ton prochain EPP'.

Ainsi, la fiche de fonction synthétique remise à la salariée ne mentionne pas de responsabilité en terme de projet mais une simple participation aux phases du projet 'propose un calendrier, une méthode de travail, contribue à la constitution du groupe projet et au contrôle de la réalisation de celui-ci'.

Le projet comprenait un organe de pilotage et il appartenait donc au comité de pilotage de vérifier que les étapes du projet se déroulaient comme prévu, la salariée ne pouvant être considérée comme l'unique responsable de la situation vis-à-vis d'un prestataire alors que le projet comprenait de multiples intervenants et un chef de projet.

Ainsi, le retard constaté le 21 septembre 2018 dans la conduite du projet suite à un refus du prestataire de prise en charge d'une prestation d'édition d'une campagne de renouvellement de portefeuille du fait, notamment de l'absence de test sérieux et de cahier des charges éditiques n'est pas imputable à la salariée, l'absence de réalisation d'un devis et de contractualisation d'une contrainte du prestataire à poursuivre la prestation n'est pas imputable à la salariée, la cour constatant qu'aucune demande ou relance auprès de la salariée en temps utile n'est versée au dossier et que l'employeur ne démontre pas qu'elle a volontairement voulu se soustraire à ses obligations pour la part de contribution qui lui incombait.

De même, il n'est pas établi que la salariée aurait refusé de transmettre les coordonnées du prestataire comme allégué par l'employeur.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas établi que la salariée a commis une faute dans l'opération de renouvellement de portefeuille, les faits allégués étant non imputables à la salariée et la preuve n'étant pas rapportée qu'elle ait volontairement voulu se soustraire à ses obligations.

L'employeur ne démontre donc pas que la décision de licenciement est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En outre, la salariée ne présente aucun passif disciplinaire alors qu'elle a une ancienneté de plus de vingt et un ans.

Par conséquent, le licenciement trouve en réalité son origine dans les problèmes de santé de la salariée, cette dernière présentant un syndrome anxiodépressif en lien avec des tensions dans le contexte d'une nouvelle organisation marketing et de difficultés avec sa nouvelle supérieure hiérarchique.

Il convient, par conséquent, de prononcer la nullité du licenciement au motif qu'il est discriminatoire en raison de l'état de santé de la salariée.

En vertu de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, la salariée âgée de 46 ans et ayant plus de 21 ans d'ancienneté a droit à des dommages et intérêts en nullité du licenciement discriminatoire qui ne peuvent être inférieurs aux salaires des six derniers mois. Il lui sera alloué la somme de 48 900 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ces points.

Sur le préjudice moral

La salariée sollicite une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

L'employeur conclut au débouté de la demande.

A défaut de fondement invoqué et de caractérisation du préjudice moral allégué, il convient de débouter Mme [Y] de sa demande à ce titre.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société Mutex aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à la salariée du jour du licenciement au jour du présent arrêt et ce, dans la limite de six mois d'indemnités. Le jugement attaqué sera confirmé sur ce point.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société Mutex succombant à la présente instance, sera condamnée aux dépens d'appel. Elle devra également régler à Mme [Y] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- débouté Mme [K] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamné la société Mutex à payer à Mme [K] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné le remboursement par la société Mutex aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [Y] dans la limite de six mois,

- condamné la société Mutex aux dépens.

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la société Mutex à payer à Mme [K] [Y] la somme de 48 900 euros pour nullité du licenciement discriminatoire en raison de son état de santé, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la société Mutex aux dépens d'appel,

Condamne la société Mutex à payer à Mme [K] [Y] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03557
Date de la décision : 05/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-05;21.03557 ?
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