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29/03/2023 | FRANCE | N°21/03137

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 29 mars 2023, 21/03137


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 MARS 2023



N° RG 21/03137



N° Portalis DBV3-V-B7F-UZUG



AFFAIRE :



[K] [E]



C/



S.A.S. CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : E

° RG : 18/03049



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL BERNARD - VIDECOQ



la SELEURL MONTECRISTO







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 MARS 2023

N° RG 21/03137

N° Portalis DBV3-V-B7F-UZUG

AFFAIRE :

[K] [E]

C/

S.A.S. CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 18/03049

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL BERNARD - VIDECOQ

la SELEURL MONTECRISTO

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [K] [E]

né le 26 Octobre 1953 à [Localité 5] (Allemagne)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Savine BERNARD de la SELARL BERNARD - VIDECOQ, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0138

APPELANT

****************

S.A.S. CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES

N° SIRET : 479 76 6 8 42

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J153 substité par Me Fanny DE COMBAUD, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

M. [K] [E] (né en 1953) a été embauché selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 juin 2004 en qualité de 'administrateur fonctionnel' par la société Euriware.

À compter du 1er juillet 2015, le contrat de travail de M. [E] a été transféré par l'effet des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail à la société Sogeti High Tech puis, à compter du 1er janvier 2016, à la société Capgemini Technology Services.

Du 12 mai au 27 août 2017, M. [E] a été placé en arrêt de travail pour maladie.

À compter du 17 octobre 2018, M. [E] a, de nouveau, été placé en arrêt de travail pour maladie.

Le 20 novembre 2018, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Capgemini Technology Services produisant les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de cette dernière à lui payer diverses sommes.

Par lettre du 29 janvier 2020, M. [E] a fait valoir ses droits à la retraite auprès de la société Capgemini Technology Services en lui imputant un harcèlement moral.

Par un jugement du 23 septembre 2021, le conseil de prud'hommes (section encadrement) a :

- débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit que la prise d'acte de M. [E] produit les effets d'une démission pour départ à la retraite ;

- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis les dépens à la charge de M. [E].

Le 22 octobre 2021, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions du 23 janvier 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. [E] demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué sur le débouté de ses demandes et les dépens, et, statuant à nouveau, de :

- dire que la 'prise d'acte de retraite' du 29 janvier 2020 produit les effets d'un licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Capgemini Technology Services à lui payer les sommes suivantes :

* 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des obligations découlant des articles L. 4121-1 et L. 1152-1 du code du travail ;

* 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

* 17 024 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 702,40 euros au titre des congés payés afférents ;

* 29 791 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 132 144 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner à la société Capgemini Technology Services de lui remettre une attestation pour Pôle emploi, des bulletins de salaire et un certificat de travail conformes à l'arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document en se réservant le droit de liquider ;

- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts.

Aux termes de ses conclusions du 21 mars 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société Capgemini Technology Services demande à la cour de :

- confirmer le jugement ;

- débouter M. [E] de ses demandes ;

- condamner M. [E] lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 24 janvier 2023.

SUR CE :

Sur dommages-intérêts pour harcèlement moral et non-respect de l'obligation de prévention des risques :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral dans la rédaction applicable au litige (pour les faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016) ou présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement (pour les faits postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi sus-mentionnée), et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Qu'en l'espèce, s'agissant du grief de défaut de fourniture de travail d'août 2015 à décembre 2015, M. [E] se borne à procéder par allégation ;

Que s'agissant du grief de défaut de fourniture de travail de janvier à novembre 2016, il ressort de l'évaluation professionnelle pour l'année 2016 que M. [E] a été placé en position d'inter-contrat pour cette période et n'a donc reçu aucune tâche à accomplir, à l'exception de formations professionnelles de juillet à la mi-septembre 2016 ; que le défaut de fourniture de travail pendant une longue période est établi ;

Que s'agissant du suivi d'une formation inadaptée à sa qualification en juin 2016, ce fait est établi par le commentaire mentionné par son supérieur hiérarchique dans l'évaluation professionnelle afférente ;

Que s'agissant du grief tiré d'une affectation à compter de décembre 2016 à des tâches pour lesquelles il était surqualifié et qui ne correspondaient pas à sa qualification, M. [E] se borne à verser aux débats les curriculum-vitae de jeunes salariés de la société Capgemini Technology Services 'avec lesquels il travaillait', qui n'apportent aucun élément sur les tâches qu'il accomplissait personnellement, ainsi que des documents informatiques abscons, lesquels sont insuffisants à démontrer la réalité de ces faits ;

Que s'agissant du grief tiré de ce que des alertes relatives à sa situation professionnelle formulées en novembre 2016 et en 2017 et 2018 sont restées sans réponse, les pièces versées aux débats démontrent seulement que M. [E] a cherché à engager des discussions relatives à une rupture conventionnelle du contrat de travail avec l'employeur ;

Que s'agissant du grief tiré de l'envoi d'un courriel agressif au retour d'un arrêt de travail pour maladie en septembre 2017 par la direction des ressources humaines, le courriel en question, rédigé en des termes courtois, rappelle seulement au salarié l'existence de discussions relatives à une rupture conventionnelle du contrat de travail ;

Que s'agissant de la détérioration de l'état de santé, les pièces médicales versées aux débats soit ne font aucun lien entre cet état de santé et les conditions de travail dans l'entreprise, soit se bornent à reprendre les dires de M. [E] quant à l'existence d'un tel lien, soit font abusivement état d'un tel lien en l'absence de toute constatation personnelle du praticien quant aux conditions de travail de M. [E] au sein de la société Capgemini Technology Services ;

Qu'en conséquence, deux griefs tirés du défaut de fourniture de travail pendant onze mois et d'inscription à une formation professionnelle inadaptée sont établis et présentés par le salarié ; que ces faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et sont des éléments laissant supposer l'existence d'un tel harcèlement ;

Que la société Capgemini Technology Services n'apporte pas de justification au défaut de fourniture de travail notamment quant au fait que la seule proposition de mission qu'elle a faite en octobre 2016 n'a pas abouti et qu'aucune autre proposition n'a été émise ; qu'aucun élément ne vient non plus justifier le suivi d'une formation inutile en juin 2016 ; qu'elle n'établit donc pas que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Que la réalité d'un harcèlement moral sur cette période de janvier à novembre 2016 est donc établie ;

Que s'agissant du préjudice, il ressort toutefois des débats que M. [E] a été payé pendant l'ensemble de la période en cause et ne démontre l'existence d'aucune plainte de sa part formulée à l'époque sur sa situation ; que par ailleurs, ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, aucun élément ne démontre que la dégradation de son état de santé a une origine professionnelle ;

Que le préjudice moral résultant de ce harcèlement moral sera ainsi réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros, étant précisé que, s'agissant de la demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de prévention du harcèlement, en tout état de cause, M. [E], qui fait masse de ses demandes, n'invoque aucun préjudice spécifique à ce titre ;

Que le jugement sera donc infirmé sur ce chef ;

Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

Considérant que M. [E] invoque à ce titre les mêmes faits que ceux évoqués ci-dessus au titre du harcèlement moral ; qu'il n'établit ni même n'allègue l'existence d'un préjudice à ce titre; qu'il y a donc lieu de le débouter de sa demande de dommages-intérêts ; que le jugement sera confirmé sur ce chef ;

Sur la requalification du départ à la retraite en prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

Considérant que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou, le cas échéant nul, si les faits invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail ou, dans le cas contraire, d'un départ volontaire à la retraite ;

Qu'en l'espèce, il ressort des débats que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le harcèlement moral n'est établi que pour la période de janvier à novembre 2016 et aucun manquement postérieur n'est établi ;

Qu'il s'ensuit que M. [E] ne justifie à la date de son départ à la retraite équivalent à une prise d'acte, intervenu le 29 janvier 2020, soit plus de trois années après, d'aucun manquement empêchant la poursuite du contrat de travail ;

Qu'il y a donc lieu de débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes d'indemnités de rupture subséquentes ;

Que le jugement sera confirmé sur ces points ;

Sur la remise de documents sociaux sous astreinte :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu de débouter M. [E] de ces demandes ; que le jugement sera confirmé à ce titre ;

Sur les intérêts légaux et la capitalisation :

Considérant qu'il y a lieu de rappeler que la créance de dommages-intérêts allouée ci-dessus porte intérêts légaux à compter du présent arrêt ;

Qu'en outre la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Que le jugement sera infirmé sur ces chefs ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ; que la société Capgemini Technology Services sera condamnée à payer à M. [E] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il statue sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, les intérêts légaux et la capitalisation, l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Capgemini Technology Services à payer à M. [K] [E] une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant d'un harcèlement moral, avec intérêts légaux à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts légaux dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Condamne la société Capgemini Technology Services à payer à M. [K] [E] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Capgemini Technology Services aux dépens de première instance et d'appel,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03137
Date de la décision : 29/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-29;21.03137 ?
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