COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 29 MARS 2023
N° RG 21/01006
N° Portalis DBV3-V-B7F-UNL6
AFFAIRE :
[X] [M]
C/
Association AVENIR APEI
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 février 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE
Section : AD
N° RG : F 20/00304
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Jean-pascal THIBAULT
Me Jérôme ARTZ
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [X] [M]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Jean-Pascal THIBAULT, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 470
APPELANT
****************
Association AVENIR APEI
N° SIRET : 785 039 058
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Jérôme ARTZ de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: L0097, substitué à l'audience par Me Olivia HOUY-BOUSSARD, avocat au barreau de Paris
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [M] a été engagé en qualité de d'ouvrier qualifié internat cuisinier, par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, à compter du 20 août 2001, par l'association Avenir Apei.
Cette association a pour objet la gestion d'établissements médico-sociaux d'accueil pour personnes handicapées dans le département des Yvelines. L'effectif de l'association était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
Le salarié percevait une rémunération brute mensuelle de 1 881,23 euros bruts.
Par lettre du 25 octobre 2018, le salarié a sollicité la régularisation du versement des indemnités de repas durant ses congés pour les années 2015 à 2017, seule sa demande au titre de l'année 2018 ayant été acceptée.
Par courriel du 31 octobre 2018, le salarié a interrogé la Direccte d'Ile de France à propos du désaccord existant avec l'association Avenir Apei sur le calcul de son repos quoditien.
Le 14 novembre 2018, le salarié a démissionné de ses fonctions dans les termes suivants :
« Madame,
Je vous informe que l'ai pris la décision de démissionner de mon poste d'agent technique mâitre de maison que j'occupe actuellement dans l'association Avenir Apei depuis août 2001.
Je me vois dans l'obligation de quitter la région afin de suivre mon épouse qui fait l'objet d'une mutation professionnelle..
Conformément aux dispositions de la convention collective CCN 66 applicable au sein de l'association Avenir Apei, j'effectuerai mon préavis d'un mois.
Je quitterai donc mon emploi le 31 décembre 2018, date de rupture de mon contrat de travail au motif de rapprochement de conjoint.
Je vous prie d'agréer, Madame, l'expression de mes sentimens distingués. ».
Le 7 août 2019, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye aux fins de condamnation de l'association à lui payer des dommages-intérêts au titre du préjudice matériel et moral résultant du non-respect des dispositions applicables en matière de repos hebdomadaires et de régularisation d'avantages en nature.
Par jugement du 10 février 2021, le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye (section activités diverses) a :
- débouté M. [M] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté l'association Avenir Apei de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé à la charge de les dépens éventuels. (Sic)
Par déclaration adressée au greffe le 1er avril 2021, M. [M] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 13 décembre 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [M] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye,
statuant à nouveau,
- condamner l'association Avenir Apei à lui payer la somme de 34 560 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel,
- condamner l'association Avenir Apei à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- condamner l'association Avenir Apei à lui payer la somme de 3 326,40 euros brut à titre d'avantage en nature repas à régulariser,
- condamner l'association Avenir Apei à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'association Avenir Apei à l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile sur la totalité de la décision à intervenir.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 septembre 2021 , auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles l'association Avenir Apei demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye le 10 février 2021 en ce qu'il a débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes,
en conséquence,
- débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
à titre subsidiaire,
si par extraordinaire, la cour devait entrer en voie de condamnation :
- réduire à de plus justes proportions une éventuelle condamnation au titre du manquement au repos hebdomadaire compte tenu de l'absence de démonstration du préjudice,
- réduire à de plus justes proportions une éventuelle condamnation au titre du manquement au titre de l'avantage en nature repas,
en tout état de cause,
- condamner M. [M] à lui régler la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [M] également aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur les demandes au titre des repos hebdomadaires
Le salarié explique qu'il n'a pas bénéficié des heures de repos dues, après une amputation de 7h30 de repos par semaine, une semaine sur deux pendant 18 années. Il indique que sa demande n'est pas prescrite puisqu'il exerce une action en responsabilité contre l'employeur et que son entier préjudice, réel et certain, doit être réparé depuis son origine, quelle qu'en soit la durée.
Il précise qu'il ressort de ses plannings qu'il devait reprendre son travail le dimanche à 15h30 en 'semaine 2' après l'avoir quitté le vendredi précédent à 19h30, alors qu'en application des dispositions légales et conventionnelles, il aurait dû reprendre son travail le dimanche à 18h30. Il précise que, de la même façon, il reprenait son travail à 14h le mardi au lieu de 18h30.
L'employeur réplique que le salarié entretient sciemment la confusion alors qu'il soutient avoir réaliser des heures supplémentaires, tout en sollicitant l'allocation de dommages-intérêts, qu'il calcule sur la base d'un rappel de salaire. Il expose que la demande du salarié se heurte donc à la prescription de l'article L.1471-1 du code du travail, qui précise que l'action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans. Il ajoute que la demande est en tout état de cause manifestement mal fondée et affirme que le salarié n'a jamais été privé de la totalité de son repos hebdomadaire.
Sur le préjudice matériel
Aux termes de l'article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande.
Le salarié forme une demande de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice qui s'est déroulé pendant presque 18 ans , c'est à dire une demande de nature indemnitaire , mais pour laquelle le salarié calcule son préjudice, constitué par l'absence de repos hebdomadaires pendant la relation contractuelle, sur la base de 7h30 heures amputées, une semaine sur deux, ces heures étant valorisées à 10 euros net par heure, de sorte que le salarié sollicite en réalité le paiement d'une créance de nature salariale.
Or, le salarié n'est pas admis à contourner les règles de la prescription en sollicitant des dommages-intérêts.
En l'occurrence, l'article L.1471-1 du code du travail prévoit que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans.
Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes le 9 août 2019.
Si le salarié s'oppose à l'application des dispositions de l'article L.1471-1 en soutenant que son entier préjudice doit être réparé depuis son origine, il ne conteste pas les modalités d'application de cet article par les premiers juges, lesquels ont retenu que son action est prescrite pour la période antérieure au 9 août 2017.
Les demandes au titre des heures de repos hebdomadaire sont ainsi irrecevables pour la période antérieure au 9 août 2017, le jugement étant confirmé de ce chef.
Sur la demande au titre des repos hebdomadaires sur la période non atteinte par la prescription:
Le temps de repos hebdomadaire du salarié, qui reposait sur un cycle de deux semaines était organisé comme suit :
- semaine 1: le repos hebdomadaire est accordé le samedi et le dimanche,
- semaine 2 : un repos le samedi et une 1/2 journée de repos jusque 15h30 le dimanche et une 1/2 journée de repos le mardi.
Les parties appliquent différemment les dispositions combinées du code du travail et de la convention collective et s'opposent sur le calcul du temps de repos accordé au titre de la semaine 2, le salarié revendiquant un repos hebdomadaire de 47 heures.
Aux termes de l'article L.3132-2 du code du travail, le repos hebdomadaire a une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s'ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévu au chapitre Ier.
Aux termes de l'article 21 de la convention collective, le repos hebdomadaire est fixé à 2 jours dont au moins un et demi consécutif et au minimum 2 dimanches pour 4 semaines.
En application de ces dispositions, le salarié bénéficie le week-end d'un repos hebdomadaire en semaine 2 de 24h de repos hebdomadaire + 11h de repos journalier + 12 h de repos hebdomadaire, soit un total de 47 heures, ce que l'employeur a mis en place à compter du 19 novembre 2018 après avoir modifié le planning du salarié dont le repos hebdomadaire n'était alors que de 44 heures.
La même méthode de calcul s'applique pour la demie journée du mardi et le salarié, pour pouvoir bénéficier après sa demie-journée de repos hebdomadaire, devait également bénéficier d'un repos quotidien de 11 heures de sorte que terminant son travail le lundi à 19h30, il ne devait reprendre son poste que le mardi à partir de 18h30 au lieu de 15 heures.
Le salarié est donc bien fondé à se préavaloir d'une erreur de calcul de son repos hebdomadaire, d'ailleurs reconnue par l'employeur pour le calcul du temps de travail en fin de semaine à compter du 19 novembre 2018, l'employeur l'ayant privé de 7h30 de repos hebdomadaire, une semaine sur deux, peu important que le salarié ait acquis 105 jours de RTT sur son compte épargne temps et perçu une indemnité de CET de 10 017,51 euros.
Le préjudice matériel subi par le salarié, qui n'a pas bénéficié du temps de repos qui lui était dû et n'a pas fait l'objet d'une compensation salariale, pour la période non atteinte par la prescription, sera réparé par l'allocation d'une somme calculée sur la base, non utilement contestée par l'employeur, de 47 semaines travaillées par an, et un salaire horaire de base de 10 euros nets réclamés, dans les limites de la demande du salarié, soit du 09 août 2017 au 18 novembre 2018, date de régularisation par l'employeur du planning du salarié, et après déduction de l'indemnité majorée pour le travail le dimanche, égale à deux points par heure de travail effectif correspondant à 910 euros pour l'année.
En conséquence, par voie d'infirmation du jugement, l'association Avenir Apei sera condamnée à verser au salarié la somme de 2 800 euros de dommages-intérêts au titre de son préjudice matériel, calculés sur la base du manque à gagner.
Sur le préjudice moral
Le salarié fait état à juste titre d'une insuffisance de repos et d'une amputation systématique sur sa vie personnelle et familiale, ce qui est distinct du préjudice matériel précédemment indemnisé, et qu'il invoque l'existence d'un préjudice résultant d'une diminution sans contrepartie financière de son temps de repos dominical de 3h30 un dimanche sur deux.
Le jugement sera donc infirmé et il sera fait droit à la demande de réparation de ce préjudice par l'allocation de la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Sur la demande de rappel de salaire au titre des 'avantages en nature pour les repas'
L'employeur a régularisé l'avantage en nature en juillet 2018 et le salarié réclame le versement de cet avantage pour les années 2015 à 2017, ce que conteste l'employeur qui soutient que le salarié a perçu un rattrapage des sommes dues en novembre 2018.
La charge du paiement effectif du salaire pèse sur l'employeur qui doit prouver sa libération, notamment par la production de pièces comptables, et ce, nonobstant laproduction de bulletins de salaire.
Au cas présent, aux termes de la convention collective applicable, le repas fourni à titre gratuit aux salariés est un avantage en nature et, pour le personnel de cuisine, cet avantage est maintenu pendant les périodes de congés payés et les absences rémunérées sous la forme d'une indemnité correspondante se substituant à la fourniture du repas.
Par lettre du 27 juillet 2018, l'employeur a informé le salarié que l'avantage en nature serait pris en compte mensuellement depuis janvier 2018 pour 127 repas, précisant que les repas sont uniquement rémunérés en cas de maladie, accident du travail et congés payés. L'employeur a ensuite procédé à une régularisation sur le bulletin de paye du salarié.
Par nouvelle lettre du 30 novembre 2018, l'employeur a fait part au salarié de la régularisation effectuée d'août 2015 à décembre 2017 sur le bulletin de paye de novembre 2018, ce qui correspond à 393 repas.
L'employeur a également fait mention dans le bulletin de paye du mois de novembre 2018 de cette régularisation d'avantage en nature pour les repas du 1er août 2015 au 31 décembre 2017 pour la somme totale de 3 326,40 euros dans la rubrique 'éléments de revenus bruts'.
Toutefois, si la régularisation telle qu'annoncée par l'employeur est bien mentionnée sur le bulletin de paye du mois de novembre 2018, la somme n'est pas incluse dans la case récapitulative du 'net à payer' au salarié mais figure uniquement dans les rubriques relatives aux bases de calcul pour ' le SS plafonnée ' et dans le 'net imposable'.
Dès lors, l'employeur n'établit pas que la somme a été effectivement versée au salarié.
En conséquence, l'employeur est condamné à verser au salarié la somme de 3 326,40 euros. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, la cour ajoutant ainsi au jugement qui n'indique pas la partie à laquelle les dépens sont laissés à la charge.
L'employeur sera également condamné à payer au salarié la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement entrepris mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de ses demandes de dommages-intérêts pour préjudice matériel et pour préjudice moral, de sa demande au titre des avantages en nature repas à régulariser, et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
LE CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE l'association Avenir Apei à payer à M. [M] les sommes suivantes:
- 2 800 euros de dommages-intérêts pour préjudice matériel au titre des repos hebdomadaires non pris,
- 1 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral au titre des repos hebdomadaires non pris,
- 3 326,40 euros bruts à titre de régularisation de l'avantage en nature au titre des repas,
- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs plus amples demandes,
DÉBOUTE l'association Avenir Apei de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l'association Avenir Apei aux dépens de première instance et d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président