COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 5 AVRIL 2023
N° RG 21/00841
N° Portalis DBV3-V-B7F-UMA4
AFFAIRE :
[R], [C] [Y]
C/
Société DELL SAS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 2 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire
Section : E
N° RG : F19/00065
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Claire RICARD
Me Pascale ARTAUD
Copie numérique adressée à :
Pôle Emploi
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [R], [C] [Y]
né le 6 juin 1965 à [Localité 3]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 et Me Delphine CHLEWICKI HAZOUT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0361
APPELANT
****************
Société DELL SAS
N° SIRET : 351 528 229
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Pascale ARTAUD de la SELARL TRAJAN AVOCATS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: P0450
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 3 février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [Y] a été engagé par la société Dell, en qualité de directeur commercial, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 janvier 2018. Avant de rejoindre la société Dell, il était salarié de la société HP (Hewlett Packard), concurrent de la société Dell, spécialisée dans la construction de micro-informatique.
L'effectif de la société Dell était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale de commerce de gros.
Les 15, 19 et 22 novembre 2018, le salarié a été entendu dans le cadre d'une enquête interne en raison de la circulation au sein de la société Dell d'un fichier contenant des informations sur son concurrent, la société HP.
Par lettre du 19 décembre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 3 janvier 2019, avec mise à pied à titre conservatoire.
Il a été licencié par lettre du 8 janvier 2019 pour faute grave dans les termes suivants :
« Vous avez été convoqué le 19 Décembre 2018 à un entretien préalable fixé le 3 Janvier 2019 au cours duquel nous vous avons exposé les raisons pour lesquelles nous étions amenés à envisager un licenciement à votre encontre.
Les explications que vous nous avez fournies lors de cet entretien, ne nous ayant pas permis de réviser notre appréciation des faits, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement en raison des motifs ci-après exposés.
Embauché en qualité de Directeur Commercial depuis le 2 Janvier 2018 (statut cadre dirigeant, niveau IX, échelon 2), votre rôle est de définir notre stratégie Networking EMEA et de la décliner auprès de nos principaux clients et partenaires.
Dans le cadre de vos fonctions, vous avez conservé et partagé avec plusieurs membres de votre équipe, en France et en Allemagne notamment, et utilisé des documents commerciaux particulièrement confidentiels propriété de l'un de nos concurrents, et cela sans jamais référer à quiconque d'une quelconque interrogation relativement au caractère licite ou non de vos actes.
Ces actes sont en infraction avec notre code de conduite interne sur lequel une formation complète vous a été dispensée dans le cadre de votre procédure d'intégration. Vous avez pu à cette occasion réaliser à quel point le respect de ce code conduite interne constituait un élément fondamental pour Dell.
Ils constituent en outre une violation grave de votre obligation de loyauté ainsi qu'une violation du secret des affaires.
A tous ces égards, ils sont de nature à mettre en 'uvre, outre votre responsabilité, celle de la société elle-même d'une part, et celles des membres de votre équipe que vous avez placés de facto dans une situation intenable.
Enfin votre fonction vous imposait un devoir d'exemplarité au regard des membres de votre équipe que vous n'avez pas respecté.
En conséquence, les éléments ci-dessus nous contraignent à vous notifier par la présente la décision de mettre un terme à notre collaboration pour faute grave.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible. Le licenciement prend donc effet immédiatement à la date de la présente, sans indemnité de préavis ni de licenciement. »
Le 19 mars 2019, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil aux fins de de contestation son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 2 mars 2021, le conseil de prud'hommes d'Argenteuil (section encadrement) a :
- dit le licenciement de M. [R] [Y] est pour une cause réelle et sérieuse et que les faits qui lui sont reprochés sont bien constitutifs d'une faute grave,
- débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,
- fixé la moyenne des douze derniers mois de salaire à 27 400 euros,
- débouté M. [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [Y] à payer à la société Dell la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire des parties,
- dit que les dépens éventuels de l'instance seront à la charge de M. [Y].
Par déclaration adressée au greffe le 12 mars 2021, M. [Y] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 6 juillet 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté les demandes de communication de pièces du salarié.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [Y] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 2 mars 2021 en ce qu'il a dit que le licenciement est pour une cause réelle et sérieuse et que les faits qui lui sont reprochés sont bien constitutifs d'une faute grave,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 2 mars 2021 en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 2 mars 2021 en ce qu'il a fixé la moyenne des douze derniers mois de salaire à 27 400 euros,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 2 mars 2021 en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 2 mars 2021 en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Dell la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 2 mars 2021 en ce qu'il a rejeté toute autre demande plus amples ou contraires des parties,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 2 mars 2021 en ce qu'il a dit que les dépens éventuels de l'instance, seront à sa charge,
le réformant,
à titre principal,
- juger que le licenciement est un licenciement verbal,
- juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- juger que le salaire de référence est de 44 337,42 euros,
par conséquent
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 8 715, 19 euros au titre du rappel de salaires pour la période de la mise à pied conservatoire,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 12 931,75 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 133 012 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 13 301 euros au titre des congés payés y afférents,
- juger que l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de la société Dell, au titre des rappels de salaire et de l'indemnité légale de licenciement seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction, soit le 18 mars 2019,
- juger que les intérêts seront capitalisés,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 532 049 euros représentant le préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 166 598 euros, correspondant au montant des deux plans d'actions gratuites,
à titre subsidiaire
- juger que le grief qui lui est reproché est prescrit,
- juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- juger que le salaire de référence est de 27 400 euros,
par conséquent,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 8 715, 19 euros au titre du rappel de salaires pour la période de la mise à pied conservatoire,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 7 951 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 82 200 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 8 220 euros au titre des congés payés y afférents,
- juger que l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de la société Dell, au titre des rappels de salaire et de l'indemnité légale de licenciement seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction, soit le 18 mars 2019,
- juger que les intérêts seront capitalisés,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 328 800 euros représentant le préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 133 278 euros représentant la perte de chance de se voir attribuer de manière définitive des actions gratuites représentant un montant total de 166 598 euros,
à titre très subsidiaire,
- écarter la pièce n°2 de la société Dell intitulée « document confidentiel appartenant au concurrent de Dell »,
- juger que le grief qui lui est reproché n'est pas constitutif d'une faute grave,
- juger que le salaire de référence est de 27 400 euros,
par conséquent
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 8 715, 19 euros au titre du rappel de salaires pour la période de la mise à pied conservatoire,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 7 951 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 82 200 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 8 220 euros au titre des congés payés y afférents,
- juger que l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de la société Dell, au titre des rappels de salaire et de l'indemnité légale de licenciement seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction, soit le 18 mars 2019,
- juger que les intérêts seront capitalisés,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 133 278 euros représentant la perte de chance de se voir attribuer de manière définitive des actions gratuites représentant un montant total de 166 598 euros,
à titre infiniment subsidiaire
- juger que la procédure de licenciement est irrégulière,
- juger que le salaire de référence est de 27 400 euros,
par conséquent,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 27 400 euros à titre d'indemnité sanctionnant l'irrégularité de la procédure de licenciement,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 133 278 euros représentant la perte de chance de se voir attribuer de manière définitive des actions gratuites représentant un montant total de 166 598 euros,
en toute hypothèse,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 25 000 euros représentant le préjudice causé par les procédés vexatoires dans la mise en 'uvre du licenciement,
- juger que l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de la société Dell, portant sur des sommes ayant le caractère de dommages et intérêts, seront assortis de l'intérêt aux taux légal à compter de la décision de justice condamnant la société Dell,
- ordonner la publication du jugement à intervenir, en intégralité ou par extraits ou sous forme de communiqué de son choix :
. dans 10 journaux ou publications de la presse généraliste et professionnelle (sous format papier et électronique), au choix du demandeur, et aux frais avancés de la société Dell, sur simple présentation des devis, dans la limite de 8 000 euros HT par insertion,
. sur la page d'accueil du site internet https://www.Dell.com/fr-fr dans ses différentes langues, dans un encart de 15 cm², en police 12,
- condamner la société Dell à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Dell aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Dell demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Argenteuil le 2 mars 2021 en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,
à titre reconventionnel,
- condamner M. [Y] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner M. [Y] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la rupture
Au soutien de ses prétentions, le salarié conclut au caractère verbal de son licenciement, à la prescription des faits qui lui sont imputés, à l'absence de faits précis et matériellement vérifiables dans la lettre de licenciement et à l'absence de faute grave ; au contraire de l'employeur qui, pour sa part, conteste le caractère verbal du licenciement et la prescription des faits et estime établie la faute grave du salarié.
Sur le caractère verbal du licenciement
Le salarié affirme avoir été verbalement licencié le 19 décembre 2018 par l'employeur, lequel a annoncé publiquement ce licenciement les 20 et 21 décembre 2018 auprès de ses managers et collaborateurs.
En réplique, l'employeur, qui rappelle que le salarié doit apporter la preuve du licenciement verbal dont il se prévaut, soutient que cette preuve n'est pas rapportée.
***
Le licenciement verbal est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse et le fait pour l'employeur de convoquer par la suite le salarié à un entretien préalable et de lui notifier son licenciement ne régularise pas la rupture du contrat de travail qui reste sans cause réelle et sérieuse.
En l'absence de lettre de licenciement, celui-ci ne peut résulter que d'un acte de l'employeur par lequel il manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Il revient au salarié qui se prévaut de son licenciement verbal d'en établir la preuve.
En l'espèce, le salarié a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire le 19 décembre 2018 en même temps que lui était remise sa convocation à un entretien préalable devant se tenir le 3 janvier 2019.
Pour établir la réalité du licenciement verbal dont il se prévaut, le salarié verse aux débats des attestations de salariés ainsi que les copies d'écran de messages WhatsApp qu'il soutient s'être vu adresser par des collègues.
S'agissant desdits messages WhatsApp, l'employeur leur dénie toute force probante dans la mesure où - en dehors de celui de M. [A] -, ils ne sont pas datés.
Toutefois, les pièces litigieuses correspondent à des captures d'écran de messages que le salarié s'est auto-adressées par courriels des 20 et 21 décembre 2018. Dès lors, si les messages WhatsApp n'ont effectivement pas date certaine, il est en revanche certain qu'ils ont été rédigés au plus tard les 20 ou 21 décembre 2018 et en tout cas avant le mois de janvier 2019. Il est aussi certain qu'ils ont été adressés au salarié postérieurement au 19 décembre 2018 puisque l'employeur conclut que ces messages ont été rédigés à l'occasion d'une réunion skype durant laquelle il avait expliqué par sa mise à pied l'absence de M. [Y]. En outre, ainsi que l'admet l'employeur, le message de M. [A] (« network Sales Engineer » chez Dell), lui, est daté du 20 décembre 2018. Enfin, le témoignage (cf. supra) de M. [Z] permet de situer le message de M. [W] [X] au 20 décembre 2018.
Ces messages, adressés spontanément au salarié par ses collaborateurs ou collègues par voie électronique soit entre le 19 et le 20 ou le 21 décembre 2018 pour certains, soit le 20 décembre 2018 précisément pour d'autres (MM. [A] et [W] [X]), font notamment ressortir les éléments suivants :
. M. [H] : « (') j'ai été aujourd'hui à un appel EMEA effectué par [E] [U] dans lequel il a indiqué que toi et [G] [I] ne faisaient plus partie de Dell. Vas-tu bien ' » ;
. M. [S] : « Vraiment désolé d'apprendre les nouvelles. ('). Je suis vraiment peiné, comme si je perdais mon ami et non mon manager. J'espère te revoir » ;
. M. [W] [X] : « Salut [R]. J'ai entendu aujourd'hui lors d'un appel de [E] [U] que tu ne faisais plus partie de Dell. La raison est obscure. Vas-tu bien ' J'espère avoir de tes nouvelles. (') » ;
. M. [D] [A] : « (') J'ai eu la nouvelle ce jour et j'en reste pantois. Merci à toi pour cette année et ce que tu as pu apporter. Ce fut un réel plaisir d'échanger avec toi. Bonne continuation et bonnes fêtes de fin d'année à toi et à ta famille. A bientôt peut-être ».
S'agissant des attestations, l'employeur leur dénie toute force probante en raison de ce qu'elles ont été rédigées par leurs auteurs en novembre 2019 et en mai 2021. Néanmoins, l'éloignement entre la date des faits (fin 2018 ' début 2019) et leur narration n'enlève pas aux témoignages produits leur force probante. Ils sont d'ailleurs suffisamment précis et circonstanciés pour montrer que le souvenir des témoins était encore fiable au moment où ils ont rédigé leur témoignage, ce qui leur confère la valeur probante que leur dénie l'employeur.
Selon son attestation, M. [Z], salarié de Dell, témoigne ainsi : « Le 20 décembre 2018, l'équipe réseau EMEA de Dell-EMC était invitée à une conférence téléphonique sur Skype tenue par le vice-président des réseaux mondiaux, M. [E] [U]. En tant que membre de l'équipe de ventes Royaume-Uni, je participais à cette conférence. Dans cette conférence, [E] annonça que son vice-président réseaux EMEA, [R] [Y] ne faisait plus partie de Dell avec effet immédiat. Tous les problèmes ou questions que nous pouvions avoir devaient être signalées à nos responsables hiérarchiques immédiats ou [E] lui-même. C'était très inattendu, donc j'ai voulu m'assurer que j'avais entendu correctement. Donc pendant l'appel de [E], j'ai écrit à [W] [X], un membre des ressources techniques de [R]. Il me répondit : « ils ont viré [R] ». Plus tard dans la journée, [T] [K], directeur des ventes Royaume-Uni de [R] et mon supérieur hiérarchique direct tint une nouvelle conférence avec son équipe de ventes directes. Comme je m'y attendais, je participais à cet appel. [T], dans cette conférence, confirma que [R] [Y] ne faisait plus partie de Dell (') ».
Par son attestation, M. [B], engagé par Dell 2 janvier 2019, mais ayant été entendu par le salarié au cours d'entretien d'embauche avant cette date, témoigne de ce que lorsqu'il a été engagé, M. [M] [P], qui était alors Manager France, anciennement subordonné au salarié, lui a annoncé que : « [R] a été licencié et qu'il n'a pas voulu [l']appeler entre les fêtes pour ne pas [le] faire changer d'avis sur [son] arrivée chez Dell. [M] [P] [lui] a précisé qu'une réunion au niveau de l'Europe avait eu lieu pour annoncer le licenciement de [R] en décembre 2018 avec effet immédiat ».
Contrairement à la lecture que l'employeur fait de ces divers éléments, la hiérarchie du salarié ne se contentait pas d'expliquer à ses collaborateurs qu'il était absent en raison de sa mise à pied conservatoire. Sauf à en dénaturer la teneur, ces témoignages et messages WhatsApp établissent au contraire que l'employeur a, comme le soutient à juste titre le salarié, annoncé publiquement son licenciement le 20 décembre 2018, c'est-à-dire avant même la tenue de l'entretien préalable du 3 janvier 2019 et le licenciement notifié le 8 janvier 2019.
Cette annonce du 20 décembre 2018 constitue un acte par lequel l'employeur a manifesté sa volonté, par une décision « à effet immédiat », de mettre fin au contrat de travail du salarié et donc, constitue un licenciement verbal.
Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens présentés par le salarié, son licenciement verbal est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera de ce chef infirmé.
Le licenciement ayant été jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, il conviendra d'ordonner, d'office, le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.
Sur les conséquences indemnitaires de la rupture
Le licenciement, prononcé par l'employeur pour faute grave, étant jugé sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité légale de licenciement, à une indemnité compensatrice de préavis, à un rappel de salaire sur mise à pied ainsi qu'à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017.
Sur le rappel de salaire sur mise à pied
L'employeur ne critique pas le quantum du rappel sollicité par le salarié à ce titre.
Par voie d'infirmation du jugement, il lui sera en conséquence alloué la somme qu'il réclame, soit 8 715,19 euros étant précisé que le salarié ne sollicite pas les congés payés afférents à ce rappel de salaire.
Sur l'indemnité légale de licenciement
* sur le salaire de référence
Les parties sont en discussion sur le salaire de référence à prendre en considération, le salarié l'évaluant à 44 337,42 euros et l'employeur à 27 400 euros.
En vertu de l'article R. 1234-4 du code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :
1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ;
2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.
En l'espèce, la date du licenciement doit être fixée à la date de l'acte par lequel l'employeur a manifesté sa volonté de mettre fin au contrat de travail du salarié, soit le 20 décembre 2018.
Le salarié ayant été engagé postérieurement au 20 décembre 2017, en l'espèce le 2 janvier 2018, il comptait au moment du licenciement une durée de service inférieure à douze mois.
Il convient donc, pour évaluer le salaire prévu à l'article R. 1234-4 1° précité, de déterminer la moyenne mensuelle de la rémunération du salarié entre les mois de janvier 2018 et de novembre 2018. A l'examen des bulletins de paie du salarié, cette moyenne doit être évaluée à la somme de 28 310,73 euros.
Cette somme est à comparer au « tiers des trois derniers mois », précision faite que « toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion » en application de l'article R, 1234-4 précité,
Le salarié a perçu les sommes suivantes:
. en septembre 2018 : 66 669,85 euros bruts dont :
. 19 232,41 euros au titre de sa rémunération de base (avantage en nature compris)
. 29 074,11 euros à titre de « prime objectif semestriel »
. 18 363,33 euros à titre de « garantie prime obj 100 % »
. en octobre : 18 141,86 euros bruts (avantage en nature compris),
. en novembre : 48 500,55 euros bruts dont :
. 17 611,67 euros (avantage en nature compris)
. 30 888,88 euros à titre de « prime interm. Semestriel ».
Les primes dont le salarié a été gratifié sont prises en compte à due proportion. Les primes semestrielles ne peuvent donc être prises en compte qu'à concurrence de 1/6ème ; la prime d'objectif annuelle à concurrence de 1/12ème.
Dès lors, le tiers des trois derniers mois a représenté pour le salarié une somme de 22 170,02 euros résultant du calcul suivant :
[(19 232,41 + 18 141,86 + 17 611,67) + (29 074,11 + 30 888,88)/6 + 18 363,33/12]/3
En conséquence de ce qui précède, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, il convient de fixer le salaire à de référence à la somme de 28 310,73 euros.
* sur l'indemnité due par l'employeur
L'article L. 1234-9 du code du travail dispose que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.
L'article R. 1234-1 du code du travail prescrit que l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 ne peut être inférieure à une somme calculée par année de service dans l'entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. En cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets.
L'article R. 1234-2 prévoit que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :
1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;
2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.
En l'espèce, il n'est pas discuté par l'employeur que le salarié comptait, à l'expiration normale du préavis, une ancienneté de un an et deux mois (1,17 ans).
Par conséquent, il convient d'évaluer à la somme de 8 280,89 euros ([28 310,73/4]x1,17) le montant de l'indemnité légale de licenciement due au salarié.
Il conviendra donc, par voie d'infirmation, de condamner l'employeur à payer au salarié la somme ainsi arrêtée.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis
En application de l'article 35 de la convention collective applicable, le salarié peut prétendre à une indemnité de préavis correspondant à trois mois de salaire.
Il conviendra en conséquence, par voie d'infirmation, de condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 84 932,19 euros outre celle de 8 493,22 euros au titre des congés payés afférents.
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salarié conclut au visa de l'article 10 de la convention OIT et de l'article 24 de la charte sociale européenne au versement d'une indemnité réparant l'intégralité de son préjudice professionnel, moral et financier, qu'il évalue à l'équivalent de douze mois de salaire.
En réplique, l'employeur conclut à l'application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail.
En application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre à une indemnité comprise entre 1 et 2 mois de salaire brut pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Contrairement aux prétentions du salarié, ces dispositions sont compatibles avec celles de l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490, publié au rapport), celles de l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996 n'étant pas d'effet direct en droit interne (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-15.247, publié au rapport).
Compte tenu de l'ancienneté du salarié, de son niveau de rémunération précédemment retenue, de son âge lors du licenciement (53 ans) de ce qu'il n'a retrouvé un emploi que le 5 juillet 2021, en dépit de ses recherches, il convient d'évaluer le préjudice qui résulte, pour lui, de la perte de son emploi à la somme de 56 620 euros.
Le jugement sera de ce chef infirmé et, statuant à nouveau, il conviendra de condamner l'employeur à payer au salarié l'indemnité ainsi déterminée.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre du caractère vexatoire du licenciement
Le salarié expose avoir fait l'objet d'une procédure « particulièrement violente » caractérisée par des interrogatoires à charge en l'espace d'une semaine se soldant par une mise à l'écart et une privation de ses accès (messagerie et outils Dell), sa mise à pied humiliante et son licenciement verbal annoncé les 20 et 21 décembre par l'employeur à ses collaborateurs.
Pour sa part, l'employeur conteste le caractère brutal du licenciement et expose que lorsqu'un salarié est suspendu, ses accès sont toujours bloqués ; que seul le comportement du salarié est à l'origine de la rupture du contrat de travail. Il ajoute que le salarié n'établit pas la réalité du préjudice qu'il invoque, faisant observer à cet égard qu'il avait initialement sollicité 5 000 euros à ce titre et qu'il demande désormais la somme de 25 000 euros.
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Il ressort des pièces produites par l'employeur que le litige opposant les parties a pour origine le signalement anonyme d'un salarié (cf. alerte éthique produite par l'employeur en pièce 15) : « j'ai reçu une liste de possibilités commerciales concurrentes avec le nom des clients les produits et l'étendue des possibilités et j'ai des raisons de croire qu'une partie si ce n'est la totalité des informations, provient de collègues/responsables, anciennement salariés de ce concurrent et récemment venus chez Dell EMC. On m'a demandé d'utiliser ces informations lors d'une attaque contre le concurrent pour essayer de saisir ces opportunités avec nos solutions. Je ne me sens pas très à l'aise d'utiliser ces informations dont la source peut être de nature à enfreindre le droit de la concurrence et les accords de confidentialité ». Ce signalement ' ou alerte éthique ' dont la date n'est pas mentionnée, précise que l'incident s'est produit dans le service dirigé par le salarié (EMEA) et il ressort des débats ' sur ce point sans contestation ' que le concurrent visé était la société HP, le précédent employeur de M. [Y].
Cette alerte était suffisamment précise pour alimenter de forts soupçons à l'endroit de M. [Y], anciennement salarié d'HP, récemment recruté par Dell en qualité de responsable EMEA. Dès lors que les faits dénoncés étaient susceptibles de caractériser une violation du code de conduite interne à l'entreprise proscrivant le recueil d'informations confidentielles sur les concurrents (cf. article 13 du code de conduite de Dell : « Ne recueillez pas et n'utilisez pas d'informations confidentielles sur les concurrents, en particulier si vous savez qu'elles ont été obtenues de manière incorrecte ou font l'objet d'obligations de confidentialité »), l'enquête interne initiée par l'employeur était justifiée de même que les interrogatoires réalisés dans des conditions dont il n'est pas établi par le salarié qu'elles auraient été vexatoires. Il en est résulté qu'un fichier particulièrement dense appartenant à HP - un « pricing book » - avait effectivement été mis à la disposition des salariés de Dell.
Le salarié sollicite que cette pièce 2 soit écartée des débats motifs pris de ce qu'elle est rédigée en langue anglaise et n'est pas accompagnée d'une traduction.
Or, l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 qui fonde la primauté et l'exclusivité de la langue française devant les juridictions nationales ne conduit pas nécessairement à écarter des débats les documents rédigés en langue anglaise.
Il appartient au juge du fond, dans l'exercice de son pouvoir souverain, d'apprécier les éléments de preuve qui lui sont soumis.
Au cas d'espèce, la pièce 2 litigieuse correspond à un tableau rédigé en langue anglaise qui, certes est dense et non traduit, mais qui est aisément compréhensible tant par le salarié que par la cour.
Dès lors, la demande tendant à voir cette pièce écartée des débats sera rejetée.
Dans le cadre de l'enquête, M. [L] [I], salarié de la société, a été interrogé, notamment le 12 décembre 2018. Il ressort de son entretien que « tout a commencé avec l'arrivée de son nouveau directeur, [R] [Y] (BE) en janvier 2018 » ; que M. [Y] avait avisé les salariés de son équipe qu'ils « recevraient les opportunités de HP d'une manière ou d'une autre » ; que « début juin BE a donné la liste des opportunités HP à [L] via une clé USB et » que « BE l'a envoyée à [L] à partir de son adresse email personnelle sur l'adresse email personnelle d'[L] ».
Si le salarié conteste les faits invoquant un mensonge de M. [I] et si la cour n'a pas été amenée à en apprécier la réalité puisqu'elle a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse pour la seule raison que l'employeur avait procédé à un licenciement verbal, il demeure qu'à la date du 12 décembre 2018 la société disposait d'éléments susceptibles de justifier à l'encontre du salarié une procédure disciplinaire.
La mise à pied du salarié, s'accompagnant nécessairement d'un blocage de ses accès, était ainsi justifiée et ne présentait pas de caractère humiliant. L'annonce faite par l'employeur du licenciement du salarié le 20 décembre 2018 à ses collaborateurs ou collègues ne s'accompagnant d'aucun propos dénigrant, elle n'est pas non plus vexatoire.
Le caractère vexatoire du licenciement n'est en conséquence pas établi de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef de demande.
Sur la perte d'une chance d'obtenir des actions gratuites
Le salarié invoque l'application de l'article L. 1321-6 du code du travail. Il se fonde sur l'annexe à son contrat de travail qui le rend éligible au bénéfice d'actions gratuites ; que ladite annexe prévoit une période d'acquisition des actions sur trois années (33,3 % par an) puis une période de conservation de deux ans ; qu'il disposait ensuite de la faculté de vendre ces actions ; qu'en raison de son licenciement sans cause réelle et sérieuse il subit une perte de chance de bénéficier de son plan d'actions gratuites ; qu'au surplus, ce plan étant rédigé en anglais, les conditions prévoyant les conditions d'acquisition de ces actions sur une période de trois années lui sont inopposables.
L'employeur, après avoir rappelé les conditions d'acquisition des actions gratuites, expose que si le licenciement du salarié devait être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors il conviendrait d'appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue mais ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Il ajoute, à propos de l'anglais, que le salarié maîtrisait parfaitement cette langue de sorte que les clauses relatives au plan d'action lui sont opposables.
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La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue mais ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
A tort, le salarié invoque l'article L. 1321-6 du code du travail qui dispose que « Le règlement intérieur est rédigé en français. Il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères. Il en va de même pour tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail. Ces dispositions ne sont pas applicables aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers. » En effet, les stipulations de son contrat de travail relatives au plan d'action gratuites ne s'analysent pas en un « document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail. » de telle sorte que cette disposition est inapplicable à l'espèce et ne permet pas de faire droit à sa demande tendant à lui déclarer inopposable la clause, rédigée en anglais - sa langue de travail -, qui impose une période d'acquisition sur trois années.
Le salarié produit en pièce 4 un document établissant qu'il était éligible à une « prime d'encouragement à long terme pour les nouveaux employés » prenant la forme d'une attribution d'actions gratuites selon un calendrier d'acquisition de 33,33 % la première année et autant les deuxième et troisième années.
Comme le montrent ses pièces 6 et 7, le salarié a bénéficié du plan d'actions gratuites, le 15 février 2018 pour une valeur de 93 000 dollars et le 15 mars 2018, pour une valeur de 95 375,84 dollars.
Le licenciement ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, le salarié a incontestablement perdu la possibilité de mener à son terme son plan d'actions gratuites dans la mesure où, entré dans la société à 52 ans, il pouvait légitimement espérer y achever sa carrière.
Il convient en conséquence d'indemniser le préjudice qui en résulte, ledit préjudice s'analysant en une perte d'une chance devant être mesurée à la chance perdue sans pouvoir être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Ce préjudice sera intégralement réparé par une indemnité de 82 000 euros.
Sur la demande tendant à la publication du jugement
Cette demande n'étant pas justifiée, il conviendra de confirmer le jugement en ce qu'il en a débouté le salarié.
Sur les intérêts
Les condamnations au paiement de sommes ayant une vocation indemnitaire seront assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Les condamnations au paiement des indemnités de rupture et des rappels de salaire produiront quant à elles intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, soit le 21 mars 2019.
Sur la demande tendant à la capitalisation des intérêts
L'article 1343-2 du code civil (dans sa nouvelle rédaction) dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.
La demande ayant été formée par le salarié et la loi n'imposant aucune condition pour l'accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts.
Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
Il conviendra d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné le salarié à payer à l'employeur une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Statuant à nouveau, l'employeur sera débouté de cette demande.
Au titre des frais engagés en première instance et en cause d'appel, l'employeur sera condamné à payer au salarié une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du caractère vexatoire du licenciement et de sa demande de publication de la décision,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
REJETTE la demande de M. [Y] tendant à écarter des débats la pièce 2 de l'employeur,
DIT sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [Y],
CONDAMNE la société Dell à payer à M. [Y] les sommes suivantes :
. 8 715,19 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied, avec intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2019,
. 8 280,89 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2019,
. 84 932,19 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 8 493,22 euros au titre des congés payés afférents, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2019,
. 56 620 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
. 82 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte d'une chance d'obtenir des actions gratuites, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
ORDONNE le remboursement par la société Dell aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [Y] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage en application de l'article L. 1235-4 du code du travail,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Dell à payer à M. [Y] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Dell aux dépens de première instance et d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Marcinek, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente