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29/03/2023 | FRANCE | N°21/01117

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 29 mars 2023, 21/01117


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 MARS 2023



N° RG 21/01117

N° Portalis DBV3-V-B7F-UODA



AFFAIRE :



[V] [Z]



C/



Société ESIL









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 9 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

Section : C

N° RG : F19/00110



Copies e

xécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Stéphanie TERIITEHAU



Me Martine DUPUIS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 MARS 2023

N° RG 21/01117

N° Portalis DBV3-V-B7F-UODA

AFFAIRE :

[V] [Z]

C/

Société ESIL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 9 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

Section : C

N° RG : F19/00110

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Stéphanie TERIITEHAU

Me Martine DUPUIS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [V] [Z]

né le 22 juillet 1986 à [Localité 7] (Yvelines)

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Guy ALFOSEA de la SCP LA GARANDERIE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0487 et Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire: 619

APPELANT

****************

Société ESIL

N° SIRET: 479 488 454

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Elvis LEFEVRE, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 076

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [Z] a créé une auto-entreprise le 15 juillet 2017 spécialisée dans l'animation musicale d'événements, ainsi que dans les domaines de l'éclairage, la sonorisation et la mise en scène en lien avec cette animation.

A compter du mois d'août 2017, M. [Z] a animé des événements pour des clients de la société ESIL.

Cette société est spécialisée dans l'achat, la vente, la distribution, la commercialisation, la location, l'import-export de tous matériels de sonorisation et la prestation de services liés à l'animation et à la sonorisation. M. [U] en est le gérant et le seul salarié du magasin situé à [Localité 8] (78).

Les relations commerciales entre M. [Z] et M. [U] se sont poursuivies régulièrement.

Le 8 avril 2019, M. [U] a déposé plainte à l'encontre de M. [Z] pour abus de confiance et dégradation ou détérioration de bien appartenant à autrui, et l'affaire a été classée sans suite le 15 novembre 2019.

Le 28 juin 2019, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie afin de voir reconnaître l'existence d'un contrat de travail avec la société Esil, dire qu'il a été licencié dans des conditions vexatoires, et obtenir la restitution de plusieurs biens et le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 9 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie (section commerce) a :

- débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société ESIL en ses demandes reconventionnelles,

- dit que M. [Z] supportera les entiers dépens qui comprendront les éventuels frais d'exécution.

Par déclaration adressée au greffe le 13 avril 2021, M. [Z] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 3 janvier 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [Z] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en qu'il a : . débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, . dit que M. [Z] supportera les entiers dépens qui comprendront les éventuels frais d'exécution,

en conséquence et statuant à nouveau,

- juger qu'il était lié par un contrat de travail oral, à temps plein et à durée indéterminée avec la société ESIL,

- dire et juger que la société ESIL a commis l'infraction de travail dissimulé,

- fixer l'horaire mensuel de travail à 151,67 heures,

- juger qu'il avait le statut de cadre niveau I,

- fixer son salaire de référence à la somme de 2 002,34 euros bruts mensuels en application de l'avenant n°46 du 16 février 2017 à la convention collective nationale des commerces et services de l'audiovisuel, de l'électronique et de l'équipement ménager,

- déclarer le licenciement irrégulier en la forme,

- dire et juger que le licenciement est intervenu brutalement, dans des conditions vexatoires, et qu'il a été accompagné par des actes de dénigrements et des menaces,

- dire et juger qu'il établit son droit de propriété sur les biens dont il demande la restitution à la société ESIL,

en conséquence,

- condamner la société ESIL au paiement de la somme de 13 918,08 euros bruts à titre de rappel de salaire et d'indemnité de préavis pour la période courant de mai 2018 au 23 février 2019,

- condamner la société ESIL au paiement de la somme de 1 391,81 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- condamner la société ESIL au paiement de la somme de 500,58 euros à titre d'indemnité légale de licenciement (2 002,34 euros/4),

- condamner la société ESIL au paiement de la somme de 2 002,34 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier,

- condamner la société ESIL au paiement de la somme de 12 014,04 euros bruts à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- condamner la société ESIL au paiement des charges sociales sur les salaires rappelés,

- condamner la société ESIL à la remise des bulletins de paie afférents et aux documents relatifs à la rupture de son contrat de travail (certificat de travail, attestation pôle emploi, '),

- condamner la société ESIL au paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral né des conditions brutales et vexatoires du licenciement, ainsi que des actes de dénigrements et des menaces qui l'ont accompagné,

- condamner la société ESIL à lui remettre les bulletins paies correspondant à la période d'emploi et les documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du prononcé de la décision à intervenir,

- ordonner à la société ESIL de lui remettre les matériels suivants :

. 1 logiciel Light DVC4 Gold ' Réf. : DASDVC4 gold,

. 1 logiciel Light DVC3 512 Réf. : DASDVC3512,

. 1 mallette de rangement aluminium 32 cm ' Réf. : 3663602904939,

. 3 Party PAR 541 ' Réf. : BOOPARTYPAR 541,

. 4 supports rechargement Talkie-walkie Decathlon Forclaz ' Réf. : 8335339,

. 1 chaise de bureau,

. 2 chaises Ikea blanches,

. 1 lampe de chevet Inspire Motea ' Réf. : 80176549,

. 1 chauffage d'appoint soufflant,

. 2 enrouleurs de câble électrique ménager long. 10 m ' Réf. : 66520881,

- condamner la société ESIL au paiement de la somme de 3 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société ESIL aux dépens dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau agissant par Me Stéphanie Teriitehau avocat et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,

- débouter la société ESIL de sa demande visant à le condamner à verser à la société ESIL la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société ESIL de sa demande visant à le condamner aux entiers dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés directement par la SELARL Lexavoué, agissant par Me Martine Dupuis, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société ESIL demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Mante la Jolie en ce qu'il débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [Z] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [Z] aux entiers dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés directement par la SELARL Lexavoué, agissant par Me Martine Dupuis, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'existence d'un contrat de travail

M. [Z] expose que M. [U] a développé un projet de restaurant à [Localité 6] (37) à compter d'avril 2018, ce qui l'a éloigné de son entreprise et que M. [U] l'a alors sollicité plus fréquemment en qualité de prestataire puis qu'il est devenu son collaborateur exclusif . Il précise que la relation professionnelle a changé de nature au point qu'il s'est trouvé placé en état de subordination et de dépendance économique, caractéristique d'une relation salariale avec la société ESIL.

Il ajoute qu'un projet d'association, suivi d'un rachat de parts sociales, a été envisagé mais que M. [U] lui a reproché un acte de détournement de clientèle le 23 février 2019 et a mis fin à la relation commerciale, et ce peu de temps avant le placement de son restaurant en liquidation judiciaire.

La société ESIL réplique qu'il a été convenu que M. [Z] l'aiderait à gérer le départ et le retour des locations de matériel le temps de son absence pour raisons familiales pendant environ six mois mais qu'il a été alerté par l'expert comptable de graves anomalies dans l'édition de factures et les règlements correspondants. Elle indique avoir demandé en février 2019 des explication à M. [Z], qui a pris ombrage de cette demande et n'est plus revenu. La société ESIL considère que les relations d'affaires les unissant auparavant n'étaient que commerciales et non salariées, contestant tout caractère exclusif de leur collaboration et toute dépendance économique de M. [Z].

* *

Aux termes de l'article L.8221-6-1 du code du travail, est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d'ordre.

Il résulte de l'article L. 8221-6 du code du travail que les personnes physiques, dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation aux registres que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail . L' existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution. (Soc., 25 janvier 2023, pourvoi n° 21-11.273)

Au cas présent, pour établir, en l'absence de contrat de travail, l'existence d'une relation de travail alléguée du 1er mai 2018 au 23 février 2019 avec la société ESIL, M. [Z] produit :

- des SMS échangés avec M. [U] de juillet 2017 à janvier 2018 dont il ressort que ce dernier a proposé à M. [Z] d'animer des soirées et autres événements pour des amis ou des clients ou de 'dépanner des clients' dont les installations de sonorisation ne fonctionnent pas, lui indiquant ensuite de venir chercher ' l'argent' des prestations effectuées,

- de nombreux SMS, plusieurs par mois, échangés avec M. [U] à compter du 1er mai 2018 jusqu'en février 2019 dont il ressort que la terminologie employée s'est modifiée, M. [U] ne demandant plus au salarié ' s'il peut' mais lui donnant des consignes précises, sollicitant des informations sur des devis en cours, et même l'encourageant dans ces fonctions (" Bonjour merci pour l'information et bravo il me semble que tu commence à prendre la confiance c'est bien. Bonne journée. " [sic]).

A compter de mai 2018, M. [Z] interroge également M. [U] à plusieurs reprises pour lui demander de prendre position sur une proposition de prestation pour un client de la société ESIL.

M. [U] demande enfin à trois reprises à M. [Z] de lui adresser un compte rendu des prestations effectuées, notamment les 05 septembre 2018: ' Bonjour [V], j'aimerais que tu me laisse des informations sur les prestations effectuées car je n'est plus aucun retour sur comment c'est passé la ou les prestations, je souhaite également être averti de chaque devis envoyé afin de te le valider, et le nombre de location par semaines ... mais reprenons les bonnes habitudes, je veut comme un rapport chaque fin de semaine envoyer par mail. Je te remercie. [N].' et 12 février 2019 : ' Bonjour [V], pourrais-tu me faire parvenir la liste des prestations effectuées en janvier et février. Pour celles de décembre, je vois pas le règlement de certaines (...). Tu note sur une feuille et tu m'envoie la photo merci.'.(sic)

- plusieurs courriels adressées à des clients sur toute la période litigieuse avec l'usage de l'adresse ' [Courriel 5]' signés par M. [Z] en qualité de directeur technique ou directeur associé de la société ESIL pour des prestations de location de matériel dont M. [Z] a suivi la commande, M. [U] n'ayant pas contesté l'usage de ces intitulés par M. [Z] puisqu'il avait accès aux messages comme il ressort des SMS produits comprenant des copies de courriels échangées entre les parties,

- la mention du numéro de téléphone portable de M. [Z] sur le site internet de la société qui précise notamment les horaires d'ouverture de la boutique en semaine et le samedi,

- un extrait du site internet 'entreprises.figaro' dont il ressort que M. [U] est directeur général de la SAS l'Evidence, restaurant, immatriculé le 10 avril 2018 et situé à [Localité 6], la société ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Chateauroux le 13 avril 2019,

- le témoignage de M. [R] le 15 mars 2019, chef d'entreprise, qui relate ' avoir travaillé avec [V] à travers la société ESIL , j'avais trouvé qu'il était très professionnel dans son travail et très efficace dans la façon de gérer les opérations',

- les factures émises par M. [Z] à la société ESIL de 'prestations DJ et installation de lumières' et factures de 'prestation de DJ et gestion boutique' pour les sommes de 5 300 euros au titre des prestations de DJ, et de 10 110 euros au titre de la gestion de la boutique entre le mois de mai 2018 et janvier 2019, soit la somme totale de 15 410 euros.

Il ressort du tableau suivant que la société ESIL relève à tort le caractère irrégulier et fluctuant des prestations et de la facturation ci-après détaillées:

Prestations DJ et

évenementiel

gestion de la boutique

mai 2018

650 €

1 010 €

juin 2018

700 €

1 300€

juillet 2018

700 €

1 300€

août 2018

septembre 2018

1 300€

octobre 2018

750 €

1 300€

novembre 2018

1 300€

décembre 2018

1 000€

1 300€

janvier 2019

1 500€

1 300€

Par ailleurs, M. [U], le gérant de la société ESIL, indique lui-même dans la plainte du 08 avril 2019 qu'il ' avait pris' M. [Z] pour ' le départ et le retour des locations le temps de mon absence.'.

M. [U] décrit également par courriel adressé à son conseil la relation établie avec M. [Z] en ces termes : ' Je suis parti en juin 2018 dans l'Indre pour des raisons familiales et professionnelles et j'ai proposé comme un accord verbal entre nous et M. [Z] de savoir si il était intéressé de tenir pendant un laps de temps mon entreprise, il m'a répondu oui car c'est dans ce métier la sonorisation qu'il souhaiterait s'épanouir. Je l'ai donc formé durant 2 mois quelques heures par semaine à la bonne marche à suivre pour gérer l'entreprise. Il a donc commencé en juin 2018 à être seul, bien sûr nous nous sommes appelés très souvent pour différentes choses journalières à gérer'.

La société ESIL produit des devis datés de mars 2019 et émis par la société APPEL ainsi qu'un extrait non daté d'une page du site internet ' Linkedin' dans lequel M. [Z] est présenté comme responsable projet et administration des ventes de la SAS Appel, ce qui n'établit pas que M. [Z] était en poste au sein de la société Appel entre mai 2018 et le 23 février 2019, comme le soutient la société ESIL.

L'éloignement de M. [U] de la société ESIL alors qu'il se trouvait à [Localité 6] et dont il se prévaut pour alléguer de l'absence de toute existence d'un lien de subordination, confirme en revanche que M. [Z] était seul pour tenir la boutique, dont les horaires d'ouverture couvraient toute la journée, M. [U] lui adressant ses consignes par téléphone.

Il n'est pas davantage établit que M. [Z] a détourné les moyens de paiement et a retiré le numéro de téléphone de la société et celui du portable du gérant pour y apposer le sien, ces allégations étant dépourvues d'offre de preuve alors que M. [U] a réclamé à plusieurs reprises à M. [Z] les devis adressés par courriels aux clients pour les examiner, devis sur lesquels les numéros de téléphone de la société étaient mentionnés.

Dès lors, si la société ESIL invoque la présomption de statut de travailleur indépendant ainsi qu'une collaboration sans caractère exclusif et sans état de dépendance économique, il ressort de l'ensemble du dossier que M. [Z] :

- a tenu le magasin de la société ESILpendant toute la journée en raison de l'éloignement géographique du gérant pendant près d'une année, alors qu'aucun autre salarié n'y travaillait, M. [Z] justifiant des horaires par la copie du site internet de la société, dont il ressort que le magasin était ouvert ' de 10h à 18h du mardi au vendredi et de 10h à 12h30 le samedi' de sorte que le salarié a dû se tenir toute la journée à la disposition de l'employeur à raison de plus de 40 heures par semaine, ce qui l'empêchait d'exercer une autre activité,

- a disposé des moyens de paiements de la société et des outils de communication,

- s'est présenté comme un salarié de l'entreprise dans les échanges commerciaux avec les clients et non comme le gérant de la société,

- a reçu des consignes fréquentes et régulières de M. [U] et a dû justifier de son activité de sorte qu'il n'a pas exercé des fonctions de gérant délégué mais répondait bien aux ordres de M. [U],

- a été rémunéré, certes par des factures, mais dont le montant était quasiment identique pendant plusieurs mois, circonstance qui s'analyse en réalité en la remise d'un salaire pour une activité pérenne et mensualisée.

En conséquence, la société Esil a employé M. [Z], auto-entrepreneur, dans des conditions le plaçant dans un lien de subordination juridique permanente à son égard, du 1er mai 2018 au 23 février 2019, les relations n'étant plus de l'ordre de l'externalisation des prestations de la société alors que M. [Z] n'avait plus aucune indépendance dans l'organisation et l'exécution de son travail en raison du caractère exclusif de la collaboration, le détournement de clientèle invoqué par M. [U] étant sans incidence sur l'existence de la relation de travail.

Sur les conséquences de l'existence d'un contrat de travail

. Sur la rupture

La démission ne se présume pas et elle ne peut résulter que d'une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié de mettre un terme à la relation de travail.

Les parties fixent la fin de la relation professionnelle au 23 février 2019, l'employeur considérant que le départ volontaire de M. [Z] doit s'analyser en une démission, ce dernier soutenant qu'il a été salarié de la société ESIL jusqu'au 23 février 2019 de sorte que l'employeur a procédé à son licenciement sans respecter la procédure prévue à cet effet.

Qaund bien même la société ESIL soutient que le départ de M. [Z] était volontaire, elle n'établit pas que les circonstances de la rupture des relations professionnelles entre les parties s'analysent en une présomption de démission de M. [Z] le 23 février 2019.

L'absence de poursuite du contrat conduit donc à retenir qu'à défaut de notification des motifs de la rupture par écrit celle-ci est constitutive d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, aucun élément n'établissant que le salarié a entendu démissionner. M. [Z] est fondé à réclamer les indemnités de rupture.

. Sur le rappel de salaire comprenant l'indemnité de préavis et l'indemnité légale de licenciement

M. [Z] sollicite un rappel de salaire du 1er mai 2018 au 23 février 2019 sur la base du salaire conventionnel des cadres, position 1 de la convention collective nationale des Commerces et Services de l'Audiovisuel, de l'Electronique et de l'Equipement Ménager, ce qui correspond à la somme mensuelle brute de 2 002,34 euros, ce que conteste fermement la société ESIL.

Si l'employeur conteste l'application de la convention collective retenue par M. [Z], il n'apporte aucun élément pour appliquer une autre convention et la cour retient donc celle proposée par le salarié.

Si l'employeur conteste également la classification de cadre du salarié, il n'indique pas de quel emploi il relève, la cour adoptant donc la classification de l'emploi de cadre.

En effet, M. [U] a indiqué à son conseil que M. [Z] l'a remplacé pour ' tenir' le magasin, ce qui relève davantage d'un emploi de cadre que de celui d'un employé, cette classification n'empêchant pas l'existence d'un lien de subordination.

M. [Z] a perçu la somme totale de 10 110 euros au titre de la prestation 'gestion de la boutique', qu'il déduit de sa demande de rappel de salaires.

Par ailleurs, si M. [Z] produit des factures mensuelles portant sur des 'prestations de DJ et installation lumières' à compter du mois de mai 2018 jusqu'en février 2019, il n'établit pas avoir perçu précédemment de telles sommes de la part de M. [U] de sorte que ces prestations sont indissociables de l'activité qu'il a exercée en qualité de salarié au sein de la société.

Les sommes versées au titre de 'prestations de DJ et installation lumières' à compter du mois de mai 2018 doivent donc être également déduites de la somme réclamée par le salarié, pour calculer le rappel de salaire, comme sollicité à titre subsidiaire par l'employeur .

Dès lors, la société ESIL sera condamnée à lui payer la somme de 7 761,06 euros bruts à titre de rappel de salaire - en ce compris, ainsi que le sollicite le salarié, l'indemnité de préavis, d'un montant de 6 007,02 euros bruts - outre la somme de 776,10 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef et la société Esil condamnée au paiement de ces sommes.

Par voie d'infirmation du jugement, la société Esil sera en outre condamnée à verser à M. [Z] la somme de 500,58 euros à titre d'indemnité légale de licenciement (2 002,34 euros/4).

. Sur l'indemnité pour licenciement irrégulier

Aux termes de l'article L. 1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L.1232-2, L.1232-3, L.1232-4, L.1233-11, L.1233-12 et L.1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Ces dispositions empêchent le versement des indemnités de rupture et de l'indemnité pour licenciement irrégulier en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dès lors, l'issue du litige conduit la cour à rejeter la demande d'indemnité pour procédure irrégulière, le salarié ne pouvant prétendre qu'au versement de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse telle que fixée par le barème d'indemnisation de l'article L.1235-3 dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, quand bien même au cas présent, aucune indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'a été sollicitée par le salarié.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement.

. Sur l'indemnité pour travail dissimulé

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur s'est soustrait intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10 relatif à la déclaration préalable d'embauche ou à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2 relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

Le fait que la relation entre la société Esil et M. [Z] soit requalifiée en contrat de travail ne suffit pas à caractériser le caractère intentionnel de la dissimulation d'emploi régie par l'article L. 8221-5 du code du travail précité.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande de ce chef.

.Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral 

Le salarié fait état du caractère brutal et vexatoire de son licenciement accompagné d'actes de dénigremement et de menaces.

Cette demande ne procède que par affirmations générales sans offre de preuve, les circonstances de la dispute intervenue entre les parties le 23 février 2023 n'étant pas établie.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef de demande.

Sur la remise des documents

Il convient d'enjoindre à la société ESIL de remettre à M. [Z] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.

Sur la demande de restitution

Le salarié sollicite la restitution de matériel comprenant du mobilier et de l'équipement informatique lui appartenant qu'il n'a pas repris lors de la rupture de la relation de travail le 23 février 2019, l'employeur affirmant que le salarié a récupéré tout le matériel dont il revendique la restitution.

En raison d'une opposition de l'employeur sur la restitution du matériel et sans aucune offre de preuve du salarié de ce qu'il en était propriétaire et qu'il l'avait déposé dans le magasin de M. [U] sans pouvoir ensuite le reprendre, il convient de rejeter la demande de ce chef et de confirmer le jugement.

Sur les autres demandes

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

Il sera également condamné à payer au salarié la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il déboute M. [Z] de ses demandes de condamnation de la société ESIL au paiement d'une indemnité pour travail dissimulé, d'une indemnité pour procédure de licenciement irrégulière, de dommages-intérêts pour préjudice moral, de sa demande de restitution de matériel, et en ce qu'il déboute la société ESIL de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de sa demande de condamnation de M. [Z] aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la relation de travail entre M. [Z] et la société ESIL du 1er mai 2018 au 23 février 2019 s'analyse en un contrat de travail,

DIT que la rupture du contrat de travail intervenue le 23 février 2019 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE en conséquence la société ESIL à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

- 500,58 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 7 761,06 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de rappel de salaires du 1er mai 2018 au 23 février 2019, outre 776,10 euros bruts au titre des congés payés afférents,

ORDONNE à la société ESIL de remettre à M. [Z] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société ESIL aux dépens de première instance et d'appel, et à verser à M. [Z] une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et dit qu'ils pourront être recouvrés directement la SELARL Minault Teriitehau agissant par Me Stéphanie Teriitehau avocat au barreau de Versailles, ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01117
Date de la décision : 29/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-29;21.01117 ?
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