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30/03/2023 | FRANCE | N°20/02728

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 30 mars 2023, 20/02728


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 30 MARS 2023



N° RG 20/02728 -

N° Portalis DBV3-V-B7E-UFZ6



AFFAIRE :



[T] [I]



C/



S.A.S. HILTI FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Novembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RAMBOUILLET

N° Section : E

N° RG : F19/00070

>








Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Cécile PROMPSAUD



Me Isabelle REYMANN





le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TRENTE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a r...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 30 MARS 2023

N° RG 20/02728 -

N° Portalis DBV3-V-B7E-UFZ6

AFFAIRE :

[T] [I]

C/

S.A.S. HILTI FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Novembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RAMBOUILLET

N° Section : E

N° RG : F19/00070

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Cécile PROMPSAUD

Me Isabelle REYMANN

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [T] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle REYMANN GLASER de la SELEURL Cabinet Reymann - Glaser, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G523 substitué par Me Jawahir BSAIRI, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A.S. HILTI FRANCE

N° SIRET : 971 204 052

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Cécile PROMPSAUD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 105 et Me Laurence URBANI-SCHWARTZ de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 727

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Domitille GOSSELIN,

Rappel des faits constants

La société Hilti France, dont le siège social est situé à [Localité 4] dans les Hauts-de-Seine, est spécialisée dans la conception, fabrication et commercialisation d'outillage professionnel destiné aux entreprises de bâtiment et de travaux publics. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des commerces de quincaillerie, fournitures industrielles, fers, métaux et équipements de la maison.

M. [I], né le 9 janvier 1980, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée du 6 décembre 2004, en qualité de chef de produit, moyennant un salaire initial fixe mensuel de base de 2 100 euros brut outre une prime mensuelle de performance, une prime annuelle de vacances et une prime d'objectifs. 

En 2009, M. [I] a été promu au poste de chef régional des ventes puis, en juillet 2010, il a été nommé directeur commercial régional Rhône-Alpes.

M. [I] a par la suite intégré le comité de direction et est devenu cadre dirigeant. En décembre 2012, il a été nommé directeur marketing région E2.

Le 23 février 2016, il a signé un contrat de travail avec la société Hilti Emirates.

Le 10 mars 2016, M. [I] a démissionné de la société Hilti France.

Le 18 avril 2019, M. [I] a été licencié par la société Hilti Emirates.

Revendiquant sa réintégration au sein de la société Hilti France, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Rambouillet en nullité de sa démission qu'il allègue avoir été obtenue par fraude, par requête reçue au greffe le 17 mai 2019.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 9 novembre 2020, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Rambouillet a :

- dit que M. [I] était irrecevable dans ses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail comme de celles relatives à l'exécution, prescrites depuis le 31 mars 2018,

- débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Hilti France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [I] aux entiers dépens en ce compris les éventuels frais d'exécution.

M. [I] avait formulé les demandes suivantes :

- constater que son action n'est pas prescrite,

- fixer la moyenne de ses salaires à 13 190 euros brut (base des douze derniers mois précédant le départ en mobilité internationale),

- dire et juger aux visas des articles L. 1222-1 du code du travail et 1104 du code civil que le contrat de travail de M. [I] a été exécuté déloyalement,

- dire et juger que la société Hilti France a manqué à son obligation de le réintégrer dans ses effectifs à l'issue de la période de mobilité internationale,

- dire et juger aux visas des articles 1130 et 1137 du code civil que son consentement a été vicié lorsqu'il a donné sa démission,

- prononcer l'annulation de sa démission,

- constater la collusion frauduleuse des sociétés Hilti France, Hilti Corporate et Hilti Emirates pour procéder à son licenciement,

- constater la violation des règles de mobilité internationale édictées par la société Hilti Corporation,

- constater qu'il a été privé du régime de retraite supplémentaire en violation des dispositions des articles 1104, 1194 et l231-1 du code civil,

- constater qu'il a été privé du régime d'assurance chômage en violation des dispositions de 1'article L. 5422-13 du code du travail,

par conséquent,

- condamner la société Hilti France au paiement de la somme de 52 762 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat,

- condamner la société Hilti France au versement d'une somme de 158 000 euros en réparation de la violation de son obligation de le réintégrer dans ses effectifs à l'issue de sa mobilité internationale,

- condamner la société Hilti France au versement de la somme de 90 929,00 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut d'information sur le régime l'assurance chômage,

- dire que les intérêts au taux légal seront dus à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour l'ensemble des condamnations prononcées,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la société Hilti France à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- assortir l'intégralité des condamnations prononcées du bénéfice de l'exécution provisoire conformément à l'article 515 du code de procédure civile,

- condamner la société Hilti France au paiement des entiers dépens en ce compris les éventuels frais d'exécution.

La société Hilti France avait, quant à elle, conclu au débouté du salarié et avait sollicité la condamnation de celui-ci à lui verser une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure d'appel

M. [I] a interjeté appel du jugement par déclaration du 1er décembre 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/02728.

Par ordonnance rendue le 25 janvier 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 2 février 2023.

Prétentions de M. [I], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 12 février 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [I] demande à la cour d'appel de :

- dire que ses demandes ne sont pas prescrites,

- dire que ses demandes sont bien fondées,

- déclarer recevables l'ensemble des pièces versées au débat ayant fait l'objet d'une traduction complète ou partielle en français et notamment la pièce 30, et acter du retrait du dossier des pièces 31 et 37,

- constater l'exécution déloyale du contrat de travail par la société Hilti France aux visas de l'article L. 1222-1 du code du travail et de l'article 1104 du code civil,

- constater que la société Hilti France a frauduleusement surpris son consentement pour obtenir sa démission,

- constater la collusion frauduleuse des sociétés Hilti France et Hilti Emirates pour procéder à son licenciement,

- constater que la société Hilti France a manqué à son obligation de le réintégrer dans ses effectifs à l'issue de la période de mobilité internationale,

et statuant à nouveau,

- fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 13 190 euros bruts mensuels (base moyenne des 12 mois précédant la prise d'effet de sa mobilité internationale),

- condamner la société Hilti France au paiement de 52 762 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- prononcer l'annulation de sa démission,

- condamner la société Hilti France au paiement de la somme de 158 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de son obligation de le réintégrer dans ses effectifs à l'issue de sa mobilité internationale,

- condamner la société Hilti France à régler la somme de 90 929 euros à titre de dommages- intérêts pour manque à gagner au titre du contrat de retraite supplémentaire aux visas des articles 1104, 1194 et 1231-1 du code civil,

- condamner la société Hilti France à lui verser 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- assortir les condamnations du bénéfice de l'intérêt légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes sur les condamnations à intervenir,

- prononcer l'anatocisme,

- condamner la société Hilti France aux entiers dépens d'instance en ce compris les éventuels frais d'exécution à intervenir.

Prétentions de la société Hilti France, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 28 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Hilti France demande à la cour d'appel de :

à titre principal,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

. dit que M. [I] est irrecevable dans ses demandes, relatives à la rupture de son contrat de travail comme à l'exécution, prescrites depuis le 31 mars 2018,

. débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes,

- constater en conséquence l'acquisition de la prescription s'agissant de l'ensemble des demandes de M. [I], relatives tant à l'exécution du contrat qu'à la rupture du contrat, depuis le 31 mars 2016,

- en conséquence, déclarer M. [I] irrecevable dans l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- à titre liminaire, déclarer les pièces n°30, 31 (retirée des débats), 34 et 37 (retirée des débats) irrecevables et les écarter des débats,

- rejeter l'intégralité des demandes de M. [I],

- constater que la démission donnée par M. [I] était parfaitement éclairée et valable, et dénuée de tout vice du consentement,

- en conséquence, rejeter la demande d'annulation de la démission de M. [I],

- débouter M. [I] de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 158 000 euros au titre d'une prétendue violation de l'obligation de le réintégrer dans les effectifs de la société,

- constater l'absence de tout manquement de sa part au titre de l'exécution du contrat de travail,

- débouter M. [I] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement dans l'exécution du contrat de travail,

- débouter M. [I] de sa demande de dommages-intérêts pour manque à gagner au titre d'un contrat de retraite supplémentaire,

- débouter M. [I] de sa demande d'intérêts au taux légal avec capitalisation,

en tout état de cause,

- débouter M. [I] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et tendant à voir condamner la société Hilti France aux dépens,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- condamner M. [I] au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- condamner M. [I] aux entiers dépens.

MOTIFS DE L'ARRÊT

La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [I], portant sur l'ensemble des demandes du salarié, tant au titre de l'exécution du contrat de travail, qu'au titre de sa rupture, doit être examinée avant toute autre demande, dans la mesure où elle tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable sans examen au fond, conformément aux dispositions de l'article 122 du code de procédure civile.

Pour autant, l'examen de cette demande suppose d'aborder la question de la validité de la démission contestée et donc la fraude qu'impute le salarié à son employeur à ce sujet puisqu'il est soutenu que de cette question de fond dépend la prescription ou non de l'action.

M. [I] expose en effet, aux termes de ses conclusions, que fin 2015, une mobilité internationale lui a été proposée au sein du groupe Hilti, que son choix s'est porté sur [Localité 5] ; que sa mobilité internationale a été gérée par la société mère Hilti Corporation pour lui permettre de rejoindre la société Hilti Emirates LLC ; qu'il a signé une convention de mobilité internationale le 7 janvier 2016 avec la société Hilti Corporation, laquelle devait prendre fin le 31 mars 2019 ; qu'il a également signé le 23 février 2016 un contrat de droit local avec la société Hilti Emirates LLC ; que juste avant son départ, le 10 mars 2016, M. [U], DRH de la société Hilti France, lui a subitement demandé de lui remettre une lettre de démission pour régulariser la procédure d'obtention de permis de travail et de séjour à [Localité 5], ce qu'il a fait ; qu'il a ainsi pris ses nouvelles fonctions au sein de la société Hilti Emirates le 1er avril 2016.

Il ajoute que le 31 janvier 2019 soit trois mois avant la fin de la convention de mobilité internationale, la société Hilti Emirates lui a proposé un nouveau contrat de travail de droit local sans reprise d'ancienneté ; qu'il a fait part de sa surprise car il pensait réintégrer automatiquement Hilti France à la fin de sa mission à [Localité 5] ; qu'il a alors interrogé M. [U] qui lui a répondu que la société Hilti France n'était plus son employeur.

La société Hilti France conteste cette version des faits et expose, de son côté, que le 7 janvier 2016, M. [I], dont le projet était de poursuivre sa carrière professionnelle à [Localité 5], a signé un « International Assignment Aggreement, IAA » en vue de rejoindre la société Hilti Emirates ; qu'elle n'était pas à l'initiative de ce départ, ni partie prenante aux discussions avec la société Hilti Emirates, ni partie à la convention ; que M. [I] a négocié, dans le cadre de ses discussions avec la société Hilti Emirates, une reprise partielle d'ancienneté et de grade ; que cette nouvelle orientation professionnelle a été largement facilitée par le fait que le salarié a sollicité une société du groupe mais qu'elle ne s'est absolument pas inscrite dans le cadre d'une expatriation ; qu'il était clair que les relations de travail avec elle ne perdureraient pas ; qu'aucun avenant contractuel, qu'aucune convention visant à organiser un départ à ce titre n'a été conclu avec elle ; qu'au contraire, M. [I] a présenté sa démission dans des termes clairs et non équivoques ; qu'il a d'ailleurs demandé que lui soit remis son solde de tout compte ; que dans ce cadre, les relations de travail entre les parties ont définitivement pris fin le 31 mars 2016.

Elle précise que, contre toute attente le 18 février 2019, soit presque trois ans après sa démission, M. [I] a pris attache avec M. [U], DRH d'Hilti France, pour se prévaloir d'une mobilité au sein du groupe, affirmant que le contrat français n'avait jamais été rompu et devait reprendre effet, que M. [U] lui a répondu qu'il avait de son plein gré mis fin à son contrat de travail chez Hilti le 31 mars 2016, et qu'il n'existait depuis lors plus aucun lien contractuel ; que M. [I] avait fait le choix personnel et délibéré de s'expatrier à [Localité 5], sans que de son côté, elle ait pris l'engagement de lui garantir sa réintégration au terme d'un « détachement ».

Sur la prescription des demandes

Il convient à ce sujet de distinguer les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail de celles relatives à la rupture du contrat de travail, lesquelles ne relèvent pas des mêmes règles de prescription.

Constituent en l'espèce des demandes relatives à l'exécution du contrat de travail les demandes suivantes :

- condamner la société Hilti France au paiement de 52 762 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- condamner la société Hilti France à régler la somme de 90 929 euros à titre de dommages- intérêts pour manque à gagner au titre du contrat de retraite supplémentaire aux visas des articles 1104, 1194 et 1231-1 du code civil.

Constituent au contraire des demandes relatives à la rupture du contrat de travail les demandes suivantes :

- prononcer l'annulation de sa démission,

- condamner la société Hilti France au paiement de la somme de 158 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de son obligation de le réintégrer dans ses effectifs à l'issue de sa mobilité internationale.

Il est rappelé qu'en application des dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue le l'ordonnance n° 2017-1387 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, « Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ».

L'ordonnance précise que les nouveaux délais s'appliquent immédiatement aux prescriptions en cours à compter de sa date de publication, soit le 23 septembre 2017, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Les parties s'accordent ici, pour les besoins du raisonnement, à faire courir le délai à compter de la date d'effet de la démission de M. [I], soit à compter du 31 mars 2016. La cour constate qu'en toute hypothèse, la notification de la rupture est intervenue le 10 mars 2016, soit plus tôt, confortant de plus fort la démonstration.

S'agissant des demandes portant sur la rupture du contrat de travail, le délai de prescription antérieur, de deux ans, expirait donc le 31 mars 2018, tandis que le nouveau délai d'un an expirait, compte tenu de l'application des dispositions transitoires, le 23 septembre 2018, ce qui conduirait toutefois à allonger le délai de prescription au delà des deux ans prévus par l'ancienne loi. Il sera en conséquence retenu le 31 mars 2018 comme date butoir.

S'agissant des demandes portant sur l'exécution du contrat de travail, le délai de prescription antérieur, de deux ans, expirait le 31 mars 2018, tandis que le nouveau délai de prescription de deux ans également expirait, compte tenu de l'application des dispositions transitoires, le 23 septembre 2019, allongeant ainsi le délai de prescription au delà des deux ans prévus par l'ancienne loi. Il sera retenu le 31 mars 2018 comme date butoir.

Il est constant que M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Rambouillet le 17 mai 2019, soit postérieurement à la date d'acquisition de la prescription.

Pour échapper à cette prescription, M. [I] oppose, en premier lieu, que sa démission a été obtenue par fraude, ce qui a pour effet de reporter le point de départ de la prescription au jour où celui qui l'invoque en a eu connaissance.

Il sera ici rappelé que l'article L. 1471-1 du code du travail prévoit un point de départ fixe et non flottant, s'agissant des actions portant sur la rupture du contrat de travail, en ces termes : « Toute action qui porte sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ».

Par ailleurs, M. [I], qui prétend qu'il a été trompé par son employeur sur la portée de sa démission pour entretenir une illusion de réintégration, ne rapporte pas la preuve de cet allégation.

En effet, il ne ressort pas de la convention « International Assignment Aggreement, IAA » ou convention de mobilité internationale du 7 janvier 2016 (pièce 7 du salarié), au demeurant rédigée en anglais et produite sans traduction en français, un quelconque engagement de réintégration de la part de la société Hilti Corporation, a fortiori de la société Hilti France, qui n'est pas partie à la convention et qui n'est pas la société mère au sein du groupe Hilti.

Par ailleurs, M. [I] ne rapporte pas la preuve que le contrat de travail qui le liait à la société Hilti France n'a pas été rompu. Les documents de fin de contrat de travail remis lors du départ de M. [I] sont sans équivoque à cet égard et font état de la fin définitive des relations contractuelles au 31 mars 2016.

Il ne démontre pas davantage que la société Hilti France aurait tenté de maintenir une ambiguïté en ce sens.

A cet égard, la lettre de démission de M. [I] du 10 mars 2016 s'inscrit parfaitement dans le contexte tel qu'il est décrit par la société Hilti France.

Le salarié y énonce :

« à l'attention de M. [U], DRH, Hilti France.

Monsieur,

Dans le cadre de ma mutation au sein d'Hilti Emirates, je vous présente ma démission au poste de responsable marketing E2 au sein d'Hilti France.

Mon départ effectif est conditionné à l'obtention de mon visa de travail aux Emirats qui devrait être disponible entre le 25 mars et le 30 avril 2016.

La fin de mon contrat sera donc effective le jeudi 31 mars 2016. A cette date, je vous demanderai de bien vouloir me remettre le solde de tout compte.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, mes respectueuses salutations. » (pièce 14 du salarié).

M. [I] fait certes valoir que c'est M. [U], DRH, qui a sollicité la régularisation d'une lettre de démission sans que ne soit portée à sa connaissance les conséquences de cette démarche.

M. [U] lui a en effet écrit le 10 mars 2016 en ces termes : « [T], Dans le cadre de ton départ, j'ai besoin que tu me remettes une lettre de démission, en date du 31 mars car je crois que ton contrat à [Localité 5] commence le 1er avril. Est-ce que tu pourrais me la remettre avant la fin de cette semaine ou lundi matin quand on se voit ' Bien à toi » (pièce 17 de la société).

Les termes de ce courriel sont exclusifs de toutes pressions ou man'uvres dolosives d'autant plus que M. [I] a disposé d'un délai de réflexion de trois semaines pour en apprécier les conséquences.

Comme le souligne l'employeur de surcroît, M. [I], au regard de son grade, de l'importance de ses fonctions et de ses responsabilités, qui avait le statut de cadre dirigeant et siégeait au comité de direction, ne peut sérieusement soutenir ignorer la portée de sa lettre.

M. [I] s'appuie précisément sur un arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2016 (n° 15-16.994) pour prétendre que la fraude a pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où celui qui l'invoque en a eu connaissance.

Cette décision ne peut cependant pas être transposée au cas d'espèce. D'une part, il y est retenu que si la fraude peut conduire à écarter un délai de prescription, c'est à la condition que celle-ci ait eu pour finalité de permettre l'accomplissement de la prescription, ce qui n'est pas allégué en l'espèce. D'autre part, il convient de rappeler que le point de départ de la prescription concernant les demandes relatives à la rupture est dorénavant un point de départ fixe, soit la notification de la rupture. En tout état de cause, M. [I] ne justifie d'aucune man'uvre frauduleuse de la part de son employeur.

Également, pour échapper à la prescription qui lui est opposée, M. [I] invoque la violation de son droit fondamental d'ester en justice. Il n'explicite cependant pas davantage sa prétention.

Il est constant que ce droit peut s'épuiser par l'inaction prolongée de son titulaire par le mécanisme de la prescription de sorte qu'en l'absence de circonstances précises alléguées à l'appui de ce moyen, celui-ci doit être écarté.

En définitive, l'ensemble des demandes formulées par M. [I], tant au titre de l'exécution du contrat de travail que de sa rupture, apparaissent prescrites.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce que les demandes de M. [I] ont été déclarées irrecevables. Il sera toutefois infirmé en ce que le salarié a été débouté de ses demandes, puisque celles-ci, déclarées irrecevables, ne pouvaient faire l'objet d'un examen au fond et donc d'un débouté.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance, lequel a condamné le salarié aux entiers dépens et a débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles, sera confirmé de ces chefs.

M. [I], qui succombe dans ses prétentions en cause d'appel, supportera les dépens d'appel tels que définis par les dispositions de l'article 695 du code de procédure civile et il sera en outre condamné à payer à la société Hilti France une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 500 euros.

M. [I] sera débouté de sa demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Rambouillet le 9 novembre 2020, excepté en ce qu'il a débouté M. [T] [I] de l'ensemble de ses demandes,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [T] [I] aux entiers dépens,

CONDAMNE M. [T] [I] à payer à la SASU Hilti France une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. [T] [I] de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 20/02728
Date de la décision : 30/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-30;20.02728 ?
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